Compte rendu

Conditions de vie et de travail difficiles pour les demandeurs d’asile durant la pandémie de COVID-19

Conférence de Geneviève Binette, avocate et coordonnatrice du Comité d’aide aux réfugiés (CAR) et du Volet protection de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI); Anna Goudet, candidate au doctorat en études urbaines à l’INRS et Janet Cleveland, chercheure à l’Institut universitaire SHERPA, affilié à l’Université de Montréal animée par Mireille Paquet, Université Concordia.

Compte rendu par Catherine Paquette, étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’INRS

Introduction

 

Le 25 février 2021 a eu lieu le septième webinaire de l’ÉRIQA intitulé « Les demandeurs d’asile travaillant dans les secteurs essentiels pendant la pandémie » au cours duquel ont été présentés et discutés les résultats d’un sondage mené par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) auprès de personnes demandeuses d’asile travaillant dans les services essentiels au Québec durant les premiers mois de la crise sanitaire. L’événement était organisé en collaboration avec les Midis de l’Immigration. 

Si vous n’avez pas eu l’occasion d’y assister (ou si vous souhaitez le revoir), la vidéo est maintenant disponible sur la chaîne YouTube de l’ÉRIQA.

Les témoignages de 393 personnes[1] au statut d’immigration précaire ayant œuvré dans différents milieux de travail à l’échelle de la province (santé, alimentation et commerce au détail par exemple) démontrent que cette population a été particulièrement à risque de contracter la COVID-19, a eu du mal à accéder aux services de santé, a subi des conditions de travail difficiles et a vécu de l’anxiété à plusieurs niveaux.

 

Faits saillants : des conditions de travail difficiles et un statut qui accentue leur vulnérabilité

 

Leurs conditions de travail ont été la source de grandes préoccupations : la distance à parcourir pour se rendre sur leur lieu de travail, des horaires irréguliers, des difficultés à renouveler leur permis et leur sécurité au travail. « C’est beaucoup ressorti dans le sondage, les gens n’ont pas eu accès au matériel de protection, des conditions précaires et des conditions qui les amenaient à prendre un risque pour leur vie », a déploré l’avocate et coordonnatrice du Comité d’aide aux réfugiés (CAR) et du Volet protection de la TCRI, Geneviève Binette. 

« Il y a beaucoup de demandeurs d’asile et de migrants au statut précaire qui se retrouvent obligés de travailler pour des agences de placement. Ces agences vont les placer dans différents milieux, surtout dans des milieux aux conditions de travail très difficiles, souvent à très bas salaire, et en plus prennent une commission substantielle », a ajouté la chercheuse au SHERPA Janet Cleveland, qui a présenté plusieurs cas typiques des difficultés vécues par cette population. 

Le rapport de la TCRI rédigé par Anna Goudet (candidate au doctorat en études urbaines au centre Urbanisation Culture Société de l’INRS) révèle aussi que la moitié des répondant.es se sont soumis à un test de dépistage de la COVID-19, mais que plusieurs n’ont pas pu se rendre à la clinique en raison d’un manque de soutien ou de difficultés à se déplacer. 

Concernant l’accès aux soins, plusieurs répondant.es signalent des obstacles ou un manque d’information; des citations comme « je ne suis pas éligible » ou « je ne savais pas à quelle clinique me rendre » étaient récurrentes. Par ailleurs, les personnes infectées par la maladie ont vécu des conséquences considérables sur leur santé mentale et leur situation financière. En effet, 28% des répondant.es qui avaient obtenu un résultat positif à la Covid-19 ont dit n’avoir touché aucun revenu de leur employeur ou aide d’urgence. 

D’autres difficultés d’accès ont empêché les parents demandeurs d’asile de faire garder leurs enfants pour se rendre au travail. En effet, entre autres, en raison de la confusion entourant des directives ministérielles, 90 % n’ont pas bénéficié des services de garde ouverts pour les travailleur.e.s des services essentiels, soit parce que leur statut ne leur permettait pas d’accéder à ces services, soit parce qu’ils ne savaient pas qu’ils y avaient droit. 

