Lisa-Flor Sintomer, 2016

Lisa-Flor Sintomer, 2016

Capsule thématique

Le logement social au Québec

Auteure : Lisa-Flor Sintomer* (novembre 2016)

 

Introduction

Au Québec, le logement social et communautaire a pour mission de fournir un logement à un prix abordable aux ménages à revenus faibles et modestes, ne pouvant se loger sur le marché privé. Ainsi, sans l’aide de l’État, des milliers de personnes se trouveraient dans l’incapacité d’obtenir un logement adapté à leurs besoins et leur revenu. Face à cela, différents programmes d’aide ont été mis en place au fil des années par les gouvernements canadien et québécois, afin de s’adapter aux demandes et revendications de la société civile. De ces programmes ont émergé trois types de logements sociaux peu après la fin de la seconde guerre mondiale, les Habitations à Loyer Modique (HLM), les coopératives d’habitation et les Organismes Sans But Lucratif (OSBL). Les HLM, créés il y a une quarantaine d’années, sont gérées par les Offices municipaux d’habitation (OMH), des organisations nées suite à la création de la Société d’Habitation du Québec en 1967. Les HLM s’adressent principalement aux ménages à faibles revenus, qui ne consacrent que 25% de leur revenu au loyer. Les coopératives d’habitation représentent le second type de logements sociaux. Elles sont gérées par leurs membres et certaines unités peuvent bénéficier de subventions de l’État afin de réduire le coût du loyer. Enfin, le secteur compte également des logements gérés par des OSBL. Ces derniers d’adressent notamment à des personnes avec des besoins particuliers (personnes itinérantes, personnes avec handicaps physiques ou mentaux, personnes âgées, familles nombreuses, …). Ils sont également subventionnés par le gouvernement fédéral. Ces différentes formes sont issues de la confrontation et de la collaboration des différents acteurs, soit le secteur public, la société civile, le tiers secteur et le secteur privé. Dans ce texte, nous retracerons dans un premier temps les principaux programmes mis en place au fil des ans, avant de dresser un portrait rapide des programmes actuels. Ensuite, nous verrons la tendance actuelle d’intervention en matière d’habitation abordable pour les différents paliers gouvernementaux.

I/ Retour sur le développement du logement social et communautaire au Canada.

La naissance du logement social au Canada et au Québec

Le Canada est reconnu pour « avoir mis sur pied de nombreux programmes sociaux en vue de lutter contre la pauvreté et d’offrir des conditions de vie convenables à l’ensemble de sa population » (AGRT, 2002). Dans le domaine du logement, les premiers programmes de logements sociaux font leur émergence au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avec la création notamment de la Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL) en 1946. La SCHL est pensée comme un outil destiné à soutenir le développement de ce secteur. Le logement devient alors « un bien collectif important, indispensable à la stabilisation de la vie des Canadiens dans le besoin » (SCHL, 2011, p.139). La mise en place des premières politiques publiques se poursuit en 1950 avec la première entente fédérale-provinciale, signée entre la SCHL et la province de Terre-neuve. De nombreuses autres vont suivre, traduisant une volonté de la part du gouvernement du Canada d’investir massivement dans le secteur. Toutefois, la fin de la première phase d’essor, entre 1945 et 1975, est caractérisée par un changement de stratégie de la part du gouvernement fédéral qui va plutôt favoriser des ententes entre les différents paliers gouvernementaux. Avec le changement de conjecture économique, l’État fédéral n’a plus les mêmes ressources.

Le retrait progressif du financement de l’État fédéral

La seconde phase de développement du logement social et communautaire, qui dure de la fin des années 1960 au début des années 1980, est marquée par le début d’un désengagement progressif de l’État fédéral, qui avait soutenu sans interruption le développement du secteur (CHF, 2016). La formule publique s’essouffle et le développement des logements sociaux et communautaires est pris en main par des coopératives et des OSBL, aidés par les gouvernements fédéral et provincial. Ces derniers sont moins impliqués dans la gestion directe. Toutefois, les subventions et les ressources du secteur public se raréfient, notamment à partir de 1994 avec le retrait du financement du gouvernement fédéral (Bergeron, 2013). Celui-ci continue de respecter les accords antérieurs à 1994 en continuant de financer les derniers programmes déjà en cours mais met un terme aux ententes-cadres provinciales-fédérales. Les provinces, comme le Québec par exemple, se retrouvent dans une situation complexe où le transfert des responsabilités entre paliers gouvernementaux ne s’accompagne pas d’un transfert de fonds. Elles se retrouvent seules à assumer les coûts croissants du secteur du logement social et communautaire. D’autre part, si l’autofinancement, soit la capacité à contribuer au financement de ses opérations, est alors possible pour une partie des organismes, il ne l’est pas pour tous. Aujourd’hui, les dernières conventions arrivent à échéance, si ce n’est pas déjà fait, et aucun nouveau programme récurrent et sur le long terme n’a été mis en place pour garantir la pérennité des projets existants.

