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Le développement urbain durable

Auteure : Maude Cournoyer-Gendron (août 2015)

 

À l’origine de la notion développement durable

L’émergence de la notion de développement durable remonte aux années 1960 et 1970. Le terme apparaît dans un contexte de prise de conscience collective des limites du développement industriel traditionnel (Meadows, Randers, & Meadows, 1972). La réflexion concerne principalement l’enjeu de la croissance (de la population comme de la consommation des ressources), qui ne peut être soutenue ni dans son rythme ni dans la durée.

Il y a donc, à cette époque, une prise en compte du problème environnemental à l’échelle internationale. Ceci se fait au travers de la tenue de grandes conférences mondiales (Stockholm 1972, Vancouver 1976, Rio 1992, Aalborg 1994) et par la mise sur pied d’un nouvel organe onusien, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) en 1983. C’est de cette commission qu’est issu un des documents fondateurs du développement durable, le Rapport Brundtland (Brundtland, 1987). Dans ce document, le développement durable est alors proposé comme une solution à la « crise environnementale » du moment, alliant les sphères de l’environnement, de l’économie et de la société, et tenant compte des générations futures.

Le développement durable et la ville

La ville est par ailleurs identifiée comme acteur-clé de la prise en compte de l’environnement, notamment lors de la conférence de Vancouver (1976) et d’Aalborg (1994). À cette échelle, il y a une proximité avec des enjeux (environnementaux, sociaux et économiques) très concrets puisque c’est là que la population subit les conséquences des inégalités environnementales, et c’est à cet échelon que s’organisent des actions ayant un impact immédiat sur la qualité de l’environnement urbain. La ville se trouve ainsi au cœur de conflits et de revendications sur l’accès à des espaces verts et pour une meilleure qualité de vie (Béal, 2011; Faburel, 2010; Fontan, Hamel, & Morin, 2012; Manzi, Lucas, Lloyd-Jones, & Allen, 2010). En ce sens, le développement durable peut être posé comme une réelle question urbaine, au centre d’enjeux d’interprétation et d’usages (Hamman 2012).

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Prendre en compte les enjeux de développement durable dans la planification de la ville aura amené quelques éléments nouveaux (gestion du risque, changements climatiques, inégalités environnementales), mais aura surtout entrainé une plus grande sensibilité dans le fait d’avoir une vision d’ensemble dans la planification de la ville. Ainsi, la gestion de l’eau, l’accès aux espaces verts, les transports collectifs, la participation citoyenne, sont des éléments liés dans le développement urbain durable. Pour un aperçu de l’ensemble des facettes du développement urbain durable, agrémenté d’exemples concrets de partout dans le monde, il est possible de se référer à l’ouvrage The Sustainable Development Reader (Wheeler et Beatley 2014, 3e édition).

Débats théoriques

Le développement durable, et sa mise en œuvre en milieu urbain ont été au centre de débats dans le champ des études urbaines et de l’urbanisme. Ces débats portent d’une part sur sa dimension théorique. En effet, comment considérer le terme de développement urbain durable? Est-ce un concept, une utopie, une théorie ou un objet d’étude? Quelle posture est prise par les chercheurs qui choisissent de l’étudier? (J. Lévy & Emelianoff, 2011; Pinson, Béal, & Gauthier, 2011). Les écrits mentionnent d’abord que la faiblesse conceptuelle du terme a été soulignée par l’ambiguïté de sa définition et par ses contradictions (Dufour, 2011; J.-P. Lévy, 2010; Manzi et al., 2010). Une ambiguïté nourrie par le fait que le développement durable a été repris maintes fois, approprié par différents acteurs provenant des milieux académique, politique ou professionnel, se soldant en une multiplication des définitions. On parle alors de la polysémie de la notion de développement durable. Les contradictions relatives à cette notion proviennent notamment de la difficulté de résoudre un problème à trois voies, de la difficulté de concilier les intérêts divergents des acteurs issus des différentes sphères d’intervention. Il faut aussi mentionner une imprécision concernant l’enjeu de la croissance qui est présente depuis la publication du Rapport Brundtland : il faudrait d’une part réduire la consommation de biens manufacturés et de l’autre, que les pays émergents atteignent le niveau de vie des pays industrialisés (Latouche, 1994, 2003). C’est une critique soulevée par les tenants de la géographie radicale, qui disent que le développement durable pourrait de cette façon être interprété de manière à ne pas remettre en cause la croissance ou le système économique capitaliste : le développement durable devenant une « recette » pour la survie du capitalisme, selon le principe de la modernisation écologique (une restructuration des processus de production et de consommation selon le contexte écologique selon Gendron 2006) (Desfor & Keil, 2004; Keil, 2007; Krueger & Gibbs, 2007; Swyngedouw, 2007). Ces auteurs remettent en question le fait que sous sa définition néolibérale, le développement durable ne signifie que d’apporter quelques modifications au système capitaliste pour le « réparer » et sortir de la crise, notamment avec la propagation de la notion du « smart growth » (il est aussi question de « sustainable fix ») (Long, 2014; While, Jonas, & Gibbs, 2004).

