7e Rencontres VRM. Photo : Valérie Vincent

Compte rendu – 7e Rencontres VRM

Encourager les initiatives citoyennes : comment, pourquoi et jusqu’où ?

28 et 29 novembre 2019, Espace Fullum (Montréal)

Par Ève-Laurence Hébert, Myriam Morissette et Elena Waldispuehl, étudiantes au doctorat en science politique à l’Université de Montréal

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Présentation

Cet événement d’une journée et demi avait comme objectifs de mieux comprendre l’articulation entre les initiatives citoyennes et les programmes qui visent à les supporter et à les faciliter, de tenter d’identifier les points de tension et enfin, de répondre à certaines question en lien avec les initiatives citoyennes, les facteurs qui favorisent la participation et ceux qui la freine et de voir jusqu’à quel point les citoyens peuvent intervenir sur et dans leur milieu.

Les Rencontres VRM constituent une occasion d’échanges entre chercheurs et acteurs intéressés par les questions touchant au développement des communautés et à l’aménagement des quartiers et des villes. Organisé depuis 2010, l’événement vise à encourager  et à favoriser les échanges entre les chercheurs et les professionnels des milieux gouvernementaux et associatifs. L’événement s’est inscrit dans le cadre d’un projet de recherche partenariale « La participation informelle : une voie alternative vers l’action politique?», financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada – CRSH (CRSH No. 890-2015-0107) et dont l’équipe de recherche est composée de Laurence Bherer (Université de Montréal), Geneviève Cloutier (Université Laval), Stéphane Dubé (Institut du Nouveau Monde), Pascale Dufour (Université de Montréal), Stéphanie Gaudet (Université d’Ottawa), Isabelle Gaudette (Centre d’écologie urbaine de Montréal), Alain Meunier (Communagir) et Françoise Montambeault (Université de Montréal). L’événement a été animé par Miriam Fahmy.

Café des Savoirs 1 - Les initiatives citoyennes : de quoi parle-on ? Une tentative de définition

Café des Savoirs 1 – Les initiatives citoyennes, de quoi parle-ton ? Une tentative de définition

par Elena Waldispuehl

Ce premier Café des Savoirs avait pour objectif de discuter de participation informelle en cartographiant les initiatives citoyennes à partir d’exemples observés par les intervenants et intervenantes. Les panélistes étaient Laurence Bherer et Pascale Dufour, qui sont professeures en science politique à l’Université de Montréal, Hugo Lavoie, journaliste à Radio-Canada ainsi que Virginie Zingraff, qui est innovatrice en résidence à la Maison de l’innovation sociale.

Sur le plan théorique et empirique, les initiatives citoyennes sont particulièrement intéressantes à appréhender dans le contexte d’une économie néolibérale et de l’injonction à la participation politique. Les initiatives citoyennes sont des actions individualisées avec une visée collective, qui ont tendance à se formaliser lorsqu’elles rencontrent des institutions formelles. Autrement dit, elles se définissent comme des actions qui sont peu coordonnées ou organisées à l’extérieur des organisations.

Premièrement, Laurence Bherer explique comment une nouvelle perspective se développe lorsqu’on ajoute les initiatives citoyennes à la notion de participation informelle. Les initiatives citoyennes doivent être différenciées de l’action civique autonome ou encore de la participation publique qui est à l’autre bout du spectre politique. À partir d’un continuum du degré d’institutionnalisation des initiatives citoyennes, Laurence Bherer cherche à comprendre la relation entre un espace autonome et un support. Plus précisément, elle s’intéresse aux multiples formes de facilitation à travers la dialectique entre citoyens et autorités politiques. Les initiatives citoyennes sont donc des actions à portée collective initiées par les citoyens dans lesquelles ils déterminent les objectifs et les moyens. Les décideurs jouent un rôle de support pour ce qui est de la facilitation en filigrane des dynamiques entre ce qui est créé par les citoyens et ce qui est créé par les institutions. La facilitation se définit par le fait d’accompagner une personne ou un groupe à accomplir un projet en partageant des ressources ou des connaissances.

