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Toronto. Par Derek Tsang, CC BY 2.0.

Capsule thématique

Les relations entre les paliers fédéral et municipal au Canada

Auteur : Catherine Lalonde* (mars 2016)

 

Présentation

D’entrée de jeu, l’analyse du rôle que joue le gouvernement fédéral dans les villes canadiennes peut sembler paradoxale. Après tout, les administrations locales du Canada relèvent exclusivement du palier provincial; d’où l’expression répandue « les villes sont les créatures des provinces ». Toutefois, au cours des dernières décennies, il y a eu un regain d’intérêt de la part du palier fédéral quant aux enjeux urbains canadiens. Visant à faire le point sur le renouveau de l’intérêt du gouvernement fédéral pour les villes, ce texte va d’abord dresser un portrait général de son rôle au sein des affaires urbaines. Ensuite, nous ferons une brève description du contexte constitutionnel auquel ce palier de gouvernement doit se conformer pour agir concrètement sur les enjeux urbains. Enfin, nous aborderons les deux modèles d’implication du fédéral au sein des villes qui ont été définis et analysés au cours des vingt dernières années. Pour conclure, certains domaines d’intervention où le gouvernement fédéral intervient localement sont présentés.

Crédit photo : Yann Fauché 2005. CC BY-SA 2.5

Crédit photo : Yann Fauché 2005. CC BY-SA 2.5

Pourquoi le palier fédéral s’intéresse-t-il aux villes?

Le gouvernement fédéral s’intéresse aux villes notamment parce qu’elles sont les moteurs économiques de notre société. Plus de 80 % de la population canadienne se concentre dans les centres urbains, faisant de ceux-ci les théâtres principaux de l’activité humaine au Canada. Ainsi, toute décision du gouvernement a une incidence directe ou indirecte sur les villes et leurs habitants. De plus, les dépenses des administrations locales ont augmenté considérablement au cours des dernières décennies, notamment en raison du transfert de responsabilités des gouvernements supérieurs vers les paliers inférieurs (qu’on appelle aussi la décentralisation) et des changements sociaux auxquels les municipalités sont confrontées (Stoney et Graham, 2009). De plus, les villes sont source de capital politique, c’est-à-dire que les actions du gouvernement au sein de celles-ci, surtout sous la forme de subventions, contribuent largement à la visibilité du gouvernement canadien et du parti politique au pouvoir (Stoney et Graham, 2009).

Le contexte juridique canadien

Historiquement, le gouvernement fédéral a été réticent à l’idée d’agir directement au sein des villes, en empiétant dans les champs d’intervention du palier provincial. Les tensions entre le gouvernement canadien et les provinces ont contribué à l’affaiblissement de la présence du palier fédéral dans les affaires urbaines entre 1980 et 1995, alors que la question nationale et la saga constitutionnelle occupaient une importante partie de sa ligne d’action politique. Depuis une vingtaine d’années, puisque les débats entourant la question nationale se sont estompés, le gouvernement fédéral a pu à nouveau s’immiscer au sein des affaires urbaines, bien que ses interventions aient été faites d’une manière ponctuelle. Le gouvernement canadien intervient au gré des pressions politiques qui pèsent sur lui, selon les surplus budgétaires et les calculs politiques, ayant toujours en tête le climat politique entre lui et les provinces (Stoney et Graham, 2009).Ca-map

Le cadre juridique canadien fait en sorte que les provinces ne peuvent être écartées des discussions et des négociations qui entourent les politiques publiques et les programmes relatifs aux villes. Elles agissent en tant qu’intermédiaires entre les municipalités et le gouvernement fédéral et négocient les ententes au nom des municipalités. Ainsi, presque toute somme d’argent destinée aux municipalités transite d’abord par les coffres provinciaux avant d’être redistribuée selon des mécanismes propres à chaque province (Bojorquez, Champagne et Vaillancourt, 2009). Au Québec, par exemple, ces subventions transitent premièrement par la SOFIL (Société du financement des infrastructures locales) avant d’être distribuées parmi les villes de la province

