Compte rendu

Montréal participe! Conversations sur les 20 ans de l’OCPM : quels enseignements et quelles perspectives pour demain?

26 et 27 octobre 2022 (Montréal)

Par Justine Béchard, étudiante à la maîtrise en science politique (Université Laval); Jean-Sébastien Caron De Montigny, étudiant à la maîtrise en sciences sociales du développement, concentration développement territorial, Université du Québec en Outaouais (UQO); Augustin Décarie, étudiant à la maîtrise en science politique (Université de Montréal); Jérémy Hugonnier, diplômé à la maîtrise en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM); Claudia Larochelle, professionnelle de recherche et coordonnatrice, Centre de recherche en aménagement et développement et Villes Régions Monde (CRAD/VRM); Maxime Lelièvre, étudiant à la maîtrise en sciences sociales du développement, concentration développement territorial (UQO); Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

Présentation

Dans le cadre des célébrations du 20e anniversaire de création de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), le réseau Villes Régions Monde (VRM), avec la collaboration de professeur.es chevronné.es – Laurence Bherer, Mario Gauthier et Florence Paulhiac-Scherrer – et leurs étudiant.es de diverses universités québécoises, a organisé l’événement Montréal Participe! Conversation sur les 20 ans de l’OCPM présentant les résultats de leurs recherches sur la participation citoyenne, entre autres sous l’aspect de l’évolution des consultations, du rôle de l’OCPM à travers le temps, des constats sociaux de telles démarches, des leçons à en tirer. Durant ces deux journées d’activités, les participant.es ont été invité.es à de grandes conférences, des plénières et des ateliers participatifs. Des collaborateurs.trices internationaux on aussi été invité.es à présenter et participer aux différentes activités.

L’événement a été organisé sous la direction de Laurence Bherer (Université de Montréal), Mario Gauthier (Université du Québec en Outaouais) et de Florence Paulhiac-Scherrer (UQAM) en collaboration avec l’Office de consultation publique de Montréal et le réseau Villes Régions Monde.

Pour consulter le programme complet de l’événement

Montréal Participe, 26 et 27 octobre 2022

Photos : Sylvie Trépanier, photographe

Compte rendu de l’événement

Conférence d'ouverture : L’OCPM : les enseignements d’une institution

Par Jérémy HUGONNIER

Conférencier invité : Pierre HOUSSAIS, directeur, Prospective et dialogue public du Grand Lyon (France)

La conférence d’ouverture de Pierre Houssais aura permis d’introduire quatre grands thèmes constitutifs de la consultation publique à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Misant sur une approche comparative et praticienne, qui fait d’ailleurs état des liens de proximité développés entre l’OCPM et le Service de consultation publique du Grand Lyon, M. Houssais a cherché à établir un bref portrait de ces aspects fondamentaux constituant le socle même des pratiques de l’OCPM.

Le premier aspect abordé fut celui de tiers neutre. L’OCPM se distingue en effet de la consultation à la française[1] en raison de la distance créée par son statut d’institution autonome vis-à-vis de la Ville de Montréal. Cette distance permet à l’Office de se détacher, d’une part, des projets soumis à la consultation – puisque qu’il n’a aucun intérêt partisan et ne représente personne – et, d’autre part, d’exercer avec énormément d’acuité cette posture d’écoute et d’analyse propre aux processus de consultation. De plus, la présence d’un processus formel, adoptant ici une posture plutôt horizontale de gouvernance, contribue aux yeux de M. Houssais à garantir une certaine continuité dans les modes de consultation, renforçant au passage cette mécanique de la neutralité caractéristique de l’institution.

La seconde composante essentielle est celle de la transparence et de la sincérité de la démarche. M. Houssais souligne notamment que la capacité de l’OCPM à fédérer de nombreuses parties prenantes locales, mais surtout à conserver des comptes rendus écrits et vidéo des différents discours énoncés par ces dernières, contribue à assurer la transparence de l’institution. Cette codification de la parole citoyenne s’apparente dès lors à une responsabilisation des parties prenantes de part et d’autre du spectre municipal, face à certains enjeux locaux. Par ailleurs, ces éléments contribuent à la valorisation de l’exercice de prise de parole publique. En ce sens, le processus de consultation mis de l’avant par l’OCPM est en soi un service public, dont l’intérêt ne se situe pas uniquement au sein des finalités des divers projets, mais bien dans le processus réflexif entourant ces derniers.

Le troisième aspect est celui de la fonction de médiation qui découle de cette posture d’écoute active et d’analyse et qui répond en partie à un essoufflement général des démocraties occidentales. M. Houssais souligne ainsi la capacité de l’OCPM à effectuer des recommandations en fonction des propos recueillis lors des consultations. Cela permet en outre de dépolitiser la décision politique auprès des personnes élues, alors que l’objet même des consultations n’est pas orienté vers le politique, mais plutôt vers un portrait arbitraire des enjeux soulevés par un projet donné. L’étape que constituent les consultations de l’OCPM contribue ainsi à mobiliser les communautés concernées. Malgré le fait que ce processus de médiation soit parfois décevant, notamment en raison de l’épineuse question des suivis à la consultation, il favorise néanmoins l’essor d’un dialogue prompt au consensus et à l’atteinte de résultats collectifs en phase avec les communautés locales.

Le quatrième et dernier aspect constitutif de l’OCPM est la posture d’innovation. Pour M. Houssais, celle-ci est non seulement inhérente aux pratiques consultatives mises de l’avant à l’OCPM, mais elle se reflète également dans le plan méta qui chapeaute les institutions politiques montréalaises. L’OCPM s’inscrit en ce sens dans un écosystème d’innovation qui contribue à assurer un rôle prépondérant à la population dans les processus politiques municipaux. Cet espace nourrit le débat public en contribuant directement à la construction progressive de ce débat et à la politisation de ses enjeux. Cette posture d’innovation représente pour finir une caractéristique essentielle du système politique montréalais.

En conclusion, les propos de Pierre Houssais ont permis d’introduire de nombreux thèmes fondamentaux de la consultation publique. Ces derniers ont trouvé écho dans les ateliers proposés lors des deux jours de l’événement en définissant d’entrée de jeu les éléments constitutifs de l’OCPM. Cette allocution aura enfin lancé le colloque en pavant la voie aux interrogations soulevées par les intervenantes et intervenants, notamment celles sur les enseignements et les perspectives futures de la consultation publique.

 

[1] Aux dires de M. Houssais, ce type de consultation se caractérise principalement par une approche ponctuelle variant au gré des différents projets, où la consultation est parfois axée sur des échanges directs favorisant plutôt la confrontation des idées et l’opposition d’opinions plutôt que le modèle préconisé à l’OCPM.

Conversation 1 : Multiplier les espaces de participation pour inclure plus de citoyens : quelles leçons et quels défis pour la consultation publique?

Par Justine Béchard

Animation : Laurence BHERER, Université de Montréal

Intervenantes et intervenants : Martine BOIVIN, organisatrice féministe politique, Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec; Judith FERRANDO, codirectrice, agence Missions publiques et coprésidente, Institut de la concertation et de la participation citoyenne (France); Guy GRENIERconseiller spécial et coordonnateur des démarches participatives, OCPM; Nomez NAJAC, chargé de mobilisation, Parole d’excluEs; Francis SABOURIN, chef d’équipe – Vie citoyenne et relève, Concertation Montréal

Cette conversation, animée par Laurence Bherer, professeure titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal, vise à faire un premier bilan des efforts entrepris par l’OCPM pour développer des dispositifs participatifs plus inclusifs en consultation publique, mais aussi à présenter des initiatives de participation d’autres organisations. Une approche fondée sur des canaux multiples en participation publique permet d’entrer en contact et d’interagir avec une plus grande variété de publics. Cette approche sous-entend que les canaux, ou dispositifs, sont complémentaires, tout en conservant la pertinence d’un dispositif principal.

