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Source : Vivre en Ville

Compte rendu – Rendez-vous des collectivités viables 2017 : Planifier une croissance urbaine à faible impact climatique

Organisé par Vivre en Ville
25 mai 2017
Monument national
1182 Boul St-Laurent, Montréal

Auteur-e-s : Samuel Descôteaux-Fréchette* et Alexandra Nadeau**

 

Planifier une croissance urbaine à faible impact climatique : telle était la thématique de la 2e édition des Rendez-vous des collectivités viables organisée par l’organisme Vivre en Ville le 25 mai 2017. Plusieurs études de cas et conférences figuraient à l’ordre du jour afin d’explorer le rôle des villes et leurs efforts pour réduire leurs émissions de carbone, dont une grande conférence avec Bertrand Delanoë, maire honoraire de Paris.

Si l’enjeu des changements climatiques retient l’attention à l’échelle planétaire, le président de Vivre en Ville, Christian Savard, soulignait que l’angle mort des villes face à cette problématique réside encore dans une réelle planification urbaine sobre en carbone qui témoigne d’un profond virage dans la manière de construire les milieux de vie. L’objectif de cette journée était donc de souligner les exemples positifs ainsi que les alternatives existantes de planification urbaine à travers le Québec et le monde.

Maude Cournoyer-Gendron 2015.

Maude Cournoyer-Gendron 2015.

L’organisme Vivre en ville a ainsi invité le public à passer à l’action afin de réaliser une planification urbaine au service du climat. Christian Savard a par ailleurs dressé une liste de sept principes-clés à prendre en compte dans les futurs projets d’aménagement et de développement urbain :

  1. Limiter la part de la croissance dirigée vers les couronnes métropolitaines
  2. Limiter l’éparpillement des lieux d’emploi
  3. Déterminer des cibles de consolidation de densification
  4. Mettre les nouvelles technologies au service de la mobilité partagée
  5. Intégrer systématiquement des mesures d’adaptation aux changements climatiques
  6. Investir massivement dans le développement de réseaux structurants de transports en commun
  7. Intégrer la lutte aux changements climatiques aux documents d’aménagement et d’urbanisme

La ville économe en carbone et résiliente, un levier pour la prospérité

Annise Parker, ancienne mairesse de la ville de Houston au Texas, a débuté cette journée en soulignant l’importance des villes face à l’enjeu climatique alors que la démographie urbaine croît de manière exponentielle. Par ailleurs, dans une ère caractérisée par des migrations massives, la croissance des mégapoles et le phénomène des villes globales restent selon elle parmi les enjeux les plus importants du 21e siècle. Les ressources sont souvent limitées pour faire face aux problématiques qui surviennent à l’échelle urbaine. Annise Parker a exprimé la nécessité de revisiter les pouvoirs urbains pour augmenter les capacités politiques des villes, non sans rappeler les revendications d’autonomie des maires de Montréal et de la ville de Québec qui désirent mettre de l’avant l’idée des espaces métropolitains aux pouvoirs élargis.

Lors de cette présentation, Annise Parker a également discuté du cas de Houston, dont le rapport entre la population et la superficie urbanisée en fait la ville la plus étalée aux États-Unis en raison de son développement centré autour de la voiture. L’industrie de l’automobile et celle reliée à l’exploitation pétrolière y représentent d’ailleurs 40 % de l’économie. Malgré ces constats, Mme Parker a souligné la volonté de Houston de s’engager dans un virage vert, et que la ville veillait à mettre en place diverses politiques publiques à l’échelle locale pour rendre cette transition véritable, notamment en matière d’énergies renouvelables. Le cas de Houston représente la réalité à laquelle sont confrontées plusieurs villes nord-américaines développées autour de l’utilisation massive de l’automobile et nous invite à repenser la façon de gérer les transports urbains afin de réduire l’empreinte carbone urbaine.

Le poids de l’éparpillement

La forme urbaine est un paramètre important qui affecte directement le bilan carbone des villes. C’est afin d’explorer cette relation que Jeanne Robin, la directrice générale adjointe de Vivre en Ville, est venue présenter les résultats de la nouvelle étude « La localisation des activités et les émissions de gaz à effet de serre : comment la localisation des entreprises et des institutions détériore le bilan carbone ». Les résultats établissent un lien entre la localisation d’activités quotidiennes dans des zones périphériques et une plus grande émission de gaz à effet de serre en raison des transports nécessaires pour s’y rendre.

Le secteur des transports est responsable de la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre au Québec (37 %), ce qui explique que l’équipe de Vivre en Ville cherche à  comprendre quels types de déplacements génèrent le plus d’émissions. C’est à l’aide d’une enquête origine-destination qu’ils se sont penchée sur la question en analysant le bilan carbone relié aux déplacements face à trois lieux d’activités ciblés, soit ceux du travail, du magasinage/commercial et du loisir.

