Photographie de l’exposition ÉTRANGEr. « Trois objets simples mais puissants : le tissu mexicain, la banane et le sirop d’érable ».

Compte rendu – Les midis de l’immigration

Regards croisés sur les enjeux vécus par les personnes immigrantes LGBTQ2+ à Montréal

Conférence de Mylène de Repentigny Corbeil et Abelardo Léon, respectivement candidate à la maîtrise en communication à l’UQÀM et stagiaire postdoctoral à l’École de travail social de l’Université de Montréal.

7 novembre 2019, INRS

Par Léa Dallemane, en collaboration avec Jeanne LaRoche, étudiantes à la maîtrise en études urbaines

Les défis d’intégration et les enjeux identitaires auxquels sont confrontés les nouveaux et nouvelles arrivant.e.s à Montréal prennent une dimension autre lorsqu’ils sont analysées à travers le prisme du genre et de l’orientation sexuelle.

Le Midi de l’Immigration du 7 novembre 2019 a été l’occasion de mettre en lumière certaines réalités vécues par des personnes immigrantes s’identifiant directement ou indirectement en tant que personnes LGBTQ2+, au cœur de discriminations et de pressions normatives, mais également à la source de processus de négociations identitaires propres à chaque personne. Partant de deux études de cas différentes, les présentations de Mylène de Repentigny-Corbeil et d’Abelardo Léon visent toutes deux à poser un regard pluriel et non réducteur sur les manières dont s’articulent, chez ces personnes, des éléments identitaires religieux, d’orientation sexuelle ou d’origine ethnoculturelle qui sont souvent, à tort, perçus comme contradictoires.

Des identités en constante négociation

D’abord, il importe de noter que la communauté LGBTQ2+, dont l’acronyme peut s’étendre afin d’inclure davantage d’orientations sexuelles et d’expressions de genre, n’est pas homogène. Abelardo Léon, stagiaire postdoctoral à l’École de travail social de l’Université de Montréal, préfère parler de HARSAH (Hommes Ayant des Relations Sexuelles Avec d’autres Hommes). En effet, certaines personnes dans sa recherche ne s’identifient pas à la communauté LGBTQ2+ ou ne se définissent pas comme homosexuels. Ainsi, ses participants sont des hispanophones HARSAH. De son côté, Mylène de Repentigny-Corbeil, candidate à la maîtrise en communication à l’UQÀM, a interrogé des Marocain.e.s LGBTQ+ de première génération à Montréal.

Selon Mylène de Repentigny-Corbeil, ces Marocain.e.s  mobilisent des stratégies de négociations identitaires afin de composer avec les visions normatives de leurs communautés et de « faire face au fait que deux parties de leur identité semblent être en contradiction profonde ». Pour analyser ces négociations, elle emprunte à Taobada-Leonetti (1990) sa typologie des stratégies identitaires, tout en lui apposant plusieurs critiques basées sur les théories intersectionnelles et queer. Elle identifie trois principaux épisodes identitaires : le déni et le refus, puis la remise en question, et enfin l’acceptation et la valorisation agentives, vectrices de changement social.

L’intersectionnalité se traduit chez Léon par le « troisième espace » et le vivre In between : « Nous habitons tous un troisième espace, nous parlons plusieurs langues, nous avons traversé des frontières et nous avons appris à vivre in between » (Léon). Cet espace permet de vivre entre les contradictions de deux systèmes de valeurs, créant une identité hybride. Le chercheur réfute ainsi l’existence de « champs d’identités immuables ».

Au croisement des discriminations

Pour chacun des projets menés, on saisit rapidement la complexité des parcours, à l’intersection de plusieurs discriminations. C’est justement l’approche intersectionnelle qui permet de mieux visibiliser ces dernières : l’islamophobie, l’homophobie, la xénophobie, l’homonormativité, l’hétéronormativité.  Mylène de Repentigny-Corbeil distingue l’islamophobie raciale, résultat d’une vision stéréotypée et « figée » des personnes de confession musulmane, de l’islamophobie séculière, qui participe, notamment, d’une vision de l’islam « comme religion homophobe et patriarcale, incompatible avec les cultures et démocraties occidentales ». Selon l’étudiante-chercheure, ce dernier type de discrimination peut être destructeur lorsque vécu par des personnes qui cherchent du soutien dans une communauté rassemblée par l’expérience de discriminations homophobes.  D’autre part, l’homophobie analysée par Mylène de Repentigny-Corbeil est « latente et continue » ; elle rappelle à la fois l’homophobie vécue au Maroc, mais elle est aussi différente, car construite dans un contexte post-migratoire.

