VRMRencontres6_Affiche1Compte rendu – 6e Rencontres VRM

Les professionnel(le)s de la participation publique : un nouveau métier?

19 et 20 novembre 2015
Office de consultation publique de Montréal
1550, rue Metcalfe, Montréal
Auteur(e)s : Marie-Pier Bresse, Maude Cournoyer-Gendron, Catherine Gingras* et Samuel Mathieu**

Conférence d'ouverture : Professionnel(le)s de la participation publique, un métier comme les autres ? Enjeux, tensions et défis, vus de France

VRM6_Judith_closeup

Venue de Paris, Judith Ferrando a partagé avec nous sa perspective sur les enjeux de la participation publique.

Compte rendu

Judith FERRANDO, co-directrice de l’agence Missions Publiques (Paris) et coordonnatrice de l’Institut de la Concertation (France).

En France, la création du champ professionnel est une avancée récente, liée à l’institutionnalisation de la participation, qui s’est faite surtout dans les années 1990. Il y a beaucoup d’expériences de participation aujourd’hui, au risque de l’illisibilité. La professionnalisation de la participation se fait souvent à l’intérieur des structures, et on observe une forme de routinisation. Il y a cependant des pratiques (et des praticiens) très diversifiées, et une certaine porosité entre les centres de recherche et les milieux de pratique.

Malgré des outils et des formations, le champ reste fragile : il n’y a pas de référentiel métier, pas d’unité dans les termes employés, peu de reconnaissance. Plusieurs intègrent la participation publique dans leur travail, sans pouvoir y être dédiés. De plus en plus, on craint que la participation publique soit une préoccupation périphérique et même réversible parce qu’il n’y a pas de rentabilité électorale. Dans un contexte de baisse des budgets publics, les processus sont de plus en plus courts. Il y a dans quelques cas des conflits très forts (par exemple les ZAD – Zone à défendre) et la déception est grande chez les citoyens lorsqu’ils perçoivent peu d’effets.

Madame Ferrando a ensuite identifié cinq défis principaux :

  1. Structurer le champ professionnel de façon à préserver sa réflexivité et sa fonction démocratique. Cela peut se faire par des échanges de pratiques et des réflexions sur les méthodes et les questions déontologiques.
  2. Ne pas tomber dans la «réponse mécanique», le fétichisme de l’outil ou les effets de mode. Les contextes et les projets sont chaque fois différents, et il faut veiller à ne pas standardiser les méthodes.
  3. Construire des garanties, des cadres de confiance, notamment en partageant les règles du jeu.
  4. Ne pas perdre de vue l’aspect politique. La participation publique peut faire plus que d’améliorer les projets et les politiques publiques : elle peut créer une culture politique plus horizontale et contribuer à ce que tous se considèrent comme des citoyens à part entière.
  5. La participation publique peut même concourir à un nouvel imaginaire politique par une «repolitisation», une remise de chacun dans le politique. La participation pourrait être étendue aux grands enjeux et non se limiter aux projets et aux politiques publiques.

Durant la période de discussion, un participant a abordé la question des conflits. Selon lui, les citoyens touchés par les projets vivent de la détresse et sont à un moment charnière de leur vie. Est-il possible, dans ce contexte, de participer à des débats ? Pour Mme Ferrando, certains outils permettent de construire le conflit sans blesser, en préservant chacun. Par exemple, on peut jouer sur les accords et les désaccords, et ainsi chercher à élargir le consensus. Cela permet d’explorer un conflit sans nécessairement porter le poids de sa position. Un autre sujet abordé est la création d’un ordre professionnel. La conférencière craint que cela n’entraîne une standardisation et une sélection à l’entrée, et lui préfère les groupes d’échange de pratiques. Ces groupes de pairs permettraient de prendre de la distance et de discuter des contraintes dans lesquelles évoluent les professionnels.

CAFÉ DES SCIENCES 1 : Quels sont les principaux enjeux associés au développement du métier de professionnel(le) de la participation ?