Dans une approche traditionnelle de la consultation, ceux et celles qui le désirent viennent présenter une opinion. Or, pour Guy Grenier, conseiller spécial et coordonnateur des démarches participatives, c’est maintenant une responsabilité de l’OCPM d’élargir cette participation. Au fil du temps, l’OCPM a mis à l’essai plusieurs activités pour que davantage de citoyennes et citoyens puissent prendre connaissance de l’information sur un projet avant de contribuer aux audiences publiques. Pour stimuler l’intérêt et la mobilisation pour les étapes suivantes de la démarche participative, il est question de diminuer le coût de la participation et de l’information, de rompre avec un formalisme parfois intimidant et de permettre l’inclusion de plus de parties prenantes et de groupes dans l’organisation de la participation. Bien que l’OCPM ne crée pas de contenu, il multiplie les méthodes pour outiller les personnes intéressées à réfléchir à l’objet de la consultation et à se prononcer sur celui-ci : questionnaires informatifs, jeux et trousses de consultation pour des activités contributives citoyennes, notamment. Les efforts de l’OCPM dans les dix dernières années semblent porter leurs fruits : on constate une évolution de la participation totale moyenne et du nombre de mémoires moyen. Cela soulève des questions auxquelles il sera essentiel de répondre dans les prochaines années en ce qui concerne la manière de compter et de mesurer la participation et la façon d’évaluer l’inclusion et la part de chacun des types de contribution; il faudra aussi s’attarder au rôle des analystes et des commissaires qui en font l’arbitrage.

Pour Francis Sabourin, chef d’équipe – Vie citoyenne et relève à Concertation Montréal, l’une des préoccupations principales est de trouver des façons de bonifier des processus plus formels. Concertation Montréal se veut une organisation cherchant à favoriser la participation citoyenne et à accélérer la transition écologique en créant des liens entre les personnes élues et les leaders socioéconomiques. Pour bonifier des processus plus formels, on insiste notamment sur la ludification des projets, sur l’importance de multiplier les espaces de consultation et de diffusion et sur la facilitation de la compréhension du langage entre les parties prenantes institutionnelles, universitaires et communautaires. Concertation Montréal s’est entre autres interrogée sur la façon d’intégrer d’autres types de populations, comme les plus jeunes. L’organisation cite à titre d’exemple la participation des enfants à ses activités de consultation et la coconstruction d’un vocabulaire, d’une méthodologie qui leur permet de prendre part aux différents projets d’urbanisme, notamment par le jeu. Selon M. Sabourin, ce sont aux institutions à s’adapter à la réalité des jeunes plutôt que l’inverse.

L’organisme Parole d’excluEs, qui vise à lutter contre l’exclusion et la pauvreté par la participation citoyenne, était représenté par son chargé de mobilisation Nomez Najac. Celui-ci a parlé du caractère innovateur de la démarche de l’organisme : ses locaux se trouvent dans des appartements réaménagés en espaces de coworking qui favorisent les liens avec la communauté. L’organisme a eu l’occasion d’employer la boîte à outils de l’OCPM dans le cadre d’une activité contributive citoyenne, afin de déposer un mémoire pour favoriser la diminution des effets du racisme dans les services à la population. Il a également aidé au dépôt d’un mémoire d’un groupe de mères de Montréal-Nord à propos de la sécurité urbaine dans le cadre de la Commission Laurent. M. Najac mentionne que l’OCPM permet de formaliser et d’orienter la participation de personnes marginalisées, leur parole pouvant être recueillie par l’intermédiaire de leurs réseaux sociaux naturels et d’activités socioculturelles auprès des intervenantes et intervenants du milieu communautaire avec qui elles se sentent en confiance.

Martine Boivin, organisatrice féministe politique, présente les constats du projet Femmes et environnement du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec. Parmi les freins à la participation et à la prise de parole des femmes, elle mentionne le fait que les audiences publiques du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) peuvent être vécues difficilement pour différentes raisons : contraintes financières, niveau de compréhension de termes techniques, préparation nécessaire, sentiment de ne pas être bien écoutées ou disposition de salle. Les réseaux communautaires peuvent être des alliés pour rendre l’information accessible aux femmes à la croisée des oppressions et des Premières Nations et il est possible de réaliser des séances publiques d’information qui les aideront à mieux se préparer. Les femmes et les groupes de femmes ne peuvent pas être les seuls à porter les enjeux d’égalités, d’où l’importance de former les membres des instances de consultation. Également, l’alternance des tours de parole peut être sensible au genre et la réalisation de groupes non mixtes peut être envisagée dans certaines circonstances. Enfin, plus de données genrées doivent être compilées et il y a des efforts supplémentaires à faire pour accueillir les propositions des femmes dans des audiences publiques.

Judith Ferrando, codirectrice de l’agence Missions publiques et coprésidente de l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne (France), rappelle qu’il n’y a pas qu’une seule bonne méthode pour promouvoir l’inclusion. Comme les autres panélistes, elle fait part de freins pratiques, tels que les horaires de rencontre mésadaptés pour les familles et symboliques pour des citoyennes et citoyens qui estiment ne pas avoir l’expertise nécessaire pour communiquer leur opinion. Différents cas de participation qui sortent des sentiers battus sont abordés, notamment le parlement mobile de la ville de Bordeaux qui permet de susciter des échanges inusités dans l’espace public. Un autre point marquant est l’importance d’adapter les dispositifs au public, par exemple pour entrer en contact avec des personnes en situation de handicap par l’intermédiaire de sessions en ligne. Des questionnements sont soulevés en ce qui a trait à la mobilisation dans la durée et aux asymétries qui se creusent à mesure qu’augmente l’engagement suscité par les activités de consultation; ces questionnements portent aussi sur les façons de faire dialoguer les diversités. Représenter une population diversifiée, c’est également parler au nom de celles et ceux qui ne sont pas présents, y compris les générations futures.

Conversation 2: Transférer les pratiques de participation publique au Québec : le modèle de l’OCPM peut-il inspirer d’autres municipalités?

Par Flandrine LUSSON

Animation : Mario GAUTHIER, UQO

Intervenantes et intervenants : Jean-Sébastien CARON DE MONTIGNY, étudiant à la maîtrise en sciences sociales du développement, concentration développement territorial, UQO; Julie CARON-MALENFANT, présidente, Office de participation publique de Longueuil (OPPL), Ville de Longueuil; Luc DORAY, secrétaire général, OCPM; Lise FILIATRAULT, présidente de l’association de quartier Les Amis de Wychwood et membre du Collectif des associations de résidents de Gatineau

Le « mimétisme institutionnel » est une notion importante en science politique : les institutions, sans se copier, s’inspirent largement de ce qui a été fait avant et peuvent soit transférer intégralement un modèle, soit en faire des adaptations – à l’image du budget participatif, diffusé mondialement, repris et largement adapté en fonction des contextes. Mais cela peut aussi signifier la perte du modèle original. Quelles sont les potentialités d’adaptation et de transfert du modèle de l’OCPM? Quatre cas de villes sont au cœur de cette conversation : Montréal, Gatineau, Longueuil et Sherbrooke.

Luc Doray, secrétaire général de l’OCPM, explique que l’Office est né d’une structure et d’une procédure largement inspirées du modèle du BAPE. Ensuite, le modèle s’est progressivement diversifié avec des modalités de consultation beaucoup plus dynamiques et qui inspirent aujourd’hui de nombreuses autres villes comme Gatineau, Québec, Sherbrooke, Rio de Janeiro et Porto Alegre. Modèle inspirant, il nécessite cependant un coup de pouce du pouvoir législateur, ou sinon une volonté politique très ferme. Également, si la réplicabilité est possible, elle doit s’adapter aux contextes locaux. Quatre principaux éléments sont réplicables selon M. Doray : 1) La création d’un cadre réglementaire législatif qui assure l’indépendance ou une distance entre la structure et le politique. À Montréal, la charte est indispensable pour assurer cette neutralité. 2) S’assurer que les commissaires n’ont pas d’intérêts dans les dossiers; elles et ils sont sur appel et sont rémunérés lorsque leurs services sont requis, afin de créer une relation de confiance avec les citoyennes et citoyens. 3) Rendre toute l’information disponible. 4) Définir les objets de consultation qui seront pris en charge par l’Office. Avec ce climat, l’institution peut prouver après quelques réalisations que le modèle fonctionne. Enfin, l’ensemble de ces caractéristiques sont transférables à un coût relativement faible à l’échelle d’une administration; ce sont les procédures qui assurent la viabilité de l’institution.

