Compte rendu de l’Agora métropolitaine 2018

Organisée par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)
18-19 octobre 2018, à La Tohu (Montréal)
Par Catherine Fournier et  Jean-Philippe Royer, étudiants à la maîtrise en études urbaines, INRS – Urbanisation Culture Société

L’Agora métropolitaine est un exercice de participation organisé tous les deux ans et initié par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), en collaboration avec plusieurs organismes et associations. Cet exercice invite les élus, les citoyens et l’ensemble des membres de la société civile des 82 municipalités du Grand Montréal à échanger sur le suivi des objectifs du Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), entré en vigueur en 2012.

Le 12 septembre dernier, la CMM a publié le Suivi du PMAD 2012-2018. En plus de faire état des progrès par rapport aux objectifs et cibles visés six ans plus tôt, ce bilan a permis d’orienter les thèmes et les ateliers de l’Agora métropolitaine 2018. Les échanges, les recommandations et les débats qui ont eu lieu devraient aider la CMM dans la mise en œuvre d’un futur Plan d’action du PMAD 2019-2023, une sorte de feuille de route pour les cinq prochaines années.

Ce sont plus de 600 participant(e)s et 55 conférencier(ère)s invité(e)s qui ont pris part à cet exercice. Via des ateliers où des panélistes invités prenaient la parole à tour de rôle, huit grands thèmes ont été abordés: l’urbanisation et la mise en valeur des terres agricoles, la gestion des risques d’inondations, les paysages et le patrimoine métropolitain, la fiscalité municipale, la mobilité durable, la consolidation et requalification urbaine, la protection de la trame verte et bleue et les liens entre les activités de diffusion culturelle et la mobilité durable.

« Pour une première fois, il y a un atelier qui est consacré au patrimoine et au paysage » Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal

Ce compte rendu s’attarde particulièrement aux interventions marquantes de l’Agora, aux débats soulevés dans cinq des ateliers et fait état des recommandations émises pour chacun des grands thèmes.

Renforcer le réflexe métropolitain

L’évènement a commencé par une brève présentation des constats du bilan 2012-2018 du PMAD. Les deux animateurs de l’Agora métropolitaine 2018, Florence Junca-Adenot et Jérôme Normand, ont rappelé que malgré les progrès, il reste beaucoup à faire pour atteindre les objectifs du PMAD, notamment en matière de mobilité durable et de protection des milieux naturels. En effet, la part modale du transport en commun demeure stable à 25 % depuis 2012 et seulement 10 % du territoire du Grand Montréal est en aires protégées (objectifs respectifs de 35 % et 17 % en 2031). La mairesse Valérie Plante a ensuite souligné l’importance de renforcer la cohésion métropolitaine pour l’atteinte des objectifs de 2031: « Ensemble avec les partenaires de la CMM, nous nous donnons un véritable élan pour solutionner dans un avenir rapproché les enjeux de mobilité, d’aménagement et d’environnement pour bâtir un Grand Montréal encore plus fort, uni et tourné vers l’avenir.»

L’importance de l’acteur public dans le développement d’une culture métropolitaine a été soulignée par plusieurs membres du panel d’ouverture, composé de Jean-François Barsoum (Environnement et Innovation IBM), Sylvie Bernier (Québec en forme), Chantal Deschamps (mairesse de Repentigny, préfète de la MRC de L’Assomption), Massimo Iezzoni (Communauté métropolitaine de Montréal), Michel Leblanc (Chambre de commerce du Montréal métropolitain) et Karel Mayrand (Fondation David Suzuki). Ce dernier panéliste a d’ailleurs évoqué que le climat impose aux municipalités de prendre des décisions déterminantes et cohérentes pour accroitre la résilience des villes et de la CMM.

Atelier 2 : La gestion des risques d’inondation

Cet atelier a abordé la gestion du risque d’inondation en matière d’aménagement du territoire. Selon Richard Turcotte (Ouranos), la hausse des changements climatiques induit une variabilité et une imprévisibilité dans les scénarios d’inondations, justifiant l’importance de concentrer les efforts collectifs pour apprendre à vivre avec l’eau plutôt que d’essayer de la contrôler. L’adaptation collective est essentielle pour réduire notre vulnérabilité sociétale.

« En plus des dommages économiques pour les villes, les inondations génèrent des externalités sociales importantes notamment dans la phase de rétablissement. » Nicholas Borne, conseiller municipal de Laval-les-Îles à Laval et membre de la commission du logement social de la CMM.