VRM6_scene2

Les professionnel(le)s de la participation publique : un nouveau métier?

Compte rendu

Lors de ce premier Café des sciences, les quatre intervenants ont présenté leurs positions sur les enjeux du développement du métier de professionnel de la participation.

Louis SIMARD a abordé ce thème selon trois questions : 1) Qui sont les professionnels qui œuvrent dans ce domaine? 2) Dans quel genre d’entreprise œuvrent ces derniers? Et finalement, 3) que font-ils concrètement dans leur quotidien? Au travers de son exposé, monsieur Simard a su dresser un portrait assez large dudit professionnel de la participation qui a pris place au cours des 15 à 20 dernières années par l’institutionnalisation de la participation citoyenne.

IMG_3201

Les discussions en table-ronde ont permis des échanges riches entre les participantes et les participants de cet événement.

À la suite de sa présentation, André DELISLE, un important acteur de la participation citoyenne au Québec, a lancé quelques pistes de réflexion sur les enjeux que peut engendre l’encadrement ou la professionnalisation de l’acteur ou mobilisateur de la participation citoyenne. Monsieur Delisle a révélé une critique assez franche sur le développement des experts qui se multiplient ces dernières années. Selon lui, la professionnalisation trop encadrée peut mener à des dérapages notables et ainsi, s’éloigner de la population.

Puis,  Denis BOURQUE est revenu sur les fondements du monde communautaire où la consultation est née tout en soulevant trois enjeux. Le conférencier a d’abord voulu interroger les pratiques de soutien à la consultation, puis l’aspect de la démocratisation visant à intégrer le maximum d’acteurs. Enfin, monsieur Bourque a souligné que l’encadrement d’une pratique éthique qui pourrait contribuer à la crédibilité sociale de la participation.

VRM6_tables

Les participantes et participants devaient se regrouper en tables rondes selon leurs identifiants, dans ce cas-ci, un gorille.

Isabelle VERRAULT, pour sa part, a su préciser l’importance de la notoriété récente de l’intervenant en participation. Dans les dernières années, la participation publique ne se limite plus à des instances comme celles du BAPE et de l’OCPM. Maintenant, les projets sont mieux intégrés dans les communautés et le soutien à la consultation est davantage maîtrisé. Madame Verrault s’interroge cependant sur cette tendance actuelle qui est encore précaire.

En termes de synthèse à ce café, plusieurs interventions ont eu lieu de la part des participants, en soulevant principalement un débat sur la professionnalisation du métier d’intervenant en participation. Une certaine inquiétude plane actuellement dans cet univers à savoir si l’encadrement d’une telle pratique professionnelle ne mènerait pas à une forme de corporatisme; grandement critiqué par plusieurs. D’autres participants ont questionné les modes de gouvernance actuels à savoir où sont les limites d’intervention de la part des acteurs lors d’un processus de consultation ou de participation citoyenne. Enfin, deux autres aspects sont également ressortis de ces échanges : il s’agit de l’apport des aménagistes dans les nouvelles pratiques de la consultation et de l’importance de redonner la place au citoyen. Ainsi, le débat semble encore ouvert à savoir s’il est réellement utile d’encadrer ce métier, voire ce champ de pratique, puisque les intervenants en participation proviennent de plusieurs domaines.

CAFÉ DES SCIENCES 2 : Les besoins de formation et de standardisation : faut-il davantage encadrer la participation publique ?

Compte rendu

VRM6_florence_closup

Florence Paulhiac présentant les mots clés de la participation publique dans la formation universitaire en environnement.

