Compte rendu – Les Midis de l’immigration

Ce que les arts et la culture révèlent de l’expérience migratoire

Par Jeanne LaRoche, étudiante à la maîtrise en études urbaines (INRS) en collaboration avec Mathilde-Hasnae Manon, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

Présentation

Alors que la sociologie de l’immigration puise dans de nombreuses disciplines (science politique, démographie ou économie), le champ des pratiques artistiques et culturelles quant à lui permet de jeter un nouvel éclairage sur nos compréhensions des expériences migratoires.

Le Midi de l’immigration du 22 avril 2021 intitulé Ce que les arts et la culture révèlent de l’expérience migratoire visait précisément à interroger les postures méthodologiques et les réflexions sociologiques émanant du croisement entre sociologie de l’immigration et sociologie de l’art et de la culture.

Sous forme de panel virtuel, Caroline Marcoux-Gendron, doctorante en études urbaines au Centre Urbanisation, Culture et Société de l’INRS ainsi que Marco Martiniello, professeur à la Faculté des Sciences Sociales de l’Université de Liège et directeur  du CEDEM (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations) ont échangé des résultats de recherche, des expériences de terrain ainsi que des anecdotes révélatrices.

En prenant comme point de départ les pratiques culturelles et artistiques des personnes immigrantes, le dialogue entre les deux chercheur.es nous a permis de réfléchir sur les sociabilités urbaines qui émanent de ces pratiques, ainsi que sur les dynamiques d’appartenance identitaire et spatiale propres à diverses expériences migratoires.

 

Oser le croisement interdisciplinaire : ce que les arts et la culture apportent à l’étude des parcours migratoires

Le domaine des arts et de la culture s’est longtemps avéré être un angle d’analyse discret au sein des études en immigration, bien qu’inversement, ces dernières nourrissent depuis plus longtemps le champ des études culturelles. Pour reprendre le titre d’un article de Marco Martiniello, ce croisement interdisciplinaire est en quelque sorte un domaine de recherche « relativement négligé ».

Nous avons entamé le panel en questionnant précisément cet espace occupé par l’art et la culture en sciences sociales, et les deux invité.e.s ont tenu d’emblée à nuancer l’affirmation précédente. C’est plutôt que les recherches sur l’immigration s’effectuent encore trop en silo ; les phénomènes pré-migratoires et post-migratoires n’étant pas souvent observés en interrelation. Marco Martiniello, qui invite au dialogue entre la sociologie politique, des migrations, des relations interethniques et interculturelles, souligne que l’on a tendance à analyser les phénomènes migratoires davantage pour leurs dimensions démographiques ou économiques, plutôt que culturelles.

Caroline Marcoux-Gendron mentionne pourtant que pour bien comprendre les expériences migratoires, il faut également se pencher sur leurs dimensions symboliques, comme les sentiments d’appartenance ou les liens d’attachement. La chercheure affirme ainsi que « l’art et la culture sont des catalyseurs de phénomènes relationnels, ils permettent souvent de transcender des différences sociales, culturelles, ethniques, linguistiques, etc. ».

Marco Martiniello renchérit en indiquant que ce croisement de postures et de disciplines permet de réhumaniser les migrant.es, de complexifier leurs récits de vie et de mieux illustrer l’ensemble des contributions sociétales de l’immigration, le tout dans le but de favoriser l’inclusion.

 

Quels outils et enjeux méthodologiques pour un travail en interdisciplinarité ?

Si le croisement des regards méthodologiques est souhaitable, les recherches interdisciplinaires requièrent parfois de se confronter à des outils nouveaux et à faire preuve de créativité. Nous avons souhaité savoir quels outils conceptuels et méthodologiques les deux chercheur.e.s avaient mobilisé au sein de leurs parcours, notamment pour relever certains défis.

D’abord, les deux panélistes désirent nous informer de leur posture comme chercheur.e, dans les travaux qu’ils ont menés. Caroline Marcoux-Gendron souligne qu’en tant que femme blanche d’origine québécoise n’ayant pas vécu l’expérience de l’immigration ou n’ayant pas non plus d’origine géoculturelle commune avec les participant.es à sa recherche, elle a remarqué que la confiance mutuelle s’est développée grandement grâce à des échanges autour de la musique et grâce au temps pris pour apprendre à se connaître. Pour Marco Martiniello, il admet avoir lui aussi dû gagner la confiance des personnes participant à ses recherches en tant qu’homme blanc immigrant et sexagénaire se penchant sur les sociabilités musicales de jeunes personnes racisées. Il soutient que le travail de terrain s’accompagne d’un engagement citoyen et insiste sur l’importance de la transparence, de communiquer tant sa posture de chercheur.e que les objectifs de sa recherche. De plus, il incite à réfléchir aux formules de co-création qui permettent de valoriser la participation et les savoirs de l’ensemble des personnes impliquées dans un projet.

Par ailleurs, le chercheur italo-belge insiste sur la nécessité de s’adapter aux réalités changeantes du terrain. Il glisse une anecdote à propos d’un entretien avec un chanteur qui se tenait sur une terrasse de café et qui a finalement attiré plusieurs personnes à ses côtés par sa musique et parce qu’il avait une certaine notoriété, transformant l’entrevue individuelle en entretien collectif.

