Compte rendu – Les Midis de l’immigration

Les étudiant.es internationaux.ales au Québec : au-delà des chiffres et des projets politiques

Par Charline Godard-Bélanger, en collaboration avec Jeanne LaRoche, étudiantes à la maîtrise en études urbaines, Centre Urbanisation Culture Société – INRS

La récente réforme du Programme d’Expérience Québécoise (PEQ) menée par le gouvernement de François Legault, premier ministre du Québec, a créé une onde de choc dans les milieux éducatifs et professionnels du Québec. En plus d’avoir freiné, voire rendu impossible la réalisation du projet migratoire de milliers d’étudiant.es désirant étudier au Québec, la réforme du PEQ a entraîné une crainte généralisée au sein de la communauté étudiante internationale déjà établie en territoire québécois quant à la possibilité de s’installer dans la province sur le long terme.

Cette crainte s’avère-t-elle justifiée? Quelles seront les conséquences de cette réforme sur le projet migratoire de ces étudiant.es internationaux.ales, ainsi que sur le parcours de ceux et celles qui ont  déjà entamé leur projet d’étude au Québec?

C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre nos deux conférenciers invités. Le constat qui émane de leurs présentations et des échanges qui ont suivi met en lumière la situation vulnérable des étudiant.es de l’étranger en sol québécois, qui doivent développer des «stratégies migratoires alternatives» pour pallier l’invisibilisation des défis auxquels ils et elles font face.

 

Pourquoi étudier au Québec?

Le choix d’entreprendre un processus migratoire au Québec à des fins d’études est influencé par une multitude de facteurs, tel qu’expliqué par le doctorant Islem Bendjaballah dont les recherches portent spécifiquement sur la carrière migratoire des étudiant.es d’origine maghrébine (plus précisément d’origine marocaine, algérienne ou tunisienne). Ces facteurs sont notamment les structures d’opportunité dont les procédures d’immigration et les bourses d’études, le réseau personnel pré-migratoire et la connaissance du français. Si l’existence ou l’absence d’un réseau personnel pré-migratoire (ami.es, famille, connaissances déjà installées au Québec) est l’un des facteurs les plus importants lors du choix de venir étudier au Québec, il est également important de se rappeler que la réputation de Montréal comme ville universitaire n’est plus à faire et qu’elle accueille chaque année sur son territoire plus de 30 000 étudiant.es internationaux.ales, principalement dans des programmes de 2e et 3e cycle, mais aussi dans des programmes de formation professionnelle tels que les DEP (Diplôme d’Études Professionnelles).

Kamel Beji, dont les recherches portent principalement sur l’insertion professionnelle des étudiant.es internationaux.les dans la région de Québec et plus spécifiquement à l’Université Laval, précise que dans sa région, ce sont plus des deux tiers de ces étudiant.es qui viennent au Québec avec l’intention de s’y installer de façon permanente, l’autre portion ayant l’intention de retourner dans leur pays d’origine. Selon ses recherches, les facteurs qui semblent déterminants quant au choix d’étudier au Québec sont les conditions salariales intéressantes, la possibilité de concilier le travail et la famille ainsi que les possibilités d’accommodements culturels et religieux au travail.

Étudier et être étudiant.e au Québec après la réforme du PEQ

Avant que la réforme du PEQ ne soit adoptée, explique Islem Bendjaballah, les étudiant.es  maghrébin.es avaient recours à certaines «stratégies» dans l’élaboration de leur parcours migratoire. Par exemple, ces personnes pouvaient d’abord s’inscrire dans une formation professionnelle très coûteuse de type DEP d’une durée de 18 mois, leur permettant ensuite de se qualifier au PEQ et facilitant ainsi l’accès à la résidence permanente (RP), qui vient elle-même simplifier l’accès (surtout financièrement) aux études supérieures (maîtrise et doctorat). Cette stratégie permettait aux étudiant.es maghrébin.es d’accéder à un emploi au Québec et de pouvoir plus aisément s’y installer définitivement. Avec la réforme du PEQ, l’accessibilité à la résidence permanente s’est retreinte (il faut compter environ quatre ans et demi pour l’obtenir, contrairement à environ trois ans avant la réforme) et les conditions d’admissibilité liées à l’expérience de travail sont beaucoup plus restrictives. Les stratégies migratoires observées par le chercheur chez certain.es étudiant.es dans la province ne semblent donc plus opératoires.