Lors de la première présentation, Florence PAULHIAC s’est demandé si la formation universitaire avait été influencée par le nouvel impératif de participation publique présent dans plusieurs domaines, dont l’urbanisme. Son constat est que les formations universitaires dispensent effectivement des savoirs fondamentaux (qui permettent aux futur(e)s professionnel(le)s de se forger une réflexivité dans la pratique), mais dénote des indices de professionnalisation dans les cours qui mettent l’accent sur les techniques et le savoir-faire (outils, instruments, méthodes). Une troisième dimension de ce savoir et de ce savoir-faire transmis dans la formation est le savoir-être (l’éthique et à la déontologie), trois éléments sur lesquels il faut réfléchir dans la formation relative à la participation publique. Pour plus d’information, vous pouvez consulter le rapport de recherche.

Dans la seconde présentation, Stéphane BÉRUBÉ a abordé la notion de standardisation, en présentant l’état actuel de la participation publique et ses perspectives d’avenir. Monsieur Bérubé nous a partagé sa vision du point de vue de son implication à AIP2, un organisme qui souhaite faire la promotion et la diffusion des principes et des valeurs de la participation publique (voir leurs documents, et notamment le continuum de participation). Il a notamment évoqué la nouvelle certification validant les compétences et savoir-faire des professionnel(le)s de la participation mise sur pied par l’AIP2, l’intérêt pour un programme universitaire axé sur la participation publique reconnue en tant que discipline transversale et la mise en place d’un ordre professionnel de la participation qui permettrait de protéger le public et de s’assurer de l’authenticité de la démarche.

La présentation de Caroline GAGNON a porté sur l’apport des professions liées au design et du domaine créatif dans la participation publique. Souvent appelé(e)s à faire de la participation, ces professionnel(le)s n’ont pas nécessairement une connaissance fine en la matière. Le designer peut toutefois avoir un rôle de facilitateur, permettant de rendre concrètes, et de matérialiser les aspirations qu’ont les individus dans les projets. Il reste que la formation en design n’aborde pas la dimension politique de la pratique, et cette omission pourrait conduire à la mise sur pied de démarches qui relèvent plus de l’animation que d’une réelle prise en charge des préoccupations des citoyens. Le designer pourrait alors être utilisé comme une stratégie afin de « faire passer le projet ».

VRM6_Trottier-closeup

Sébastien Trottier s’interrogeant sur l’algorithme de la participation.

La quatrième présentation, par Sébastien TROTTIER, a porté sur un constat : il n’existe pas d’algorithme de la participation publique. La participation publique est une discipline inexacte, faisant appel à la subjectivité, mais qui permet la prise de chance et l’innovation. Monsieur Trottier souligne toutefois l’importance, pour le ou la professionnel(le) de la participation publique, d’avoir certaines qualités telles que la curiosité, l’écoute, l’ouverture, l’innovation ou la transparence. Au-delà de la formation, une attitude est à développer. En interrogeant les règles de base communes à la participation publique, il évoque l’importance de consulter en amont, mais ajoute que le suivi permet de donner crédibilité et légitimité à une démarche.

Les discussions du deuxième café des sciences ont porté sur quelques propositions d’abord lancées par les intervenants : le besoin d’un programme universitaire en participation publique, l’accréditation en participation publique et la création d’un ordre des professionnel(le)s de la participation publique.

Une crainte est apparue quant à une trop grande standardisation qui pourrait appauvrir ce domaine qualifié de riche et innovant. Il a été souligné qu’il existe plusieurs véhicules pour développer les compétences en participation, telles que les communautés de pratiques ou l’engagement citoyen. Toutefois, une formation universitaire présentant un cursus de base, des valeurs, une éthique, des savoirs et méthodes, semblait faire consensus, d’autant plus s’il elle est donnée au niveau du DESS. Pour alimenter la réflexion en ce sens, Judith Ferrando, conférencière invitée, a cité l’exemple du Master en Affaires publiques – Parcours Ingénierie de la concertation de l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne. Elle a insisté sur la palette d’outils à y intégrer et a souligné le danger d’avoir une vision trop normative de ce qu’est la « bonne participation » qui s’ensuivrait d’un désenchantement lors de la mise en œuvre sur le terrain. Dans le cas de la proposition d’un ordre des professionnel(le)s de la participation, les réactions furent vives. Enfin, plusieurs intervenants ont soulevé les dangers du corporatisme, puisqu’un ordre signifierait un champ professionnel réservé, un titre, des cotisations, etc.

CAFÉ DES SCIENCES 3 : Pour qui travaille le/la professionnel(le) de la participation?

Compte rendu

L’idée de neutralité s’est trouvée au centre des présentations du Café des sciences 3, qui visait à comprendre comment les professionnels de la participation publique, intermédiaires entre promoteurs privés ou publics et citoyens, arrivaient à se positionner par rapport aux intérêts des uns et des autres.

VRM6_Laurence_closeup

Laurence Bherer nous a présenté les résultats de la recherche menée de concert avec Louis Simard et Mario Gauthier.

Laurence BHERER a d’abord souligné la place centrale qu’occupe, dans l’expérience des professionnels de la participation, la tension fondamentale entre leur travail pour les citoyens et pour un commanditaire qui a ses objectifs. Afin d’illustrer l’importance variable accordée à la neutralité par les professionnels ainsi que les diverses stratégies déployées pour l’assurer, elle a présenté les résultats issus d’entretiens menés avec des professionnels issus du privé et d’OSBL chez qui une segmentation est apparue plus clairement. Suivant une démarche idéal-typique, elle a distingué quatre types de professionnels : 1) le « promoteur », qui travaille pour un client qui a un objectif particulier; 2) le « réformateur », qui travaille pour le processus avant tout et croit en la possibilité d’arriver à un meilleur projet à travers ce dernier; 3) le « militant », qui choisit les projets pour lesquels il travaille, considérant que certains ne peuvent pas être améliorés; et 4) le « facilitateur », qui travaille avant tout pour le processus sans prendre position par rapport au projet.

Louise ROY a proposé une réflexion sur le rôle du professionnel de la participation publique basée sur son expérience d’une trentaine d’années au service de la démocratie et de l’intérêt commun, notamment au sein du BAPE et de l’OCPM. Posant d’abord quelques éléments de contexte, elle a affirmé que l’époque actuelle en est une de foisonnement de processus participatifs souvent peu encadrés (ce qui implique à la fois risques et potentialités) au sein desquels aucun professionnel n’est totalement neutre ou libre de ses moyens, puisque toujours lié à un employeur. Dans ce cadre, plusieurs éléments clés devraient guider le professionnel dans sa façon de concevoir son rôle : il devrait se porter garant d’un contrat loyal avec le public et devenir le gardien de la transparence du processus, assurer la possibilité de l’expression d’une variété de points de vue, rendre compte des tensions entre opinions exprimées plutôt que les aplatir, et être guidé par un code d’éthique, qui d’ailleurs reste encore à définir.

VRM6_1

Hugo Mimée durant sa présentation. Photo prise par Jimmy Paquet-Cormier.

Nik LUKA, à la fois chercheur sur les démarches de participation publique et responsable de la formation de professionnels en architecture et urbanisme, a présenté trois pistes pour l’évolution du processus de participation. Réfléchissant d’abord à la formation universitaire des architectes et urbanistes, il a soulevé l’importance de leur permettre de développer compétences et sensibilités vis-à-vis la participation publique, qui occupe une place importante dans la pratique, mais qui demeure peu intégrée aux programmes universitaires. Se basant ensuite sur son travail de recherche, il a mis en lumière la nature multidimensionnelle du rôle du professionnel de la participation : facilitateur, porte-parole, sourcier, mobilisateur ou distillateur, contribuant à informer les citoyens sur les projets d’aménagement et sur les processus qu’ils impliquent. Finalement, il a proposé de réfléchir à des moyens de responsabiliser les promoteurs vis-à-vis du processus de co-production des projets.