Lise Filiatrault représente un collectif de 26 associations de résidentes et résidents de Gatineau. Depuis le forum citoyen de 2015 tenu à Gatineau, elle explique que la Ville et les associations se sont engagées dans la création d’un office de consultation publique inspiré d’une combinaison d’expériences et de bonnes pratiques réalisées au Québec. Cependant, à la suite des élections de 2021, le conseil a voté majoritairement en faveur du retrait du budget de l’office (100 000 $) et de l’abandon du projet. Face à la levée de boucliers déclenchée dans le secteur associatif, la Municipalité a finalement voté pour la mise en place d’un comité sur la participation qui fera le suivi du projet. Lise Filiatrault explique que les demandes citoyennes sont claires à Gatineau : une structure indépendante et transparente est réclamée afin de favoriser sa pérennité et assurer un suivi des recommandations. Les associations ne souhaitent plus être considérées comme des organismes d’animation communautaire ou de quartier, mais comme des parties prenantes dans des dossiers d’aménagement du territoire. Elles veulent aussi comprendre pourquoi elles sont consultées et comment leurs apports sont utilisés. Lise Filiatrault donne l’exemple d’une victoire pour le collectif dont elle est membre : lors de la consultation du dernier plan d’urbanisme, l’administration a produit un tableau qui listait toutes les propositions faites dans les mémoires et qui justifiait pourquoi elles ont été retenues ou non. Elle estime que cette initiative devrait être réitérée.

Julie Caron-Malenfant est la présidente du nouvel Office de participation publique de Longueuil (OPPL), né en juin 2022 sur la base d’une volonté politique municipale et dont le modèle est calqué sur celui de l’OCPM. En tant qu’innovation dans la machine politique et administrative municipale, la fondation d’une telle institution pose des défis. Julie Caron-Malenfant explique que tout est alors à créer, à commencer par la modification de la charte. Le premier défi est donc de penser et d’élaborer toute la structure administrative qui sous-tend le projet. Le deuxième est de se doter de balises de fonctionnement et de règles procédurales claires. Le troisième défi est de faire en sorte que l’initiative soit connue et comprise de tous les publics : population, personnes élues, fonctionnaires, promotrices et promoteurs, médias. Le quatrième défi est d’accomplir des mandats avant même d’avoir une structure organisationnelle en bonne et due forme, comme l’OPPL l’a fait dans le cas de l’aéroport de Longueuil. Le cinquième défi est de faire la démonstration que l’office n’est pas seulement le fruit d’une volonté politique, mais aussi d’une demande latente citoyenne. Parmi tous ces défis auxquels fait face l’OPPL, le plus grand pour les trois prochaines années est de démontrer une contribution à la fois productive et constructive pour l’ensemble des actrices et acteurs du territoire. Pour relever ce défi, l’OPPL peut compter sur des leviers importants comme l’appui et la confiance du conseil municipal, la vague de soutien du milieu de la participation publique, la soif de la population à contribuer à la vie démocratique, la nouvelle mouvance municipale et, enfin, la charte qui garantit sa stabilité.

Jean-Sébastien Caron de Montigny est étudiant à la maîtrise en sciences sociales du développement à l’UQO et a mené un stage en milieu pratique à l’OCPM pour étudier la question du transfert des pratiques de l’OCPM à d’autres contextes municipaux québécois. Pour son intervention, M. Caron de Montigny s’est concentré sur le cas de la ville de Sherbrooke. Là aussi le projet est né d’une volonté politique locale. Jusqu’à maintenant, les consultations réalisées ne font pas l’objet d’un suivi. Seuls les enregistrements des consultations sont disponibles et la population exprime son malaise à ce que la Ville ou les promotrices et promoteurs mènent leurs propres consultations. Dans ce cas-là, l’OCPM est vu comme un modèle qui vient directement répondre à ces enjeux. La différence avec la ville de Longueuil est que le conseil municipal est minoritaire à Sherbrooke. Le projet avance donc lentement et suscite de la confusion : citons notamment la volonté de la Ville de créer un secrétariat à la fois interne et externe à l’administration municipale tout en souhaitant lui donner une pluralité de compétences, comme la révision et l’application de la politique de participation publique actuelle. Ces exemples démontrent que l’adaptation du modèle de l’OCPM est très dépendante du contexte municipal local. Enfin, un défi commun à Sherbrooke et à Longueuil, en comparaison avec Montréal, est la taille de leurs territoires. Cela implique un plus petit nombre de projets urbains, et donc une mise à l’échelle de l’office, mais amène aussi ces municipalités à élargir leurs sujets de participation à d’autres enjeux comme le plan climat, les services rendus par les arrondissements, les politiques culturelles, l’itinérance ou encore le logement.

Conversation 3 : La contribution des dispositifs participatifs à la transition écologique des territoires au Québec

Par Maxime LELIÈVRE

Animation : Florence PAULHIAC-SCHERRER, UQAM

Intervenantes et intervenant : Corinne ASSELIN, directrice du développement, Municipalité de Petit-Saguenay; Juliette CHARPENTIER, candidate à la maîtrise en études et interventions régionales, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Sophie L. VAN NESTE, professeure en études urbaines, (INRS); Franck SCHERRER, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage (Université de Montréal)

Cette conversation, animée par Florence Paulhiac-Scherrer, professeure titulaire au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, vise à mieux saisir le rôle des populations et parties prenantes locales dans la mise sur pied de projets visant à contribuer efficacement à la transition socioécologique du Québec. La discussion est notamment l’occasion d’examiner la portée de quelques dispositifs participatifs et collaboratifs axés sur les enjeux de transition, lesquels ont été déployés récemment dans divers contextes et à différentes échelles.

Sophie L. Van Neste, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine, débute la conversation en abordant les défis de la gouvernance partagée au niveau local; elle témoigne d’une recherche-action qu’elle a réalisée dans le cadre de l’initiative d’écoquartier de Lachine-Est. En partenariat avec la Ville de Montréal, l’arrondissement intègre des dispositifs de participation publique dans le but de coconstruire une vision pour la transition socioécologique à venir. L’intervenante raconte son expérience au sein des groupes de travail animés en pleine pandémie par la table de concertation Concert’Action Lachine. Malgré le contexte difficile, l’organisme a réuni une diversité de parties prenantes, créant ainsi un espace de discussion autour de projets d’avenir pour une variété de groupes d’intérêts. Des observations tirées de ces rencontres, elle note quelques autres points forts : des apprentissages communs ont notamment été mis de l’avant par l’échange de perspectives, et le projet a fait l’objet de suivis effectifs. L’intervenante mentionne en revanche quelques limites de la concertation, citant une certaine asymétrie de pouvoir entre les participantes et participants; un manque de visibilité propre au contexte et au nombre de ressources disponibles pour publiciser les rencontres; et certaines attentes de la part des parties prenantes allant au-delà des capacités de l’organisme. Elle termine en rappelant que ces défis et bons coups incarnent l’importance de la préservation, de l’amélioration et de la création d’espaces inclusifs et accessibles en participation publique dans la planification et l’aménagement territoriaux.

Corinne Asselin, directrice du développement à la Municipalité de Petit-Saguenay, présente ensuite un projet de développement d’un écoquartier participatif, une idée innovante pour la transition socioécologique sur son territoire. Dans le cadre de cette première initiative du genre en région rurale, la population a été sollicitée à participer à la définition du projet via des rencontres en formule hybride. Ensuite, un comité de pilotage composé d’une variété de parties prenantes a eu pour mission de créer une vision commune pour l’avenir du quartier. Corinne Asselin souligne d’abord que la force principale de ce projet repose sur l’accès aux ressources grâce à la participation active de la Municipalité. Elle ajoute que cette mobilisation est aussi présente chez les parties prenantes du transport actif et de la sécurité alimentaire ainsi que chez divers promoteurs et promotrices. À l’instar de la première intervenante, Corinne Asselin mentionne certains freins à la démarche participative en mode virtuel, tels que l’épuisement des personnes participantes ou le manque de temps à y consacrer. L’écoquartier reste tout de même un « projet de vie » qui s’intègre bien aux autres initiatives de la municipalité, ce qui encourage l’échange d’information et la création de lieux de conversation entre les parties prenantes et les citoyennes et citoyens concernés.

Juliette Charpentier, écoconseillère et candidate à la maîtrise à l’UQAC, est responsable de plusieurs mandats au sein de la municipalité de Petit-Saguenay. Elle raconte le travail qu’elle a accompli auprès de la population dans le cadre d’un stage Mitacs afin d’établir un récit collectif d’avenir – une vision commune – pour le futur du territoire. Cette démarche s’inscrit dans un contexte plus large, celui du Grand dialogue régional pour la transition socioécologique du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Afin d’entendre les points de vue de la population et de susciter une vaste participation citoyenne, Juliette Charpentier a réalisé 19 activités ludiques, festives et rassembleuses. De cette manière, elle a réussi à interpeller la moitié de la population de la municipalité, recueillant plus de 400 éléments de réponse significatifs pour la construction d’un récit d’avenir commun.

Franck Scherrer, professeur titulaire à l’Université de Montréal, termine cette conversation avec une présentation des grands défis présents et à venir pour la transition socioécologique au Québec. Il souligne notamment le défi de la projection collective dans un avenir incertain. Il présente ensuite l’initiative Chemins de transition, un projet innovant où son équipe et lui-même ont récolté une diversité de réflexions et ont cerné des tendances et des comportements susceptibles de constituer les « ingrédients du futur » nécessaires à la création de récits prospectifs pour engager le Québec dans une transition souhaitable d’ici 2042. Suite à la définition d’une vision collective, l’objectif est de cartographier les chemins à prendre afin d’atteindre ce futur souhaitable. Enfin, la dernière étape vise à propager cet outil à travers le partage, la mobilisation et l’éducation. Franck Scherrer termine en rappelant, tout comme l’ont fait les autres intervenantes, l’aspect fondamentalement démocratique et radical de la transition ainsi que l’importance de non seulement consulter les populations, mais aussi d’outiller les territoires afin d’arriver à une transition réussie.

Conversation 4: Le droit d’initiative en matière de consultation publique : une méthode souple de démocratie directe?

Par Augustin DÉCARIE

Animation : Laurence BHERER, Université de Montréal

Intervenants : Matthew CHAPMAN, requérant, dépendance aux énergies fossiles; Luc GALLANT, requérant, Mobilisation 6600; Charles MONTPETIT, requérant, contrôle des circulaires; Jules PATENAUDE, conseiller en consultation et participation publiques

Présentation du droit d’initiative

Laurence Bherer explique qu’en vertu du droit d’initiative (DI), les personnes de 15 ans ou plus qui résident à Montréal peuvent obliger la Ville à organiser une consultation publique sur le sujet de leur choix. Pour ce faire, les personnes requérantes doivent collecter un nombre suffisant de signatures, qui est de 15 000 pour les initiatives touchant la ville dans son ensemble et qui est moindre pour celles ne visant qu’un seul arrondissement. Les projets de pétition sont étudiés par le Service du greffe et doivent être de juridiction municipale. Les consultations peuvent être confiées à l’OCPM ou à une commission de la Ville.

Jules Patenaude, fonctionnaire retraité de la Ville de Montréal, offre ensuite une description du contexte dans lequel le DI a vu le jour à Montréal. Il explique que le droit d’initiative était une revendication de la société civile depuis 1988. Toutefois, l’idée a réellement gagné du terrain lors des fusions municipales et s’est imposée avec les discussions sur la démocratie participative lors du Sommet de Montréal en 2002. Le droit d’initiative ainsi que la Charte montréalaise des droits et responsabilités sont nés de cette rencontre entre l’administration publique et la population. Ce droit est le fruit du Chantier sur la démocratie, une instance composée de membres de la société civile montréalaise.

Les expériences des requérants

Les discussions se tournent ensuite vers les expériences de Luc Gallant, Matthew Chapman et Charles Montpetit, trois Montréalais ayant utilisé avec succès le droit d’initiative pour lancer des consultations publiques. Luc Gallant a raconté avoir choisi d’entamer cette procédure en réaction à l’arrivée de Ray-Mont Logistiques dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. L’entreprise avait l’intention de bâtir un centre de transbordement près de la résidence de M. Gallant. Le projet de Cité de la logistique, dans lequel s’inscrivaient la construction du centre et le prolongement du boulevard de l’Assomption, avait démarré sans consultation publique. La population, dont M. Gallant, souhaitait accroître la visibilité de son opposition au développement industriel de son quartier. Charles Montpetit souhaitait quant à lui réduire le gâchis environnemental occasionné par les sacs publicitaires. Il voulait que ces sacs soient uniquement distribués aux résidentes et résidents ayant explicitement consenti à les recevoir. Enfin, Matthew Chapman, dans le contexte de la COP21 à Paris, désirait recentrer l’action locale dans les discussions sur la lutte aux changements climatiques.

Les expériences vécues par les participants avec la collecte de signatures ont été très différentes. D’abord, Matthew Chapman n’a pas eu à en recueillir, puisque l’administration Coderre a accepté d’organiser une consultation aussitôt le projet d’initiative déposé au Service du greffe. Que la Ville ait ainsi « court-circuité » la procédure a, selon M. Chapman, freiné la campagne dans sa lancée. En effet, la réalisation d’une pétition aurait selon lui permis d’élargir les appuis à son mouvement et d’augmenter l’attention accordée à ses revendications. De son côté, Charles Montpetit a préparé sa campagne en créant un site web et une page Facebook. En plus, il a distribué des tracts et récolté des courriels lors de manifestations écologistes. Il avait donc déjà un réseau étendu de sympathisantes et sympathisants quand il a déposé son projet de pétition. Son initiative a rapidement levé, car il a été interviewé à des dizaines de reprises par les médias. Aussi, pour la première fois, les 15 000 signatures pouvaient être recueillies en ligne. Ensemble, tous ces facteurs ont provoqué la réussite éclatante de la campagne, qui n’a duré que six jours. Enfin, pour Luc Gallant, le processus de collecte des 6600 signatures nécessaires a été certes ardu, mais aussi valorisant. Il lui a permis de tisser des liens dans le voisinage et de former une communauté de militantes et militants dont l’activité persiste à ce jour. Bref, la pétition représente un obstacle qui demande l’organisation de la société civile pour être surmonté. La mise en réseau des citoyennes et citoyens qui en découle semble tout de même favoriser la vigueur et la durée de la mobilisation au sein des luttes liées à l’initiative.

Les effets de l’initiative

Tous les militants affirment que les résultats de leur initiative ont dépassé leurs attentes en matière d’effets sur les politiques publiques. Pour les sacs publicitaires, la victoire est totale, car toutes les demandes mises de l’avant par Charles Montpetit ont été adoptées. Qui plus est, l’enjeu a été repris dans plus de 50 municipalités du Québec. Par ailleurs, la Ville a adopté trois des quatre recommandations du collectif de Matthew Chapman, la dernière étant toujours à l’étude. Finalement, Luc Gallant estime que la mobilisation citoyenne a eu pour effet de légitimer la cause de son groupe de voisines et voisins. Leur engagement politique a freiné le développement de leur secteur résidentiel. Certains gains ont aussi été obtenus, comme la protection des boisés Vimont et Steinberg.

Malgré ces succès, MM. Montpetit et Chapman critiquent la classe politique municipale pour sa passivité face aux enjeux soulevés par les consultations. Selon eux, les changements législatifs sont surtout attribuables à la pression constante de la société civile plutôt qu’à la proactivité de la classe politique. Par ailleurs, les requérants n’ont pas aimé que leurs dossiers soient soumis à une consultation publique tenue par des commissions du conseil de ville. Charles Montpetit y voit un conflit d’intérêts clair, car les membres de la classe politique critiqués par son initiative siégeaient à la commission chargée de l’étudier. En revanche, les requérants ayant fait affaire avec l’OCPM lui réservent des éloges sur son professionnalisme, sa capacité à favoriser un débat ouvert et ses pratiques innovantes.

Somme toute, la première décennie du droit d’initiative indique qu’il constitue un élément pertinent et utile pour la participation citoyenne à Montréal, puisqu’il accorde à la société civile un véritable pouvoir de mise à l’agenda.

Conversation 5: Évaluer les effets de la participation sur les décisions publiques : la question des suivis des recommandations de l’OCPM

Par Jérémy HUGONNIER

Animation : Mario GAUTHIER, UQO

Intervenantes et intervenants : Judith FERRANDO, codirectrice, agence Missions publiques et coprésidente, Institut de la concertation et de la participation citoyenne (France); Olivier LÉGARÉ, urbaniste et conseiller en aménagement, Arrondissement Ville-Marie, Ville de Montréal;Bochra MANAÏ, commissaire, Bureau de la lutte au racisme et aux discriminations systémiques (BRDS), Ville de Montréal; Louis SIMARD, professeur titulaire, École d’études politiques, Université d’Ottawa; Joseph TCHINDA KENFO, analyste et responsable de la mobilisation, OCPM

Parmi les questions de fond qui guident une part importante des réflexions engagées lors du colloque figure celle des suivis de la consultation. Plus généralement, on demande comment s’assurer que les espaces consultatifs et participatifs influencent la décision politique. Les différents intervenants et intervenantes de cette conversation ont ainsi été conviés par Mario Gauthier à se prononcer sur la relation entre participation et décision, et plus spécifiquement sur les potentialités de l’horizon d’action inhérent à la consultation dans une perspective de pérennité de son pouvoir démocratique, mais aussi comme forme d’opposition critique à une démocratie dite événementielle.

La première intervention, celle de Joseph Tchinda Kenfo, a permis de mettre l’accent sur la perception interne que soulève le suivi de la consultation à l’OCPM. Cela contribue à replacer cette tension entre participation et décision au sein même du processus technique consultatif mené par l’OCPM. Via cette dimension technique, M. Tchinda Kenfo insiste sur l’importance des recommandations comprises comme « la représentation citoyenne de l’action publique et de l’opinion citoyenne ». Dès lors, la qualité des recommandations émises par l’OCPM constitue la première étape d’un suivi efficace de par la qualité de représentation des opinions citoyennes recueillies lors de la consultation. Les recommandations sont aussi un devenir qui comprend une interprétation précise de la consultation et une vision du futur à mettre en œuvre.

Ces propos ont constitué une introduction pertinente à l’intervention de Bochra Manaï : en tant que commissaire au BRDS, Bochra Manaï œuvre directement à l’actualisation du souhait citoyen à l’égard d’un changement concernant la question du racisme institutionnel à l’échelle montréalaise. L’acceptation par la Ville de Montréal des recommandations de l’OCPM sur la question du racisme systémique agit en partie comme une boussole guidant l’action de la commissaire dans ses fonctions. Plus spécifiquement, la légitimité de la volonté citoyenne provient directement de l’effort consultatif mené par l’OCPM. Une part du pouvoir transformatif de la population se situe donc dans ces recommandations dont l’application pratique à l’intérieur de l’appareil institutionnel montréalais permet le changement au sens large. À ces éléments s’ajoute, pour Bochra Manaï, l’importance de la transparence du processus consultatif menant à ces recommandations et celle de la reddition de comptes et du bilan dans la mise en œuvre de ces recommandations; c’est ainsi que le suivi du processus décisionnel pourra être fait auprès de la population.

En ce qui concerne les suivis, une part de la réponse se retrouve selon Olivier Légaré dans le pouvoir technique de l’urbanisme. En effet, cette discipline sert à accompagner le politique dans la concrétisation de visions de la ville. En ce sens, les processus consultatifs de l’OCPM ont contribué au déplacement des prescriptions techniques – parfois insensibles aux différents contextes sociaux de l’urbanisme traditionnel – vers un mode d’expression partagé : dans l’arrondissement Ville-Marie, ce mode se reflète dans le tableau de suivi[1] faisant suite aux consultations entourant le Programme particulier d’urbanisme (PPU) des Faubourgs 2018-2020. Ce dernier s’appuie sur l’expertise citoyenne en mettant l’accent sur le développement de la valeur d’usage au sein même des milieux de vie. Bien que le recours à cet outil se soit fait de manière organique, ce type d’innovation constitue un exemple probant du déplacement de la logique urbanistique souligné par Olivier Légaré et de la capacité de suivi des instances urbaines.

L’intervention de Judith Ferrando aura quant à elle permis d’apporter une certaine nuance face aux défis de la participation citoyenne, par l’intermédiaire d’une brève comparaison avec la France. Elle souligne notamment que l’OCPM permet de répondre à l’amnésie institutionnelle des États en offrant un espace distinct à la parole citoyenne. Cette parole, qui diffère du langage technocratique, évoque nécessairement un autre rapport au politique qui mérite d’être souligné dans les bilans et le suivi des processus participatifs. Outre leur impact éventuel sur les politiques publiques, les processus consultatifs et participatifs possèdent aussi un potentiel transformatif sur le plan micro-individuel qui change directement le rapport de la population au politique. Cette dynamique, très peu présente dans les suivis à la participation, est toutefois partiellement prise en charge par la capacité de l’OCPM à conserver une trace de la parole citoyenne. La question des suivis est donc intimement liée à la sous-utilisation, par le politique, de la parole citoyenne. Selon Judith Ferrando, une amélioration des processus consultatifs, notamment par des questions mieux adaptées aux réalités citoyennes, devrait contribuer à un meilleur suivi et à un usage accru des opinions citoyennes au niveau institutionnel.

Enfin, l’intervention de Louis Simard aura permis de seconder les propos de Judith Ferrando, en approfondissant les effets et les rapports entre la démocratie participative et représentative et ses parties prenantes. Bien que les personnes élues aient traditionnellement le rôle de spécialistes du politique, on constate aujourd’hui que les citoyennes et citoyens ont quant à eux une expertise en matière de quotidienneté. Si leur participation aux différents processus de consultation transforme leur propre rapport individuel au politique, elle constitue également un nouveau moteur démocratique. Louis Simard souligne ainsi que la participation sans pouvoir est insuffisante, particulièrement dans le contexte d’essoufflement démocratique soulevé lors de la présente conversation. Il importe donc de démontrer les effets de la participation sur la décision dans une perspective de valorisation de l’exercice démocratique. L’accumulation progressive de processus consultatifs et participatifs contribue dès lors au déploiement d’un effet d’institutionnalisation devant ultimement mener à un raffinement des dispositifs participatifs. Ce phénomène, qui implique une certaine organicité dans la mise en œuvre de pratiques de suivi à la décision comme le soulignait plus tôt Olivier Légaré, doit en définitive s’exprimer dans la capacité intrinsèque de politisation de certains enjeux publics chers à la population. Cela dit, il doit aussi se refléter dans les mécanismes de suivis aux décisions politiques et leurs justifications face aux différentes instances de participation publique.

Pour conclure, cette conversation aura d’abord permis d’établir des liens entre la nécessité de faire un suivi à la consultation dans une perspective de renforcement des pratiques démocratiques inhérentes à la consultation publique. Ensuite, il nous aura offert un regard privilégié sur les mécanismes déjà en place auprès de l’OCPM, du BRDS et de l’arrondissement Ville-Marie avec notamment le recours aux recommandations et le tableau de suivi. Finalement, il a également été question de l’importance du pouvoir transformatif des différents processus de consultation et de participation auprès de la population et de l’apport démocratique concret que permettent ces exercices démocratiques dans le processus plus large de politisation. De là l’importance d’assurer un suivi à la consultation publique pour contribuer à renforcer le lien entre les personnes élues – et plus généralement le politique – et les citoyennes et citoyens.

[1] Ce tableau est un outil de suivi des recommandations formulées par l’OCPM qui reprend concrètement les recommandations issues du rapport : il indique si chaque recommandation est mise en usage ou non, justification à l’appui, ou précise la nature des modifications ou des ajouts apportés aux recommandations par rapport à l’objet présenté en consultation, le cas échéant.

Conversation 6: Les enjeux orphelins de la mobilité : comment débattre de santé, d’inclusion, et d’équité?