Nature des relations et des échanges entre le gouvernement fédéral et les villes

Puisque les administrations locales ne relèvent pas du palier fédéral, les interventions de ce dernier en la matière changent de nature et d’intensité selon les priorités et la ligne d’action établies par le parti politique au pouvoir. De manière générale, le palier fédéral a maintenu une présence implicite au sein des villes, sauf lors du passage au pouvoir de Paul Martin entre 2004 et 2006, qui a introduit une politique nationale urbaine explicite, sujet qui sera traité dans la prochaine section. À l’exception de cette expérience, les relations fédérales-municipales sont généralement « top-down », puisqu’il n’existe aucune structure formelle permettant aux municipalités de dialoguer avec le palier fédéral (Bradford, 2007). Aujourd’hui, le gouvernement fédéral est présent dans les villes par le biais de versement de subventions conditionnelles. Ces dernières sont encadrées par des ententes entre gouvernements et acteurs non-gouvernementaux au sein d’arrangements de financement triparti (Bojorquez, Champagne et Vaillancourt, 2009), notamment en ce qui a trait aux programmes d’infrastructures.

Les deux modèles récents de la présence du fédéral dans les affaires urbaines

 Paul Martin et le fédéralisme profond (2004-2006)

De façon générale, par le passé, les Libéraux ont été reconnus comme plus enclins à agir dans les villes et à négocier avec les provinces leur place au sein des affaires urbaines. Tel a été le cas avec Paul Martin, qui en 2005 a introduit son Nouveau pacte pour les collectivités canadiennes. Engagé dans un « fédéralisme profond », le gouvernement Martin a mis de l’avant la collaboration multiniveau et l’élaboration de politiques adaptées au milieu (Bradford, 2005). Bradford (2007) affirme que le gouvernement Martin a tenté d’établir une politique nationale urbaine explicite afin de transformer les relations entre le fédéral et les municipalités en impliquant ces dernières dans l’élaboration de politiques publiques. Le Nouveau pacte pour les collectivités a été construit sur trois piliers : 1) pourvoir toutes les municipalités de sources de revenu prévisible à long terme; 2) établir des mécanismes de collaboration multiniveau pour l’élaboration de politiques adaptées au milieu dans les grands centres urbains ; 3) introduire une perspective urbaine pour évaluer et améliorer les activités fédérales au sein des villes (Bradford, 2007). Cette nouvelle approche a donné lieu à quelques projets territoriaux, dont l’Initiative d’économie sociale créée en 2004 ainsi que le projet Inclusive Cities Canada (ICC), entamé en 2003. Ces programmes d’essai visaient à mieux comprendre les mécanismes d’interactions entre une diversité de partenaires, dont plusieurs ministères fédéraux, ainsi qu’à étudier comment une pluralité d’acteurs pouvait collaborer pour livrer des programmes sociaux. La majorité des programmes d’essai mis en place par le gouvernement Martin n’ont pas été prolongés par le gouvernement Harper, bien que plusieurs éléments financiers et fiscaux du pacte existent toujours, comme le transfert de la taxe sur l’essence ainsi que les programmes d’infrastructure.

Stephen Harper et le fédéralisme d’ouverture (2006-2015)

Les Conservateurs ont fait preuve d’un « fédéralisme d’ouverture », qui souligne la primauté de la répartition des pouvoirs législatifs. Le gouvernement Harper a écarté l’esprit multiniveau du Nouveau pacte pour les collectivités pour créer ce qui ressemble à un nouveau pacte pour les provinces (Bradford, 2007). Le gouvernement fédéral s’est engagé à ne pas empiéter sur le champ législatif des autres paliers de gouvernement et lorsqu’il l’a fait, c’était avec retenue. L’iniquité fiscale  entre les paliers gouvernementaux a été « corrigée » par l’entremise de subventions inconditionnelles et de réductions d’impôts. Le gouvernement Harper ne s’est toutefois pas complètement retiré des villes. Il s’est plutôt retiré des ententes multiniveaux afin de limiter la présence du palier fédéral au sein des municipalités (Bradford, 2007). Les programmes d’infrastructures notamment ont été maintenus et bonifiés depuis 2006, tantôt pour remédier à l’iniquité fiscale entre les paliers gouvernementaux, tantôt pour stimuler l’économie canadienne en temps de récession (Bojorquez, Champagne et Vaillancourt, 2009).

