Mustapha El Miri

Maître de conférence au département de sociologie de l’Université Aix-Marseille

Compte rendu – Les Midis de l’immigration

Devenir « noir » sur les routes migratoires. Racialisation des migrants subsahariens et racisme global

 

Conférence de Mustapha El Miri, maître de conférence en sociologie, Université Aix-Marseille

Par Mylène Coderre, étudiante au doctorat à l’Université d’Ottawa

Événement organisé dans le cadre des Midis de l’immigration tenu à l’INRS le 26 octobre 2021.

Présentation

Les populations subsahariennes empruntant les routes migratoires vers l’Europe sont l’objet d’un processus de racialisation qui les réduit à être porteuses d’une couleur de peau. C’était l’idée principale défendue par Mustapha El Miri, maître de conférences au département de sociologie de l’Université Aix-Marseille, lors de la conférence des Midis de l’immigration, le 26 octobre 2021. S’appuyant sur une enquête terrain réalisée au Maroc, en Espagne et en France de 2014 à 2018, le conférencier soutient que ces formes de racisme subies par les migrants subsahariens sont invisibilisées scientifiquement et politiquement et qu’elles se déploient dans les relations sociales quotidiennes.

 

Invisibilisation du racisme dans les imaginaires collectifs

Le passé esclavagiste et colonial est central dans la construction des imaginaires collectifs qui racialisent les populations subsahariennes, mais son importance est souvent ignorée et sous-estimée. Dans un article récent, Mustapha El Miri explique que, dans les trois pays étudiés, un sentiment d’« extranéité » à l’esclavagisme domine, sa présence dans les histoires nationales étant niée et invisibilisée. Par exemple, le Maroc est l’un des derniers pays à avoir aboli l’esclavage, mais cette dimension importante de l’histoire marocaine est inexistante dans les manuels scolaires et n’est pas reconnue dans le discours public contemporain. Ce déni de l’héritage social et culturel du colonialisme et de l’esclavagisme se constate également dans la production des savoirs. Les problématiques vécues par les populations subsahariennes sur les routes migratoires sont majoritairement appréhendées à travers le prisme du statut migratoire, mais très peu de travaux évoquent l’histoire esclavagiste comme dimension structurelle au racisme qu’elles subissent aujourd’hui.

 

Familiarité dénigrante et pathologisation des migrants subsahariens

Le racisme vécu par les migrants subsahariens se manifeste par une hostilité ouverte mais aussi par les interstices sociaux. Mustapha El Miri emprunte à Achille Mbembé la notion de nanoracisme pour désigner « son expression décomplexée dans les relations sociales quotidiennes ». Ce nanoracisme se déploie par deux principaux mécanismes. Le premier relève d’une familiarité dénigrante envers les populations subsahariennes. L’accent, les cheveux, la sexualité, la couleur de peau sont l’objet de moqueries quotidiennes. En accompagnant un groupe de migrants subsahariens dans son enquête terrain, le chercheur a conclu que ces derniers recevaient entre 15 et 50 blagues de ce type dans une seule journée. C’est ce qui le conduit à affirmer, à l’instar de Frantz Fanon, que le racisme anti-Noirs est singulier, car il réduit leur identité à celle d’êtres uniquement biologiques.

Le nanoracisme se manifeste également à travers la pathologisation stigmatisante des populations subsahariennes qui seraient porteuses de maladies (p. ex., Ebola, sida) en raison de présupposés conditions et modes de vie. La peur de la contamination justifie donc une mise à l’écart, une séparation physique entre les non-racisés et les populations subsahariennes. Elles-mêmes en viennent à intérioriser cette stigmatisation en autorégulant leur circulation dans les espaces publics, ce qui crée une véritable « ségrégation sans murs », pour reprendre les mots de Mustapha El Miri.

En conclusion, les populations subsahariennes deviennent noires parce qu’elles sont l’objet d’un processus d’assignation socioraciale. Elles ne sont plus porteuses d’une nationalité, d’un prénom ou d’une langue; leur identité est effacée et réduite à la « condition noire », qui elle, est étiquetée et infériorisée. Elle est mise à proximité par un humour dénigrant et mise à distance par une pathologisation stigmatisante. Ce nanoracisme est insidieux du fait de sa nature quotidienne, mais aussi en raison du déni de sa dimension structurelle qui s’ancre dans des imaginaires collectifs profondément marqués par l’esclavagisme et le colonialisme. La juxtaposition de la figure du « migrant subsaharien » à celle de « Noir » crée ainsi une double altérisation – sociale et raciale – des populations subsahariennes sur les routes migratoires vers l’Europe.