Les difficultés d’accès à la garderie n’émanent toutefois pas nécessairement du contexte de la pandémie, a aussi rappelé Janet Cleveland, puisque les demandeur.es d’asile ne sont pas admissibles aux services de garde subventionnés et ce, même en temps normal. « C’est un obstacle majeur à la francisation et au marché du travail, et de façon générale un facteur d’isolement pour femmes monoparentales, qui sont assez nombreuses parmi la population des demandeurs d’asile », a-t-elle souligné. L’article de loi empêchant leur accès à ces services fait l’objet d’un recours juridique déposé en mai 2019.

 

Revendications de la TCRI : régulariser les statuts et améliorer l’accès aux services

 

À la lumière du sondage et des revendications de ses membres sur le terrain, la TCRI formule plusieurs recommandations à l’endroit des gouvernements provincial et fédéral, notamment la régularisation du statut de toutes les personnes ayant travaillé dans les services essentiels, peu importe le secteur d’emploi. Cette demande vise à améliorer leur accès aux services sociaux et de santé, en plus d’être une forme de reconnaissance pour leur travail.  

La TCRI demande aussi la réduction des délais dans le processus de demande d’asile et de l’octroi des permis de travail. À l’heure actuelle, les délais d’attente pour les audiences peuvent aller jusqu’à deux ou trois ans (alors que le délai prescrit par la loi est de 60 jours), ce qui garde les demandeur.e.s d’asile dans une situation précaire durant plusieurs années. En plus, souligne Geneviève Binette, la pandémie n’a fait que ralentir les services gouvernementaux ainsi que les démarches pour l’obtention de permis de travail. 

Parmi les commentaires recueillis dans le sondage, la TCRI note un fort sentiment d’appartenance et une volonté de contribuer à la société québécoise chez les demandeur.es d’asile, bien que des politiques ne leur donne pas pleinement cette possibilité. Alors que plusieurs exprimaient une réelle volonté de travailler, les demandeur.es d’asile n’étaient pas admissibles à la formation express mise en place par Québec pour devenir préposé aux bénéficiaires. 

La Table demande aussi au gouvernement provincial d’élargir le panier des services financés pour les demandeur.es d’asile et de faciliter leur accès aux soins de santé, entre autres en suggérant de leur émettre une carte de la RAMQ. Elle lui demande aussi de porter une attention particulière aux personnes marginalisées lors de la diffusion des consignes ministérielles, notamment en offrant la traduction en plusieurs langues. 

La discussion qui a suivi ce webinaire a donné l’occasion aux panélistes de déplorer le désengagement du provincial à l’égard de la situation des demandeur.es d’asile. « Il y a problème de fond, au niveau des attitudes, qu’il faudrait changer », affirme Janet Cleveland. Bien que leur admission au pays soit de compétence exclusivement fédérale, ces personnes vivent au Québec et devraient avoir un meilleur accès aux services québécois, soutient depuis des années le milieu de l’immigration. 

[1] Le sondage a été diffusé auprès de personnes se situant à différentes étapes d’un processus de demande d’asile, par la TCRI en français et en anglais, par l’entremise d’organismes communautaires dans la région de Montréal. Il a certainement circulé au sein des réseaux personnels des répondant.es, dont 43% résident au Canada depuis 2 à 3 ans. L’échantillon n’est pas nécessairement représentatif de la population des demandeur.e.s d’asile, puisque par exemple 65% des répondant.e.s viennent du Nigeria.

Pour consulter le rapport complet de ce sondage

Si vous n’avez pas eu l’occasion d’y assister (ou si vous souhaitez le revoir), la vidéo est maintenant disponible sur la chaîne YouTube de l’ÉRIQA.

En complément : une entrevue avec Véronique Tessier portant sur les familles demandeuses d’asile. Véronique Tessier est étudiante à la maîtrise en géographie à l’Université Laval, membre de la Chaire Dynamiques migratoires mondiales et de l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ).