Illustration: Mathilde Jacqueline

Compte rendu – Table ronde virtuelle

Vivre et analyser la crise sanitaire à Montréal

9 septembre 2020

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines à l’INRS

L’ensemble des travaux de recherches ainsi que ceux d’autres étudiant.es et chercheur.ses sont à lire dans le Cahier Numérique du CRIEM publié le 9 septembre 2020.

Animateur.trices de la table ronde
Stéphane Guimont Marceau (INRS), Magalie Quintal Marineau (INRS) et Laurent Vernet (CRIEM / UQAM)

Intervenant.es
Nathalie Nahas (INRS), Sara-Maude Cossette (UQAM), Jacob Desjardins (INRS), Mariana Alves da Sousa (Université de Montréal), Rim Chehab (Université de Montréal), Pascale Monier (UQAM), Raphaëlle Ainsley-Vincent (INRS), James Oscar (INRS), Ricardo Gustave (Paroles d’excluEs)

 

Mise en contexte

Quel est l’impact de la crise sanitaire de la COVID-19 sur le tissu social montréalais et québécois ? Pour répondre à cette question, huit étudiant.e.s à la maitrise en études urbaines, urbanisme et géographie ont pris une focale urbaine spécifique. Comment repenser la place des animaux en ville ? Comment la COVID-19 mobilise une approche au corps particulière dans les espaces du milieu carcéral ? Comment les frontières corporelles et sociales induites par la crise sanitaire peuvent servir d’angle d’analyse d’exclusion spatiale ? Quelle réponse communautaire aux enjeux de logement ? Quelles sont les répercussions sur les populations autochtones ?

« Vivre et analyser la crise sanitaire à Montréal » est le résultat d’une coproduction de savoirs entre étudiant.es, chercheur.ses  et professionnel.le.s des milieux de pratique dans le cadre de deux séminaires du printemps 2020 et inscrits au programme en études urbaines de l’INRS et de l’UQAM : « Montréal : ruptures et continuités » et« Espaces de marginalisation et de résistance ». Chacune des interventions apportent une lecture spécialisée sur des enjeux peu médiatisés. Alors que les médias mettent en débat principalement des rapports entre les espaces privés et publics, les intervenant.es apportent un angle d’analyse original et engagé sur des enjeux de spécisme, d’inégalités sociales et spatiales, et de nouvelles formes de transactions sociales qui ont émergées pendant la crise sanitaire. Un invité, Ricardo Gustave, chargé de la mobilisation des connaissances pour Parole d’excluEs, alimente ces recherches par une lecture communautaire de l’impact social de la crise.

Le premier constat posé est que la crise sanitaire met en lumière des inégalités sociales et spatiales préexistantes. Chacun.e s’accorde pour dire que si la COVID-19 met en avant un système déjà en crise, elle vient exacerber les enjeux sociaux et spatiaux. Elle fluidifie également les frontières entre espace public et privé et politise l’espace personnel, familial et de proximité.

 

Penser la résilience alimentaire par l’entraide communautaire

 

Nathalie Nahas ouvre la table ronde en posant la question de la résilience alimentaire dans les quartiers de Montréal à partir d’une étude de cas portant sur le quartier de Hochelaga-Maisonneuve. À partir d’entretiens menés sur les impacts de la COVID-19 sur les activités d’agriculture urbaine, ses résultats démontrent qu’en tant qu’activité extérieure, l’agriculture urbaine est une activité possible à réaliser dans le respect des règles de distanciation physique. Cependant, si l’adaptation des horaires et des activités permet de maintenir une activité agricole, la distanciation implique une diminution des espaces de rencontre et de la convivialité. Le transfert de connaissances entre jardiniers.ières est ainsi réduit.

Pascale Monier a dirigé son étude sur la capacité de résilience des organismes communautaires qui produisent et distribuent de la nourriture dans le quartier de Hochelaga-Maisonneuve. La crise sanitaire met en lumière de nouvelles formes de partenariats et d’entraide entre organismes communautaires. Par son travail au sein de l’organisme Cyclistes solidaires et son étude de l’organisme Cuisine Collective d’Hochelaga-Maisonneuve (CCHM), elle démontre comment la collaboration entre ces deux organismes permet de fluidifier la démarche de distribution de repas et permet aux utilisateur.trices de la cuisine de toujours avoir accès à de la nourriture. Le vélo facilite ainsi le partage des tâches. Surtout, cette complémentarité ouvre de nouvelles possibilités de mise en réseau d’acteurs locaux pour répondre à la demande plus importante en temps de pandémie.

Adaptation des organismes communautaires en temps de distanciation physique

 

Marina Alves de Sousa et Rim Chehab ont étudié de leur côté l’adaptation d’organismes communautaires spécialisés dans l’aide au logement dans Parc-Extension. Particulièrement défavorisé, ce quartier possède un parc locatif détérioré et surpeuplé et qui, à cause d’une forte pression immobilière, est en processus de gentrification. Elles ont étudié la réponse du réseau communautaire qui cherche à réduire cet effet. Pour garantir un soutien en temps de crise, le Comité d’action de Parc-Extension s’est adapté pour accompagner des locataires dans le besoin. Une campagne d’affichage traduite en neuf langues a été diffusée dans le quartier pour sensibiliser les locataires à leurs droits. Mais cet effort communautaire met en lumière surtout un désengagement et un désintérêt des institutions publiques. Face à cela, les organismes communautaires s’adaptent pour organiser leur propre force de pression, source de résilience, et faire valoir les droits des locataires.

Ricardo Gustave, chargé de la mobilisation des connaissances chez Parole d’excluEs, dénonce les mêmes conditions de logement dans l’arrondissement de Montréal-Nord. Le contexte de la pandémie pose de nombreuses questions: comment repenser les activités de l’organisme alors que ses locaux permettaient de briser l’isolement ? Comment s’organiser pour l’après ? Si un large réseau de bénévoles s’est constitué pendant la pandémie et que les organismes se soutiennent localement pour favoriser l’accès au numérique des habitant.e.s du quartier, distribuer des masques et vulgariser la situation spécifique vécue à Montréal-Nord, penser l’après-COVID et l’arrivée de l’hiver seront de gros enjeux. Au-delà de la question du logement, Ricardo appuie l’importance du travail en première ligne des organismes communautaires, mais cette situation met aussi en lumière des inégalités raciales, en particulier avec des amendes données en grands nombre à des jeunes du quartier pour non-respect de la distanciation physique.

La difficulté vécue par les organismes communautaires pour soutenir la population en temps de pandémie a aussi été démontrée par Raphaëlle Ainsley-Vincent. Sa veille médiatique sur les impacts de la crise sur les personnes autochtones a démontré que la pandémie accentue les inégalités produites par la colonisation. Si son exposé évoque la complexité de ces enjeux, il démontre aussi que les organismes qui soutiennent les populations autochtones n’ont pas reçu l’argent nécessaire pour faire face à la crise. Cette crise entraine de lourdes conséquences sur la santé mentale et physique, notamment des femmes et des populations itinérantes. La coupure avec les familles, la communauté, les soins de santé culturellement adaptés et les traditions s’est accentué avec la pandémie, mais cette crise a aussi mis en valeur une résilience de ces communautés pour répondre à leurs besoins alimentaires et sociaux.

 

Les populations marginalisées tributaires de la crise sanitaire

 

De son côté, Jacob Desjardins s’est intéressé à la perception du bien être des détenus de la prison de Bordeaux à travers l’expérience du corps. Il s’appuie sur le concept d’institution totale développé par Erving Goffman pour analyser comment la pandémie renforce la barrière carcérale en limitant l’accès aux relations sociales. Les détenus de certains secteurs ont été enfermés 24h/24h sans possibilité de sortie pendant plus de deux semaines, ils ont été privés de douche et de vêtements propres. L’accès aux soins a été grandement entravé, certains ont dû s’auto-soigner dans leurs cellules. Tous ces faits, que Desjardins a recueilli au cours d’un entretien avec une avocate, démontrent un non-respect des règles des Nations unies sur les conditions de vie en incarcération, qui affectent directement la santé mentale et physique des détenus.

Enfin, James Oscar et Sarah-Maude Cossette se sont penchés le regard qu’on porte aux autres en temps de pandémie dans une perspective anti-raciale (James Oscar) et antispéciste (Sarah-Maude Cossette).

James oscar explique comment le virus a crée des frontières entre les corps. En première ligne dans la lutte contre la pandémie, les personnes racisées ont utilisé leurs corps pour protéger les autres. Ces frontières viennent, selon lui fantasmer le rôle joué par ces individus dans les villes et produisent de nouvelles représentations sociales. À titre d’exemple, il rappelle que certains espaces urbaines, comme le parc du Mont-Royal créé à l’usage des anglo-canadiens blancs, contribuent à l’exclusion spatiale de certains groupes et comment certains corps, particulièrement les corps racisés, sont perçus comme des surfaces dans l’espace urbain.

À travers une lecture antispéciste, Sarah-Maude Cossette fait quant à elle l’hypothèse de l’ouverture à de nouvelles sensibilités sur la place des animaux en ville. Le confinement a permis à certaines espèces de récupérer des espaces urbains ou tout simplement d’être plus visibles. Avec davantage de temps libre en tant de confinement, les humains ont aussi pris le temps d’observer et de faire des rencontres avec des animaux. S’il est important d’accorder une valeur intrinsèque aux animaux, comment leur accorder une place dans l’espace public ?

 

Conclusion

 

Cette table ronde a mis l’accent sur une multitude d’enjeux qui dépassent le rapport dichotomique de la relation entre les espaces privés et publics en temps de pandémie. La crise sanitaire a engendré de nombreuses répercussions sociales et spatiales, mais ces répercussions prennent différentes dimensions selon les quartiers. Ainsi, les quartiers populaires d’Hochelaga-Maisonneuve et de Montréal-Nord sont plus directement touchés. Certains groupes sociaux marginalisés comme les détenus carcéraux et les personnes racisées ont vu leurs conditions de vie affectées et les institutions publiques se désengager de ces enjeux. Finalement, les organismes communautaires se voient obligés de faire un énorme travail de terrain, tout en s’adaptant aux contraintes de la distanciation physique.