Par ailleurs, pour l’étudiante-chercheure, le processus du coming-out devient ainsi une illustration de ces phénomènes à la fois hétéronormatifs, homonormatifs et islamophobes, puisqu’il suppose un modèle unique de dévoilement de son identité de genre ou de son orientation sexuelle à son entourage. Redéfinir le coming-out occidental vient défier les visions essentialistes et binaires de l’orientation sexuelle et fait partie d’un « processus agentif de redéfinition des termes ». Vue ainsi, la pluralité des facettes identitaires n’est pas que difficultés, mais vectrice de changement social.

Une autre photographie de l’exposition ÉTRANGEr. Le petit drapeau canadien faisant référence aux foulards de couleurs que l’on met dans la poche arrière pour coder des affinités sexuelles

Des trajectoires identitaires spatialisées

Pour comprendre au mieux les perceptions et expériences des personnes qu’ils étudient, les deux panélistes prêtent attention aux contextes des pays d’origine, qui peuvent expliquer en partie cette difficulté à concilier plusieurs éléments identitaires. Ainsi, Mylène de Repentigny-Corbeil ne manque pas de rappeler le contexte marocain, qui condamne à la fois l’homosexualité et les relations extraconjugales dans son code pénal, aux articles 489 et 490 . De plus, l’interprétation majoritaire de l’islam condamne l’homosexualité ; cependant, la chercheuse met en lumière des interprétations coraniques prônant l’acceptation de l’autre comme « création d’Allah » par exemple, ou qui indiqueraient que « les croyant.e.s doivent agir en cohérence avec leur identité sexuelle » (de Repentigny-Corbeil).

Léon évoque la honte d’être homosexuel dans la communauté latino-américaine ainsi que le rejet véhiculé par l’entourage de la personne dans son pays d’origine, dû à l’orientation sexuelle. Il introduit aussi l’importance de la spatialité dans cette négociation identitaire, traduite par l’anecdote d’une personne interrogée, qui à sa mort, avait la volonté de partager ses cendres entre le Mexique, où résidait sa mère, et le Québec, témoignant de deux « imaginaires géographiques », et par le fait même deux imaginaires identitaires.

Des espaces où raconter et s’exprimer

Par leurs projets, la chercheuse et le chercheur ont pu donner la parole à des personnes immigrantes LGBTQ2+ à Montréal. Mylène de Repentigny-Corbeil a mis en valeur les témoignages de huit personnes désireuses de faire part de leurs expériences à Montréal ; Léon a élaboré une recherche participative en collaboration avec l’organisme REZO. En outre, la méthode du Photovoix utilisée par Léon s’est transformée en une occasion de dialogue interculturel, puisque les photos ont fait l’objet de l’exposition « ÉTRANGEr », dont le but était de promouvoir l’empowerment des HARSAH hispanophones. Mais les deux recherches, ainsi que le témoignage d’une participante au Midi font part d’un cruel manque de safe spaces et de ressources [1] pour ces personnes devant composer dans leur quotidien avec plusieurs types de discriminations.

Si ce Midi a été l’occasion d’assister à des témoignages riches nous offrant à présent des outils pour mieux envisager la complexité des parcours post-migratoires en contexte urbain, il nous rappelle également l’importance de créer des espaces où exposer et mettre en lumière les obstacles systémiques auxquels font face les nouveaux et nouvelles arrivant.e.s, à Montréal comme ailleurs. Comme les invité.e.s le rappellent, il faut d’abord miser sur l’information et la sensibilisation dans le but de mieux accompagner chaque personne dans son propre processus de définition identitaire.

[1] Pour leur travail communautaire visant le soutien des personnes immigrantes s’identifiant de près ou de loin à la communauté LGBTQ2+, les organismes AGIR, Helem et le comité diversité du GRIS-Montréal ont notamment été mentionnés comme ressources existantes au sein des discussions du Midi.

* Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser 6 rencontres par année, 3 à l’automne, 3 à l’hiver.