Pour les étudiant.es internationaux.les déjà installé.es au Québec au moment de l’adoption de la réforme du PEQ, il va sans dire que leur manière d’anticiper leur futur a changé drastiquement. Les étudiant.es qui planifiaient demander la résidence permanente voient non seulement les délais augmenter de près de 50%, mais les conditions d’admissibilité restreintes peuvent rendre presque impossible l’application à ce statut. Ceci explique d’ailleurs le sentiment de « rejet », le « manque de confiance envers le Québec » et l’impression de « trahison » que ressentent certaines personnes interrogées par Islem Bendjaballah. C’est d’ailleurs ces sentiments d’exclusion et, parallèlement, la négociation de «stratégies migratoires alternatives» qui intéresseront le doctorant dans la dernière partie de son terrain de recherche. À ceci, Kamel Beji répond qu’il existe un impératif moral pour le gouvernement québécois de donner l’heure juste à ces étudiant.es internationaux.ales quant aux orientations présentes et futures en matière de politiques d’immigration. Il ajoute finalement que l’absence de mesures d’assouplissement prévues à la réforme pour les étudiant.es ayant déjà entamé leur projet d’études au Québec est fort désolante et témoigne du caractère utilitariste des politiques migratoires québécoises.

 

La réforme du PEQ : une solution aux enjeux préexistants ou un simple outil économique?

Avant l’arrivée du PEQ, les étudiant.es venant de l’international et ayant immigré temporairement au Québec devaient déjà faire face à bon nombre d’obstacles. Kamel Beji explique que l’un des obstacles les plus saillants est l’insertion professionnelle suite à la diplomation et souligne que cet enjeu n’a pas été traité dans le cadre de la réforme du PEQ, ce qui est hautement problématique selon lui. En effet, selon ses recherches, dans les 12 mois suivant la diplomation, les étudiant.es internationaux.ales auraient 12% moins de chances d’occuper un emploi permanent que leurs collègues « natifs » ou étudiant sans permis d’études. De plus, il souligne que ces personnes ont aussi 32% plus de chances que leurs collègues non-immigrants d’occuper un emploi qui ne correspond pas à leur formation ou à leur niveau d’études dans les 12 mois suivant leur diplomation. Finalement, le professeur fait état d’un résultat alarmant : dans son échantillon de 496 étudiant.es  internationaux.ales, aucun n’occupe un emploi au sein de la fonction publique dans les 12 mois suivant la diplomation. Ces données, et d’autres présentées par le chercheur, dressent un portrait peu optimiste des conditions professionnelles des étudiant.es internationaux.ales québécois.es suite à leur diplomation. Tout porte ainsi à croire que cette réforme migratoire soit pensée en termes de chiffres absolus, alors que l’attention est mise sur les futur.es étudiant.es à attirer au Québec, véritable manne économique, plutôt que vers la situation préoccupante des étudiant.es dont le parcours est déjà entamé au Québec.

Durant la période de questions, une étudiante internationale à la maîtrise et un étudiant international au doctorat ont partagé leurs expériences personnelles et leurs craintes quant à la réforme du PEQ. Se voulant rassurant, Kamel Beji souligne que le Québec a grand besoin des étudiant.es internationaux.ales, et pas seulement comme outil économique – leur surreprésentation aux cycles supérieurs démontre bien leur rôle dans le domaine de la recherche. Il insiste sur l’importance d’une vision politique de long terme, dans laquelle cette communauté étudiante jouerait un rôle actif et reconnu.

C’est finalement sur un appel à la résilience de la part du professeur envers les personnes vulnérabilisées par la réforme du PEQ que s’est conclue notre première conférence des Midis de l’immigration de la saison d’automne 2020.

*Depuis 2016, les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration.