Place à la Relève!

Les épreuves de la participation démocratique : les arrière-scènes de la planification et de l’aménagement du territoire

Octobre 2021

Par Maxime Boucher, diplômé du programme de doctorat en études urbaines (INRS)

 

Contexte

Alors qu’on a parfois l’impression que la planification du territoire québécois repose beaucoup sur les forces du marché, les décisions politiques, la volonté d’une poignée de personnes influentes ou les aléas des financements gouvernementaux, il apparaît clairement qu’une place de plus en plus grande est occupée par de nouvelles catégories d’acteurs. Celles-ci sont composées notamment des professionnel.les de l’aménagement, de l’urbanisme, du design participatif, de l’économie sociale et solidaire, et à plus forte raison des personnes qui se mobilisent pour participer à l’aménagement et la planification de leur milieu de vie, ou qui critiquent les décisions qui leur sont imposées[1]. Ma thèse de doctorat intitulée Les épreuves performatives de la concertation de quartier s’inscrit dans cette mouvance et porte un éclairage sur les dynamiques de groupe et les actes communicationnels au sein des dispositifs. Ces derniers sont d’ailleurs mis en place pour stimuler la participation des personnes qui ont à cœur la planification et l’aménagement du territoire et de leur quartier. L’enquête a été menée durant six années consécutives (2014-2020), en accompagnant et en suivant sur le terrain les acteurs qui ont participé à la démarche de Revitalisation urbaine intégrée (RUI) du quartier Hochelaga à Montréal. Ces acteurs proviennent des milieux communautaires, des groupes de défense de droits, de la sphère politique, des groupes qui militent pour l’accès au logement social, du milieu des affaires, des services de l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, en plus des citoyen.nes et des personnes chargées d’animer la démarche de revitalisation.

Méthodologie

La méthodologie est résolument qualitative et s’appuie sur l’observation des rencontres des comités de la RUI Hochelaga et des entrevues approfondies avec les partenaires. L’objectif était de discuter de l’évolution et de la transformation du dispositif de concertation en partant de l’engagement et de la participation démocratique des participant.es. Il s’agissait autrement dit de produire un portrait dense du travail de concertation par l’effet de sédimentation des observations d’une rencontre à l’autre. L’appareillage conceptuel (Fig. 1) a été développé et précisé afin d’apprécier le jeu complexe des acteurs et les compétences qu’ils mettent à profit lors des rencontres : qu’ils agissent en mettant l’accent sur les stratégies (gains/compromis), les rituels d’interaction (tact, aisance, diplomatie) ou en mettant à profit les ressources disponibles (les objets qui composent l’environnement) et en mobilisant des compétences « dramaturgiques » (en préparant rigoureusement les rencontres, en gérant les impressions du public ou en répondant aux critiques). Ce faisant, et dans l’optique de produire des outils méthodologiques et de collecte de données, l’appareillage conceptuel a été traduit afin de produire un guide (Fig. 2) pour capter durant les rencontres les comportements les plus significatifs en regard des concepts, dimensions et indicateurs présentés à la figure 1.

Résultats

Comme l’a souligné Mathieu Berger dans son rapport d’évaluation de la thèse, « c’est bien parce qu’elle est éprouvante que la participation peut produire des changements ». En ce sens, les sentiments rattachés à la participation, aux tabous et aux malaises que provoquent les exercices participatifs montrent comment la démarche de revitalisation et les rencontres qui la ponctuent sont en constant mouvement. Elles tracent une histoire intrigante émaillée de rebondissements qui permettent de situer quatre périodes charnières : la naissance du dispositif, sa mise en crise, sa transformation graduelle jusqu’à sa réforme.

Je montre à travers ces quatre périodes combien la participation démocratique s’est avérée éprouvante, et c’est bien pour cette raison particulière qu’elle a pu provoquer des transformations au sein du dispositif de concertation, et ultimement sur les visions, les volontés et la portée des projets de revitalisation et leurs objets. Force est alors d’admettre que les arrière-scènes de la planification du territoire ont beaucoup à voir avec la façon dont s’élaborent différents scénarios d’aménagement, au gré des discussions dans les coulisses de la planification urbaine. C’est pour cette raison que la thèse permet d’apprendre en détail comment l’indignation et les rapports de force, mais aussi — et surtout — la diplomatie, le tact et l’aisance en public, peuvent considérablement modifier les processus et les visions du monde. Il apparaît en ce sens nécessaire de porter attention au caractère intangible et proprement sociologique de l’action collective dans le cadre de la planification urbaine pour mieux comprendre ses impacts sur les processus.

Du point de vue de la planification urbaine et des façons de l’étudier et d’en comprendre les mécanismes, trop souvent nous nous tournons vers des méthodes visant à capter les produits tangibles de l’action, notamment avec la perspective qu’offre la théorie de l’acteur-réseau, ou bien en nous attachant aux définitions qu’en donnent les acteurs en ce qui concerne les visions du monde, les intérêts défendus, les compromis établis et la recherche de consensus. Or, il apparaît évident que les interactions complexes des acteurs ont beaucoup à voir avec la production d’effets intangibles de l’action collective qui méritent notre attention pour pousser plus loin tant la théorie urbaine que les outils à notre disposition pour mener des enquêtes sur le terrain.

En ce sens, ma thèse contribue à cette réflexion par ses apports méthodologiques, théoriques et pratiques dans la façon de repérer les facteurs tangibles et intangibles qui sont décisifs quant à la participation au sein des dispositifs participatifs et leurs effets sur les projets urbains. Les résultats invitent à réfléchir le travail en collaboration au sein des dispositifs en mettant de l’avant l’exercice participatif dans les termes de l’inclusion et l’hospitalité[2], afin de mettre en place les conditions pour mener ensemble la planification et l’aménagement du territoire. Pour y arriver, il faut mettre en valeur les compétences que mobilisent et développent les parties prenantes au sein des dispositifs participatifs par le fait notamment de collaborer, de faire quelque chose ensemble, de discuter, d’interagir et d’argumenter afin de parvenir à des scénarios réfléchis et éclairés par les contributions de chaque participant.e.

*Cette recherche a été effectuée sous la direction de Julie-Anne Boudreau, professeure en études urbaines à l’INRS.

[1] Sénécal, Gilles, Cloutier, Geneviève et Herjean, Patrick. (2008). Le quartier comme espace transactionnel, Cahiers de géographie du Québec, 52(146), 191-214

[2] Stavo-Debauge, Joan (2017). Qu’est-ce que l’hospitalité? Recevoir létranger à la communauté. Montréal : Liber; Berger, Mathieu (2018). «S’inviter dans l’espace public. La participation comme épreuve de venue et de réception», SociologieS, Dossier HospitalitéS. L’urgence politique et l’appauvrissement des concepts. [En ligne]