Compte rendu

(re)Penser la ville au XXIe siècle: retour sur les expériences des écoquartiers

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat à l’INRS

*Cet événement organisé par le réseau Villes Régions Monde a eu lieu le 10 décembre 2020. Pour consulter le programme de l’événement.

Mise en contexte

Avec une attention toute particulière apportée à la mixité d’usage et à la question environnementale, les écoquartiers s’affichent en rupture totale avec l’urbanisme fonctionnaliste des années 1960-70. Comment sont-ils construits ? En partant de labels et d’objectifs précis, quels sont les résultats obtenus ? Innovants et pensés avec leurs futur.es habitant.es, les écoquartiers représentent-ils l’avenir de la ville ?

(Re)Penser la ville au XXIe siècle : retour sur les expériences des écoquartiers est un ouvrage publié en 2019 grâce au travail de 14 chercheur.ses internationaux. Partant de préoccupations communes sur les différentes formes des écoquartiers un peu partout dans le monde, les auteur.es cherchent à comprendre comment les différentes façons de produire la ville entre les pays du Nord et du Sud font varier l’objet écoquartier, son appropriation par les habitant.es et la perception écologique de celui-ci. L’ouvrage propose donc un ensemble d’études comparatives sur des écoquartiers réalisés aux États-Unis, au Canada, en France, au Brésil, en Israël, au Japon et en Algérie.

 

Une variété de formes d’écoquartiers

Meg Holden présente une comparaison entre les quartiers de Dockside Green situé à Vancouver et Fréquel-Fontarabie, situé à Paris. Conçus avant l’arrivée des labels « Écoquartiers », ces quartiers pilotes apportent un point de vue cohérent sur l’objectif désiré des écoquartiers. Fréquel-Fontarabie, ancien faubourg, est un quartier vétuste avec une mixité d’usage déjà bien intégrée. En revanche, Dockside Green est un ancien site industriel à végétaliser et à habiter.

Dominica Babicki propose une perspective comparée de l’écoquartier Ovalie à Montpellier (France) et du village olympique de Vancouver (Canada). Montpellier est labélisée « Écocité » et Vancouver a été nommée « Ville la plus verte » en 2020. Construits en 2011 sur la base d’une architecture internationalisée et une planification similaire, les écoquartiers sont tous deux situés en bord de mer et représentent un grand projet de création de nouvelles centralités urbaines prisées.

Claire Boussard, présente une étude comparative entre d’un côté l’écoquartier Ilha Pura situé à Rio de Janeiro (Brésil), un ancien quartier des athlètes pour les JO de 2016, transformé en Gated communitie. D’un autre côté, le quartier Melrose Commons situé dans le Bronx à New York (États-Unis) qui est un quartier toujours en construction depuis le XIXe siècle et anciennement très pauvre.

 

Des quartiers aux innovations techniques et environnementales

À l’avant-garde, les quartiers pionniers Dockside Green (Vancouver) et Fréquel-Fontarabie (Paris) ont expérimenté de nouvelles formes d’architectures qui allient autonomie énergétique et végétalisation. Dockside Green a ainsi intégré l’énergie solaire et éolienne à ses bâtiments. Au sein du quartier, des mares servent à recueillir les eaux usées. Les planificateurs ont aussi construit deux tours de logements sociaux, ce qui était encore rare dans la ville de Vancouver. De son côté, Fréquel-Fontarabie a accueilli le premier bâtiment passif orienté côté nord à Paris et ses bâtiments sont isolés thermiquement de l’extérieur.

Les écoquartiers accordent en effet une attention particulière à la consommation énergétique. Dominica Babicki interroge ces nouvelles pratiques sous l’angle de mutations urbaines, mais qui parfois ne représentent pas pour autant des changements en termes de pratique sociale des habitats. Les quartiers Ovalie et du Village Olympique sont similaires de l’extérieur, mais construits très différemment à l’intérieur. En effet, les immeubles vancouverois sont beaucoup plus énergivores, car ils sont souvent accompagnés d’équipements sportifs tels que des piscines ou salle de gym. L’occupation des logements est aussi distincte; à Paris les logements et les espaces communs sont plus petits. Les coûts en énergie ne sont pas non plus les mêmes.

