Le rôle des villes en matière d’immigration: analyse des arrangements institutionnels à l’échelle des villes de Gatineau et Québec

Conférence de Maude Marquis-Bissonnette, professeure adjointe à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat à l’Institut national de la recherche scientifique

Évènement organisé dans le cadre des Midis de l’immigration tenu à l’INRS le 9 février 2023

Introduction

Cette conférence portait sur les résultats de recherche doctorale de Maude Marquis-Bissonnette, professeure à l’ENAP à Gatineau, autour de la question : comment les communautés locales à l’échelle des villes du Québec accueillent-elles et intègrent-elles les immigrants et les immigrantes? Deux grandes villes du Québec sont à l’étude : Québec et Gatineau.

Maude Marquis-Bissonnette a commencé à travailler sur cette thématique lorsqu’elle était conseillère municipale à Gatineau et responsable du dossier de l’immigration, ce qui lui a permis de mener une approche ethnographique pour étudier les arrangements institutionnels (analyse des acteurs — gouvernements et société civile —, de leurs moyens de communication et de coordination) mis en place pour permettre l’accueil et l’intégration des personnes nouvellement arrivées à Gatineau. Pour la ville de Québec, l’approche méthodologique par étude de cas a été privilégiée, avec la réalisation d’entretiens et d’une analyse documentaire.

Québec et Gatineau ont une histoire différente en matière d’accueil et d’intégration : alors que Gatineau a longtemps été, après Montréal, le deuxième pôle d’accueil des personnes immigrantes, ainsi que la première ville à créer un service municipal affecté à la question du vivre-ensemble et de l’immigration, la ville de Québec, elle, s’y est intéressée plus récemment. Particulièrement depuis 2015, avec l’arrivée importante de réfugiées et réfugiés syriens sur son territoire et encore plus après l’attentat à la mosquée de Québec du 29 janvier 2017. Cependant, dans un contexte d’immigration forte et qui tend à s’accentuer, se pose la question de la capacité des gouvernements municipaux à proposer et mettre en place des politiques publiques adaptées à l’échelle de leurs territoires pour s’assurer à la fois de l’accueil et de l’intégration de ces individus qui arrivent dans ces communautés, mais aussi pour les municipalités qui se voient de plus en plus diversifiées.

Historique de la coordination régionale et municipale de l’immigration : regards sur Gatineau et Québec

Le Québec est la province canadienne détenant le plus de responsabilités en matière d’immigration. En 1968, il y a eu la création du ministère de l’Immigration du Québec, puis, en 1991, la signature de la première entente en matière d’immigration avec le gouvernement du Canada. Cette compétence s’est ensuite progressivement ouverte à d’autres acteurs locaux dans un contexte de décentralisation de l’immigration.

Jusqu’en 2014, les conférences régionales des élus (CRE) soutenaient la coordination régionale de l’immigration, chapeautée par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Lorsqu’elles ont été abolies, cette compétence a été transférée aux municipalités, mais avec peu ou pas d’accompagnement provincial, produisant une certaine asymétrie entre les municipalités sur les modèles de gestion à mettre en place. Après une centralisation des bureaux régionaux à Québec et Montréal, le MIFI a de nouveau proposé une approche régionale, produisant un impact négatif sur les équilibres locaux alors créés aux échelles municipales. Certaines villes québécoises ont cependant conservé leurs propres modèles.

À Gatineau, après l’abolition des CRE, les acteurs municipaux se sont réapproprié cette compétence en créant un partenariat local d’immigration nommé la Table de concertation sur le vivre-ensemble et l’immigration qui est toujours en fonction et dont l’objectif est de regrouper l’ensemble des acteurs locaux afin de coordonner les services et répondre aux besoins de la communauté. Ce modèle est largement inspiré des Local Immigration Partnerships (LIP) en Ontario.

À Québec, la CRE avait mis en place une table de concertation fonctionnelle et lorsqu’elle a été abolie, les acteurs communautaires ont souhaité conserver ce lieu de concertation en reconnaissant le besoin de coordination local. Ils ont donc mis en commun leurs ressources humaines et financières afin de créer un poste de coordination. La table de concertation fonctionne depuis maintenant neuf ans. Cependant, la Ville a également souhaité créer sa propre table de concertation afin d’en être gestionnaire. À l’heure actuelle, deux tables de concertation cohabitent dans la ville de Québec, produisant ainsi des inefficiences dans les actions mises en place.

Une gouvernance multiniveau efficiente?