II/ Les programmes d’aide gouvernementaux

Tout au long du développement du logement social, plusieurs programmes d’aide gouvernementale ont fait leur apparition, en lien avec les besoins en matière de logement abordable, qui n’ont cessés de croitre et d’évoluer au fil du temps. Il faut souligner que la mobilisation de la société et des organismes communautaires a joué un rôle important dans l’essor des projets et l’intervention de l’État ne se fait souvent qu’au prix de fortes luttes populaires (Germain, Rose et Twigge-Molecey, 2010). Les mesures adoptées sont fortement influencées et inspirées par les revendications portées par les mouvements sociaux en matière de logement, tout particulièrement dans les années 1990 au Québec. L’aide accordée par le gouvernement a pris diverses formes : programme de rénovation des logements existants (à partir de 1973), prêt hypothécaire à taux réduit pour démarrer un projet, aide individualisée permettant à certains locataires de payer un loyer ajusté à leur revenu, soutien à la gestion, etc. Diverses stratégies sont expérimentées afin de répondre aux enjeux qui ne cessent d’évoluer : faire face à une pénurie de logements, permettre à des ménages incapables d’accéder à la propriété individuelle mais aux revenus stables de trouver un logement à prix modique ; s’adapter aux transformations démographiques, à l’augmentation des besoins en matière logements adaptés pour les aîné.e.s, au vieillissement du parc de logements sociaux existant ; ou encore l’augmentation, due à la pauvreté, de l’itinérance et des évictions ; ou encore des problèmes économiques et sociaux rencontrés par les familles logées. Les programmes sont ainsi mis en place par les différents paliers de gouvernement, autant au fédéral qu’au provincial.escaliers-montreal-800x534

Le désengagement progressif de l’État se poursuit toutefois. Le 26 février 2014, le gouvernement canadien dirigé par Steven Harper annonce qu’il ne renouvellerait pas les subventions attribuées aux ménages à faible revenu vivant dans les logements sociaux gérés par des coopératives ou des organismes à but non lucratif (OSBL) au terme des conventions d’exploitation (Constantin, 2015). C’est le cas du Programme Supplément Loyer (PSL) né dans les années 1970, qui fixait le loyer à 25% du revenu familial. Globalement, la fin des conventions d’exploitation s’échelonne entre 2015 et 2020, période à laquelle le choc de la fin du financement fédéral pour ces programmes va se faire le plus sentir sur les locataires. Dépendamment des accords, les hausses de loyer peuvent atteindre en moyenne entre 200 et 300 dollars mensuels. Ces mesures vont toucher près de 585 000 logements, dont 125 550 au Québec (Ibid).

Les gouvernements provinciaux tentent de contribuer financièrement et ce, depuis 1994, afin de répondre aux inquiétudes majeures provoquées par l’annonce des réformes. Le Québec, par exemple, a tout d’abord mis en place des programmes à financement conjoint (CMM, 2012). Accès Logis, qui date de 1997, favorise ainsi la réalisation de logements abordables. Logement Abordable Québec (LAQ) réserve 75% des logements pour des ménages et personnes à faible revenu. Le programme sans but lucratif privé (PSBL-P) permet, lui, des baisses de loyers pour certains locataires à faible revenu. Les municipalités et le milieu sont également mis à contribution, pendant que le gouvernement fédéral continue à assurer entre 50 et 100% du financement. D’autre part, sur leurs fonds propres, les provinces financent des mesures provisoires. Le Québec a notamment adopté en 2015 un décret visant à financer un milliers de programmes supplément au loyer (PSL) sans contribution fédérale. Enfin, les intervenantes et intervenants du milieu se mobilisent également pour trouver des solutions de financement alternatives aux subventions directes par l’État, comme par exemple constituer des fonds de réserve autonomes.

III/ Penser une nouvelle approche d’intervention de l’État fédéral pour le logement abordable

Face à ces nouveaux défis, les organismes communautaires actifs sur la question du logement abordable s’organisent pour trouver des solutions. Pour eux, il est urgent d’agir avant que la situation ne devienne irréversible. De plus, les coupes budgétaires s’attaquent autant aux structures qu’aux programmes eux-mêmes (Porter, juillet 2015), fragilisant l’ensemble du secteur du logement social et communautaire. Pour les différents organismes, il est crucial, d’une part, d’interpeller l’État dans son rôle de régulateur et d’arbitre et de demander la création de nouveaux programmes destinés à soutenir le développement du secteur et à faciliter l’implantation de projets. En parallèle, il est également essentiel de protéger le parc locatif existant (Gaudreault, 2015). Ce dernier, vieillissant, nécessite l’investissement de sommes considérables destinées à rénover et à mettre aux normes les habitations. Sans l’aide de l’État, la plupart des gestionnaires sont dans l’impossibilité de dégager les fonds nécessaires pour effectuer les réparations. Pour les organismes communautaires, il s’agit alors de faire du logement social un enjeu dans les campagnes électorales, par des actions de terrain telles que des manifestations et des occupations, ou encore par la diffusion de recherches et de rapports. L’enjeu est de taille pour éviter que des milliers de personnes ne se retrouvent dans des situations de mal logement et ne replongent dans la pauvreté (RQOH, 2016).