Du côté méthodologique, Caroline Marcoux-Gendron affirme que l’interdisciplinarité, particulièrement en études urbaines où se croisent plusieurs disciplines des sciences sociales, demeure un défi, mais permet de tenir compte d’une vastitude d’éléments, particulièrement quand vient le temps de faire le portrait des pratiques culturelles des participant.es. La chercheure indique puiser dans différents outils disciplinaires, tel le «go-along», un outil issu des études urbaines qu’elle a adapté et renommé la « sortie musicale accompagnée » pour étudier les pratiques musicales dans la ville de certain.es participant.es à son enquête. En somme, oser traverser les frontières disciplinaires et croiser les outils méthodologiques permet de faire émerger de nouvelles formes de réponses et de rendre visibles différentes occurrences de pratiques culturelles.

 

La sociabilité au cœur des pratiques culturelles et des appartenances identitaires stratifiées

Indéniablement, l’étude des villes se trouve au cœur de l’analyse des phénomènes migratoires, et également des manifestations culturelles et artistiques. Nous poursuivons la discussion en désirant spatialiser le sujet des pratiques culturelles et artistiques de personnes migrantes afin de comprendre ce que ces pratiques révèlent sur les manières de s’approprier l’espace urbain, mais aussi sur les dynamiques d’appartenances identitaires ou spatiales propres à l’expérience de l’immigration.

Les deux panélistes s’entendent sur l’importance du lien social que les manifestations artistiques et culturelles attisent en contexte urbain. Marco Martiniello spécifie qu’au-delà des aspects esthétiques ou créatifs, c’est l’envie de créer ou de consolider un lien, d’interagir et de se côtoyer, qui influence la participation aux activités culturelles.

La doctorante en études urbaines révèle, pour sa part, que la liste d’écoute musicale d’une personne est en quelque sorte une porte d’entrée inusitée pour saisir les multiples échelles d’appartenance de cette personne, qui apparaissent sous forme de « strates » identitaires. La chercheure rappelle toutefois que les sentiments d’appartenance ne sont pas mutuellement exclusifs ; une vision dichotomique entre la « culture d’origine » et la « culture d’accueil » apparaît souvent réductrice de la complexité de l’expérience migratoire.

Du côté identitaire, Marco Martiniello connaît bien la situation bruxelloise. Tout comme sa collègue, il observe des appartenances identitaires entrelacées, alors que les Bruxellois.e.s s’identifient beaucoup à leur quartier et où le vivre-ensemble est particulièrement manifeste lors des célébrations urbaines. Il souligne d’ailleurs qu’une partie de la jeunesse semble transcender la question des frontières ethniques ou géographiques en se réappropriant les quartiers, mais aussi plus largement la ville, au fil de relations identitaires éphémères ou durables.

 

Europe / Amérique du Nord : Quels parallèles et quelles distinctions possibles?

Les chercheur.e.s invité.e.s se sont tou.tes les deux penché.e.s au sein de leurs recherches sur des territoires distincts, au Québec ou en Europe. Marco Martiniello souligne dans un article que l’on gagnerait à émettre des rapprochements entre les situations migratoires européennes et nord-américaines, que l’on a longtemps considérées comme trop éloignées.

Nous avons d’abord questionné Caroline Marcoux-Gendron pour savoir si elle établissait ce même constat lorsqu’il s’agit de sociologiser les pratiques artistiques et culturelles des personnes immigrantes à Montréal. Elle nous indique que l’intérêt de prendre Montréal comme étude de cas réside dans le fait qu’il s’agit d’une ville singulière tant sur les plans de l’immigration que sur les plans culturels. En effet, le portrait migratoire de la métropole est (super)diversifié à plusieurs égards, comme la composition de ses flux migratoires et son haut taux de trilinguisme en témoignent. Montréal, au carrefour de plusieurs influences culturelles autant anglo-américaines, franco-européennes, qu’internationales, recèle de nombreuses opportunités culturelles et artistiques et est par ailleurs un lieu où l’importance des relations inter-minoritaires est aussi marquée, souligne la chercheure.

Pour le professeur européen, il considère qu’un élément majeur distinguant le contexte européen de celui de l’Amérique du Nord est la perception envers l’immigration, puisqu’en Amérique du Nord la culture populaire intègre davantage les différentes vagues migratoires dans la construction de l’identité collective. Il poursuit en discutant du fait que ces perceptions influencent le sort que l’on réserve en Europe aux artistes migrant.es, qui, selon lui, sont davantage marginalisé.es.

 

Perspectives croisées, ancrages multidimensionnels

Ce Midi de l’immigration, prenant la forme d’une discussion transatlantique entre deux chercheur.e.s, fut de nouveau un moment riche en partage d’anecdotes et d’outils pour mieux envisager la complexité des parcours migratoires en contexte urbain, cette fois du point de vue de l’art et de la culture. Les travaux de Caroline Marcoux-Gendron et de Marco Martiniello témoignent habilement de l’interconnexion entre les expériences migratoires et les territoires géoculturels. Alors que les objets d’études qu’ils abordent sont auscultés à l’échelle urbaine, il s’agit simultanément de phénomènes ayant des échos au-delà des frontières, nous rappelant l’importance de croiser les méthodologies, les disciplines, mais également les perspectives sur les ancrages identitaires et spatiaux.

* Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser 6 rencontres par année, 3 à l’automne, 3 à l’hiver.

Re-visonnez le webinaire

Dans le cadre des Midis de l’immigration, le 21 avril 2021 nous avons eu le plaisir d’accueillir Caroline Marcoux-Gendron, doctorante en études urbaines au Centre Urbanisation, Culture et Société de l’INRS ainsi que Marco Martiniello, professeur à la Faculté des Sciences Sociales de l’Université de Liège et directeur  du CEDEM (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations).

Conférence-midi organisé et animé par Islem Bendjaballah, Mathilde-Hasnae Manon et Jeanne LaRoche.