Compte rendu

Ciné-bar sur l’eau potable

13 juin 2019, Bar le Fou Aeliés, Pavillon Desjardins-Pollack, Université Laval

Par Jérôme Cérutti, Candidat au doctorat en aménagement du territoire et développement régional de l’Université Laval

Présentation

Dans le cadre du mois de l’eau, la Ville de Québec et la Chaire de recherche industrielle CRSNG — Gestion et surveillance de la qualité d’eau potable de l’Université Laval (CREPUL) nous invitaient à la diffusion de deux documentaires portant sur la quantité et la qualité de l’eau potable. Cet événement visait à sensibiliser l’auditoire (étudiants, professeurs, professionnels provenant d’organismes liés à l’eau, de municipalités et de ministères divers) sur l’importance de protéger nos précieuses ressources en eau au Québec. L’événement était co-organisé par François Proulx et Manuel J. Rodriguez.

François Proulx détient une maitrise en chimie et un PhD. en aménagement du territoire et développement régional, tous deux obtenus à l’Université Laval. Il est l’ancien directeur de la division de la qualité de l’eau à la Ville de Québec et professeur associé à l’École Supérieure d’Aménagement du territoire et de Développement régional (ÉSAD) de la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design (FAAAD) de l’Université Laval. Fort de ses nombreuses années d’expérience, les recherches de François Proulx s’intéressent aux différentes problématiques reliées à la qualité et la quantité de la ressource « eau potable » ainsi que la gestion de celle-ci sur le territoire.

Manuel J. Rodriguez détient une maitrise en aménagement du territoire et développement régional et un PhD. en génie civil tous deux obtenus à l’Université Laval. Il est professeur titulaire à l’ÉSAD et titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG — Gestion et surveillance de la qualité d’eau potable de l’Université Laval (CREPUL). Ses recherches portent sur la gestion de la qualité de l’eau potable, avec une approche intégrée du bassin versant au robinet du consommateur. Il s’intéresse plus particulièrement à la génération de connaissances sur l’évolution spatio-temporelle de la qualité de l’eau dans les sources d’approvisionnement et dans les réseaux de distribution, et au développement d’outils d’aide à la décision pour la gestion de l’eau potable destinée aux responsables municipaux, aux organismes chargés du cadre réglementaire et aux responsables de la santé publique.

Afrique du Sud, Apocalypso

Effet Papillon, Canal +

Le Cap : une métropole contemporaine à sec

Le documentaire Afrique du Sud : Apocalypseau (l’Effet Papillon – Canal+, France) diffusé en mars 2018 porte sur la crise écologique majeure que vit la métropole du Cap, deuxième métropole d’Afrique du Sud avec ses quelque 4 millions d’habitants. Depuis plus de 3 ans, la métropole subit des sécheresses à répétition asséchant ses réservoirs d’eau potable. En début 2018, ses réserves ont atteint un seuil critique ce qui a forcé les autorités municipales à prendre des mesures drastiques. « Brigade de l’eau » mêlant répression et sensibilisation, contrôle strict de la consommation chez les citoyens et rationnement (200 bornes-fontaines pour l’ensemble de sa population), la municipalité tente par tous les moyens d’éviter le jour zéro, celui où elle sera forcée de couper l’approvisionnement en eau dans l’ensemble de son réseau municipal.

 

Face à la crise, les Capétoniens ont su s’adapter en réduisant drastiquement leur consommation d’eau à 50L par personne et par jour. À titre de comparaison, cette consommation était de l’ordre de 551L/personne/jour au Québec en 2016. Comment sont-ils parvenus à cette économie d’eau ? En redoublant d’ingéniosité ! Des centaines de vidéos YouTube et tutoriels sont diffusés par les Capétoniens pour partager leurs bons coups et réduire l’utilisation de l’eau. Fini les longues douches quotidiennes, une douche peut désormais se faire entre 20 secondes et 2 minutes ! Les autorités de la Ville y ont également mis les moyens, afin de faciliter le changement des habitudes de consommation d’eau. Une liste d’écoute spécialement conçue pour des douches de 2 minutes a été créée avec l’aide de différents artistes sud-africains. Outre la douche, c’est l’ensemble de la vie quotidienne des habitants qui se voit transformée. Finis le lavage des autos, la vaisselle et l’arrosage à l’eau potable. Les mots d’ordre sont : réutilisation et économie d’eau.

En outre, le documentaire pointe du doigt différentes problématiques. La première concerne la multiplication des forages municipaux et privés pour aller puiser de l’eau souterraine, ce qui assèche les aquifères — formations géologiques contenant de l’eau — et met en péril l’équilibre écologique. Selon David Gwynne-Evans, botaniste sud-africain, cette surexploitation de la ressource aura un impact inévitable sur les milieux naturels. La deuxième porte sur les inégalités sociales qui se creusent entre les plus riches — qui ne semblent pas vouloir changer leur mode de vie (piscines, arrosages de gazon, etc.) —, la classe moyenne qui se mobilise pour changer ses habitudes et les plus défavorisés. Ironiquement, les citoyens les plus défavorisés (qui représentent seulement 4 % de la consommation de la métropole) sont ceux qui seront le moins impactés par la crise du manque d’eau au Cap, car ils étaient déjà habitués à économiser l’eau intelligemment à cause du manque d’infrastructures dans les quartiers populaires. Désormais, sont-ils devenus des modèles à suivre dans la gestion des ressources face à la crise écologique que vit Le Cap ?