Récemment, en 2015, l’arrivée du gouvernement libéral de Justin Trudeau à la tête du pays a quelque peu modifié la position du gouvernement fédéral. Ainsi, ce dernier s’engage à maintenir certaines aides et à consacrer « des investissements de l’ordre de 48 milliards dans sa prochaine phase d’investissements pour les infrastructures, incluant un fonds pour l’infrastructure sociale » (FSM, 2016). D’autre part, une consultation publique nationale a été annoncée en avril 2016 afin d’orienter la stratégie canadienne pour le logement. Elle porte sur la nouvelle approche d’intervention en habitation que le gouvernement souhaite mettre en place dans les prochaines années et est ouverte aux différents intervenants du secteur. Les résultats seront présentés ultérieurement.

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Vieux-Montréal, Maude Cournoyer-Gendron 2015

Conclusion

L’accès à des logements abordables et adéquats au Canada fait l’objet de débats soutenus, notamment sur la question du rôle que l’État doit jouer. Plusieurs visions s’affrontent. Le gouvernement fédéral, d’une part, continue dans sa volonté de réduire au maximum sa participation et son engagement. Il compte notamment sur l’autonomisation financière progressive du secteur. De l’autre, une partie des organismes de lutte pour le droit au logement conteste les réformes actuelles qui ne favorisent pas, selon eux, l’ensemble des locataires. Elle rappelle que le besoin en logements abordables est toujours criant et dénonce le désengagement des gouvernements sur ce dossier. De plus, ces organismes revendiquent que les fonds soient investis dans le logement social et non dans le secteur privé. Il s’agit de lutter contre la logique du profit dans le logement social et abordable et d’éviter les phénomènes de gentrification. Quant aux promoteurs, dans le secteur à but lucratif et non lucratif, ils remettent en cause les règlementations toujours plus nombreuses qui nuisent, selon eux, à la construction, conservation et rénovation de nouveaux logements. Reste à savoir comment et quand seront construits les 100 000 logements abordables (Co-operative Housing Federation of Canada & al., 2016) réclamés par la coalition de sept organismes reconnus comme des leaders dans le domaine du logement au Canada, unités de logement essentielles et nécessaires pour faire face aux transformations actuelles de notre société.

*Lisa-Flor Sintomer est étudiante à la maîtrise en géographie à l’UQAM

Bibliographie

Association des Groupes de Ressources Techniques du Québec & Comité sectoriel de la main d’œuvre – économie sociale et action communautaire (AGRT). (2002). Intro IV – Programmes et subventions. Québec.

Bergeron-Gaudin, J-V. (2013). Quand le mouvement communautaire se fait entrepreneur : tensions et limites de l’économie sociale. Montréal : Mémoire de maitrise en travail social. p. 11-13.

Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM). (2012). Le rôle des municipalités dans le développement du logement social et abordable. Montréal : CMM.

Constantin, L. (2015). Le logement social mis à mal. Relations. 778. mai-juin. p.6-7.

Co-operative Housing Federation of Canada & al. (2016). Le logement abordable : fondement de l’inclusion sociale. Canada : Déclaration conjointe.

Fédération Canadienne des Municipalités (FSM). (2016). Tous les Canadiens ont besoin d’un endroit où vivre qui soit sûr et abordable. La Presse. 15 juillet.

Gaudreault, A. (2015). Rapport final. Les caractéristiques économiques et la viabilité financière du parc des OSBL d’habitation du Québec. Montréal : RQOH.

Germain, A., Rose, D. & Twigge-Molecey, A. (2010). Mixité sociale ou inclusion sociale? Bricolages montréalais pour un jeu à acteurs multiples. Espaces et Sociétés. 140-141. p. 143-157.

Porter, I. (2015). Le logement social engagé dans la réforme. Le Devoir. 18 juillet.

Réseau Québécois des OSBL d’Habitation (RQOH). (2016). Le logement décent et abordable, au cœur de la lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale : Mémoire présenté au ministre de l’emploi et de la solidarité sociale, monsieur François Blais. Montréal : RQOH.

Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL). (2016). Evaluation du marché de l’habitation. Troisième trimestre.