Deuxièmement, Hugo Lavoie, dans le cadre de sa profession de journaliste, a côtoyé nombre d’initiatives citoyennes s’articulant autour d’enjeux comme la réduction de la vitesse automobile, la collecte des ordures, le sauvetage de bâtiments patrimoniaux, l’aménagement de parc et d’espaces verts ou encore la question des chats errants et leur stérilisation. Certes, les actions civiques autonomes et les initiatives citoyennes présentées étaient majoritairement le fruit d’efforts de personnes blanches et privilégiées, ce qui révèle les effets de racialisation et de classe produisant des asymétries de participation politique. Cet enjeu a été abordé de manière transversale dans l’ensemble des présentations de la journée puisqu’il est important de s’interroger sur les conditions de participation et le fait que tous n’ont pas le statut de citoyens. Hugo Lavoie constate que beaucoup plus de choses se passent que ce qu’on pense ou qu’on puisse observer. Il y a ainsi toute une question de visibilité des initiatives citoyennes et du rôle que les médias doivent jouer un rôle en ce sens avec du journalisme de solutions.

Troisièmement, Pascale Dufour montre combien nous sommes des êtres de participation qui, par les initiatives citoyennes, apprennent à penser par nous-mêmes. Une initiative citoyenne n’est pas un mouvement social, qui implique nécessairement plusieurs groupes ou individus dans une visée transformatrice. En ce sens, la manifestation ne fait pas partie du répertoire de l’initiative citoyenne. Dans ses travaux, Pascale Dufour intègre les pratiques informelles de participation pour mieux comprendre les processus de politisation et le rapport au politique qui émergent et se développent lors d’action civique autonome ou d’initiative citoyenne. Or, il importe de définir ce qu’est concrètement une initiative citoyenne. Il s’agirait d’une action individuelle qui se soucie de la vie de la cité en ayant pour finalité de « faire les choses soi-même » (DIY politics). Par ailleurs, Pascale Dufour se demande à quel moment on regarde l’initiative puisque la trajectoire et le regard sociologique influencent la définition d’une initiative entre le fait d’être formalisée ou informelle. Ainsi, la question de la temporalité est primordiale dans la compréhension de l’objet que sont les initiatives citoyennes.

Quatrièmement, Virginie Zingraff explique que sa vision de la participation est très influencée par son expertise professionnelle. Une innovation doit être appropriée par le plus grand nombre et sur le long terme. Une innovation doit répondre à un besoin explicite exprimé par un groupe de citoyens, qui doit être intégré dans le processus de solution. Ainsi, la participation sociale est inhérente à l’innovation sociale. En ce sens, la participation est la contribution la plus active du citoyen, de la définition du problème à la mise en œuvre de cette solution.

Un(e) citoyen(e) est l’usager d’un territoire et dispose donc d’un savoir expérientiel, qui doit être en discussion avec les savoirs militants et experts pour répondre à un problème public. Tout individu a la capacité d’imaginer une solution à un problème qu’il vit, et tout individu a une capacité d’entreprendre des choses. Il s’agit donc d’une approche entrepreneuriale détournée pour inciter les citoyen(e)s à mettre en place leurs solutions aux problèmes qu’ils vivent à travers des projets comme des incubateurs civiques. Ces laboratoires offrent des formations pour accompagner les citoyen(e)s les plus exclu(e)s du système, qui ont développé un savoir expérientiel permettant de déterminer des solutions précises. Or, ce sont ces personnes qui sont le moins intégrées dans les structures institutionnelles et les incubateurs ont pour objectif de les intégrer aux processus de participation politique.

En conclusion, plusieurs initiatives citoyennes sont souvent sous le radar en étant très locales alors que les acteur(trice)s eux-mêmes ne les considèrent pas comme des initiatives citoyennes. Ainsi, comment trouve-t-on ces initiatives et pourquoi est-il nécessaire de les rendre visibles? Les discussions ont montré l’importance de considérer le temps et l’espace dans l’exercice de définition des initiatives citoyennes tout en s’attardant à la visibilité et la tangibilité de ces dernières.

Les initiatives citoyennes ne sont pas un phénomène nouveau en soi. Ce qui est nouveau est le DIY politics et le fait que ce soit autant visible dans l’espace public. Ce qui ressort des expériences de terrain et de pratique des participant(e)s de cet atelier est que dès qu’on se sent concerné, on a envie de participer comme citoyen(e). Par conséquent, les initiatives citoyennes sont souvent microlocalisées. Sur le plan politique et social, les initiatives citoyennes sont peut-être mieux accueillies lorsqu’il s’agit de sujets agissants plutôt que de sujets contestataires. Ainsi, les initiatives citoyennes ne sont pas toujours le produit de revendications. Néanmoins, le conseil d’arrondissement est considéré comme un espace résiduel qui détermine ce qui est de l’ordre municipal ou non tout en ciblant les citoyens qui sont prêts à agir, ce qui renvoie le caractère politique de nombreuses initiatives citoyennes.

