Conference_Ferrandez_Affiche1Compte rendu de la conférence de Luc Ferrandez

Urbanisme tactique : volonté politique et contraintes administratives ou « Comment changer le monde avec une spatule et un aspirateur? »

INRS-UCS (385, rue Sherbrooke Est, Montréal)
18 novembre 2015

Auteure : Maude Cournoyer-Gendron

C’est avec cette question imagée que M. Ferrandez amorce sa conférence du 18 novembre dernier. Invité par le professeur Gilles Sénécal dans le cadre d’un séminaire en études urbaines intitulé « Transformation de l’environnement urbain et qualité de vie », Luc Ferrandez afin de partager avec nous son expérience à titre de maire d’arrondissement, autant dans l’élaboration de politiques publiques et dans ses interventions relatives à l’environnement urbain.

M. Ferrandez entreprend ensuite la présentation du projet de son équipe, qui est de « changer la perception de l’espace urbain, coin de rue par coin de rue ». L’objectif poursuivi est de bâtir des quartiers denses, humains et vivants. Le Plateau Mont-Royal, contrairement à d’autres espaces moins structurés (comme les alentours du pont Victoria), est un quartier relativement fini, aux rues commerçantes animées. Ce n’est pas le premier quartier qui vient en tête lorsqu’on pense aux zones nécessitant une intervention urbanistique. Cependant, M. Ferrandez amène à notre attention certains secteurs de l’arrondissement qui lui semblent incohérents, notamment la rue des Pins, l’Institut des Sourds-Muets dont la cour intérieure est un stationnement, et le cœur même du parc Lafontaine dont le pavillon central est entouré de stationnements. Il mentionne qu’à l’heure actuelle, c’est encore la vision fonctionnaliste qui prime dans les décisions d’aménagement, et que rarement sont considérées les notions de paysage, de qualité de vie et d’espace public. Il illustre cela en mentionnant une série de contraintes avec lesquelles il doit travailler. Il évoque ainsi l’obligation, dans plusieurs arrondissements, d’avoir du stationnement derrière et devant les unités d’habitation, ou encore l’obligation d’avoir des rues d’une largeur minimale de six mètres, une contrainte provenant du service des incendies.

Dans un second temps, M. Ferrandez nous fait part de la manière dont son équipe et lui-même s’y sont pris pour mener à bien le projet préalablement décrit. Il évoque un contexte où l’administration de l’arrondissement doit répondre à un grand nombre de contraintes et d’inconnus, et ne possède ni les moyens ni les pouvoirs de la Ville Centre. C’est dans ces circonstances que l’urbanisme tactique constitue, pour M. Ferrandez et son équipe, une façon de tester les règles et les limites, permettant d’intervenir rapidement à l’échelle d’un coin de rue afin de créer des aménagements exemplaires, modifier les perceptions relatives à l’espace public et ainsi générer certains appuis. Emprises ferroviaires, terrains vagues, terrains en friche, espaces résiduels, espaces publics, rues, trottoirs, stationnements, intersections, sont tous des lieux où l’intervention est possible afin « d’amener de l’humanisme, amener de la rencontre, amener des itinéraires de marche […] des lieux d’évasion ». Généralement, l’urbanisme tactique est une stratégie employée par la société civile afin d’intervenir sur l’espace public sur des objets non sanctionnés. Plus les interventions sont construites, permanentes et sur des objets sanctionnés, et donc le fait de l’État et des administrations, plus ces actions s’éloignent de l’urbanisme tactique. M. Ferrandez apporte une nuance à cette interprétation de l’urbanisme tactique et défend le fait que les administrations municipales ont besoin de l’urbanisme tactique afin « d’agir là où l’on peut avec les moyens que nous pouvons mettre en œuvre ».

Conf-Ferrandez

Luc Ferrandez est intervenu devant une salle comble.

Pour agir de cette façon, M. Ferrandez mentionne qu’il faut avoir une légitimité démocratique, c’est-à-dire être élu avec un mandat et des actions clairs, mais aussi une légitimité administrative, c’est-à-dire d’avoir fait la démonstration qu’il y a les moyens (dégager de l’argent dans les budgets) et la capacité (des professionnels qui adhèrent à la vision) de mener à bien ces projets.

