Groupe de travail sur les Éco-systèmes urbains

Designer l’inclusion urbaine : compte rendu d’une journée d’étude au Metrolab Bruxelles

5 février 2019, Bruxelles
Par Maxime Boucher*

Mardi le 5 février 2019, il est 9 h 45. Je suis au 48, Quai du Commerce, 1000 Bruxelles. J’attends quelques instants devant l’entrée d’un bâtiment aux allures de caserne. Plusieurs personnes franchissent le seuil grillagé et s’engouffrent à l’intérieur du bâtiment qui abrite les locaux du Metrolab. Au même moment mon téléphone vibre, je reçois un texto de Mathieu Berger, le coordonnateur général du Metrolab Bruxelles (MLB) avec qui j’ai rendez-vous pour planifier un stage postdoctoral prévu pour 2020 : « Bonjour, j’arrive! Sonne au Metrolab et dis qu’on a rendez-vous, Mathieu ».

Mathieu Berger est sociologue et professeur à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Ses principaux intérêts de recherche portent notamment sur la participation citoyenne aux politiques de la ville et sur l’inclusion démocratique dans les projets d’aménagement du territoire. Il coordonne les activités du MLB depuis 2016, avec l’aide de nombreux partenaires, autour des questions urbaines, des problèmes que soulèvent l’aménagement et la planification de la ville-région bruxelloise. En bon sociologue pragmatiste, Mathieu Berger travaille à dépasser le dualisme qui voudrait que théorie et pratique soient irréconciliables, dualisme qu’il considère lui-même comme étant de plus en plus intenable aujourd’hui.

Le Metrolab Bruxelles

Le MLB, par son caractère foncièrement interdisciplinaire, constitue un espace de travail inclusif et un laboratoire participatif ouvert aux étudiants des 2e et 3e cycles, ainsi qu’aux chercheurs et stagiaires postdoctoraux qui souhaitent

Programmation du Metrolab

contribuer à ses travaux. Cette initiative leur permet concrètement de vivre une expérience stimulante, visant à mettre à profit autant de réflexions théoriques, tout en ne perdant pas de vue – bien au contraire – les retombées pratiques et appliquées de leur démarche académique. Cela leur permet, dans ce contexte, de mener des réflexions théoriques en collaboration avec des partenaires qui ne proviennent pas traditionnellement du monde académique tels que les gens de l’administration publique. Dans le cadre de ce projet, les chercheurs sont encouragés à sortir, à rencontrer leurs partenaires sur les différents terrains et à visiter les sites où se dérouleront d’éventuelles transformations du paysage urbain. La ville devient un terrain de jeu à l’image finalement de ce qui pourrait s’apparenter au laboratoire social cher à la tradition de l’École de Chicago.

Il faut savoir que le MLB est financé à hauteur de 5,1 millions d’euros (pour la période 2014-2020) par le Fonds européen en développement régional (FEDER) qui depuis plusieurs années, octroie des financements par appels d’offre à de nombreux projets dans le cadre de la politique régionale et la réduction des disparités entre les régions de l’Union européenne. La complexité des enjeux liés à la planification et au développement urbain nécessite d’y poser un regard attentif, sans pour autant s’y limiter à des activités purement théoriques et académiques. Une réflexion d’ensemble profite aux transformations de la région bruxelloise, soutenue par les activités du MLB et ses partenaires du Centre de recherche interdisciplinaire Démocratie – Institutions – Subjectivité (CRIDIS-UCL), le Laboratory on Urbanism, Infrastructures and Ecologies (LOUISE-ULB), la Faculté d’ingénierie architecturale, architecture, urbanisme (LOCI) et L’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire (IGEAT-ULB). S’ajoutent à ces partenaires des institutions régionales stratégiques telles que Perspective.Bruxelles, le Bureau Bruxellois de la Planification, Bruxelles Environnement, CityDev, Innoviris, tout comme des collaborateurs et des partenaires scientifiques internationaux.

L’ambitieux projet du Metrolab

Place publique, quartier Ixelles, Bruxelles (Photo: Maxime Boucher)

Depuis 2016, l’équipe de Mathieu Berger réussit un véritable tour de force en articulant le développement de projets de planification urbaine de la région bruxelloise et les savoirs réflexifs et critiques. Les participants proviennent des quatre coins de l’Europe, certains d’Asie et des États-Unis, et sont invités à contribuer à la programmation du MLB sur la base d’activités pratiques sur le terrain et par des masterclass qui sont développées à travers les trois axes qui structurent leurs activités. Ces axes se rattachent d’une part à l’inclusion urbaine, d’autre part à l’écologie urbaine et aux questions qui touchent la nature en ville, et enfin à la production urbaine, qui fera l’objet d’un troisième cycle d’activités prévu pour 2020. Cette dernière thématique s’appuiera tant sur  les actions et les interactions des individus, les institutions publiques et privées que les aspects politique et économique de la production de la ville.