Pour mener sa recherche, Maude Marquis-Bissonnette a interviewé des acteurs de la communauté locale, des directrices et directeurs généraux d’organismes ainsi que des fonctionnaires municipaux et provinciaux. Elle a abordé son sujet par le concept de la gouvernance multiniveau, adapté au phénomène de décentralisation des enjeux d’immigration. Dans ce contexte, il s’agit de réfléchir au principe de subsidiarité, à savoir s’interroger sur l’échelle gouvernementale la plus indiquée pour répondre à des besoins précis issus de la communauté et produire des politiques publiques adaptées au milieu. Ses résultats de recherche démontrent cependant un vide de la gouvernance multiniveau qui se traduit par une absence de politiques publiques claires pour faire interagir les différents niveaux de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) et assurer une efficience dans l’accueil et l’intégration locale des immigrant·e·s. Pour pallier ces enjeux, les municipalités tendent de plus en plus à mettre en place des politiques publiques à leur échelle, mais ces initiatives sont dépendantes de l’équipe municipale au pouvoir, des idéologies et des objectifs des partis politiques, ainsi que des remaniements politiques municipaux. Cela produit une certaine instabilité temporelle de l’offre d’accueil et d’intégration proposée, ainsi qu’une grande variation entre municipalités et régions, limitant la capacité locale, régionale et provinciale de coordination. Sans accompagnement des autres paliers gouvernementaux, et en raison d’un manque de compétences et de ressources, la coordination municipale des enjeux d’immigration fait donc face à de grandes incohérences, incongruités, pertes d’énergie et d’efficacité ainsi qu’à la création de dédoublements entre structures et responsables.

Les atouts et les défis des municipalités pour assurer une coordination de l’accueil et de l’intégration des immigrant.e.s

Au palier municipal, une coordination efficace demande un engagement institutionnel double, à la fois de l’administration et du politique, et donc une collaboration dans l’approche à entreprendre et un alignement des objectifs afin d’éviter tout ralentissement ou blocage, d’un côté ou de l’autre, des politiques publiques et programmes à mettre en place. À l’échelle municipale, la direction générale et la mairie sont les seules interfaces formelles entre les paliers politiques et administratifs, ce qui apporte de plus grands défis de coordination que dans les autres paliers gouvernementaux. Cette collaboration est l’un des premiers ingrédients de succès d’une coordination efficace en matière d’immigration.

Le second ingrédient de succès est la disponibilité des ressources financières et budgétaires, car l’assiette fiscale municipale est limitée. Les municipalités sont donc dépendantes des transferts d’argent provinciaux. Cependant, ces financements sont de court terme (convention de trois ans) et leur distribution est parfois incertaine. Par exemple, la Ville de Québec s’est vu couper ce financement en 2018, ce qui lui a demandé de financer elle-même les services locaux d’immigration.

Ces mêmes programmes de subvention traitent les municipalités sur un pied d’égalité avec les organismes communautaires, ce qui limite le pouvoir de leadership municipal, qui est une autre condition de succès pour la coordination locale de l’accueil et l’intégration des immigrant·e·s. Le MIFI ne reconnaît pas aux municipalités un pouvoir de leadership; pourtant, à l’échelle locale, les organismes communautaires, mais aussi de plus en plus les personnes immigrantes elles-mêmes, se tournent vers les municipalités pour la mise en place de services adaptés. Celles-ci assument donc un rôle de leadership territorial reconnu localement, dont la principale force est d’asseoir les individus et organismes autour d’une table, de les concerter et d’en arriver à la production d’un plan d’action adapté au milieu et aux besoins de la communauté.

Conclusion

Les municipalités à l’étude assument un rôle de leadership territorial pour assurer l’accueil et l’intégration des immigrant·e·s. Cependant, si ce rôle est reconnu localement, aucune politique provinciale ne favorise la prise en charge locale et financière de l’immigration alors que les municipalités se voient de plus en plus être au front pour la gestion de ces enjeux. En réponse à ce contexte, Maude Marquis-Bissonnette prône une approche multiniveau plus adaptée afin de viser une meilleure collaboration entre les différents niveaux de gouvernement, une plus grande autonomie des municipalités dans la coordination de l’accueil et de l’intégration des immigrant·e·s sur leur territoire, et cela passe, entre autres, par une plus grande prise en compte provinciale des enjeux vécus localement, la mise en place de financements plus souples et la reconnaissance des municipalités comme leaders territoriales en matière d’immigration.