Hugo MIMÉE, se penchant sur l’idée de neutralité à travers son expérience de terrain, a d’abord soulevé que le professionnel de la participation, qui n’est jamais perçu comme neutre par les intervenants impliqués avec lui dans différents projets et démarches, ne devrait pas s’attaquer directement à défaire cette perception bien ancrée de non-neutralité. À son avis, ce dernier devrait plutôt, à travers passion et engagement par rapport à son travail, développer une complicité avec les parties prenantes. Il a ensuite précisé la façon dont s’incarne cette complicité : non pas en prenant parti, mais à travers l’établissement d’une réelle communication et d’une réelle écoute, qui permettent confiance et compréhension mutuelle. La neutralité deviendrait alors un effet de cette attitude engagée qui ne laisse pas de côté le cœur et l’émotion. À l’instar de Louise Roy, Hugo Mimée estime que le professionnel demeure le gardien du processus de participation publique et de la possibilité pour tous d’y participer.

VRM6_tableecran

La particularité d’un Café des Sciences est de permettre des discussions libres entre les participants et participantes réuni.e.s autour de la table.

Les contributions du public sont venues compléter les divers points de vue des présentateurs/trices issu(e)s de la recherche et de la pratique. La discussion a d’abord mis de l’avant la multiplicité des sources contribuant à la neutralité, qui dépend à la fois de la personne qui mène la consultation, de l’entité qui la finance, et de la nature plus ou moins controversée des projets. Certains intervenants de la salle ont ensuite proposé de parler d’impartialité et de transparence plutôt que de neutralité, de façon à reconnaître les biais de chacun puis de les utiliser pour faire avancer le processus, dans une conscience éthique de non-neutralité.

D’autres participants, revenant sur le contrat loyal mentionné par Louise Roy, ont proposé de considérer le professionnel de la participation comme partie d’un véritable contrat social, qui implique la mise en place d’un processus de qualité, crédible, transparent et qui garantisse la prise en compte de la diversité des opinions. De nombreuses voix ont convergé pour souligner l’importance de conserver la crédibilité du processus, de façon à maintenir la confiance du public et à éviter d’accroître le cynisme. Ainsi, ces voix ont surtout dépeint un professionnel type de la participation dont l’engagement soit essentiellement orienté vers le processus, à l’instar des professionnels réformateurs et facilitateurs dépeints par Laurence Bherer en début de séance.

La salle a également soulevé certaines questions pour poursuivre la réflexion, notamment au sujet du rôle des élus au sein des processus de consultation et de participation, puis de la façon de situer l’engagement militant par rapport à ces derniers.

CAFÉ DES SCIENCES 4 : Accroissement de la participation publique : vers le développement d’une démocratie événementielle?

Compte rendu

Pour Mario GAUTHIER, la démocratie événementielle, c’est-à-dire sans articulation avec l’action publique et sans effet sur la décision, pose un risque sérieux. Les citoyens n’auraient alors qu’un droit de parole, pas un droit de décider. L’apport de la participation à la décision doit être clairement précisé. Les professionnels de la participation publique peuvent agir en s’assurant que les décisions tiennent sérieusement compte des avis donnés.

Malorie FLON croit que la démocratie événementielle ne durerait pas, car les gens arrêteraient de participer, n’y voyant plus d’intérêt. Pour l’éviter, il faut clarifier le degré d’impact attendu du processus de participation sur la décision. Les professionnels de la participation devraient d’ailleurs, dès le début de la démarche, aider les décideurs à bien cibler le niveau d’influence approprié, puis à le communiquer efficacement. Une échelle (gradation) de la participation publique peut être utile.