M. Ferrandez poursuit en évoquant plusieurs exemples d’aménagements faits sous l’impulsion de l’urbanisme tactique, dont certaines sont maintenant présentes dans plusieurs arrondissements comme les terrasses sur chaussée et les saillies de trottoirs. Il mentionne aussi la mise en place de petites placettes, de saillies commerciales (sur la rue Fairmount, par exemple), de l’aménagement de la rue Henri-Julien entre Gilford et Mont-Royal (l’objectif étant de se saisir de l’espace par des bandes cyclables), et même d’interventions plus importantes comme l’enlèvement de la rue Franchère et d’une partie de la rue Marianne.

Il nous rappelle que lorsqu’il est question d’aménagement, nous sommes en présence d’intérêts divergents, qui ne sont pas toujours réconciliables. À partir de ce constat, le moteur du changement est, selon lui, l’affrontement et non pas le consensus. Le modus operandi qu’il décrit est donc celui de la confrontation : il s’agit de s’emparer de l’espace et de faire le projet pour ensuite s’atteler à communiquer et convaincre. Une façon de faire qui est justifiée par l’argument que les gens peinent à s’imaginer ce qui peut être fait et donc ne font pas la demande pour ces aménagements. D’où l’importance selon lui de multiplier ce qu’il nomme les « showcases ». M. Ferrandez souhaite ainsi démontrer les failles du statu quo, d’en faire la preuve par l’exemple.

Questionner sur la posture de confrontation employée qui est souvent celle de la société civile, M. Ferrandez répond que son équipe est prête à céder sur plusieurs éléments, qu’elle est prête à consulter et que pour certains projets, la population est appelée à demander ce qu’elle désire. Il cite la stratégie de questionner la population à l’échelle du projet : est-ce que vous le voulez, ou alors est-ce qu’on va le faire ailleurs? Si cela représente une ouverture en ce qui concerne la participation et la consultation, M. Ferrandez soutient que la confrontation est souvent nécessaire, et surtout lorsqu’il est question de stationnement. Il reconnait toutefois que la posture de confrontation adoptée dans la mise en place d’un urbanisme tactique possède ses limites, notamment la perte de compétences des arrondissements et la centralisation des pouvoirs à la Ville Centre, citant l’exemple du stationnement et du déneigement.

À une question portant sur la possibilité de passer de l’échelle de l’arrondissement à celle de l’agglomération, M. Ferrandez répond que cela se fera par niche, par une série d’exemples à montrer et par la mise sur pied d’événements locaux qui ont un potentiel de démonstration, comme ce fut le cas pour la fermeture du boulevard Gouin les dimanches de cet été. Il s’agit d’amener une première intervention qui plaît pour changer les perceptions de l’espace, pour que des modifications temporaires deviennent graduellement permanentes.

Interrogé sur son approche de confrontation et sa légitimité électorale, M. Ferrandez répond qu’il faut assumer les vents contraires et accepter le verdict électoral envers et contre tous. À son avis, il est inutile de garder le pouvoir si les interventions mises de l’avant n’ont aucun impact.

La dernière question évoque les façons de s’assurer de maintenir l’abordabilité du logement dans l’arrondissement, puisque ces aménagements (de plus en plus en vogue) attirent une certaine classe sociale. M. Ferrandez répond qu’il n’y a aucune ville qui a réussi à garder sa mixité dans les quartiers centraux. Il mentionne l’exemple de Stockholm qui l’a fait en partie en socialisant 50 % de ses logements. Toutefois, le 50 % résiduel se trouve à être extrêmement cher. Une autre option serait de renforcer les règles de la Régie du logement pour éviter les expulsions (600 par année sur le Plateau). Il ajoute qu’une ville homogène est inintéressante. En mentionnant l’importance d’agir, il dit ne pas avoir les outils pour intervenir à ce niveau.

Pour connaître les détails de la conférence.