Domaines politiques principaux de l’intervention fédérale

Infrastructure

Calgary, Alberta skyline in the predawn looking southwest from the hill below 1st Ave NW. Photo by Chuck Szmurlo, 2007. CC BY 2.5

Calgary, Alberta skyline in the predawn looking southwest from the hill below 1st Ave NW. Photo par Chuck Szmurlo, 2007. CC BY 2.5

Depuis 1994, le gouvernement fédéral intervient principalement au sein des villes par l’entremise des différents programmes de subvention destinés aux infrastructures physiques. Ces programmes, ainsi que le Fond de la taxe sur l’essence qui est devenu le véritable pilier des programmes d’infrastructure fédéraux, sont encadrés par des ententes fédérales-provinciales-territoriales. Gérés par Infrastructure Canada, les programmes contemporains ont gardé un format similaire aux programmes originaux, c’est-à-dire des subventions conditionnelles avec partage triparti des coûts (Bojorquez, Champagne et Vaillancourt, 2009; Champagne, 2014). Ces programmes ont eu d’importantes répercussions, agissant comme incitatifs auprès des administrations locales afin d’investir davantage dans leurs réseaux d’infrastructures physiques vieillissantes.

Immigration et établissement des nouveaux arrivants

L’immigration est un bon exemple de domaine politique négocié quasi strictement entre les gouvernements supérieurs et qui affecte grandement les municipalités. Dans ce domaine, on constate que le rôle des provinces est de plus en plus important, surtout depuis l’Examen des programmes relatifs à l’établissement et l’intégration des immigrants, entamé en 1995. De cet exercice a découlé une série d’accords, signés entre 1996 et 2001. Ces accords ont transféré (ou comme certains diraient, décentralisé) la gestion des services d’aide et d’établissement destinés aux immigrants vers les gouvernements provinciaux (Andrew, 2014). L’Ontario a été la première province à inclure les municipalités au sein de l’accord, donnant lieu à la création de structures administratives multiniveaux pour la gestion de l’établissement des immigrants dans la province (Andrew, 2014). Par ailleurs, plusieurs organismes responsables des différents services d’intégration traitent directement avec les provinces, sans passer par l’administration municipale. En ce sens, le rôle des municipalités dépend des ententes conclues entre leur province respective et le gouvernement fédéral. La Ville de Toronto, destination principale des immigrants au Canada, jouit d’un statut privilégié dans les négociations entourant l’immigration sur son territoire. En effet, la métropole a conçu, avec les gouvernements supérieurs, le Protocole d’entente Canada-Ontario-Toronto sur l’intégration et l’établissement des immigrants afin d’orienter sa stratégie d’accueil.

Projets de réaménagement multiniveau et propriétés fédérales en milieu urbain

Les projets de revitalisation du Canal-de-Lachine à Montréal et du secteur riverain de Toronto sont deux projets d’aménagement multiniveau qui ont eu recours à la création d’organismes regroupant des représentants de toutes les parties prenantes, nommés Pôle des Rapides (Montréal) et Waterfront Toronto. Les relations entre les trois paliers de gouvernement ont été institutionnalisées au sein de ces organismes de coordination de la planification du développement (Young, 2013; Collin et all., 2010), ce qui a habilité la création de comités, qui ont quant à eux facilité la contribution des acteurs non-gouvernementaux (Young, 2013). De plus, ces organismes ont formalisé les relations entre les acteurs impliqués, faisant en sorte que ces derniers jouissaient d’un espace pour dialoguer entre eux. Dans le cas du projet torontois, la création de Waterfront Toronto a permis la réalisation d’un projet qui a été initié au début du XXe siècle. Les projets de réaménagement des propriétés fédérales sont de bons exemples de gouvernance multiniveau, puisque les gouvernements se voient contraints à collaborer afin de compléter un projet qui convient à tous.

