Vue aérienne de Montréal,

Vue aérienne de Montréal.

Capsule thématique

Comment évaluer le dynamisme socio-économique de Montréal ?

Auteur : Grégoire Autin* (mars 2016)

 

Présentation

La ville est un lieu de production et d’innovations sociales, économiques et politiques. C’est un espace par définition dynamique, un espace de rencontres et de centralisation, de décisions et d’activités économiques (Sassen, 2009). Le dynamisme socio-économique d’une ville recouvre différentes dimensions qui déterminent son attractivité. Il est souvent associé à la vitalité économique, aux indicateurs de richesse, d’innovation, d’investissements, mais aussi, négativement, de chômage ou de ségrégation sociale. La vitalité d’une ville est le produit de conditions structurelles, historiques, géographiques et géopolitiques. Mais la seule économie n’est pas suffisante pour appréhender son dynamisme : celui-ci est aussi déterminé par sa culture locale, sa société civile, ses choix politiques et ses institutions. Évaluer le dynamisme socio-économique de Montréal suppose donc d’adopter un modèle qui prend en compte ces différentes dimensions : il n’y a pas une seule manière d’évaluer ce dynamisme. Tout dépend de la perspective scientifique et politique que l’on adopte : on peut mettre l’accent sur la ville comme « growth-machine » (Molotch, 1976 ; voir Polèse, 2014 pour une critique de cette perspective), analyser quelle est la situation de Montréal dans la hiérarchie mondiale des villes (Globalization and World Cities research network – GaWC), explorer la question de la justice sociale et des inégalités (Fainstein, 2001 ; Harvey avec Wachsmuth, 2012) ou encore évoquer son attractivité culturelle et sociale en lien avec des valeurs post-matérielles (Savitch et Kantor, 2002).

« Cities are the crucibles through which radical experiments become convention » – Savitch et Kantor, 2002, page 3

Évaluer le dynamisme socio-économique d’une ville est utile pour l’ensemble des acteurs. C’est un exercice qui conduit à construire une vision à la fois de la situation économique et sociale de la ville à un moment donné, mais permet aussi de mieux connaître les différentes tendances sous-jacentes qui déterminent cette situation. Cela permet aux décideurs politiques et aux urbanistes de mieux comprendre le contexte dans lequel ils doivent élaborer des politiques, prendre des décisions et planifier le développement urbain. Cela doit aussi permettre aux citoyens de mieux comprendre leur ville et les différents leviers d’action auxquels ils ont accès.

Montréal, la nuit. Photo de la NASA. 2014.

Montréal, la nuit. Photo de la NASA. 2014.

Trois perspectives différentes portant sur l’évaluation du dynamisme socio-économique seront abordées dans cette capsule. C’est une question qui est intimement liée à celle du développement urbain. Pour cerner ce dernier, l’accent est souvent mis sur les facteurs économiques. Cette tendance a notamment amené certains chercheurs à élaborer une hiérarchie des villes (I). Celle-ci ne permet cependant pas de comprendre les processus sous-jacents du développement urbain. Hank V. Savitch et Paul Kantor (2002) proposent un modèle qui souligne notamment l’importance des facteurs sociaux et culturels (II). Ce sont en effet ces facteurs qui amènent les chercheurs à se questionner sur la définition du développement économique et urbain des agglomérations dans la mesure où ils permettent de distinguer les villes entre elles (III).

I. Hiérarchiser les villes mondiales

« Les territoires urbains sont si précieux que nous considérons normal de les classer par rang et selon des indices […] Ce type de classement est censé refléter la valeur putative d’une ville et a été intégré à la documentation scientifique et aux discours sur l’élaboration des politiques. » (Savitch et Weinstein, 2013, page 244)

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Centre-ville de Montréal. Photo libre de droits.

Le dynamisme d’une ville, assimilé à l’enjeu du développement urbain, est souvent réduit à des conditions économiques. Un exemple de cela est la construction, à partir de critères descriptifs, de hiérarchies urbaines. Ces hiérarchies cherchent à effectuer des comparaisons et élaborer des modèles qui permettent de comprendre le développement urbain et, a posteriori, le dynamisme socio-économique des villes. Les études sur la globalisation et la place centrale qu’elles accordent aux « villes globales » (Sassen, 2009) ont accentué cet effort de hiérarchisation mondiale des villes. Le GaWC, que nous avons déjà mentionné, classe et hiérarchise les villes et observe les évolutions de cette hiérarchie (les villes qui montent ou qui descendent dans le classement). Ce classement vise à refléter l’intégration des villes dans l’économie mondiale compte tenu de leur « degré de connectivité » (Savitch et Weinstein, 2013, page 246). Il comporte 12 catégories et permet d’évaluer la compétitivité et la connectivité de différentes villes d’un point de vue global : les villes « Alpha++ » sont ainsi très connectées ; les villes « Beta+ », dont Montréal fait partie, sont des « nœuds modestes » de l’économie mondiale, reliant différentes régions économiques ; les villes à « suffisance élevée » sont quant à elles des « nœuds très faibles » de l’économie globalisée (ibid., page 247). Ce classement conçoit les villes comme étant des « villes globales », c’est-à-dire des « lieux qui participent de façon intense au commerce mondial et qui sont matériellement reliés aux processus internationaux d’intégration économique » (ibid., page 245), un espace qui concentre la « matérialité de l’économie globale » (Sassen, 2009).