Enfin, plusieurs questions ont émergé, lors de cette discussion, et de nombreuses demeurent en suspens : Quelles sont les frontières entre les initiatives citoyennes et l’entrepreneuriat social ? Quelle est la finalité entre le processus et le résultat ? Faut-il de la facilitation ou non pour accompagner les initiatives citoyennes ?

Lectures communes - Les grandes tendances qui affectent l'émergence des initiatives citoyennes

Lectures communes – Les grandes tendances qui affectent l’émergence des initiatives citoyennes

Par Ève-Laurence Hébert

À la fin de la première journée des 7e Rencontres VRM, les participant(e)s étaient appelé(e)s à se réunir en petits groupes pour discuter des facteurs contextuels qui affectent, selon eux et elles, l’émergence des initiatives citoyennes. Les groupes devaient ensuite présenter à l’assistance le facteur le plus important qui était ressorti de leurs échanges dans une des quatre grandes sphères qui leur était attribuée: 1) culturelle 2) sociale 3) économique et 4) politique.

1.Sur le plan culturel, les participant(e)s ont présenté les technologies de l’information, tel qu’Internet et les réseaux socionumériques, comme des outils facilitant la participation citoyenne et l’échange des bonnes pratiques. Il n’en demeure pas moins que l’omniprésence de ces outils peut aussi engendrer une tendance à s’éparpiller et à perdre l’attention sur le communautaire, le quartier et le local. Plus encore, la « culture de la performance » et la « culture de l’immédiat », qui sont en partie liées à ces technologies, agissent sur les initiatives citoyennes en encourageant la recherche de résultats concrets et rapides pour satisfaire les bailleurs de fonds et la temporalité du monde des réseaux sociaux.

2. D’un point du vue social, les changements concernant la famille ont été présentés comme des facteurs d’influence. Des participant(e)s estiment que la réduction de la taille des familles et le fait que les enfants soient moins élevés à la maison sont deux facteurs qui ont un effet sur la socialisation et peuvent encourager la mixité sociale – un de moteurs de l’action citoyenne. Dans un autre ordre d’idées, la professionnalisation, la bureaucratisation de la participation citoyenne qu’engendre la complexité des règlements et des lois peut décourager la participation. L’impression que ce sont toujours les mêmes citoyen(ne)s qui participent provoquent de l’exclusion. Une solution à ce problème serait de mettre en application un « leadership distribué », c’est-à-dire que les personnes qui s’impliquent d’emblée devraient encourager la participation des autres.

3. Dans la sphère économique, les participant(e)s ont indiqué que la logique de financement par projets, aujourd’hui très à la mode, peut encourager les initiatives citoyennes, mais qu’elle nécessite souvent des compétences dans la rédaction de demandes et une compréhension du système pouvant agir comme freins à l’action. Plus encore, cette logique tend à favoriser certains projets aux dépens d’autres de par leurs sujets jugés « à la mode » ou leurs finalités prédites. Il serait donc important de valoriser le processus de l’initiative citoyenne plutôt que les résultats des projets. Un objectif plus large serait de favoriser l’économie de partage en renforçant le tissu social plutôt que de calquer un modèle entrepreneurial. Par ailleurs, des participant(e)s n’ont pas manqué de mentionner la problématique de la récupération des initiatives par des entreprises privées ou des promoteurs immobiliers. Par contre, ils et elles ont émis qu’il n’est pas si simple de connaître la source des problèmes de gentrification que cela engendre. Est-ce l’embourgeoisement qui crée l’initiative ou est-ce l’inverse? Cela demeure une question tendue.

4. Finalement, au plan politique, on remarque une tendance des élu(e)s à encourager l’implication citoyenne à travers le « codesign », la « cogouvernance » et la « démocratie participative. »  Paradoxalement, il existe aussi un phénomène de perte de confiance des gens envers la politique, la lourdeur du système, la bureaucratie et le « temps politique » qui s’échelonne sur quatre ans. Selon le participant(e)s, cette méfiance encourage une autonomisation des pratiques.

Café des Savoirs 2 - Comment encourager les initiatives citoyennes ?

Café des Savoirs 2 – Comment encourager les initiatives citoyennes ?

Par Myriam Morissette

La facilitation ou l’aide offerte aux initiatives citoyennes a été au cœur des présentations et des échanges du Café des savoirs 2. Il a été question des formes que prend la facilitation et des enjeux et défis qu’elle soulève, tant pour les citoyen-ne-s que pour les organisations.

La professeure Geneviève Cloutier (Université Laval) a d’abord dressé un portrait des formes que prend la facilitation, définie (lors du premier café des savoirs) comme une forme d’aide offerte par une personne (au sein d’une organisation) à une autre personne ou à un groupe pour réaliser un projet en lui offrant des ressources. Quatre formes d’aide ont été distinguées : 1) l’offre de ressources techniques (ex. des outils et des matériaux) 2) l’offre de ressources matérielles (ex. un appui financier et des prêts de locaux) 3) l’appui informationnel (ex. des conseils, l’initiation à des techniques et l’introduction à des cultures) et 4) la mise en réseau, l’animation ou le maillage. En conclusion, la présentation a souligné que la facilitation soulève une série de questions pour les porteurs des initiatives citoyennes. Ces derniers peuvent se questionner sur les raisons du soutien organisationnel, sur les effets de l’aide offerte et reçue (l’instrumentalisation et la récupération, par exemple) ou encore sur l’évolution et la transformation des initiatives à travers le temps et la facilitation.

Puis, Marianne Garnier a proposé une réflexion sur la mobilisation à l’échelle des quartiers et la pérennité des initiatives citoyennes à partir de son expérience de facilitatrice avec le projet Mange-Gardiens. Mange-Gardiens est un projet de mobilisation à l’échelle du quartier Saint-Sacrement à Québec qui vise à accompagner des ménages et des institutions, commerces et industries dans la réduction du gaspillage alimentaire. Plus généralement, le projet a pour objectif de stimuler les initiatives citoyennes, de susciter l’engagement et d’améliorer le tissu social du quartier à travers un enjeu rassembleur. À travers le récit de cette expérience concrète, la présentation a abordé une série de défis. Comment susciter les initiatives citoyennes ? Comment les pérenniser suite au retrait des organisations (qui sont parfois par ailleurs instigatrices des projets) ? Comment s’assurer de laisser des traces positives et que les citoyen-ne-s prennent le relais ?

Le professeur René Audet (Université du Québec à Montréal) a quant à lui cherché à répondre à la question structurante «comment encourager les initiatives citoyennes ?» en faisant un parallèle entre la facilitation par les organisations et la recherche partenariale telle que conduite à la Chaire de recherche sur la transition écologique. Délaissant le langage de la facilitation pour plutôt adopter celui de l’accompagnement, il invite les organisations à se poser deux questions: pourquoi accompagner ? Et qu’est-ce que l’accompagnement ? En lien avec la première question, il suggère un rôle pour les organisations au départ des projets et dans la transformation concrète des milieux de vie. Puis, en lien avec la seconde question, il identifie divers rôles que peuvent assumer les organisations accompagnatrices: la participation concrète aux activités des initiatives (ex. au sein des comités de pilotage des projets), la favorisation de la réflexivité au sein des groupes de citoyen-ne-s, l’accompagnement dans la relation avec les programmes et les institutions finançant les projets et la contribution financière.

Enfin, Isabelle Gaudette est revenue sur son expérience d’organisatrice communautaire pour la Maison d’Aurore (2000-2009) et le Centre d’écologie urbaine de Montréal (2009-) afin de recadrer les initiatives citoyennes comme des moments dans un processus d’action collective et d’insister sur l’importance et le rôle de l’accompagnement. Pour elle, le rôle de l’intervenant-e est d’aider les citoyen-ne-s à se situer dans le processus d’action collective et de les accompagner à travers ses étapes, c’est-à-dire dans l’analyse de la situation ou du problème et l’identification d’une revendication, la planification l’action, la mise en œuvre de l’action et l’évaluation de l’action. Le rôle de l’intervenant-e est, aussi, de construire des liens : entre les citoyen-ne-s, les groupes, les organismes et les autres initiatives citoyennes. Elle voit cinq défis pour l’accompagnement des processus d’action collective : 1) la conception du changement (c.-à-d. passer de l’action ponctuelle au changement structurel) 2) l’illusion d’autonomie des citoyen-ne-s 3) le financement des organismes (de la mission et pour l’accompagnement versus par projet) 4) agir sans établir de conditions afin de stimuler l’initiative et 5) la concrétisation du parti pris pour l’équité et l’inclusion.

Suite aux présentations, les participant-e-s du Café des savoirs 2 ont été invités à se pencher sur des questions en petits groupes et à ensuite partager le fruit de leurs échanges et de leurs réflexions en plénière. Parmi les points soulevés : le respect des initiatives citoyennes (ex. leur caractère militant, les besoins exprimés, la distance souhaitée des institutions, le désir d’autonomie), la différence entre soutenir des initiatives citoyennes existantes et susciter des initiatives citoyennes dans une optique de bonifier le tissu social, l’importance d’espaces favorisant la concertation, les partenariats et la collaboration, les enjeux et le rôle du milieu communautaire face aux initiatives citoyennes (ex. le financement par projet, le rôle de traduction, les compétences en matière de recherche de financement, l’inclusion des populations marginalisées), les suites à donner (ou à ne pas donner) à une initiative qui s’essouffle et l’évaluation du caractère inclusif et solidaire des initiatives.