Pierre HAMEL a posé la question de l’influence de la participation publique sous l’angle des transformations de la démocratie. Alors que les citoyens ont pris de plus en plus de place dans le paysage politique au fil des siècles, la participation influence-t-elle davantage l’action publique actuellement ? Selon le conférencier, ce n’est pas le cas si on évalue les résultats obtenus par les citoyens ces dernières années. L’hypothèse qu’il avance pour expliquer cette situation est la nature du politique. S’inspirant des travaux de Jean-Luc Nancy et de Claude Lefort, il soutient que la démocratie ne peut jamais être tenue pour acquise, car l’action des élites peut faire reculer et déconstruire ce que la démocratie a bâti. Il faut référer à une définition abstraite du champ politique pour affirmer que les citoyens ont plus d’influence, car le poids grandissant du marché entraîne un déclin du politique. Ainsi, même si les citoyens sont davantage présents sur la scène politique, celle-ci est de plus en plus inféodée au marché. Soutenir les mouvements sociaux et leurs capacités subversives semble donc une condition essentielle pour d’influencer les décisions dans l’espace démocratique.

VRM6_notes_salle

Prise de notes et écoute attentive lors de la conférence de Judith Ferrando.

Yves OTIS adopte, chez Percolab, une approche pédagogique de la participation citoyenne. Il garde à l’esprit qu’environ la moitié des adultes n’ont pas un niveau de littératie suffisant pour travailler avec des concepts écrits. Pourtant, les enjeux abordés par la participation publique sont de plus en plus complexes. Lorsque la participation publique est conçue avec une visée pédagogique, l’apprentissage se déroule à trois niveaux : chez les professionnels, chez les décideurs ou commanditaires, et chez les participants.

Des participants ont questionné l’appellation « démocratie événementielle », car elle leur semble antinomique. Louis Simard croit au contraire que cette expression est juste, car elle souligne que l’exercice correspond à des principes louables (démocratiques) mais qu’il est éphémère et déconnecté des décisions. Un participant argue que « l’événementiel » peut servir l’action publique tout de même. La traçabilité de notre influence n’est-elle pas toujours difficile ? Notre pouvoir n’est-il pas toujours incertain ? Les micro-décisions ou les déplacements d’opinions peuvent aussi être considérés comme des impacts sur l’action publique.

CAFÉ DES SCIENCES 5 : Bilan et enjeux orphelins

VRM6_2bulles_2

Le tableau des enjeux orphelins : ‘Implication sociale des professionnels de la P2’ et ‘L’infobésité versus l’acceptabilité sociale’.

Compte rendu

Tout au long de l’événement, les participant(e)s étaient invité(e)s à remplir le tableau des enjeux orphelins dans le but de signifier ce qui, de leur point de vue, n’avait pas ou peu été abordé dans les présentations et discussions de ces journées. Lors du cinquième café, Frank SCHERRER et Cristina BUCCICA ont présenté une synthèse de ces enjeux et partagé leurs réflexions afin d’alimenter la discussion. Dans son intervention, Frank Scherrer a classé les « bulles » remplies en deux grandes catégories. La première est la place des citoyen(ne)s dans la participation. Il note une professionnalisation à tout niveau, des citoyen(ne)s eux-mêmes de plus en plus professionnel(le)s, mais aussi des élu(e)s, en plus de la professionnalisation et l’institutionnalisation du domaine de la participation publique. L’autre grande catégorie d’enjeux identifiée concerne les finalités de la participation : y a-t-il une compatibilité commerciale? La finalité de la démarche est-elle l’acceptabilité ou la démocratie? Il mentionne qu’au-delà de l’aide à la prise de décision formelle, les finalités de la participation sont multiples et ne doivent pas nécessairement être hiérarchisées. Il termine en demandant si les professionnel(le)s de la participation consistent en une nouvelle profession (suivant la pente de la professionnalisation classique, comme l’a suivi l’urbanisme) ou encore en une profession nouvelle (qui reste encore à être définie). Si la participation publique est bel et bien une profession nouvelle, c’est l’occasion de définir (collectivement) ce que nous ne voulons pas qu’elle soit en évoquant l’idée d’une charte.