II. Un modèle de développement urbain

Cette représentation hiérarchique ne permet pas de comprendre les dynamiques urbaines sous-jacentes et Hank V. Savitch et Paul Kantor (2002) élaborent un modèle de développement urbain qui insiste sur les facteurs socio-économiques au centre de l’analyse, sans toutefois leur accorder toute la place. Cela leur permet d’analyser dix villes européennes et nord-américaines dans une même perspective. Ce modèle explique les nombreuses différences entre les villes qui misent sur un développement orienté vers le marché et celles davantage tournées vers les choix politiques et sociaux. Il s’agit, pour les auteurs, d’explorer les interactions entre la structure et l’agentivité ; ce sont en effet ces interactions qui déterminent à la fois les ressources à disposition des villes et, donc, leur pouvoir de négociation. C’est un modèle qui présente l’avantage de mettre en avant l’importance des choix politiques et de la négociation entre le secteur public, le secteur privé et le tiers secteur.

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Le Quartier des spectacles, Montréal.

Le pouvoir de négociation des villes dépend de quatre facteurs : les conditions du marché, le support intergouvernemental, le contrôle populaire et la culture locale (Savitch et Kantor, 2002, page 43). Les conditions du marché sont des conditions structurelles, historiques et géopolitiques qui sont au fondement du dynamisme économique des villes. La hiérarchie mondiale des villes évoquée plus haut nous informe en partie sur ce type de conditions. Le support intergouvernemental renvoie aux divers types de coopération qui existent entre les différents niveaux de décision politique et administrative (municipal, provincial, fédéral par exemple). Ce support influence largement le pouvoir de négociation qu’une ville peut avoir. Ces deux premiers facteurs, les conditions du marché et le support intergouvernemental sont des « driving variables », ce sont les ressources sur lesquelles une ville peut s’appuyer pour élaborer une politique de développement urbain, constituant de ce fait des facteurs structurels. Le contrôle populaire correspond à l’accès aux décisions que les citoyens peuvent avoir ; à comment le public peut exprimer son avis et comment les décisions peuvent être légitimées. La culture locale renvoie aux souhaits et volontés des habitants, aux normes et valeurs qui vont créer des dispositions particulières des citoyens envers le modèle de développement choisi. Ces deux derniers facteurs, le contrôle populaire et la culture locale sont des « steering variables » qui orientent les choix politiques, l’utilisation des ressources à disposition des décideurs publics.

La combinaison de ces quatre facteurs permet aux auteurs de construire trois différents modèles de développement urbain : un modèle centré sur le social (page 48), un modèle centré sur le marché (page 49) et un modèle hybride (page 51). Ces modèles permettent d’évaluer à la fois le potentiel socio-économique d’une ville, mais aussi la pertinence des politiques publiques de développement urbain. Ce sont des modèles qui insistent sur l’agentivité des différents acteurs publics, leurs options et marges de négociation : les choix publics de développement urbain ne peuvent en effet être réduits à des déterminismes structurels et économiques :

« No matter how well or poorly off cities may be, bargaining is an integral component of development » (page 31).

III. Facteurs socio-culturels dans l’analyse du dynamisme d’une ville

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Le canal Lachine.

Le modèle développé par Savitch et Kantor insiste sur l’importance des facteurs sociaux et culturels pour comprendre les dynamiques de développement urbain. Plus encore, ce sont ces facteurs qui permettent de distinguer les villes entre elles. C’est ainsi que dans un autre article, Hank V. Savitch (2010) propose de faire une distinction entre la « global city » et la « great city », cette dernière sortant du cadre strictement économique pour se situer dans des stratégies et objectifs de développement à long terme. Une « great city » possède une « certaine majesté, une proéminence » (Savitch, 2010, page 42) et combine quatre types d’attributs : 1/ elle doit s’accorder avec l’air du temps (« currency ») ; 2/ elle combine des flux internationaux et des caractères multiculturels (« cosmopolitanism ») ; 3/ elle est caractérisée par une densité démographique et de production (« concentration ») et 4/ elle est perçue comme étant fortement attractive (« charisma ») (ibid., page 45). Il est possible de combiner ces différents facteurs et d’évaluer les critères économiques (PIB de la ville, investissements), les connexions internationales (tourisme, ambassades, immigration), la densité (densité économique et démographique, intégration des banlieues et processus de suburbanisation) et l’opinion que les individus ont de la ville (attractivité culturelle, d’emplois, « Google hits »). L’auteur nous rappelle que « most cities will not achieve greatness, nor should they endeavor to do so » (Savitch, 2010, page 49), mais ces critères peuvent permettre d’apprécier le potentiel de chaque ville et donc d’orienter les politiques publiques de développement afin de promouvoir ce potentiel.

Conclusion

Le développement économique urbain d’une ville ne peut se comprendre en faisant abstraction des facteurs socio-culturels qui sous-tendent son dynamisme. De la même manière, l’analyse du dynamisme socio-économique d’une ville ne peut se réduire à sa situation au sein d’une hiérarchie mondiale de villes. Pour analyser le dynamisme socio-économique de Montréal, un chercheur ou une chercheuse devra prendre en compte une multiplicité de facteurs économiques et historiques, mais aussi sociaux, culturels et politiques. Pour ce faire, il est possible de s’appuyer sur des écrits portant sur l’histoire économique de Montréal (Polèse, 2012), sur l’organisation institutionnelle et politique de l’agglomération (Hamel et Keil, 2015) et sur les mouvements sociaux urbains et le milieu communautaire (Hamel, 2014 ; White, 2014 ; Fontan et al., 2006 et 2003). C’est la synthèse de ces différents éléments qui permet d’évaluer et d’analyser le dynamisme socio-économique de Montréal sans réduire celui-ci à un déterminisme économique.

*Grégoire Autin est doctorant au département de sociologie de l’Université de Montréal.

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