Les résultats de l’étude démontrent que ce sont les déplacements reliés au travail qui produisent le plus d’émissions de gaz à effet de serre. Effectivement, le travail occasionne des déplacements dont les distances sont plus élevées que celles liées au magasinage et aux loisirs.

Suite à ces résultats, Vivre en Ville a émis quelques recommandations pour réduire le bilan carbone des villes. Il s’agirait par exemple de concentrer les pôles d’emplois et d’assurer une proximité de ceux-ci des transports collectifs, afin d’augmenter leur accessibilité et de diminuer la nécessité de se déplacer en voiture en périphérie pour se rendre au travail. Le rapport suggère aussi de consolider de plus petits pôles commerciaux et de localiser les activités de loisir dans des zones de proximité.

Différents acteurs, différentes façons de s’attaquer à la question climatique

Au cours de ce deuxième rendez-vous des collectivités viables, plusieurs exemples concrets ont été présentés, tant au niveau des politiques publiques mises de l’avant que des aménagements réalisés pour réduire le bilan carbone des villes.

À l’échelle de la ville

Autobus, marche, métro.

Autobus, marche, métro.

Les cas de Montréal et de Sacramento en Californie ont d’abord été présentés. Kate Gillepsie, directrice de l’aménagement de Sacramento, a expliqué que sa ville était extrêmement vulnérable face aux changements climatiques et que des impacts importants pourraient être ressentis notamment dans le milieu de l’agriculture, vecteur économique important de la région. La Ville de Sacramento s’est fixée l’objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 15 % d’ici 2020 et de 38 % d’ici 2030 et met ainsi en place depuis 2002 le « Climate Action Plan ». Danielle Lussier et Roger Lachance, respectivement à la direction du Bureau de développement durable et du Service de l’environnement à la Ville de Montréal, ont également présenté les objectifs de Montréal en matière de changements climatiques. Le plan « Montréal durable 2016-2020 » énumère quatre priorités. D’abord, Montréal souhaite  réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 comparativement à 1990. Ensuite, la ville tient à mettre de l’avant une politique de verdissement dans le but d’augmenter la biodiversité urbaine. Le plan souhaite aussi permettre un accès à des quartiers durables et conçus à échelle humaine. Finalement, la Ville de Montréal souhaite réaliser une transition vers une économie durable et circulaire.

À l’échelle du quartier

Renée Desormeaux, directrice à la division de la coordination des projets de développement à la Ville de Québec est venue présenter le cas de deux exercices de planification durable, soit celui des écoquartiers d’Estimauville et de Pointe-aux-Lièvres. Ces deux projets ont été développés sur d’anciens secteurs commerciaux et industriels afin d’en faire des milieux de vie mixtes, denses, à échelle humaine et connectés à leur environnement et aux transports collectifs. André Huot de Nordic Structure Bois a également présenté le projet Écocondos Origine (13 étages), dans l’Écoquartier Pointe-aux-Lièvres, qui est un des rares bâtiments de plus de 4 étages dont la structure est en bois massif.

Le cas de l’écoquartier Pie-X à Victoriaville, présenté par Louis Doyon (Groupe Maxima) et Alain Côté (Lemay-Côté architecte), démontre aussi le potentiel de réhabilitation de sites à vocation industrielle vers des projets résidentiels mixtes ayant des critères de performances énergétiques élevés. La conception de ces projets représente toutefois des défis sur le plan de la rentabilité économique et de l’acceptabilité sociale auprès de la population.

Éric Boutet, à la direction de l’urbanisme de Brossard, a présenté pour sa part la mise en place d’un système d’évaluation du développement durable (SEDD), qui est un outil d’aide à la conception de projets immobiliers destinés aux promoteurs et servant à établir un pointage basé sur des indicateurs de durabilité pour évaluer les projets. Il a ainsi démontré comment ce système de pointage a été utilisé dans le projet Solar à Brossard pour en faire un développement à faible impact climatique. Le SEDD ne donne accès à aucune certification, mais représente un système permettant aux villes d’atteindre leurs objectifs en matière climatique tout en laissant une certaine flexibilité aux promoteurs.

Îlot central, Technopôle Angus. Crédit photo : Technopôle Angus.

Îlot central, Technopôle Angus. Crédit photo : Technopôle Angus.

Les projets de l’îlot central du technopôle Angus à Montréal a également été présenté par Maude Brochu, urbaniste chez Provencher Roy Inc, comme un projet ayant pour but de développer un milieu de vie complet sur un ancien site industriel où convergent secteurs résidentiels et des pôles d’emploi. Les grandes orientations de la conception de ce projet sont la création d’emplois, l’intégration harmonieuse du projet au tissu urbain,  l’appropriation du site par les citoyen(ne)s du quartier, la gestion écologique du cadre bâti et des infrastructures et la rentabilité économique du développement.