Émilie Charbonneau (CMM) et Pierre Brodeur (maire de Saint-Lambert), deux panélistes qui ont assisté à la Mission Inondations 2018 à Paris, ont d’abord mis de l’avant un premier constat que le Plan archipel vise à répondre : le déficit de connaissances fines du territoire métropolitain. À l’heure actuelle, cette lacune empêcherait le développement d’outils adaptés pour les municipalités.

Ensuite, Isabelle Thomas (Ouranos et Université de Montréal) a mentionné l’importance de développer une culture de la résilience et du risque pour favoriser des changements de comportement des individus. Elle propose qu’un plan de communication et de sensibilisation soit déployé pour répondre à l’ensemble de la population, notamment les populations les plus vulnérables. Celui-ci devrait être déployé toute l’année et non pas seulement en situation d’urgence.

Selon un sondage réalisé à la suite des crues de 2011, environ 50 % des citoyens ont affirmé ne pas être prêt à faire face aux risques d’inondations.

Pour donner suite au panel, de nombreux organismes œuvrant à la protection de l’environnement ont demandé à la CMM de considérer les inondations dans un sens plus large, en incluant la gestion des eaux de pluie, la perméabilisation de sols, les débits d’étiage et les crues soudaines (flash flood) dans le Plan Archipel. Différents acteurs municipaux ont aussi fait part d’un besoin de soutien financier du gouvernement, qui permettrait de compenser le manque à gagner foncier, engendré par la création de milieux naturels. Finalement, Ron Rayside croit que le Grand Montréal devrait d’abord et avant tout se doter d’une vision collective des rives.

Atelier 3 : Repères métropolitains : patrimoine et paysage

Le patrimoine et le paysage sont deux éléments qui composent l’histoire ancestrale du territoire métropolitain. Selon Dinu Bumbaru (directeur des politiques à Héritage Montréal), ils représentent la « confluence entre le territoire et le temps », justifiant l’importance d’intégrer ces deux éléments dans le PMAD et de se distancier d’un simple listage d’objets patrimoniaux. Il faut apprendre à connaître le passé en favorisant une lecture qui repose sur le caractère patrimonial du territoire étant un environnement rempli de sens puisque « le patrimoine est un regard qui évolue » avec l’histoire dit-il. Pour y parvenir, il faut favoriser l’implication de la population et enrichir sa connaissance à travers un engagement sentimental dans le patrimoine.

Pour Caroline Tanguay (vice-présidente du Conseil du patrimoine religieux du Québec), la question complexe du patrimoine est indissociable du défi des grands ensembles institutionnels. Des 698 bâtiments religieux inventoriés en 2003, 140 (soit 20%) ont subi une mutation ou un changement de propriétaire, alors que 25 ont été détruits. Il serait donc primordial de réfléchir au défi de la requalification de tels lieux à l’échelle métropolitaine pour être en mesure de les protéger. Dans cette optique, Guillaume Tremblay et Nathalie Martin, respectivement maire de Mascouche et assistante-directrice au service d’urbanisme de Laval, ont exposé des projets de requalifications stimulants pour la population. Par exemple, un sentier numérique, un théâtre en nature ou encore une application mobile avec des fiches techniques et audios à propos des lieux visités. Selon eux, il faut aussi assurer que ces lieux soient connectés physiquement et humainement dans la ville et la Communauté métropolitaine de Montréal, avec un parcours patrimonial, pour en favoriser l’utilisation par tous et toutes.

Finalement, Peter Jacobs (professeur émérite en architecture du paysage de l’Université de Montréal et président du Conseil du patrimoine de Montréal) soutient que les paysages forment l’assise du patrimoine et qu’ils ne peuvent donc pas être réduits à de simples espaces verts. Afin d’éviter ces réductions, il propose l’arrimage du patrimoine et du paysage dans une notion de patrimoine paysager. En continuité, pour mieux connaître et connecter les savoirs, M. Jacobs invite aussi à la mise en place d’un Observatoire sur le patrimoine paysager, en lien avec celui de la culture du Québec et du patrimoine de la Communauté métropolitaine de Montréal, grâce à un fonds gouvernemental.

Atelier 5 : Mobilité durable et développement du transport collectif

Navette sans conducteur – Candiac

Entre 2011 à 2017, 40 % des logements ont été construits dans les aires TOD et plus des trois quarts de ceux-ci ont atteint leur seuil minimal de densité. Pourtant, depuis 2008, la part modale du transport en commun dans le Grand Montréal demeure stable à 25%. Pour atteindre l’objectif du PMAD (31% d’ici 2031), il importe de se questionner sur l’aménagement des TOD et leur réel impact sur la mobilité. Selon Philippe Cousineau Morin (Trajectoires Québec), le manque de financement pour des projets structurants en transport en commun explique cette stagnation, affirmation partagée par l’ensemble des participants. En matière de transport collectif, deux grandes propositions ont été faites à la CMM : étudier la possibilité d’une tarification sociale du transport en commun et appuyer l’autopartage et le covoiturage notamment pour les déplacements depuis les couronnes et les déplacements hors CMM.