 

 

« Le travail sur les écosystèmes urbains demeure très social, les conceptions des écosystèmes très ouverts sur d’autres choses que la nature dans la ville. Le dernier cycle de travail, qui se trouve en fait cumulatif dans les activités du Metrolab, permet de prendre en compte ce qu’on a fait jusque-là durant les deux premiers cycles, en mettant l’accent cette fois-ci sur les dimensions de la ville productive » – Mathieu Berger

Le MLB trouve toute sa pertinence en tant qu’observateur réflexif et critique des processus de transformations du tissu urbain de la région bruxelloise. En accompagnant les projets financés par la FEDER, mais aussi les politiques publiques européennes, et bruxelloises de surcroît, ce projet de recherche appliquée agit comme véritable catalyseur d’une démarche interdisciplinaire au cœur des enjeux urbains sous les angles environnementaux, sociaux et économiques. Autrement dit, la démarche va au-delà de la gestion administrative des actions visant la planification des projets urbains de la région bruxelloise, m’explique son coordonateur, en accordant la priorité et en favorisant l’articulation entre des savoirs de nature théoriques et académiques aux savoirs appliqués. Il ne s’agit pas tant de faire un suivi administratif de ces différents projets, mais plutôt un suivi réflexif sur ces investissements, par le moyen de la recherche interdisciplinaire. Ce sont donc des architectes, des urbanistes, des géographes et des sociologues qu’on retrouve réunis autour de ces projets. L’objectif consiste alors à réfléchir collectivement à l’ancrage des projets urbains en préservant une dimension critique et réflexive, par différentes activités telles que des séances d’observation sur les différents terrains, des workshops, des masterclass et des conférences en collaboration avec des acteurs de l’action publique.

« L’idée, finalement, c’est d’interpeller l’Europe sur ses stratégies de développement urbain et économique de ses régions. Et pour l’instant, on sent qu’on réussit à capter l’attention et qu’on obtient une crédibilité et une légitimité, notamment par la publication des travaux et par une visibilité des activités qui se déroulent au Metrolab » – Mathieu Berger

Designing urban inclusion

La plus récente publication intitulée Designing urban Inclusion rassemble les contributions des différents participants de la première masterclass sur le thème de l’inclusion urbaine qui s’est tenue de janvier à février 2017. Cet ouvrage constitue l’accomplissement des premiers travaux de l’équipe de Mathieu Berger, qui ont traité tour à tour des différents sites à l’étude : Les abattoirs d’Anderlecht, le site de l’Abbaye de Forest, deux centres médico-sociaux à Cureghem et l’hippodrome de Boitsfort. Ces différents sites partagent un certain nombre de caractéristiques, à savoir d’abord et avant tout qu’ils sont des enclaves urbaines, notamment sur les plans urbanistique et aménagiste, mais aussi des rapports sociaux. Ce sont, pour le dire autrement, des lieux caractérisés par des frontières physiques et fonctionnelles et pour lesquels s’envisagent des solutions pratiques visant à les relier à leur environnement, d’où l’idée d’ « enclaves inclusives » qui permet de revisiter les notions d’ouverture, de fermeture, d’accessibilité, de convivialité, d’inclusion et d’hospitalité. C’est sans doute là toute l’originalité, mais non la seule, de la démarche de ce collectif interdisciplinaire bruxellois que de formuler des recommandations pour (re)penser collectivement la transformation de ces sites. Le concept d’ « enclave inclusive » sur lequel a abouti la masterclass Designing urban inclusion retient aujourd’hui toute l’attention des responsables des politiques de la ville et de Perspective Brussels, qui est le centre d’expertise en charge de la planification urbaine à Bruxelles. Une série de projets urbains à caractère social doit voir le jour prochainement à Bruxelles. Ceux-ci pourraient être d’ailleurs inspirés par les principes des « enclaves inclusives » mises de l’avant par Mathieu Berger et Benoît Moritz dans la conclusion de l’ouvrage Designing urban inclusion.

Des suites pour le Metrolab

Après avoir travaillé les aspects sociaux des projets urbains, les aspects écologiques et environnementaux, le MLB se tourne sur les aspects plutôt économiques liés à la production de la ville. L’objectif vise maintenant à associer deux

Masterclass sur l’Urban inclusion (Photo: Sara Cesari)

courants qui viennent de différentes disciplines afin de réfléchir la production urbaine et la ville productive à travers ses activités économiques qui vont au-delà des activités liées notamment au travail qui s’effectue en zones industrielles. L’autre moteur de la réflexion passe par la production urbaine sous son angle culturel en se détachant d’une perspective purement liée aux industries bruxelloises et en adoptant une lecture plus près de la culture, des activités et de l’animation des espaces urbains.

« Cela suggère qu’il faut s’attarder aux manières dont la ville produit finalement des scènes, des scénarios, produit des lieux, met en scène des espaces, des atmosphères, des ambiances, des animations, des événements, etc. C’est donc un autre aspect qui nous intéresse, mais on pourrait arriver avec une série d’autres acceptions de ce que « production » voudrait dire » – Mathieu Berger

*Maxime Boucher est doctorant au programme d’études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique – Urbanisation Culture Société à Montréal.