La mise en œuvre ardue d’un concept débattu

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C’est là un autre des constats de la littérature sur le développement durable : le défi que représente sa mise en œuvre. Mancebo (2008) mentionne le problème de la performativité du terme, en appuyant ses propos par l’exemple de la mise en place (qualifiée de faible et mitigée) des Agendas 21 locaux en France. Deux principales raisons sont mentionnées quant aux difficiles avancés vers le développement durable. D’une part, la transversalité du terme demande une collaboration à la fois horizontale et verticale, entre secteurs d’intervention, entre échelle d’action et entre les territoires (Bernié-Boissard & Chevalier, 2011; Chaboud, Froger, & Méral, 2009; Godard, 2005; Laganier, Villalba, & Zuindeau, 2002). D’autre part, le développement durable suggère une vision à long terme (dans la notion d’équité intergénérationnelle) qui ne cadre pas toujours avec la vision à court terme des mandats politiques et des programmes de financement.

Chicago_pistecyclableDéveloppement urbain durable : la ville durable en question

Tout comme le développement durable, le développement urbain durable (DUD) pose la question de sa mise en œuvre et de sa définition. Le DUD est présenté comme une solution de remplacement au développement industriel traditionnel de la ville, la ville durable est maintenant un idéal à atteindre. Le développement durable est maintenant présent dans les politiques urbaines, et est posé comme un enjeu pour l’aménagement du territoire (Béal, 2009; Combe & Scherrer, 2011; Gariépy & Gauthier, 2011; Gauthier, 2009; Gauthier, Gariépy, Trépanier, & Alain, 2008). Toutefois, la promesse que représente la ville durable, bien présente dans les années 1990 et 2000 où elle était présentée comme une situation gagnante-gagnante («win-win situation») entre les sphères environnementales, sociales et économiques, aurait été ébranlée par la crise financière de 2008 (Flint et Raco 2012). Les auteurs rassemblés dans l’ouvrage que Flint et Raco ont édité en 2012 se consacrent à étudier les impacts de cette crise financière et du contexte économique qui s’en suit sur les conceptions de la durabilité urbaine, sur les changements possibles dans les façons de planifier et construire la ville, la façon dont les changements induits par la crise financière viennent modifier la politique et la gouvernance urbaine (notamment, les relations entre le marché et les administrations publiques), dans la perspective d’émettre des hypothèses sur ce à quoi la ville durable (et la durabilité urbaine) ressemblera dans le futur (Raco & Flint, 2012). Mike Hodson et Simon Marvin (2014) posent aussi la question de l’avenir des villes durables, mais surtout sur ce qui viendra « après » celle-ci, adressant une mise en garde quant à une modification du discours entourant la ville durable (équité intergénérationnelle, justice sociale et responsabilité globale) vers une interprétation plus technique et plus centrée sur un agenda économique. Plusieurs propositions de villes peuvent être associées à l’idéal de la ville durable dans son interprétation plus technique, telles que la ville post-carbone ou encore la ville intelligente. La ville durable demeure donc au centre d’un enjeu de définition. C’est précisément cette question qui est posée dans le volume 147 de la revue Espaces et Sociétés intitulé « Quelle ville durable ? ». Une ville durable qui est toujours à venir, qui n’existe pas encore, et dont la vision se pose comme un projet de ville ou un projet de société (J. Lévy & Emelianoff, 2011).

Sites web d’intérêt :

collectivitesviables.org Créé sous l’initiative de Vivre en ville, ce site web rassemble une grande quantité d’informations concernant les enjeux relatifs au développement urbain durable, les stratégies pour y faire face, et des études de cas.

villedurable.org Plateforme de références regroupant guides techniques et supports méthodologiques pour la mise en œuvre de projet de développement urbain durable.

Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) Organisation visant à représenter et défendre les intérêts des gouvernements locaux sur la scène mondiale. L’un des axes d’action est le développement urbain durable.

Novae Média sur le développement durable au Québec.

ICLEI – Local Governments for Sustainability  Réseau de villes et régions métropolitaines engagées vers le développement durable.

Sustainable Cities Collective  Ressource en ligne pour les élu.e.s locaux et professionnel.le.s de l’aménagement sur les thèmes de la planification urbaine, du développement durable et de l’économie régionale.

Bibliographie

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Bernié-Boissard, C., & Chevalier, D. (2011). Développement durable : discours consensuels et pratiques discordantes. Montpellier et Nîmes. Espaces et sociétés, 147(4), 41-55. doi : 10.3917/esp.147.0041

Brundtland, G. H. (1987). Notre avenir à tous, rapport de la commission mondiale sur l’Environnement et le Développement. Paris : Les éditions du fleuve.

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