Par Flandrine LUSSON

Animation : Florence PAULHIAC-SCHERRER, UQAM

Intervenantes et intervenants : Theophil HABERSTROH, directeur de programmes – Mobilité durable, Coop Carbone; Camille KOUÉYOU, candidate à la maîtrise en science politique, Université de Montréal; Pascal LACASSE, urbaniste – Chef de division des plans et des politiques, Ville de Montréal; Marc-André LAPOINTE, analyste, OCPM; Sophie PAQUIN, professeure en études urbaines, UQAM

La mobilité est au cœur des politiques, des projets urbains et des débats sociaux et politiques soumis à consultation depuis 20 ans à l’OCPM. Cependant sa place, son importance et les définitions qui l’accompagnent se sont profondément transformées à travers le temps. Une transformation sémantique intéressante témoigne d’un passage progressif de la notion de transport vers celle de transport durable, puis vers les notions de mobilité, de mobilité durable et, aujourd’hui, de mobilité sobre et équitable dans une perspective de transition socioécologique. Notion pluridimensionnelle, la mobilité ne regroupe pas que les infrastructures de transport, mais aussi toutes les dimensions sociales et économiques en jeu. La conversation vise ainsi à s’interroger sur la portée des évolutions entourant la mobilité à travers 20 ans de consultation à l’OCPM.

Camille Kouéyou, étudiante à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal, a réalisé une recherche au sein de l’OCPM afin de répondre aux questions suivantes : comment les dimensions sociales de la mobilité sont-elles prises en compte et lesquelles sont présentes dans les consultations? Son étude approfondie de 30 consultations publiques tenues entre 2007 et 2020 démontre un tournant à partir de 2015. En effet, à partir de cette date, plus de consultations abordent la mobilité comme une dimension centrale des projets urbains, pour en arriver en 2018 au nombre le plus important de consultations sur le sujet. Cependant, son analyse révèle que les questions sociales, de santé et d’équité sont les grandes absentes des consultations. En revanche, les thématiques les plus présentes sont celles des infrastructures et des services de transport, de la sécurité des déplacements ainsi que du partage et de l’aménagement de l’espace public. Les enjeux d’équité et la dimension sociale de la mobilité sont réellement intégrés aux discussions à partir de 2018. Un second enjeu soulevé par Camille Kouéyou révèle que si les consultations, en tant que forums politiques, ouvrent la possibilité de discuter de ces questions plus en profondeur avec l’ensemble des parties prenantes concernées, 30 % des consultations se font dans l’arrondissement Ville-Marie et 18 % dans celui du Sud-Ouest alors que d’autres arrondissements, comme Montréal-Nord ou Saint-Léonard, sont absents.

Marc-André Lapointe, analyste à l’OCPM, explique que les questions de « mobilité » sont arrivées assez récemment dans les consultations de l’Office. Les opinions et les mémoires des gens se font beaucoup plus précis par rapport aux situations particulières que vivent des populations dans des secteurs donnés. La consultation actuelle sur le projet de ville Réflexion 2050 en témoigne bien, d’ailleurs. Comme l’OCPM ne s’appuie que sur les contenus des consultations et sur les documents que la Ville produit, cette évolution démontre un tournant social et politique de la prise en compte du sujet. Sept ans après le Protocole de Kyoto, la Ville souhaitait développer le transport collectif. Des plans d’action sectoriels municipaux plus récents accompagnent ces changements, comme le plan d’action pour les aînés de 2012, la politique de l’enfance de 2015, le Réseau express métropolitain (REM) de même que la consultation Racisme et discrimination systémiques. Tout un apprentissage se fait : les mémoires s’enrichissent au fil du temps et les sensibilités s’aiguisent. Avec Réflexion 2050, l’OCPM rapproche encore un peu plus la loupe en concentrant son attention sur des populations précises et sur ce qu’elles vivent. Par exemple, la population de cyclistes est de plus en plus féminine, mais il s’agit principalement de femmes blanches des quartiers centraux. Il faut donc nuancer encore davantage la compréhension des enjeux. De son côté, la Ville accompagne également ces changements en demandant à l’Office de consulter en priorité des groupes qui ne participent pas d’ordinaire à ses processus formels.

Sophie Paquin, professeure en études urbaines à l’UQAM, poursuit et explique que les effets de l’automobile sur la santé des individus ont progressivement amené cet enjeu dans les débats sociaux et les politiques, mais que les questions d’inégalités sociales, comme celles du genre et de l’âge, sont beaucoup moins soulevées. Elles sont souvent perçues comme des notions abstraites et sont traitées dans l’ordre des principes par les pouvoirs publics. Mais lorsqu’il s’agit de les traduire en mesures ou en processus de participation, puis en actions, les défis sont grands. Les concepts d’équité ou de justice environnementale ont réellement commencé à être mobilisés dans les années 2000. Sur le plan consultatif, ils portent à la fois sur la mise en place de dispositifs pour que tous et toutes puissent participer (justice procédurale), sur la répartition des nuisances et des ressources selon les groupes (justice distributive) et sur la reconnaissance de ces enjeux. Selon Sophie Paquin, si l’OCPM a quand même montré un intérêt pour une meilleure justice procédurale, certaines populations continuent de ne pas participer aux consultations. Celles-ci sont encore basées sur la captation des savoirs d’usage plutôt que sur une participation à l’élaboration de stratégies urbaines. Cela finit par dépolitiser les débats sans prendre en compte certaines mesures d’atténuation demandées. De nouvelles catégories d’analyses existent néanmoins et sont mises en place à Montréal. Sophie Paquin cite à ce titre l’analyse différenciée selon le genre, l’origine ethnique et géographique et le revenu, et selon des perspectives intersectionnelles. Ce type d’analyse permet d’interroger les inégalités sociales de façon plus précise, mais aussi d’augmenter le pouvoir d’agir des participantes et participants lors des consultations.

Pascal Lacasse, urbaniste à la Ville de Montréal, explique que les plans d’urbanisme et de transport sont des documents légaux dans lesquels l’humain ou l’individu est a priori inexistant. Ces plans visent avant tout à répondre à des objectifs comme la réduction des nuisances ou le manque de densité. Ils sont élaborés pour être au service de l’ensemble de la communauté et non de groupes ou d’individus en particulier. Dans le transport, jusqu’à maintenant, la notion de « personne » s’appuyait sur le taux de motorisation des ménages ou le nombre de cyclistes. L’enjeu était alors d’augmenter ou de diminuer (les taux ou les déplacements, par exemple) et de répondre par l’offre d’infrastructures. Cependant, ces cadres d’analyse ne permettent pas de mettre en lumière les différences au sein des groupes sociaux. Ce sont les consultations publiques qui, aujourd’hui, permettent de ramener l’humain dans ces processus. L’objectif est de créer une ville à échelle humaine. Par conséquent, les enjeux d’équité, d’accessibilité et d’inclusion apparaissent. Cela soulève toutefois des questions quant à la possibilité d’opérationnaliser concrètement les concepts et ces notions en mouvement : que signifie concrètement l’équité, ou encore l’inclusion territoriale? Est-ce qu’on la conçoit en fonction des individus ou des territoires?

Theophil Haberstroh est directeur de programmes pour l’organisme à but non lucratif (OBNL) Coop Carbone, qui accompagne des parties prenantes dans la mise en place de projets collaboratifs. Dans son approche d’innovation sociale, il perçoit l’OCPM comme un acteur incontournable pour mieux comprendre un territoire, ses enjeux et les besoins nommés par les personnes qui y vivent. En prenant l’exemple de la consultation menée dans le secteur Assomption Sud–Longue-Pointe, il explique comment il s’est appuyé sur les commentaires concrets des participantes et participants qui vivent dans ce secteur enclavé près du port industriel de Montréal pour mieux comprendre le territoire. Avoir accès aux documents et au rapport de l’OCPM permet de ne pas partir de zéro et de mieux répondre aux enjeux locaux de mobilité. Comme elle agit sur le terrain, la Coop Carbone a un certain degré de flexibilité et de créativité pour chercher des solutions aux enjeux d’inclusion et d’équité. Dans le système local, les bailleurs de fonds privés jouent aussi un rôle important en plaçant l’inclusion et l’équité comme critères centraux d’évaluation. Finalement, ces parties prenantes offrent de nouvelles démarches et méthodes qui peuvent inspirer et influencer les pouvoirs publics. C’est à partir de ce travail collectif que des réalités spécifiques peuvent être visibilisées. De nouveaux processus peuvent aussi voir le jour, ouvrant par le fait même une réflexion sur la façon de les généraliser et d’offrir des solutions adéquates pour les matérialiser.

