Espace public, mobilité et exclusion du point de vue des jeunes femmes : une recherche-action participative à Zapopan, Mexique

Par Amélie Boudot, diplômée de la maîtrise en urbanisme de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal
Juin 2020

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

Contexte et question de recherche

L’espace public est une ressource fondamentale, offrant des possibilités d’interaction sociale, de développement personnel et de bien-être. Plus encore, l’espace public se retrouve au cœur des débats sur le droit à la ville et parmi les ressources urbaines les plus importantes en matière de justice spatiale. Cependant, les jeunes femmes sont confrontées à une exclusion systémique du domaine public, particulièrement dans les zones à faible revenu des villes du Sud, où la violence basée sur le genre et les normes sociales deviennent de lourdes limitations en termes d’accès et de mobilité. Comment les jeunes femmes expérimentent-elles les espaces publics lors de leurs déplacements quotidiens dans les zones urbaines à faible revenu.

Cette recherche menée dans le quartier périphérique de Miramar, à Zapopan, une municipalité de la région métropolitaine de Guadalajara, au Mexique, répond à trois objectifs : a) produire des connaissances sur les expériences spécifiques des jeunes femmes dans les espaces publics, au cours de leurs déplacements quotidiens ; b) favoriser l’autonomisation individuelle et collective dans un contexte d’inégalité de genre ; c) informer la politique urbaine locale en vue d’une justice spatiale.

 

Méthodologie

Ce projet a été mené à partir d’un cadre méthodologique féministe, avec une approche qualitative et participative, incluant des méthodes de collecte de données basées sur la recherche-action et des processus d’éducation populaire avec 10 jeunes femmes âgées 15 à 19 ans. Le processus participatif de recherche avec les jeunes femmes a été mené par le biais d’ateliers participatifs, compris comme des laboratoires de production de connaissances. Contrairement aux groupes de discussion traditionnels, il s’agit d’une dynamique d’atelier dans laquelle les participantes ont été à la fois productrices de connaissances et sujets de recherche. Le rôle de la chercheuse a été transformé en celui d’une facilitatrice. Les sujets ont été discutés dans le cadre d’activités participatives, structurées par la chercheuse, mais construits collectivement et démocratiquement. L’éducation populaire a été utilisée comme moyen de travailler avec les jeunes femmes pour tirer parti de leurs expériences, les comprendre collectivement afin de pouvoir ensuite encourager le changement dans leur vie et leur communauté.

De façon complémentaire, des informations ont été recueillies par le biais de documents (plans, programmes, politiques locales, etc.) et d’entretiens semi-dirigés avec 12 acteurs locaux clés (employés municipaux, représentants de groupes communautaires, etc.) afin d’approfondir la compréhension de la situation des jeunes femmes et des possibilités d’intervention.

Résultats

Tout d’abord, on observe que les jeunes femmes vivent une double exclusion dans l’espace public et voient leur droit à la ville brimé. La première exclusion est liée à l’inégalité de genre et à la violence qu’elles vivent en tant que jeunes femmes. La seconde est associée au paradigme centré sur l’adulte et à la perception sociale selon laquelle les jeunes femmes sont vulnérables. Par conséquent, l’accès des jeunes femmes à l’espace public est limité et contrôlé. Sur la base de ce constat, nous concluons que l’expérience vécue par les jeunes femmes dans les espaces publics favorise encore plus l’insécurité, la violence et l’inégalité. Or, pour leur donner la possibilité d’exercer leur droit à la ville, il est important qu’elles comprennent leur condition et qu’elles participent à la construction de l’environnement urbain dans lequel elles vivent.

Deuxièmement, nous montrons que les processus participatifs en matière d’urbanisme, incluant une perspective féministe, peuvent être très utiles, en particulier pour favoriser la réalisation du droit à la ville. Grâce aux outils participatifs, nous avons pu non seulement obtenir beaucoup d’information sur les expériences des jeunes femmes, mais aussi comprendre leurs préoccupations et prendre en compte leurs idées et leurs solutions. Plus encore, nous avons constaté qu’il s’agissait d’un processus de changement puissant. En effet, suite au processus de recherche participatif, le groupe de jeunes femmes a décidé de réunir les décideurs locaux et régionaux ainsi que les groupes communautaires féministes afin de leur partager leurs expériences individuelles et collectives dans les espaces publics qu’elles fréquentent ou du moins qu’elles traversent. Lors de cette rencontre, les jeunes ont aussi présenté des recommandations pour l’amélioration de l’environnement qu’elles ont formulées dans le cadre du processus de recherche. De plus, à l’aide d’une auto-évaluation, les jeunes participantes ont reconnu avoir renforcé leurs capacités à agir pour transformer l’espace public qu’elles sont en droit d’occuper.

En conclusion, nous avons pu consolider, au niveau personnel et collectif, les capacités des jeunes participantes à agir en tant qu’individus pour l’amélioration de leurs conditions, ainsi que leurs capacités à produire, transformer et concevoir l’espace. Le projet montre que les processus participatifs en matière d’urbanisme sont utiles non seulement pour produire des connaissances à partir de l’expérience quotidienne des usagers, mais aussi pour permettre aux personnes exclues de reconnaître leur condition et de s’engager dans des actions positives pour transformer leur cadre de vie.

Pour lire le mémoire

Cette recherche a été menée dans le cadre de TRYSPACES, sous la direction de Juan Torres (Université de Montréal) et Alejandra Leal (UNAM)