Analyse de la relation entre la tarification étudiante du transport en commun et la mobilité des universitaires du Grand Montréal

Par Simon Hamelin-Pratte, étudiant à la maîtrise en études urbaines à l’UQAM
Juillet 2020

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

Contexte et question de recherche

La tarification du transport en commun (TC) a le potentiel considérable de convertir et de maintenir les étudiants à l’utilisation de ce mode de transport. Le laissez-passer universel (LPU) — un type moderne de tarification étudiante très répandu en Allemagne, au Canada et aux États-Unis — est connu pour cet aspect positif auprès des étudiants postsecondaires, et ce, pour tout type de déplacement : pour aller étudier ou encore pour un motif discrétionnaire (loisir, magasinage, etc.). Il consiste essentiellement en un titre de transport semestriel à très faible coût dont l’adhésion est obligatoire pour tout le corps étudiant d’une université donnée. En contrepartie, le LPU a tendance à affecter la localisation résidentielle des étudiants de façon à augmenter leur distance parcourue quotidiennement. Comparativement, la tarification étudiante de type « traditionnel » a des effets largement inconnus et est financièrement moins avantageuse pour les étudiants. Il s’agit d’un type de tarification relativement ancien qui consiste essentiellement en des titres mensuels offerts à tarif réduit dont l’achat est volontaire.

Pour les étudiants du Grand Montréal, seul ce type prévaut. Malheureusement, nos recherches montrent que l’instauration du tarif étudiant et ses bonifications successives à travers le temps, engendrant des pertes de revenus, se sont presque toujours soldées par des hausses tarifaires considérables pour tous les autres usagers du TC. Si les critiques de cette tarification étudiante se sont tues lors du retrait de la limite d’âge en 2017, il demeure que le tarif étudiant est onéreux pour les sociétés de transport (au moins 22 M$ par année) et que les étudiants sont encore traités inéquitablement (les rabais accordés sur les titres mensuels varient principalement de 20 % à 40 %, selon la société de transport).

Devant ces retombées socioéconomiques négatives, il convient de poser la question de l’efficacité de cette tarification étudiante du point de vue de la mobilité. Favorise-t-elle réellement l’utilisation du TC, à l’instar du LPU? Parallèlement, favorise-t-elle une augmentation des distances domicile-lieu d’études?

Méthodologie

Nous fondons notre étude sur les données de l’enquête Origine-Destination 2013 (EOD 13) du Grand Montréal. Aussi, nous la centrons sur une seule partie des étudiants, soit les universitaires, qui sont les mieux étudiés lorsqu’il s’agit de la tarification étudiante du TC.

En 2013, les universitaires de 18 à 25 ans ont eu accès au tarif étudiant tandis que ceux de 26 à 64 ans n’ont eu droit à aucun rabais. De ce fait, il est possible de comparer transversalement la mobilité de ces groupes. Au sein de la base de données, 3 353 universitaires sont identifiés grâce au croisement des lieux de destination des personnes déclarées « aux études » et de la liste de générateurs géoréférencés associée à l’EOD 13 (qui inclut les pavillons universitaires).

D’abord, la distance domicile-lieu d’études, via le réseau routier, est calculée pour chaque étudiant. En prenant en compte les variables de contrôle connues pour affecter la mobilité des personnes (p. ex. la composition du ménage), des tests t et une analyse de variance sont réalisés afin de déterminer si la distance domicile-lieu d’études est significativement supérieure pour les universitaires ayant accès au tarif étudiant. Puis, les parts modales des déplacements domicile-lieu d’études et des déplacements discrétionnaires sont calculées et comparées pour chaque groupe d’universitaires. En utilisant de nouveau des variables de contrôle, des tests du khi carré permettent d’établir les différences significatives dans les parts modales selon le tarif accessible. Enfin, une régression logistique est utilisée afin de prendre en compte formellement l’effet de chaque variable sur les probabilités d’utiliser le TC.

Résultats et conclusion

Les analyses bivariées indiquent que la distance domicile-lieu d’études et l’usage du TC pour les déplacements du domicile au lieu d’études sont supérieures pour le groupe d’universitaires de 18 à 25 ans. En effet, les universitaires au tarif étudiant habitent significativement plus loin de leur lieu d’études et utilisent un peu plus le TC (M = 16 km; part modale TC = 78 %) que ceux au tarif ordinaire (M = 10 km; part modale TC = 74 %).

Les stratifications en sous-groupes basées sur des variables de contrôle nuancent ces résultats. En particulier, lorsqu’on considère l’âge et le fait d’habiter chez ses parents, les différences significatives s’inversent ou disparaissent. Quant à elles, les différences au niveau des parts modales des déplacements discrétionnaires sont négligeables (parts modales TC ≈ 30 %). Les deux modèles de régression logistiques analysant les parts modales de déplacements confirment l’absence de relation entre l’accès au tarif étudiant et l’usage du TC.

En conclusion, puisque la tarification de Montréal cause des injustices socioéconomiques et qu’elle ne présente aucun lien statistique avec la mobilité, nous suggérons une transition vers une tarification basée sur les LPU.

Cette recherche est effectuée sous la direction d’Ugo Lachapelle (UQAM)