Café des Savoirs 3 - Quand les citoyens s'engagent : quels sont les enjeux et les points de friction autour et au sein des initiatives citoyennes ?

Café des Savoirs 3 – Quand les citoyens s’engagent : quels sont les enjeux et les points de friction autour et au sein des initiatives citoyennes ?

Par Myriam Morissette

Les enjeux et les points de friction rencontrés par les initiatives citoyennes ont été au cœur des présentations et des échanges du Café des savoirs 3. Les présentations ont mis en lumière le nombre et la variété de ces derniers et ont pour la plupart proposé des réflexions à partir d’expériences concrètes.

La professeure Françoise Montambeault (Université de Montréal) s’est d’abord attardée à l’enjeu de l’institutionnalisation des initiatives citoyennes et des champs de pratiques au sein desquels elles existent et évoluent. Après avoir noté que l’institutionnalisation peut être positive à certains égards (par exemple, pour l’obtention de financement et pour effectuer des représentations), elle relève l’émergence de trois principaux points de friction. Le premier est que les structures de soutien mises en place (par le haut) sont souvent inadéquates par rapport aux besoins exprimés par les citoyen-ne-s. Le second est l’émergence d’un sentiment de décharge de l’État et de responsabilisation conséquente des citoyen-ne-s. Le troisième est une crainte d’instrumentalisation par les élus du travail des citoyen-ne-s. En plus de ces points de friction, l’institutionnalisation des initiatives citoyennes et de leur champ de pratiques a des conséquences ambigües. Elle entraîne, d’une part, une redéfinition de la participation et une professionnalisation des initiatives citoyennes. D’autre part, elle entraîne une perte d’autonomie, une plus grande insistance sur les résultats au lieu des processus d’action et une certaine désillusion ou un désenchantement des citoyen-ne-s face à l’action, aux institutions et aux organisations.

La chercheuse et conseillère en transfert Pauline Wolff (CERSÉ) s’est quant à elle appuyée sur la démarche Verdissons ensemble Hochelaga-Maisonneuve à laquelle elle a pris part pour partager les enjeux rencontrés et identifiés par les porteurs et les porteuses d’initiatives citoyennes. Parmi ces enjeux, le financement, la mobilisation, la règlementation et l’accès à l’information sont jugés comme étant les plus importants. L’impact social, l’aide technique, la visibilité et la reconnaissance des initiatives, l’entretien et la pérennité, le déneigement, les conseils horticoles et le vandalisme en sont d’autres. L’intervenante a par ailleurs constaté que le temps était un enjeu transversal pour les initiatives citoyennes. Il posait notamment le défi particulier de la combinaison et de l’arrimage (de différents temps). Le temps est, par exemple, une ressource que tout le monde n’a pas ou n’a pas de façon égale pour s’impliquer. Les initiatives s’inscrivent aussi dans le temps ; elles ont une durée et traversent des cycles. Les initiatives suivent par ailleurs un calendrier et, dans le cas du verdissement, doivent composer avec le temps de la nature (ex. les saisons, la météo et le climat). Enfin, le temps politique, le temps administratif et le temps citoyen ne sont pas les mêmes.

Marie-Christine Dubé a poursuivi la réflexion sur les enjeux et les points de friction rencontrés par les initiatives citoyennes à travers l’expérience de La Pépinière, dont l’objectif est de recréer un tissu social fort à travers la réinvention de l’espace public. Après avoir souligné qu’il y a autant d’enjeux et de points de frictions qu’il y a de projets à accompagner, l’intervenante a identifié quatre principaux éléments : 1) le temps des professionnel-le-s dans un cadre institutionnalisé 2) la rigidité du cadre et le besoin conséquent d’assouplissement 3) la question de la pérennité des initiatives et la crainte des citoyen-ne-s de perdre ce qui a été créé dans un contexte de financement limité et 4) la construction d’une relation de confiance entre les citoyen-ne-s et les personnes accompagnatrices.

Enfin, le professeur Dominic Lapointe (Université du Québec à Montréal) est revenu sur une démarche d’élaboration de Plan stratégique de développement (2006) à Mont-Carmel dans le haut Kamouraska afin d’offrir une réflexion sur le travail à faire pour rendre les théories (ex. la théorie de la justice de Rawls et la théorie de l’agir communicationnel de Habermas) activables à l’échelle de l’action.