 

Participation citoyenne et inclusivité

En s’intéressant à la territorialisation de l’énergie, c’est-à-dire à son ancrage socio-spatial, Dominica Babicki a étudié l’expérience des habitant.es en vivant elle-même dans trois différents appartements. Elle a remarqué que les habitant.es sont peu sensibilisés à la consommation énergétique et au fonctionnement des bâtiments passifs. Pour elle, la sensibilisation des habitant.es est un facteur clé pour en arriver à une réelle mutation urbaine. Pour l’instant, seuls des changements progressifs sont visibles comme la présence de chauffages urbains à Montpellier et à Vancouver

En s’opposant à l’urbanisme fonctionnaliste top down, les labels écoquartiers demandent de plus en plus une participation active des futur.es habitant.es à la conception des quartiers. Cependant, l’inclusivité n’est pas la norme et elle se retrouve parfois en contradiction avec la recherche d’une mixité sociale.

La première phase de conception de Fréquel-Fontarabie (Paris) a débuté au Café solidaire, un espace de rencontre établi dans le quartier. Les ateliers participatifs qui y ont été organisés ont permis aux habitant.es de faire valoir l’ouverture du square central 24h/24, d’investir artistiquement le quartier et de construire une crèche et une école primaire côte-à-côte. À Vancouver, des festivals d’été ont été organisés afin de créer une cohésion sociale et de consulter les habitant.es sur l’aménagement de leur futur quartier.

Pour la conception du quartier Melrose Commons à New York, 188 concertations ont été organisées. Habité majoritairement par la communauté hispanique, le type d’habitat Town Houses a été revendiqué par les habitant.es et cette demande a été réalisée.

À l’opposé, le quartier Ilha Pura à Rio de Janeiro est l’antithèse de l’inclusivité. Il propose une architecture standardisée et fermée avec des barrières gardées à l’entrée du quartier et devant chaque entrée de condo. Ce contraste fait en sorte qu’on est en droit, selon la conférencière, de s’interroger sur la labélisation « écoquartier ». En revanche, ce résultat est aussi l’expression de contextes bien différents et les habitant.es ont largement participé.es financièrement à la réalisation du projet.

 

Enjeux : vers des mutations urbaines ?

Comme nous l’explique Cédissia About, les écoquartiers soulèvent toujours de nombreuses questions. La mixité sociale et fonctionnelle est davantage visible dans les pays du nord que dans ceux du sud et les objectifs, en général, demeurent centrés autour de solutions technico-environnementales. La création d’un « esprit solidaire » comme le dit Meg Holden, n’est pas innée. Il n’est pas facile de faire vivre un écoquartier et de conscientiser les habitant.es à cette nouvelle manière de vivre. De plus, les écoquartiers doivent s’adapter aux limites réglementaires de leurs pays respectifs et l’enjeu financier reste aussi de taille pour la mise en œuvre de ces projets.

Enfin, les écoquartiers manquent encore de suivi dans le temps ainsi que de leurs objectifs. En France, le label « Écoquartier » impose une évaluation des référentiels deux ou trois ans après la livraison. Pour ancrer la réalisation des objectifs et faire évoluer dans le bon sens les écoquartiers, certaines villes comme Montréal (Canada) et Strasbourg (France), se sont lancées dans la rédaction de chartes basées sur des enquêtes habitantes. Le rôle des municipalités en termes de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise foncière est en effet central pour la réussite d’écoquartiers, mais elle fait face dans certaines régions du monde, à une trop forte présence des acteurs privés et à des enjeux de responsabilité sociale.

Pour en savoir plus sur le projet, vous pouvez aller consulter le site Eco Urbanism Research Network, mis en ligne suite à la publication de l’ouvrage pour poursuivre le travail de réseautage et de partage de savoirs, et engager de nouveaux projets de recherches communs entre chercheur.ses à l’échelle mondiale. Une fois par an, un séminaire sera organisé pour diffuser les nouvelles recherches menées.