Conversation 8: Vingt ans de participation du public et d’engagement citoyen : amélioration des pratiques et bonification des façons de faire

Par Jean-Sébastien CARON DE MONTIGNY

Animation : Mario GAUTHIER, UQO

Intervenantes et intervenants : Steven BOIVIN, conseiller municipal, District d’Aylmer, Ville de Gatineau; Guy GRENIER, conseiller spécial et coordonnateur des démarches participatives, OCPM; Gabrielle IMMARIGEON, conseillère – Consultation publique et participation citoyenne, Service des communications et du marketing, Ville de Laval; Maude MARQUIS-BISSONNETTE, professeure adjointe, École nationale d’administration publique (ÉNAP)

L’objectif de cette conversation est de répertorier les pratiques de participation publique dans les différentes villes québécoises et de discuter de leurs améliorations en termes de bonification des façons de faire et d’établissement de « règles de l’art ». Le professeur Mario Gauthier de l’UQO anime la discussion. Il met la table en présentant les résultats de quelques études qui ont mené à la définition de certains principes à respecter « pour donner un sens aux consultations publiques » (Yergeau et Ouimet, 1984). Parmi ces principes, il y a entre autres l’occasion pour les citoyennes et citoyens d’intervenir plus en amont de l’élaboration des projets, la transparence des processus, l’équité, la neutralité, la crédibilité ainsi que l’obligation de rendre des comptes aux parties prenantes. En citant deux documents produits dans le cadre de réflexions sur les pratiques de participation dans deux villes différentes, soit le rapport synthèse des analyses des consultations réalisées dans le cadre de Montréal dialogue (2021) ainsi que le rapport de l’Ombudsman de la Ville de Gatineau sur la participation citoyenne (2014), M. Gauthier fait le constat que certains de ces principes ne sont pas toujours respectés. Par exemple, la question des suivis des activités semble être une lacune commune à ces deux villes, de même que le manque d’expertise dans l’administration en matière de participation et l’incapacité à développer une culture participative.

Guy Grenier est conseiller spécial et coordonnateur des démarches participatives à l’OCPM depuis 2014. Son intervention porte sur trois groupes qui interviennent au sein des processus participatifs, soit le public, les instances décisionnelles et les praticiennes et praticiens. D’abord, en ce qui concerne le public, il constate que les dérives auxquelles on assiste parfois sur les réseaux sociaux ne semblent pas se transposer aux consultations qui ont lieu à l’OCPM. En effet, l’une des forces de l’Office selon lui est sa capacité à assurer le décorum et le respect durant les consultations. Les citoyennes et citoyens acceptent de se prêter au jeu et les échanges sont souvent très constructifs. La population sait que son opinion sera entendue quand elle participe aux consultations de l’OCPM et cela a pour effet de calmer les esprits. Des apprentissages collectifs ont été effectués au fil des ans. C’est d’ailleurs le cas pour les instances décisionnelles qui, croit-il, ont compris la pertinence de l’Office dans l’espace public montréalais, mais doivent dorénavant réfléchir à des moyens plus systématiques de faire les suivis. Quant aux praticiennes et praticiens, M. Grenier insiste sur leur responsabilité à l’égard de la préservation de la confiance de la population envers les mécanismes de participation publique. Il traite également de la nécessité pour ceux-ci d’évaluer leurs pratiques, car « il faut éviter de penser que ce qui fonctionnait dans le passé fonctionne encore de nos jours ».

Steven Boivin est conseiller municipal pour le district d’Aylmer à Gatineau depuis les élections de 2021. Il entame la discussion en traitant de la dynamique partisane propre à Gatineau. M. Boivin précise qu’il a été élu comme indépendant, mais comme il n’y a qu’un seul parti politique à Gatineau, les gens ont souvent la perception de former un groupe homogène en opposition au parti. Il est amené à lutter contre cette dynamique au quotidien, notamment face à des enjeux comme la participation publique; M. Boivin affirme en effet ne pas partager la même conception que certains de ses collègues indépendants, qui ont une conception assez minimaliste de la participation. Il constate par ailleurs que les façons de faire à Gatineau sont très peu respectueuses des plans et schémas élaborés en collaboration avec le public, car la Ville fonctionne énormément par dérogation. En tant qu’élu, il trouve difficile de mobiliser la collectivité dans une démarche d’élaboration d’un Programme particulier d’urbanisme (PPU) dans ce contexte : les gens se demandent, de manière légitime, si le jeu en vaut vraiment la chandelle en raison du risque que la Ville décide de faire autrement par après. Lorsque la décision relative à la création d’un office de consultation publique a été soumise à la table du conseil, M. Boivin admet qu’il ne comprenait pas à l’époque pourquoi le modèle d’un office indépendant était celui sur lequel la classe politique devait se prononcer. Il explique que le modèle des conseils de quartier à Québec lui semblait tout aussi intéressant et voulait entamer une réflexion plus large sur les différents outils de participation. Lorsque la décision défavorable à la mise en place d’un office a été prise au conseil, il a proposé un amendement à celle-ci : il proposait d’inclure les associations de quartier aux discussions qui auraient lieu quant à la réactualisation du cadre de référence en matière de participation citoyenne de la Ville de Gatineau. Depuis ce temps, il a mis en place un conseil de district au sein duquel les personnes qui représentent des associations de quartier sont invitées à discuter des enjeux et à proposer des pistes de réflexion pour l’aider dans sa prise de décision.

Gabrielle Immarigeon est conseillère en consultation publique et participation citoyenne au Service des communications et du marketing de la Ville de Laval. Son intervention débute par une mise en contexte expliquant les efforts considérables consentis par la Ville de Laval pour développer ses outils de participation à la suite des événements entourant la Commission Charbonneau, lesquels ont mené le maire Gilles Vaillancourt à démissionner. En 2014, la Ville a d’ailleurs entamé une démarche inédite pour se doter d’une vision stratégique en collaboration avec la population. Gabrielle Immarigeon mentionne trois bons coups qui sont ressortis de cette démarche. D’abord, la création d’un organe interne chargé de mener les activités de participation a permis de faciliter la collaboration entre les différents services et de briser certains silos. Elle note toutefois qu’il n’est pas évident de changer les façons de faire dans l’administration, où les forces d’inertie sont très présentes. La complémentarité entre les consultations et la recherche marketing est un autre bon coup évoqué par la conseillère, car cela semble permettre d’explorer différentes pratiques et de stimuler la participation aux consultations. Le dernier bon coup qu’elle relève est l’engagement de la Ville envers la rétroaction. Si les suivis ne se font pas de manière systématique, les demandes citoyennes sont tout de même identifiées et la Ville tente le plus possible de fournir des indications sur la manière dont elles influencent les décisions.

Maude Marquis-Bissonnette est professeure adjointe à l’ÉNAP. Les constats qu’elle met de l’avant durant son intervention sont tirés de la littérature scientifique sur la participation ainsi que de son expérience comme ancienne conseillère municipale à la Ville de Gatineau. D’emblée, elle stipule que la demande croissante de la population à participer aux affaires publiques doit être vue comme une occasion à saisir par les villes. Plusieurs avantages peuvent être retirés de ces processus démocratiques, notamment la possibilité de faire face au phénomène NIMBY (Not in my backyard [pas dans ma cour]) et de créer un dialogue continu avec les citoyennes et citoyens. À l’inverse, il y a des risques à ne pas mettre en place des dispositifs crédibles de participation pour répondre à cette demande. La perte de confiance envers les institutions, la croissance du cynisme et l’utilisation d’autres méthodes et canaux pour se faire entendre ne sont que quelques exemples. Selon la professeure, la croissance de cette demande pour les mécanismes de participation est le signe d’un autre phénomène qui se produit actuellement, soit le passage d’une conception de la ville comme administration municipale à un gouvernement de proximité. La ville devient alors le lieu de différentes expériences démocratiques qui visent à rapprocher la population de la décision. Toutefois, Maude Marquis-Bissonnette dit entendre les personnes élues qui peuvent parfois se sentir prises entre l’arbre et l’écorce, c’est-à-dire entre la collectivité qui revendique davantage de participation et l’administration souvent réticente à modifier les façons de faire.