Suite aux présentations, les participant-e-s du Café des savoirs 2 ont été invités à se pencher sur des questions en petits groupes et à ensuite partager le fruit de leurs échanges et de leurs réflexions en plénière. Parmi les points soulevés : l’écart entre les attentes des citoyen-ne-s et le fonctionnement des institutions et des organisations, le financement des initiatives et des organismes accompagnant les initiatives, l’importance des espaces publics et des lieux de rencontre pour faciliter les échanges et le dialogue, la dépolitisation des enjeux lorsque ces derniers sont abordés à un niveau micro et à une échelle locale, la tension entre différents organisations et types d’organisations (ex. des organismes communautaires et des organisations centrées sur les questions de transition écologique) prenant forme dans un contexte de financement limité et de concurrence pour l’obtention des financements, le rôle (mis en question) du milieu communautaire dans l’accompagnement des initiatives citoyennes, l’opposition entre l’environnement et le social et les droits collectifs, la représentativité des citoyen-ne-s qui s’engagent et le passage entre les échelles d’action (ex. des initiatives citoyennes à l’action organisée et à la contestation).

Café des Savoirs 4 - Initiatives citoyennes et gouvernance locale : pourquoi encourager et faciliter les actions citoyennes ?

Café des Savoirs 4 – Initiatives citoyennes et gouvernance locale : pourquoi encourager et faciliter les actions citoyennes ?

Par Elena Waldispuehl

Ce panel était composé de Karine Théorêt (Solon) et Camille Butzbach (Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique), de Caroline Gagnon, professeure à l’École de Design de l’Université Laval, d’Alain Meunier de Communagir et de Sylvain Lefèvre, qui est professeur à l’UQAM au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale. Les discussions étaient orientées autour des questions d’accompagnement et de facilitation des actions citoyennes. De manière générale, l’accompagnement a pour but de développer le pouvoir d’agir, de déployer des projets structurants et d’expérimenter des solutions collectives pour créer des milieux de vie conviviaux, solidaires et écologiques.

Dans un premier temps, Karine Théorêt et Camille Butzbach expliquent comment l’échelle locale est primordiale pour favoriser les liens sociaux et s’approprier ainsi son quartier. L’objectif des activités facilitées par un partenaire comme Solon est la création d’espace d’autonomie pour distribuer le pouvoir et influencer les institutions et leurs pratiques. Pour ce faire, il importe d’interpeller le pouvoir d’agir des citoyen(e)s en favorisant leur autonomisation et leur motivation intrinsèque afin de les accompagner dans le développement de leurs compétences. Autrement dit, les initiatives citoyennes sont en évolution constante et sont co-construites par les citoyen(e)s et par les agent(e)s de projet.

Dans un deuxième temps, Caroline Gagnon présente quelques-unes de ses analyses liées à ses recherches sur les préoccupations sociales et territoriales produites par les grands projets d’infrastructures publiques. Dans le cadre de ses travaux, elle étudie les pratiques sociales du design et son rôle innovant. Son intervention explique comment le design urbain a été intégré dans une approche axée sur l’engagement citoyen. De ce fait, la méthodologie du design est de plus en plus catégorisée comme une forme d’innovations sociales. Le design devient ainsi un facilitateur en matière d’initiatives citoyennes et de politiques publiques. Caroline Gagnon s’interroge ainsi sur les processus et dynamiques qui ont conduit le design industriel à un rôle de levier de participation politique et publique.

Tout d’abord, le design s’est développé en réaction à l’industrialisation pour ensuite se concentrer uniquement sur sa dimension économique en écartant ses visées sociales et transformatrices. Subséquemment, il y a un tournant participatif et social faisant en sorte que le design retourne à ses fondements. Le design social émerge et se développe alors en étant accompagné d’une forte implication activiste. Ce phénomène concrétise le retour au design pour le développement social, qui est ensuite très influencé par les approches managériales. Considérant que le design ne vient pas du communautaire et ne vient pas d’une approche de planification urbaine, comment prétendre alors répondre à des problématiques sociales sans se reposer sur les connaissances de terrain ? Cela serait possible par un design de transition, qui serait l’occasion d’un dialogue interdisciplinaire pour réfléchir à ces questions.