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Vancouver. Image du domaine public.

De manière générale, le palier fédéral ne prend pas part aux projets d’aménagement, sauf pour contribuer à leur financement. Dans le cas de ces deux projets de revitalisation, le palier fédéral s’est davantage impliqué, car il s’agit de propriétés qu’il administre. Par ailleurs, le gouvernement fédéral à la capacité d’influencer considérablement les décisions d’aménagement au sein des villes canadiennes puisqu’il possède et administre un nombre important de terrains, bâtiments et réseaux d’infrastructures, dont plusieurs sont situés en ville. Lorsque les projets d’aménagement locaux touchent ces propriétés, le palier fédéral doit nécessairement prendre part aux discussions, donnant parfois lieu à des négociations tendues entre les différents acteurs concernés.

Conclusion

Sans couvrir l’ensemble des rôles pris par le gouvernement canadien au sein des villes et des municipalités du pays, ce texte a souligné la variation de l’intervention fédérale dans les affaires urbaines au fil des années et des partis politiques au pouvoir. Le gouvernement fédéral semble donc intervenir au cas par cas avec les différentes villes et sans se doter de lignes d’action ou de grands objectifs précis qui auraient su transcender les changements de gouvernement. Toutefois, l’influence du gouvernement fédéral au sein des villes demeure importante dans plusieurs domaines politiques, quoique souvent indirecte. C’est notamment le cas pour les questions d’immigration ou encore pour les infrastructures.

Au cours des dix dernières années, en raison de l’idéologie conservatrice qui dit vouloir donner plus de pouvoir aux provinces, nous avons pu observer un certain retrait du gouvernement fédéral dans les affaires urbaines. Toutefois, l’arrivée au pouvoir en novembre 2015 du Parti libéral qui, historiquement, a été plus présent au sein des villes va redéfinir les relations avec le monde municipal. Il reste à voir si Justin Trudeau poursuivra la ligne d’action introduite par le gouvernement de Paul Martin, c’est-à-dire de suivre la voie du Nouveau pacte pour les collectivités qui a mis de l’avant des politiques adaptées au milieu et la création de structures de gouvernance multiniveau. À la suite de l’élection du nouveau gouvernement, la Fédération canadienne des municipalités (FCM) l’a interpellé directement sur les attentes des maires et des mairesses vis-à-vis du gouvernement fédéral dans son document « Les villes et les collectivités : partenaires dans l’avenir du Canada. Les 100 premiers jours de mandat du gouvernement ». À cet égard, les maires et mairesses souhaitent une nouvelle entente entre le gouvernement fédéral et les municipalités, notamment en ce qui a trait au financement des infrastructures – un financement qui tiendrait maintenant compte de la « capacité fiscale » de chacun des paliers – ou encore pour la question du logement social et de l’itinérance (Bellavance 2016, Radio-Canada 2015). Les attentes des municipalités vont vers un renouveau de l’action du palier fédéral sur les enjeux urbains, il reste à voir comment cette collaboration sera définie et de quelles façons elle prendra forme.

*Catherine Lalonde est étudiante à la maîtrise en études urbaines à l’INRS-UCS.

 

Bibliographie

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Collin, Jean-Pierre, Harold Bérubé, Anne-Claude Labreque, Marianne Audette-Chapdelaine. 2010. Under Close Watch, inédit, n. 2010-6. 28 p.

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Graham, Katherine et Caroline Andrew. 2014. « Conclusion. » In Canada in Cities: The Politics and Policy of Federal-Local Governance, sous la dir. de Katherine Graham et Caroline Andrew, 270-276. Montréal : McGill-Queens University Press.

Polèse, Mario et Richard Stren. 2000. The Social Sustainability of Cities: Diversity and the Management of Change. Toronto: University of Toronto Press.

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