« Non seulement le nombre de véhicules sur les routes augmente, mais en plus, la vente de véhicules de grande taille, comme les VUS, ne cesse de croître. » Marianne Giguère, conseillère de la Ville de l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal à Montréal, membre du conseil de la CMM et membre de la commission du transport de la CMM.

Ensuite, la mairesse de Brossard, Doreen Assaad et le maire de Laval, Marc Demers, ont exposé les défis pour les villes en matière de transport. Deux constats ont émané des discussions. D’abord, les villes font face à des défis d’aménagement autour des gares du Réseau express métropolitain (REM) en raison de leur capacité financière limitée. Ensuite, deux visions différentes s’affrontent quant aux propositions de la Coalition Avenir Québec en matière de prolongement du REM et des autoroutes 13 et 19. Bien que Marc Demers et les maires de 17 villes de la couronne nord appuient ces propositions, plusieurs participants et panélistes ont rappelé à tour de rôle que le prolongement d’une autoroute n’est pas une réelle solution de décongestion. Enfin, aucun appui aux prolongements proposé n’est identifié dans les propositions finales de l’atelier.

Le troisième bloc de cet atelier abordait la mobilité active. Selon le Plan directeur du Réseau vélo métropolitain adopté en 2017, l’objectif est d’accroitre la part modale du vélo comme principal mode de transport pour se rendre au travail à 3,8 % d’ici 2031. Selon Suzanne Lareau (Vélo-Québec), cet objectif n’est pas assez ambitieux, ce qui pourrait entre autres expliquer un ralentissement des réseaux cyclables du Grand Montréal.

Les propositions en matière de transport qui ont suivi l’atelier ne semblent pas avoir convaincu l’ensemble des participants, qui juge les propositions trop peu ambitieuses. Nous retiendrons notamment le commentaire d’un participant, qui propose à la CMM de tenir une réelle réflexion collective sur l’arrimage entre le transport et l’aménagement.

Atelier 6 : Retisser la ville ; consolidation et requalification urbaine

Cet atelier visait à présenter des projets inspirants dans la Communauté métropolitaine de Montréal, ainsi qu’exposer des questionnements sur la participation citoyenne. Christian Savard (directeur de Vivre en Ville) a insisté sur l’importance pour les villes d’être les acteurs de leur propre reconstruction. Pour ce dernier, il faut additionner les potentiels de chaque parcelle sous-utilisée et nécessitant un redéveloppement, tout en protégeant les milieux naturels et agricoles.

« Densifier doit devenir un instrument pour créer des milieux de vie durable, des milieux de vie désirable », Christian Savard, directeur de Vivre en Ville.

Ensuite, cinq élus ont discuté du (re)développement dans leur ville respective. Selon Stéphane Boyer (vice-président du comité exécutif de Laval), pour continuer à augmenter le nombre de projets, il faut effectuer une transition culturelle sur le rapport humain à la voiture dans les villes et assurer l’emploi dans les aires TOD. Pour Normand Dyotte (maire de Candiac), ce changement de culture devrait s’étendre aussi aux promoteurs immobiliers pour éviter la simple transposition de projets  d’une ville à l’autre sans adaptation. En ce sens, il faut regarder le contexte particulier de chacune des municipalités pour développer avec l’intention d’augmenter les services et réduire les coûts grâce à la proximité acquise en densifiant.

La seconde partie de l’atelier s’est orientée sur la question de l’acceptabilité sociale et de la participation, notamment dans les projets de (re)développement. Pour Christian Savard et les élus sur place, la réussite de projets de requalification et de développement se fait avec la participation du public. La participation permet de faire confiance à l’intelligence citoyenne. Selon Pierre Lessard-Blais (maire de l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve), la participation citoyenne incite également les promoteurs immobiliers à plus de transparence dans le processus d’élaboration. Argument aussi défendu par Stéphane Boyer en discutant de l’efficacité des processus de co-design. Même si ceux-ci sont ardus, ils résultent à des projets consensuels et de meilleurs milieux de vie.