Dans un troisième temps, Alain Meunier explique comment Communagir, dans une visée de développement collectif, équitable, inclusif et durable, mobilise les initiatives citoyennes et la gouvernance locale dans des démarches multiacteurs. Un des meilleurs exemples d’un tel processus est celui du Bâtiment 7, dont le projet a été mis en place entre 2003 et 2018. Le but de ce projet est l’appropriation par la communauté d’un espace d’expérimentation sociale et culturelle. Pour ce faire, l’un des gestes importants a été la plantation d’un drapeau en 2003 pour marquer symboliquement la prise de ce territoire (non cédé) par les citoyen(e)s de Pointe-Saint-Charles. Ces projets sont possibles par l’engagement de différents types d’acteurs politiques : citoyen(e)s, organisations publiques, élu(e)s et secteur communautaire dans un contexte d’urgence climatique.

Néanmoins, l’approche concertée montre plusieurs freins et limites à différents niveaux de telle sorte que l’effet multiplicateur de certaines initiatives citoyennes est limité. Alain Meunier répertorie et détermine ces limites macrosociologiques comme la municipalisation du développement et les responsabilités accrues confiées aux élu(e)s dans de nouveaux champs d’expertise, l’approche sectorielle et la logique de programme qui encourent des processus exigeants ou encore la transformation des partenariats sous l’égide d’un État ingénieur. Au niveau des organisations, plusieurs défis sont également présents comme les structures qui prennent forme et qui se défont, la recherche de consensus qui peut être un obstacle ou encore la lourdeur administrative des hiérarchies organisationnelles. Enfin, les freins identifiés sur le plan micro sont un manque d’adéquation entre les pratiques quotidiennes et les valeurs ainsi qu’une incapacité à se dire que chaque individu fait partie du problème et de la solution simultanément.

Dans un dernier temps, Sylvain A. Lefèvre présente quelques résultats de ses recherches sur les innovations sociales, la philanthropie et l’action collective. De prime abord, le terme d’innovation sociale est devenu une injonction incontournable de la recherche et des organisations vis-à-vis les bailleurs de fonds. Il faut se demander ce que cela veut dire véritablement puisque le concept est peu défini encore dans la littérature. L’innovation sociale n’est ni bonne ni négative en soi, il y a différentes trajectoires d’innovations sociales. Elles sont d’abord des rapports sociaux, ce qui implique une pluralité d’intérêts des acteurs concernés.

Pour ce qui est de l’expérimentation citoyenne, il est important de se demander ce que cela apporte en matière de distribution des ressources, de reconnaissance des statuts et des identités ainsi que de représentation politique. Les effets de représentation politique amènent des conséquences importantes sur les enjeux de justice sociale et de la transition environnementale au travers de l’expérimentation citoyenne. Pour ce qui est de la gouvernance locale, il faut ainsi et d’abord s’intéresser à qui n’est pas autour de la table et qui joue quel rôle et avec quelle légitimité d’action. Il importe finalement de prendre en considération le rôle des acteurs intermédiaires et les architectures de collaboration pour comprendre ses dynamiques et ses processus.

Pendant la période de plénière, l’une des questions les plus importantes abordées était sur le degré d’influence des initiatives citoyennes sur l’organisation de la vie collective. Il a également été question de comment les initiatives citoyennes peuvent être des remèdes au cynisme en étant des alternatives à l’apathie politique. Il importe également de prendre en considération la notion de résilience, qui peut être porteuse d’une volonté politique de s’organiser collectivement. Les initiatives citoyennes permettent dans certains cas le renforcement des capacités ou encore le développement de nouveaux savoirs participatifs et appliqués. Par conséquent, les initiatives citoyennes favorisent ainsi des formes d’autonomie pour répondre à ses propres besoins et développer des pratiques de gestion du conflit.

Les institutions sont de plus en plus sensibles aux revendications citoyennes et créent des espaces de collaboration et de concertation avec les citoyens et les résidents du territoire municipal. Or, comment les initiatives citoyennes s’arriment-elles aux projets et aux structures de concertation déjà en place ? Comment témoignent-elles d’une évolution des valeurs par rapport à la participation citoyenne ? Jusqu’où les institutions doivent-elles accompagner les citoyen(e)s ? Comment permettre aux citoyen(e)s d’avoir le temps dans leur vie pour s’impliquer activement à l’administration de la cité ?

Prenons l’exemple des budgets participatifs, il ne s’agit pas d’un exercice si accessible et facile d’accès pour les citoyen(e)s. En ce sens, l’engagement citoyen demande du temps, mais ce ne sont pas tous les citoyen(e)s qui ont les connaissances pour ce genre d’exercice ou encore du temps à impartir dans de tels projets. Une solution envisagée par les participant(e)s serait de réfléchir à des modes de production différents qui reposeraient sur des modes d’organisation sociale différenciés. Par ailleurs, il importe de trouver un équilibre des pouvoirs avec le contexte néolibéral et ingénieur des infrastructures municipales et de leurs acteurs institutionnels.

