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Compte rendu

« Faire couple » dans l’immigration au Québec : contraintes socio-administratives et arrangements privés  

Conférence d’Anna Goudet, candidate au doctorat en études urbaines, INRS-UCS et de Karine Geoffrion, professeure adjointe, Université Laval   

Compte rendu par Guylaine L’Heureux, étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’UQAM

Événement organisé dans le cadre des Midis de l’immigration, tenu à l’INRS-UCS, le 7 octobre 2021.

 

Introduction

Il est acquis que l’immigration présente de nombreux défis dont les impacts se font ressentir sur la vie intime et familiale des personnes évoluant dans cette trajectoire. C’est autour des enjeux touchant la construction de projet de vie commun, au fil du parcours migratoire, que reposent les recherches menées par les deux conférencières. Elles ont pu mettre en lumière, d’une part, une recherche illustrant combien la gestion de l’argent et les arbitrages résidentiels – incluant les rapports de pouvoir qui y sont liés – touchent à la fois à la dynamique conjugale et au statut de femmes migrantes et, d’autre part, un état des travaux illustrant la complexité des dédales administratifs que doivent apprivoiser les couples binationaux.

 

Les défis des couples qui immigrent ensemble

Le projet de recherche de la doctorante Anna Goudet lui a permis de rencontrer 25 travailleur.se.s qualifié.e.s, soit 14 femmes et 11 hommes, arrivés dans la région de Montréal entre 2001 et 2016. Historiquement, la doctorante mentionne que l’espace domestique est assez peu étudié et que les femmes migrantes qualifiées ont été écartées des études sur la migration, d’où la pertinence d’entreprendre cette recherche. Son étude a révélé comment évoluent la gestion de l’argent et les arbitrages résidentiels au sein de couples hétérosexuels au fil du parcours migratoire et leurs conséquences sur leur dynamique conjugale, notamment les impacts sur le rôle et le statut des conjointes. Ces deux dimensions sont de bons indicateurs de la manière dont le parcours migratoire peut contribuer à engendrer ou exacerber les inégalités au sein des couples. La recherche a fait émerger trois façons de « faire couple », soit : le projet conjugal, la complémentarité conjugale et la mutualité conjugale. Ces trois dynamiques reposent sur un partage des ressources et des responsabilités entre conjoints variables selon le genre.

 

La migration internationale et les défis des couples binationaux

Afin de mettre en lumière certains éléments d’une recherche exploratoire, la professeure Karine Geoffrion, anthropologue, a décrit les grandes lignes d’un cas spécifique, celui d’une Canadienne mariée à un Européen dont le dossier de réunification conjugale a été rejeté par les autorités migratoires canadiennes. Elle a précisé qu’il n’incarne pas forcément un cas type. Cependant, les nombreuses démarches bureaucratiques illustrent la façon dont les citoyen.nes canadien.nes, en couple avec une personne d’une autre nationalité, prennent conscience des défis liés à l’immigration. La lourdeur des contraintes engendrées par les dédales administratifs pèse sur le parcours de ces couples binationaux et a une grande incidence sur la vie intime et familiale des femmes canadiennes qui traversent ce cheminement. La professeure souligne que cette réalité est peu connue et peu étudiée dans le cadre des recherches en immigration.

On retiendra que l’appareil gouvernemental semble assez opaque même pour une citoyenne canadienne maîtrisant l’une ou l’autre des langues officielles. Chaque étape à franchir et les nombreux écueils qui s’y rattachent font valoir sans ménagement qu’il s’agit d’un privilège et non d’un droit de réunir couples et familles dans leur désir de vivre ensemble au Canada. Le droit à la mobilité n’est pas le même pour tous et les frontières nationales ne sont pas perméables. Dans l’exemple offert par la chercheure, les écueils pèsent lourd tout autant sur la santé financière que mentale et mettent en suspens la vie familiale. Le plus grand soutien guidant les démarches de migration et de réunification apparaît par le truchement d’échanges au sein de groupes évoluant dans les réseaux sociaux ou par les interventions ponctuelles de députés ayant une marge de manœuvre limitée pour épauler les citoyens dans ces dossiers. Afin d’affronter les barrières à la migration, le développement de stratégies de navigation formelles et informelles à la limite de la légalité, dans certains cas, devient la seule issue. La professeure mentionne que la pandémie n’a pu qu’aggraver la situation et révéler combien tout le système était déjà défaillant.

 

Conclusion

On retiendra que les rouages administratifs complexes et les défis qui jalonnent la trajectoire migratoire ont une incidence significative tant sur les relations conjugales que familiales. La doctorante Anna Goudet soulève des pistes qui viendraient étoffer le portrait déjà dressé, soit : la suite de l’exploration de certaines régions du monde, absentes de sa recherche et le regard sur divers modèles de couple, notamment celui de couples binationaux. La professeure Karine Geoffrion poursuit, pour sa part, sa recherche qui s’inscrit dans la foulée de travaux entrepris au doctorat autour de la question des couples binationaux.