Adaptation urbaine aux changements climatiques, une approche juste ? Exploration des risques, intérêts et réponses à Panorama (Colombie)

Par Steffen Lajoie, étudiant au doctorat en aménagement à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal et membre-étudiant de la Chaire de recherche du Canada en urbanisation durable dans le Sud Global.
Juillet 2020

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

L’urbanisme met de plus en plus l’emphase sur la mitigation des risques liés aux impacts des changements climatiques — souvent appelés « adaptation ». Les populations urbaines marginalisées construisent leurs quartiers, souvent informels, dans des zones à haut risque dépourvues d’infrastructures, de services et d’accès aux institutions en théorie responsables de leur fournir. En Colombie, comme dans plusieurs pays du Sud global, la vie publique et politique de ces quartiers est marquée par la criminalité et la violence. Au vu de ces problèmes infrastructurels, économiques et sociopolitiques préexistants, comment ces milieux font-ils face aux défis et risques supplémentaires que posent les changements climatiques? Ce projet de recherche explore cette question avec pour objectif d’intégrer les questions de justice sociale à la pratique des urbanistes, soit d’ancrer localement leurs réponses à des risques changeants et imprévisibles. Il s’agit ultimement de trouver des façons de mieux accompagner ce milieu exclu dont l’accès aux ressources tant matérielles que sociopolitiques est limité.

Pour répondre à ces questions, mon projet explore les problèmes, intérêts et stratégies d’adaptation de la population du quartier de Panorama, en Colombie. Ce quartier subit régulièrement des inondations et glissements de terrain qui rendent inopérant son système d’eau et d’assainissement et causent des dommages aux logements et biens des ménages. Les réponses locales à ces événements interrogent la notion même d’adaptation dans un contexte marginalisé. La captation des eaux de pluie par les ménages, par exemple, tente de gérer le risque naturel alors que les causes sous-jacentes de la marginalisation qui met ces mêmes ménages à risque sont davantage d’ordre sociopolitique. De plus, les quartiers marginalisés hébergent une population hétérogène. En réponse, des approches d’adaptation se fondent sur les pratiques de la planification participative qui visent à développer de nouveaux processus et l’inclusion des populations marginalisées. La Colombie est souvent mise de l’avant pour ses politiques urbaines intégrales et inclusives. La situation de Panorama démontre à la fois des efforts dans la direction de ces approches novatrices autant que les défis institutionnels. Le cas de Panorama démontre l’importance de développer des réponses aux changements climatiques qui prennent mieux en considération le contexte local ainsi que les relations de pouvoir et l’accès à ce dernier. Ce cas démontre également qu’une telle réponse ne peut se limiter aux risques liés aux changements climatiques.

Cette recherche prévoyait originellement un travail de terrain d’une durée de six mois à Panorama. En utilisant des ethnographies fondées sur l’entrevue et l’observation participative, je planifiais explorer trois espaces locaux d’adaptation : les conseils d’action communautaire visant la sécurité foncière ; une fondation écologique axée sur la récupération des espaces verts ; et un fond de responsabilité sociale des entreprises pour le développement intégré du territoire. La pandémie mondiale est tombée en plein milieu de ma dernière phase de collecte de données. Cette dernière se fonde donc maintenant sur les réseaux sociaux et la communication en ligne. Ce bouleversement interroge et nourrit ma réflexion sur la production de connaissances pertinentes pour orienter l’action dans des contextes comme Panorama où de hauts niveaux de risque (notamment en matière de sécurité personnelle) limitaient déjà l’accès physique du chercheur au terrain avant la pandémie.

À Panorama, l’adaptation aux changements climatiques est une pratique tissée dans les dilemmes immédiats, comme la sécurité foncière, la violence et les relations clientélistes sociopolitiques. Elles varient entre les secteurs, les ménages et les individus. Ces intérêts sont parfois explicites, parfois cachés ; parfois complémentaires entre groupes d’acteurs, mais le plus souvent en conflit. À titre d’exemple, une intervention qui est visiblement une « adaptation aux changements climatiques » vient de la fondation écologique. Le groupe mobilise un projet d’écoparc qui a capté l’intérêt de la mairie, de l’université et des acteurs privés. Cependant, le projet crée une tension avec des résidents qui ont choisi le même site pour construire informellement un nouveau secteur d’habitation. La fondation se sent menacée par la construction, percevant une augmentation de la criminalité et du risque de glissements de terrain. Les nouveaux occupants n’ont pas de titre foncier légalisé. L’écoparc augmenterait la sécurité du quartier des membres de la fondation, mais menace la sécurité des familles « illégales ». Le groupe écologique en tire avantage en raison de sa capacité à mobiliser des partenariats institutionnels. Ses initiatives sont positives, mais ancrées dans les intérêts des habitants les plus inclus de la communauté et ne sont pas bénéfiques pour les secteurs et familles les plus vulnérables.

Ce projet de recherche est mené sous la direction de Danielle Labbé (Université de Montréal)