Compte rendu

Colloque – L’art dans l’espace public

6 et 7 juin 2019, Québec

Par Claudia Larochelle, professionnelle de recherche au Centre de recherche en aménagement et développement et pour le réseau Villes Régions Monde

Le 6 et 7 juin 2019 a eu lieu le colloque L’art dans l’espace public, l’événement était organisé par la Ville de Québec et l’Université Laval et réunissait plus de 350 participants (artistes, intervenants, chercheurs, etc.) au Musée National des beaux-arts du Québec. Ce rendez-vous a été l’occasion de faire un portrait inspirant des pratiques actuelles en matière d’intégration de l’art dans l’espace public et du même coup, fournir des pistes pour le renouvellement des politiques municipales dans ce domaine.

La conférence d’ouverture a été présentée par quatre artistes provenant d’une diversité de disciplines allant des arts vivants aux installations de grande envergure. BGL, Claudie Gagnon, et Jonathan Villeneuve ont échangé à propos de leurs démarches artistiques caractérisées par la collaboration avec une diversité d’intervenants. Comment concilier les enjeux de sécurité et les aspects esthétiques de l’œuvre ? Quels sont les impacts des programmes sur la réussite de la collaboration entre les divers intervenants ? Voilà des questions qui ont suscité des échanges mettant en lumière les défis et opportunités de l’intégration de l’art dans l’espace public.

Panel de discussion animé par Rhonda Rioux, directrice du Service de la culture du patrimoine et des relations internationales de la Ville de Québec. Crédit photo : Olivier Dubois

Spectacle déambulatoire extérieur « Où tu vas quand tu dors en marchant…? ». Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Entre contraintes et négociations

Le premier panel de discussion faisait écho à la multiplication des initiatives d’animation temporaire de lieux publics et interrogeait le rapport entre l’aménagement urbain et l’art. Animé par Geneviève Cloutier, professeure à l’École Supérieure d’Aménagement et de Développement et membre du réseau stratégique VRM, les échanges ont permis d’identifier les opportunités qui émergent des projets comme Où tu vas quand tu dors en marchant, elastic city, etc. Les rapprochements entre le spectateur et l’acteur, la mise en tension entre le cadre réglementaire en urbanisme et la liberté des créateurs sont vues comme des occasions de dialogue, d’échange et de négociation.

Après, Francesco Careri, architecte et enseignant au Département d’architecture de l’Université Roma Tre, en Italie et professeur invité à l’Université Laval -et ses étudiants nous ont amenés dans leur dérive urbaine. Leur démarche est motivée par l’exploration de lieux inusités de la Ville de Québec dans le but d’en saisir le sens. En sautant les barrières physiques et mentales, son équipe a porté un regard nouveau sur la complexité de la géographie de la Ville. Ces pratiques d’exploration nomades-dites walkscapes– invitent à sortir des sentiers battus et donnent naissance à des interventions artistiques porteuses de cohésion sociale.

Le deuxième panel analysait l’influence des balises (légales, physiques ou culturelles) sur la démarche des artistes. Les panélistes ont échangé sur la façon dont ils composaient avec les risques associés à la diffusion de leurs œuvres. Par exemple, Devora Neumark, artiste interdisciplinaire et chercheure, a abordé la question du risque dans le cadre de la lutte aux changements climatiques chez les communautés nordiques. Ses plus récentes études traitent des liens entre les déplacements forcés et les pratiques d’embellissement du «chez-soi» et offrent des pistes pour construire la résilience collective. Quant à Peter Gibson-allias Roadworth-, il nous a amené dans son univers de la peinture de rue et a abordé les façons avec lesquelles il construit son espace de liberté.

L’art et ses publics

Vendredi après-midi, c’est Rhonda Rioux, directrice du Service de la culture du patrimoine et des relations internationales de la Ville de Québec, qui a animé un échange autour des enjeux de l’actualisation de la politique d’intégration des arts à l’architecture de la Ville de Québec. La présentation de divers projets a donné lieu à des échanges très pertinents sur les enjeux d’accompagnement des artistes dans leur démarche, sur la relation entre l’œuvre et le spectateur et sur le rôle des urbanistes en amont de la démarche d’intégration d’une œuvre dans l’espace public.

Christian Ruby, philosophe et enseignant à l’école supérieure d’art et de design de Talm-Angers, interrogeait les façons dont l’art pourrait constituer des scènes politiques. À la suite de cette conférence de Christian Ruby, chercheurs, architectes et artistes ont présenté leur expérience à l’égard de la réception de l’art par les publics. L’art doit-il s’imposer au public ? Quels dialogues se développement entre une œuvre et son spectateur urbain ?

Synthèse

La synthèse de cette journée fut présentée par trois panélistes aux expertises complémentaires (Ianik Marcil, économiste, Pascale Bédard, sociologue et Patrick Turmel, philosophe). Au terme des deux jours de colloque, il semble que les thèmes de négociation et de contraintes ont été fortement mobilisés lors des échanges, des concepts familiers pour un économiste. Par contre, le concept de valeur marchande est difficilement applicable à la logique artistique, c’est-à-dire que l’art produit des externalités positives (ex. : à l’inverse de la pollution qui produit des externalités négatives), mais celles-ci ne sont pas quantifiables. D’un point de vue sociologique, Pascale Bédard a analysé les différentes tensions auxquelles fait face l’art public. Par exemple, l’art public a un pouvoir de subversion et de confrontation qui est mis en tension avec la volonté de faire consensus et d’être générateur de sens pour les habitants des espaces urbains. Ces tensions (ex. : entre la volonté de faire consensus et susciter les débats, entre le poids des institutions et l’espace de liberté, etc.) donnent lieu à des désirs, dont celui de rencontre avec le public afin d’éduquer, d’habiter les non-lieux, briser les préjugés et de préserver la reconnaissance envers les artistes. D’un point de vue philosophique, Patrick Turmel a invité les participants à se questionner sur la façon dont on peut justifier la présence de l’art dans l’espace public. Comment favoriser cette capacité de l’art à créer des relations, des rencontres, sans tomber dans le consensus ? Si l’art exige notre soutien collectif, ce n’est pas pour être amusant et divertir, mais pour déranger et provoquer, mais du même coup il y a un risque de compromettre la rencontre. Enfin, ces échanges sur les enjeux reliés à l’intégration de l’art dans l’espace public ont fourni une base commune aux divers intervenants pour identifier des recommandations à l’égard de la révision de la politique de la ville. Une perspective porteuse d’avenir serait d’offrir et d’élargir les espaces pour la création, de même que de défendre la vocation de ces espaces.