Pour ce qui est de la facilitation et du financement, la formulation des appels à projets, et plus particulièrement leurs modalités, est in fine discriminante. La question demeure sur la manière d’accompagner les citoyen(e)s sans substituer les personnes les plus marginalisées et vulnérables ou sur la formalisation d’une initiative sans reproduire ipso facto les inégalités. Par ailleurs, est-ce que la pérennité dépend du financement uniquement ? Comment rendre ces dernières pérennes ? Doivent-elles réellement l’être ?

Sur le plan communicationnel et stratégique, les médias sociaux facilitent la création d’initiatives citoyennes qui reposent sur des impératifs d’informations et l’existence de structures préexistantes. En définitive, l’un des moyens de soutenir les initiatives citoyennes serait de leur accorder le droit à l’erreur, ce qui ne serait pas nécessairement possible dans d’autres contextes. On peut alors prendre davantage de risques dans ces espaces.

Lectures communes - Encourager les initiatives citoyennes : comment, pourquoi et jusqu'où ? Synthèse, consolidation des acquis et prospectives

Lectures communes – Encourager les initiatives citoyennes : comment, pourquoi et jusqu’où ? Synthèse, consolidation des acquis et prospectives

Par Ève-Laurence Hébert

Les deux journées des Rencontres VRM se sont soldées par un exercice individuel de réflexion sur les acquis et apprentissages animé par Stéphane Dubé de l’Institut du Nouveau Monde.

Les participant(e)·s, associé(e)s à divers organismes communautaires, d’innovation sociale et à des institutions politiques formelles, ont d’abord relevé l’importance d’avoir une bonne communication avec les citoyen(ne)s afin de connaître et d’intégrer adéquatement leurs besoins, leurs avis sur les projets et leurs idées. Cela a d’ailleurs incité un participant à communiquer son désir d’avoir plus de citoyen(ne)s aux Rencontres VRM pour aider les organises à comprendre leurs points de vue.

Les interventions ont ensuite mis en lumière certains enjeux liés à la définition de l’initiative citoyenne. Comme la définition n’est pas cristallisée, il existe un flou à propos des initiatives qui sont soutenues, encouragées et financées – ce qui engendre une certaine injustice. Doit-on chercher à définir plus clairement l’initiative citoyenne et en donner une orientation précise décidée, par exemple, par l’administration municipale? D’autres personnes proposent de la garder indéfinie, car l’initiative citoyenne n’aurait pas de sens autre que celui d’activer la tendance intrinsèque de l’être humain à vivre en société. Il ne faudrait donc pas les évaluer sur les bases de leurs finalités, mais comme des moyens pour se déployer en tant qu’êtres sociaux. Cela ne vient pas pour autant mettre à mal le travail de facilitation des organisations dont les bienfaits ont été justifiés par plusieurs recherches et présentations au courant des deux journées VRM.

Les enjeux orphelins identifiés par les participant(e)s

Tout au long des deux journées des rencontres VRM, les participant(e)s étaient appelé(e)s à inscrire sur un tableau les enjeux qui n’ont pas été abordés dans la programmation. Ceux-ci ont été énumérés par l’animatrice Miriam Fahmy et Stéphane Dubé de l’Institut du Nouveau Monde à la fin des journées de présentations et de réflexions. En voici quelques exemples :

  • Le fait de parler d’initiatives « citoyennes » ne renforce-t-il pas l’exclusion des non-citoyen(ne)s?
  • Comment inclure les personnes les plus marginalisées dans les initiatives citoyennes?
  • Comment valoriser l’interdisciplinarité (urbanisme, design, sciences humaines, travail social, etc.) dans le milieu des initiatives citoyennes?
  • Que faire de la division sexuelle et genrée du travail dans les initiatives citoyennes?
  • Comment le capitalisme instrumentalise-t-il les initiatives citoyennes à des fins économiques et d’acceptabilité sociale?
  • Quels sont les limites et les liens entre l’entreprenariat social, l’entreprenariat privé et l’initiative citoyenne?
  • Les initiatives citoyennes ne favorisent-elles pas la déresponsabilisation de l’État et le travail gratuit?

Laurence Bherer (Université de Montréal)

Photo : Valérie Vincent

Hugo Lavoie (Radio-Canada)

Photo : Valérie Vincent