Le Cap est donc la première métropole contemporaine à faire face à une sécheresse qui met en péril plusieurs millions d’habitants. Cependant, face aux incertitudes liées aux changements climatiques, de nombreuses autres métropoles dans le monde pourraient faire face au même risque. Une question émerge alors : dans l’urgence climatique, quelle est la résilience de nos métropoles face au manque d’eau ?

Catskill Mountains (NY, États-Unis)

Image tirée de Wikipedia

Une qualité de l’eau exceptionnelle dans le robinet des New-Yorkais : le pari de l’investissement écologique

Le documentaire L’eau de New York (La Semaine Verte – Radio Canada) diffusé en août 2010 présente la stratégie de protection de la source d’eau potable de la métropole de New York. En tout, ce sont près de 10 millions de New-Yorkais qui sont approvisionnés par un des plus grands réseaux de distribution d’eau potable aux États-Unis. Celui-ci prend son eau à près de 200 km au nord de la métropole dans les bassins versants de Catskill/Delaware et de Croton (figure 1).

Ce vaste réseau comprend plusieurs réservoirs artificiels qui approvisionnent la métropole avec près de 3,8 milliards de litre d’eau par jour. Celle-ci est désinfectée par traitement au chlore et à la lumière ultraviolette (UV) pour assurer une qualité optimale aux New-Yorkais. Mais qu’est-ce qui rend l’eau de New York si particulière ? Près de 90 % de cette eau ne nécessite aucune filtration grâce à une stratégie de protection de ses sources d’eau potable qui vise à prévenir et réduire le risque à la source.

En effet, depuis plusieurs années, la Ville de New York a fait le pari d’investir massivement dans l’acquisition de terrains situés dans les bassins versants de Catskill/Delaware et Croton. Cette stratégie lui a permis d’économiser des milliards de dollars dans la construction d’usines de filtration (et tous les coûts d’opération reliés à ces usines). Pour ce faire, elle a créé de nombreux programmes de sensibilisation et de soutiens financiers pour les agriculteurs qui poursuivent leur activité dans les bassins versants de la prise d’eau potable de New York. L’entente avec les agriculteurs est de leur offrir (1) du soutien technique pour gérer leur activité et réduire les risques de pollution agricole liés aux pesticides, fumiers et animaux porteurs de maladie, ainsi (2) qu’un soutien financier dans l’achat de matériel. Un agriculteur du bassin versant de Catskill/Delaware explique qu’il a obtenu près de 200 000 $ US pour l’achat de matériel grâce à ce programme. On peut donc considérer que c’est un programme gagnant-gagnant pour la qualité de l’eau des New-Yorkais et les agriculteurs du bassin versant. Le documentaire démontre aussi la proactivité de cette administration municipale qui finance de nombreux autres programmes, notamment dans l’industrie forestière.

La relation de confiance développée entre l’administration municipale de la Ville de New York et les producteurs agricoles, de même que l’efficacité des programmes de sensibilisation semblent avoir contribué positivement à une utilisation durable de la ressource en eau. Cependant, le développement immobilier représente aujourd’hui une grande préoccupation pour la Ville de New York. Celle-ci y voit le risque de mettre en péril les efforts qu’elle a entrepris depuis de nombreuses années avec les habitants des bassins versants de Catskill/Delaware et Croton. En effet, les municipalités présentes dans ces bassins versants sont devenues très attractives et certaines désirent devenir des lieux de villégiature privilégiés pour les New-Yorkais, mettant en avant le cadre naturel exceptionnel et l’accessibilité liée à la présence de l’autoroute. Ainsi, comment évaluer les risques associés à ces développements immobiliers sur la qualité de l’eau potable de la Ville ?

Ces deux documentaires ont démontré les problématiques reliées à l’eau d’un point de vue de la quantité (Le Cap) et de la qualité (New York). Les personnes présentes lors de cette table ronde ont vivement réagi aux cas du Cap en faisant des parallèles avec le Québec. La culture du gaspillage d’eau en Amérique du Nord et le manque de contrôle de la part des autorités ont été pointés du doigt. Faudrait-il en venir à l’installation de compteur d’eau pour limiter la consommation de la population ? Le deuxième exemple sur New York a particulièrement interpelé les citoyens de la Ville de Québec qui sont au fait de la problématique du lac Saint-Charles. Ce réservoir d’eau constitue la principale prise d’eau du réseau d’approvisionnement de la Ville de Québec qui représente plus de 300 000 personnes. Cependant, les conflits d’usage sur le territoire dû à un développement effréné autour du lac sont aujourd’hui pointés du doigt. Accusés de porter atteinte à la qualité de l’eau du lac, comment s’inspirer du cas de New York pour protéger nos sources d’eau potable au Québec ? A-t-on partout au Québec les moyens financiers nécessaires pour agir ?