Christina Buccica a poursuivi en faisant ressortir les « 5 R » de la participation publique qui ont nourri les conversations de ces deux journées d’étude :

  • la réflexion
  • la remise en question
  • la réaction
  • le réseautage
  • la reconnaissance de la profession
  • la rétroaction

Elle présente ensuite les enjeux orphelins sous quatre catégories. D’abord, il y a l’expertise citoyenne que les professionnel(le)s doivent nourrir en favorisant les apprentissages et de développant une connaissance citoyenne. Ensuite, il y a les défis de la représentativité et l’importance de savoir qui a été invité et qui a été rejoint. La gouvernance est aussi un des éléments qui est apparu : il semble y avoir une peur de l’institutionnalisation et un discours selon lequel un processus trop formel peut enlever de la crédibilité. Elle mentionne toutefois qu’il y a de la place pour des démarches de la base comme pour d’autres démarches plus institutionnelles. Il suffit de bien définir les objectifs de chacune. La dernière catégorie d’enjeux orphelins identifiée, est le potentiel de la technologie. Faut-il se lancer ou non? Il y a là un danger de superficialité si les gens sont invités à s’exprimer, sans qu’on sache quoi faire de ces données. L’outil, en tant que tel, n’est pas une panacée.

Les réactions de la salle ont ensuite porté sur la participation des citoyens comme expert, le fait de former les citoyens à la vie démocratique et l’aspect réflexif de la démarche qui nécessiterait une étape de réflexion avec les personnes qui participent.

VRM6_enjeux_closeup

Le tableau des enjeux orphelins.

Les nouvelles technologies ont aussi été au centre de la discussion. Les intervenants reconnaissaient qu’il y a beaucoup à faire à ce niveau, et l’un de ceux-ci soulignait l’apport de la technologie en ce qui concerne la créativité (pas seulement en lien avec la plateforme). Il faudrait toutefois user de prudence dans leur utilisation, notamment au niveau des « big data » et dans le fait que le virtuel ne peut remplacer le présentiel.

Un participant a dit que le Gouvernement du Québec tente actuellement de moderniser la Loi québécoise sur l’environnement (LQE), ce qui pourrait avoir un effet sur le Bureau des audiences publiques en environnement (BAPE) et a appelé à la vigilance quant aux améliorations ou reculs possibles.

VRM6_twitter

Dans la salle comme sur twitter, les débats ont été fort intéressants.

L’acceptabilité sociale a été peu abordée durant les rencontres et un intervenant fait une mise en garde au sujet de cette approche de développement qui s’immisce dans le monde de la participation et qui en détruit les bases. Miriam Fahmy ajoute que lorsque l’Institut du Nouveau Monde a demandé aux gens ce qu’était l’acceptabilité sociale, personne ne savait réellement ce que c’était. Quelqu’un ajoute que Pierre Batelier (UQAM) a fait la cartographie de l’acceptabilité sociale (enjeux et usages de cette notion).

Un autre commentaire a porté sur le revers de la participation et sur la présence de groupes de citoyens très organisés et professionnels qui tentent, dans le processus participatif, de bloquer le projet. Cette question soulève ce qui relève de l’intérêt particulier, de l’intérêt communautaire en opposition avec la notion d’intérêt général.

Le mot de la fin de Louis Simard (Université d’Ottawa) et Jimmy Paquet Cormier (OCPM) a conclu ces 6e Rencontres VRM. Ils ont alors évoqué la présence de tensions (au sens positif) : une tension créatrice qui montre la vivacité du projet, une tension dans les besoins de formation (dans et hors université), une tension dans la recherche de la neutralité et une tension dans la finalité de la participation (seulement influencer la décision ou autres). Comme commentaire final, ils ont noté que ces deux jours qui ont permis d’amener une nouvelle énergie, de faire avancer le débat et ont senti que cet événement ne sera, au final, pas qu’événementiel.

À suivre!

* Catherine Gingras est doctorante en études urbaines à l’INRS-UCS

** Samuel Mathieu est doctorant en études urbaines à l’INRS-UCS et professionnel de recherche pour le réseau Villes Régions Monde.