Ces exemples présentés au cours de la journée ont ainsi permis de comprendre comment des professionnel(le)s de l’urbanisme, des politicien(ne)s et des groupes promoteurs peuvent concevoir des politiques et des projets concrets d’aménagement et de développement dans une optique de durabilité et pour réduire leur impact sur le bilan carbone des villes.

L’architecture et l’urbanisme, des alliés pour réduire les émissions de GES

Le rendez-vous des collectivités viables a également accueilli Carl Elefante, 1er vice-président du American Institute of Architects, qui est venu réitérer l’importance du design des projets urbains et du cadre bâti et de leurs impacts sur les individus et l’environnement des villes. Carl Elefante a mis l’accent sur l’importance des villes comme étant des foyers où peut s’exprimer le progrès humain et que face aux défis climatiques, les architectes et les professionnel(le)s de l’urbanisme se doivent de concevoir des villes

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Crédit photo : Bruno Vitasse

résilientes. Il a dressé une liste de 10 points à prendre en compte dans le design urbain :

  1. Que la ville soit orientée vers un développement naturel et écologique
  2. Que la ville encourage des comportements actifs et sains
  3. Que la ville assure les besoins de nourriture des êtres humains
  4. Que la ville reflète une volonté écologique dans sa façon d’être construite
  5. Que la ville se rapproche de l’objectif d’être carboneutre et de ne plus produire de déchets
  6. Que la ville soit sécuritaire, résiliente et qu’elle ait une grande capacité d’adaptation
  7. Que la ville soit accessible, connectée et qu’elle offre une grande capacité de mobilité
  8. Que la ville soit un lieu de culture et d’héritage
  9. Que la ville soit abordable, équitable, diversifiée et inclusive
  10. Que la ville soit belle, inspirante et agréable

Carl Elefante a ainsi invité à créer ensemble la ville du 21e siècle et réaffirmé qu’il était possible que tous les acteurs urbains travaillent de pair pour réaliser les nombreuses missions urbaines à venir.

Le programme municipalités pour l’innovation climatique

Afin de transformer les idées en projets urbains concrets ayant un impact positif sur le bilan carbone des villes, Isaël Poirier, conseiller à la Fédération canadienne des municipalités a profité de ce Rendez-vous pour présenter le programme Municipalités pour l’innovation climatique. Ce programme encourage les villes et les groupes de promotion immobilière à planifier et construire des projets de qualité s’inscrivant dans les lignes directrices du développement durable en subventionnant certaines de ses étapes (par exemple, l’analyse de décontamination, les plans d’aménagement, les consultations, etc.). La fédération canadienne des municipalités démontre par ce programme l’importance d’une planification durable, mais aussi l’impact que peut avoir un organisme parapublic auprès des municipalités et des promoteurs en stimulant les projets responsables et la consultation citoyenne.

Bertrand Delanoë : transformer durablement sa ville

La journée s’est conclue avec la grande conférence du maire honoraire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a témoigné de la mutation écologique essentielle que doivent réaliser les villes. Le défi que posent les changements climatiques est un enjeu de civilisation pour la santé publique et les générations futures, ce pour quoi les agglomérations urbaines doivent faire preuve d’audace pour mettre en place des projets alternatifs.

Bertrand Delanoë, qui a permis à Paris de mettre en place un projet de tramway et de voitures électriques en libre-service, affirme que les deux instruments pour créer des villes durables sont la démocratie et la performance dans la manière de gérer les projets, dans le but d’obtenir des résultats qui serviront à propulser l’engouement pour planifier la ville plus durablement. Il a également évoqué la nécessité de créer un sentiment d’appartenance envers les projets en créant des aménagements durables qui constituent des milieux de vie agréables à vivre où chacun(e) trouve sa place. Afin d’arriver à transformer la ville, le maire honoraire a rappelé l’importance de sortir des sentiers battus malgré la critique, non sans rappeler que des actions proposées par le milieu scientifique, par certain(e)s élu(e)s ou professionnel(le)s de l’urbanisme reçoivent un accueil mitigé auprès de la population (abandon du tout à la voiture, mixité fonctionnelle et sociale programmée, densification des territoires, etc.). C’est d’ailleurs sur ce sujet que Christian Savard a fermé la journée de conférence en invitant les participant(e)s à regarder hors de leurs « œillères », car l’urgence de changer nos modes de construire les villes, et de les habiter, est réelle.

 

*Samuel Descôteaux-Fréchette est chargé de projets et coordonnateur de l’Arpent

** Alexandra Nadeau est étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’INRS-UCS