Conversation 9: Vingt ans de consultation publique dans les Faubourgs : la participation peut-elle façonner le territoire?

Par Maxime LELIÈVRE

Animation : Florence PAULHIAC-SCHERRER, UQAM

Intervenantes et intervenants : Victor BALSIS, président du conseil d’administration, Les AmiEs du courant Sainte-Marie; Laurence Bherer, professeure de science politique, Université de Montréal; Dinu BUMBARU, directeur des politiques, Héritage Montréal; Pascale MONIER, agente de développement – Vie démocratique et participation citoyenne, Concertation Montréal

Cette discussion vise à explorer la participation publique dans les Faubourgs, territoire ayant fait l’objet de 13 consultations publiques auprès de l’OCPM depuis sa création. Avant d’élargir la conversation à l’ensemble de la salle, les intervenantes et intervenants sont invités à discuter de leurs projets respectifs tout en posant un regard rétrospectif sur les bons coups et les défis qui ont jalonné leur parcours.

Pascale Monier, agente de développement – Vie démocratique et participation citoyenne pour Concertation Montréal, nous présente les fruits de son stage de recherche à l’OCPM dans le cadre de son mémoire de maîtrise en études urbaines. En s’intéressant à la consultation publique comme instrument d’action publique, elle a évalué la portée des recommandations et du suivi proposés par l’Office. Elle dégage plusieurs conclusions, notamment la présence d’apprentissages transversaux entre les parties prenantes ainsi que la montée de nouvelles pratiques d’aménagement et de planification. Sur le plan individuel, elle note que les visites sur le terrain et le transfert de personnel entre organismes (par exemple, entre l’OCPM et la Ville de Montréal) s’avèrent un atout important qui apporte une richesse au processus de concertation. Sur le plan institutionnel, les tableaux de suivi et le processus découlant des recommandations ont encouragé la formation de nouveaux liens ayant mené à une expertise organisationnelle partagée.

Laurence Bherer, professeure titulaire à l’Université de Montréal, présente brièvement des statistiques relevant d’une collecte faite pour le vingtième anniversaire de l’OCPM. L’objectif est de faire parler les données quantitatives et d’amorcer une discussion avec les intervenantes et intervenants et les personnes participantes au sujet des arrondissements et du nombre de consultations publiques ayant eu lieu dans ces derniers. Un participant dans le public nuance certaines statistiques, notamment en réaction au fait que l’arrondissement de Ville-Marie a eu beaucoup plus de consultations publiques qu’ailleurs dans la région. Il note que, d’un point de vue technique, certains règlements menant à la création de documents réglementaires concernent davantage le centre-ville (p. ex. les restrictions quant à la hauteur des immeubles) et que ceux-ci doivent systématiquement faire l’objet de consultations. Un autre participant souligne la présence de dispositifs participatifs depuis près de 30 ans dans l’arrondissement, ce qui contribue largement à la crédibilité des instruments. Autrement dit, le phénomène est complexe et l’explication ne peut pas se limiter qu’à la densité de population.

Victor Balsis, président du conseil d’administration des AmiEs du courant Sainte-Marie, apporte son témoignage citoyen grâce à son expérience de plus d’une décennie de participation publique dans les Faubourgs. La trame narrative est claire : il est satisfait du travail de l’OCPM et se réjouit, en grande partie, de l’espace créé et préservé par l’organisme. L’OBNL qu’il préside souhaite améliorer l’accès au fleuve dans le Centre-Sud : il se mobilise dans le cadre des consultations de l’Office depuis de nombreuses années afin de s’exprimer auprès de la classe politique et, ultimement, de l’ensemble de la population. M. Balsis concentre une partie de sa présentation sur le PPU des Faubourgs, une démarche de consultation ayant pris fin en mars 2021. Des activités résultantes, il souligne l’amélioration quant à l’accès au fleuve, mais déplore le peu d’avancées supplémentaires de la part de la Ville. Il réfléchit d’ailleurs au pouvoir limité de l’OCPM face à de plus grands questionnements, certains touchant à des responsabilités provinciales et fédérales; ce volet se trouve en dehors du champ de responsabilité de la Ville de Montréal, mais recèle tout de même des occasions de dialogue pertinentes.

Dinu Bumbaru est directeur des politiques chez Héritage Montréal, OBNL œuvrant à la protection et à la promotion du patrimoine de la région métropolitaine. Comme M. Balsis, il souligne la complexité de plusieurs enjeux sur le territoire des Faubourgs, certains nécessitant un dialogue supra-territorial avec l’ensemble des paliers gouvernementaux. Également, il mentionne l’importance des consultations pour le maintien de la vie associative de même que la pertinence que revêtent les discussions portées à l’OCPM dans la validation du travail de l’organisme. M. Bumbaru évoque aussi la valeur inestimable de la documentation consultative en ligne et lance ouvertement l’idée d’en faire un « corpus de sagesse ». L’initiative viserait à apprendre du passé et à se projeter lucidement dans le futur, notamment envers des préoccupations publiques telles que les changements climatiques ou l’accès au logement.

Plénière des grands témoins – Retour sur l’événement

Par Claudia LAROCHELLE

Intervenante et intervenant : Judith FERRANDO, codirectrice, agence Missions publiques et coprésidente, Institut de la concertation et de la participation citoyenne (France); Pierre HOUSSAIS, directeur, Prospective et dialogue public du Grand Lyon (France)

Une culture politique en changement

Des questionnements à propos des procédures et des caractéristiques formelles des consultations sont en trame de fond des conversations, mais ces questionnements amènent aussi le groupe à discuter de dynamiques citoyennes, de réseaux, de mobilisation, d’échanges et de convivialité. Les consultations sont le terreau d’une confiance mutuelle entre les parties prenantes municipales, les groupes communautaires, la population et les promotrices et promoteurs.

Vers une justice épistémique

Malgré les efforts déployés par les institutions pour améliorer la clarté de l’information, il n’en reste pas moins que la faiblesse de l’OCPM est de ne pas maîtriser son information. Et comme celle-ci est médiatisée par les discussions, elle n’est valable que pour les gens qui sont présents. Comment augmenter le niveau d’éclairage chez le grand public sur des enjeux qui en valent la peine? Si on ne veut pas augmenter la fracture sociale entre les personnes qui ont accès au savoir et celles qui ne l’ont pas, cette réflexion est nécessaire.

L’OCPM est une institution réflexive qui interroge le fonctionnement des consultations. Les processus peuvent être très formels, voire intimidants, mais il y a une intention d’aller chercher, avec une pluralité d’outils, la parole de celles et ceux qui ne la prennent pas naturellement. Cette attention grandissante à l’égard de la justice épistémique est révélatrice d’une volonté de réfléchir à l’effet de la démocratie sur les décisions.

Rêver l’avenir de l’OCPM

L’OCPM recèle de nombreux mémoires, qui représentent une sorte de sagesse citoyenne. Le défi est d’en faire quelque chose de vivant. Les participantes et participants rêvent qu’en 2042 l’Office ait réussi à faire des consultations auprès de quartiers encore peu consultés, sur de nouveaux sujets comme l’évolution démographique, la transition socioécologique ou la qualité de vie. Les recommandations seront davantage axées sur les aspirations portées par la population, et la mise en scène des consultations sera différente (p. ex. vidéos, balados). Les gouvernances ouvertes et la pluralité de parties prenantes qu’elles impliquent permettront de suivre davantage les recommandations. On aura toujours des discussions autour des questions de méthode, mais les sujets seront moins techniques; nos choix de mode de vie et nos valeurs seront à l’avant-plan.