Compte rendu

Changements climatiques et immigration : Les facteurs environnementaux de la migration au Canada

Par Mathilde Manon, étudiante à la maîtrise en études urbaines (UQAM)

Événement organisé dans le cadre des Midis de l’immigration, 30 mars 2021

Conférence de Luisa Veronis (Professeure de géographie à l’Université d’Ottawa) et Robert McLeman (Professeur de géographie et sciences de l’environnement à l’Université Wilfrid Laurier)

Introduction

Les changements climatiques et leurs impacts sur les vies humaines sont de plus en plus présents dans le débat public. En 2019, l’Observatoire des personnes déplacées à l’interne évaluait à plus de 17 millions, le nombre de personnes ayant dû se déplacer en 2018 suite à une catastrophe environnementale. Toutefois, la question des migrations internationales dues aux changements climatiques reste un sujet peu exploré. Les professeurs Luisa Veronis et Robert McLeman nous ont présenté les résultats d’une recherche qualitative conduite en 2014 portant sur le rôle des facteurs environnementaux dans la prise de décision des migrants qui quittent leur pays pour s’installer au Canada. Ils ont mis en lumière la complexité des facteurs de migration, à la fois à l’interne des pays les plus touchés par les changements climatiques, mais aussi à l’international. Ils ont également souligné l’importance de distinguer les différents types de facteurs environnementaux, notamment les dégradations environnementales directement associées aux activités humaines et les changements climatiques, et leur influence sur ces mouvements migratoires.

 

Un champ de recherche à approfondir !

Le lien entre études des migrations et études de l’environnement est à la fois récent et ancien. En effet, la professeure Veronis est revenue sur le lien historique qui existait entre ces deux champs d’études qui remonte à la fin du XIXe siècle (Piguet, 2013). Par la suite, les études des migrations se sont davantage penchées sur les facteurs économiques, sociaux et politiques des mouvements migratoires. Récemment, ce sont les sciences de l’environnement qui ont remis l’accent sur les liens de causalité entre migration et environnement. Le projet de recherche qu’elle et son collègue, Robert McLeman, pionnier dans le domaine au Canada, ont conduit entre 2012 et 2015 visait à créer des ponts entre ces deux champs disciplinaires, qui évoluent en « vase clos » selon Luisa Veronis. Il apparaît que les liens entre environnement et migration sont complexes : du fait de la multiplicité et de l’interdépendances entre des facteurs des migrations, d’une part ; et d’autre part à cause de la complexité des phénomènes environnementaux. De plus, les chercheurs étudiant ces questions ne s’entendent pas encore sur les concepts à employer pour aborder la question : réfugiés environnementaux, réfugiés climatiques, migration environnementale, éco-migrant, etc. En somme, l’étude des migrations environnementales reste un champ à approfondir, notamment par des études empiriques.

 

Les facteurs environnementaux et la migration vers le Canada : des liens de causalités indirectes

 La recherche conduite par l’équipe de Luisa Veronis et Robert McLeman visait à examiner les facteurs environnementaux directs ou indirects influençant la migration au Canada. Les conférenciers nous ont présenté les résultats d’une collecte de données conduite dans la région d’Ottawa-Gatineau avec 70 personnes immigrantes, en majorité des travailleurs qualifiés et réfugiés. Ces personnes étaient originaires d’une grande diversité de pays et de régions vulnérables aux dégradations environnementales et aux changements climatiques (Caraïbe, Corne de l’Afrique et Afrique Sub-Saharienne).

Il apparaît dans cette recherche que les facteurs environnementaux ne sont pas une des raisons principales motivant le départ des immigrants vers le Canada. Ils étaient plutôt motivés par les opportunités économiques et les enjeux politiques et sociaux dans leur pays d’origine. Cependant, au cours des discussions en groupe, les participants ont fait le lien entre les raisons principales les amenant à quitter leur pays et les enjeux environnementaux qui s’y jouent. Luisa Veronis souligne que « tous les participants avaient une excellente connaissance des divers enjeux liés à l’environnement dans leur pays ». Les chercheurs ont identifié trois thématiques dans les discours des participants :

  1. Les enjeux environnementaux, dont les changements climatiques liés aux activités économiques (extractivisme, déforestation, problèmes d’accès et de salubrité de l’eau, enjeux agricoles, sururbanisation, etc.)
  2. Les enjeux d’écologie urbaine (gestion des déchets, pollution de l’air, contamination de l’eau, vulnérabilité des bidonvilles face aux désastres environnementaux, maladies d’origine hydriques, etc.)
  3. Les liens complexes et de causes multiples entre environnement et facteurs d’instabilité politique, le manque d’opportunités économiques et les problèmes sociaux

Il apparaît que les personnes les plus vulnérables face à ces enjeux environnementaux sont les populations pauvres des régions urbaines et les populations rurales. L’étude a révélé que les liens entre la migration et les enjeux environnementaux sont très complexes et occasionnent plusieurs mouvements migratoires entre ville et campagne, surtout internes pour des questions d’insécurité alimentaire, des difficultés agricoles, etc. Les migrants environnementaux, ceux directement touchés par les dégradations environnementales et les changements climatiques, sont ceux qui dépendent de l’environnement pour leur subsistance.  En revanche les personnes migrant à l’extérieur du pays, et en particulier vers le Canada, sont les populations urbaines disposant de davantage de ressources. Pour ces personnes les liens entre la décision de quitter leur pays et l’environnement sont plutôt indirects.

 

Quelques cas concrets : les personnes immigrantes originaires d’Haïti et du Bangladesh

Les conférenciers nous ont présenté deux cas concrets pour appuyer leur propos. À partir du cas des migrants originaires d’Haïti, Luisa Veronis et son étudiante Amina Mezdour, ont révélé les liens complexes entre les problèmes environnementaux en région rurale et les migrations à l’intérieur et à l’extérieur du pays (Mezdour et Veronis, 2012). Elles ont pu voir que les populations rurales haïtiennes sont victimes d’un cercle vicieux de la dégradation environnementale où la dégradation des sols augmentée par la déforestation a des impacts néfastes sur les activités agricoles et la subsistance. Ces facteurs conduisent à l’exode rural et à la migration hors du pays. Cependant, les personnes migrantes entreprenant le voyage vers le Canada sont celles ayant le plus de ressources financières ou des réseaux sociaux qui facilitent leur départ. En outre, les enjeux environnementaux sont fortement interreliés à des facteurs politiques et économiques.

Robert McLeman a fait le parallèle entre ces résultats et ceux obtenus lors d’une étude à Toronto avec des personnes originaires du Bangladesh (McLeman, Moniruzzaman et Akter, 2017) . « Entre 5 et 10 % des participants à l’étude disent que la pollution de l’air à Dahka, la capitale du Bangladesh, était un facteur important dans la décision d’immigrer au Canada, lié à la santé respiratoire, etc. […]. Pour 40 %, oui la pollution de l’air et le manque d’espaces verts à Dahka étaient parmi les considérations pour penser à l’immigration au Canada. Pour les autres 50 % ce n’était pas important, mais ils ont eu les mêmes observations que les participants des études que Professeure Veronis vient de décrire. ». Une question de l’assistance est revenue sur le cas d’une personne bangladeshi ayant reçu le statut de réfugiée en France pour une justification environnementale et de santé respiratoire. Robert McLeman a souligné que les quelques cas similaires que l’on a pu voir dans les médias concernent des personnes déjà installées dans les pays de destination. Toutefois, le statut de réfugié climatique n’est pas reconnu, à ce jour, par les institutions internationales et ne constitue pas un motif légal pour demander refuge au Canada.

 

Et à l’avenir qu’en sera-t-il ?

Comme nous l’a rappelé Robert McLeman, il y a chaque année une moyenne de 21 Millions de personnes déplacées dans le monde suite à des catastrophes naturelles et des phénomènes liés au climat (Pui Man Kam et al., 2021). Si la plupart de ces gens restent dans leur pays et font des migrations intrarégionales, il apparaît que le phénomène pourrait s’accentuer dans les prochaines années. Les projections statistiques établissent que pour chaque degré Celsius supplémentaire, une augmentation de 50 % des personnes déplacées est à prévoir. Cela signifie que même si nous réussissons à limiter le réchauffement climatique à 1.5 degrés Celsius, il y aura une augmentation des populations déplacées. La réalité étant que les émissions actuelles pourraient mener à une hausse de 2.5 à 3 degrés Celsius, ce qui conduirait à une augmentation de 300 % des personnes déplacées autour du monde d’ici à 2100, à cause de la fréquence des catastrophes naturelles, les impacts des inondations et des sécheresses et la hausse de niveaux des océans entre 60 et 80 cm.

Le professeur McLeman a évoqué le rôle que peut jouer le Canada face à cette situation. D’une part il souligne l’importance des flux migratoires pour « maintenir les programmes sociaux […], pour l’avenir du Canada, pour notre prospérité ». D’autre part, c’est une question de coopération et de solidarité internationale, car le mode de vie des Canadiens est parmi le plus coûteux dans le monde, sur le plan environnemental. « We need to do the right thing » a conclu notre invité, soit prévoir une politique d’immigration plus flexible qui inclue les enjeux environnementaux comme des facteurs possibles de l’immigration à l’avenir, conjuguée à une politique pour le Climat.

Cette conférence nous a permis d’aborder un thème de recherche qui reste encore à explorer. La professeure Veronis nous a offert plusieurs sujets et thèmes pour des futures recherches. L’étude des problèmes d’écologie urbaine dans les villes du Sud apparaît comme une problématique clé pour aborder les impacts des problèmes environnementaux sur la migration, d’autant plus que la population urbaine ne cesse d’augmenter. De plus, la recherche conduite par nos invités a révélé l’interdépendance entre les différentes catégories de migrations (domestiques, interrégionales, internationales, etc.) et remis en question la pertinence de ces distinctions. Il faudrait essayer de mieux comprendre les liens entre différents types de migration et les causalités qui les nourrissent. Finalement, Luisa Veronis nous invite à être nuancés les impacts des changements climatiques, car il apparaît que ceux-ci sont exacerbés par d’autres phénomènes environnementaux, dont l’extraction des ressources naturelles. Cela conduirait également à établir des responsabilités plus claires et poser des actions concrètes en faveur de l’environnement.

Écouter l’entrevue

Les Midis de l’immigration rencontre Amina Mezdour, étudiante au doctorat interdisciplinaire en santé et société à l’Institut Santé et Société de l’UQAM.

Entrevue par Catherine Paquette, étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’INRS.