Au final, selon les panélistes, il ne semblait pas y avoir un type plus efficace de participation citoyenne. Pour Christian Savard, tout est contextuel au projet et à la ville, néanmoins cette participation est primordiale. Comme le dénote Sébastien Nadeau (maire de L’Assomption), elle permet à tous et toutes de se confronter à ses propres contradictions et de pousser plus loin les réflexions. Nous retenons aussi les dires du maire de Mont-Saint-Hilaire, Yves Corriveau, qui rappelle la difficulté d’atteindre une large participation chez les résident(e)s. Il faudrait donc que les villes se dotent d’outils de communications efficaces pour rejoindre une plus grande partie de la population à travers la participation.

Atelier 7 : Protection et mise en valeur de la Trame verte et bleue

En matière de protection du territoire, il reste à protéger 7% du territoire du Grand Montréal et accroitre de 9% le couvert forestier afin d’atteindre les objectifs fixés dans le PMAD en 2012 (objectifs initiaux de 17% et 30% pour 2031). Selon les projections de Sylvain Perron (Mouvement Ceinture Verte Protection des milieux naturels), ces objectifs représentent une augmentation de 2 187 hectares/année en aires protégées et de 2 151 hectares/année en couvert forestier, à partir de 2019.

Pour Jean-François Girard (avocat, Dufresne Hébert Comeau), il faut repenser la façon dont on protège collectivement le territoire si l’on veut atteindre ces objectifs ambitieux. Les municipalités s’appuient trop sur les programmes d’acquisition pour protéger le territoire, ce qui engendre des coûts onéreux difficilement absorbables pour les municipalités. Il rappelle qu’une aire protégée n’est pas obligatoirement publique, elle peut toute aussi être privée! Ainsi, maitre Girard croit qu’il faut tout aussi encourager la protection des terres privées, en appliquant l’ensemble des dispositions juridiques que les municipalités disposent (LAU article 113, par. 12.1° ; LAU article 113, par. 16 et PPRLPI).

La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permet en effet aux municipalités de régir ou restreindre la plantation ou l’abattage d’arbres, et de régir ou prohiber des usages du sol et des constructions en milieux sensibles. La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables permet également aux municipalités d’interdire les constructions sur les rives et le littoral des lacs et des cours d’eau.

Coralie Deny (CRE Montréal) a quant à elle proposé d’intégrer les milieux naturels de 4,4 ha et plus dans les bois et corridors métropolitains. Elle a proposé également d’utiliser la superficie des terrains de golf comme levier à des projets fédérateurs, en plus de considérer les îles, les bandes riveraines, les projets de corridors de connectivité et les haies brise-vent, comme initiatives de développement durable de la Trame verte et bleue du Grand Montréal.

 Clôture

Agora Métropolitaine 2018 – Photo : Jean-Philippe Royer et Catherine Fournier

L’Agora métropolitaine s’est clôturée par une conférence sur la situation internationale des métropoles par Alain Grimard (coordonnateur de programme pour ONU-Habitat), suivie de la mise en commun des recommandations issues de chacun des ateliers et d’une période de réactions des membres de la Commission de l’aménagement de la CMM et du public. Ces recommandations, rappelons-le, permettront l’élaboration du Plan d’action 2019-2023 du PMAD. L’Agora métropolitaine conclut donc ses travaux avec un message non équivoque de 40 recommandations sur 8 thématiques.

« Le message des citoyens du Grand Montréal est clair. Nous devons aller plus vite et plus loin en matière de protection de notre garde-manger que sont nos terres agricoles, de valorisation de notre patrimoine, de préservation de nos milieux naturels et de développement de la mobilité durable. Nous devons repenser les façons d’aménager notre territoire en priorisant le redéveloppement urbain et en adaptant la fiscalité municipale pour limiter l’étalement urbain. Nous, comme élus, devons comprendre cette nouvelle réalité, tout comme les promoteurs. Les politiques gouvernementales devront s’imprégner de cette vision et prévoir les financements requis à la réalisation de ces changements majeurs. C’est ça le réflexe métropolitain », Jérôme Normand, coprésident de l’Agora métropolitaine et président de la Commission de l’aménagement de la CMM.

Malgré cet accent sur le message des citoyens, nous aimerions souligner la faible place octroyée à l’expression des participants dans l’Agora, autant lors des ateliers que suite aux recommandations finales. Les ateliers étaient essentiellement axés sur l’exposition d’initiatives ou de points de vue appartenant aux organismes panélistes et très peu de temps a été alloué à l’écoute des participants dans la salle. Les 40 recommandations proposées par la CMM ont très peu intégré les propositions émises dans les ateliers, en plus de ne pas avoir été revues après la période de réaction finale. Pour la prochaine Agora métropolitaine, il est proposé à la CCM de réduire le nombre de conférences, d’allocutions et de laisser plus de place à la consultation du public.