La qualité des voies cyclables à Montréal, Laval et Longueuil: construction d’indicateurs de diagnostic et d’aide à la planification

Par Vincent Jarry, étudiant à la maîtrise en études urbaines à l’INRS
Juillet 2020

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

Contexte et question de recherche

Depuis quelques années, on assiste à une renaissance du vélo en ville. Alors qu’autrefois on s’intéressait surtout à ses vertus récréatives, cet objet est désormais considéré comme un moyen de déplacement utilitaire répondant à plusieurs enjeux de planification urbaine. En effet, le vélo émet peu de bruit et ne produit pas polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre, il permet à la population d’être active sur une base quotidienne, il endommage peu les infrastructures routières et il occupe peu d’espace sur la chaussée.

Or, les cyclistes s’exposent à plusieurs risques et inconforts. Ils et elles sont surexposé.es au bruit et à la pollution de l’air. À Montréal, selon une étude récente, les cyclistes inhalaient trois fois plus de NO2 et étaient exposé.es à 2 dB(A) de bruit de plus que les automobilistes lors de trajets similaires en heures de pointe. Aussi, l’état de la chaussée joue un rôle important pour le confort des cyclistes, surtout dans une ville comme Montréal où plusieurs tronçons routiers sont en piètre condition. Enfin, le risque de collision influence grandement les cyclistes : en général, ils et elles ont une préférence marquée pour les infrastructures qui les protègent des véhicules.

Afin d’encourager l’utilisation du vélo, les planificateurs urbains ont accordé une grande attention à l’ajout de nouvelles voies cyclables dans les vingt-cinq dernières années ; aujourd’hui, Montréal possède le plus vaste réseau d’Amérique du Nord. Malgré tout, la part modale des cyclistes demeure faible : sur l’île de Montréal, en 2016, à peine 2,5 % des déplacements domicile-travail sont faits à vélo. Selon certaines études, au-delà de la quantité de voies cyclables, plusieurs éléments de qualité influencent grandement la décision d’utiliser un vélo pour se déplacer en ville. Cependant, à l’heure actuelle, peu d’outils sont disponibles pour évaluer cette qualité, qui varie probablement beaucoup d’un type de voie cyclable à l’autre (voir l’image). Ainsi, cette recherche s’attardera à évaluer la qualité des voies cyclables de Montréal, Laval et Longueuil selon trois dimensions clés : l’exposition aux polluants, l’état de la chaussée et la sécurité des déplacements.

 

Méthodologie

Avec des membres de l’équipe du Laboratoire d’équité environnementale (LAEQ), j’ai réalisé deux collectes de données avec quatre vélos instrumentés, aux étés 2018 et 2019 (voir l’image en haut de l’article). Premièrement, des capteurs de bruit et de pollution mesurent les niveaux sonores et les concentrations de polluants dans l’air (NO2, O3, PM10 et PM2,5). Deuxièmement, un accéléromètre permet de mesurer l’accélération verticale du vélo, c’est-à-dire les vibrations causées par les aspérités de la chaussée. Troisièmement, une caméra vidéo permet de relever et caractériser les conflits de circulation, c’est-à-dire tous les événements au cours desquels le ou la cycliste a dû effectuer une manœuvre d’évitement (changer de direction ou freiner) pour éviter une collision. Il s’agit d’une mesure alternative de sécurité, plutôt que d’étudier les collisions, qui sont beaucoup plus rares. Enfin, une montre GPS enregistre la position des cyclistes chaque seconde.

Les données sont structurées dans une base de données, puis servent à entraîner des modèles statistiques. Premièrement, l’exposition au bruit et à la pollution est modélisée à partir du type de voie cyclable empruntée. Deuxièmement, pour l’état de la chaussée, les mesures d’accélération verticale sont converties en indice de confort, qui est cartographié sur les voies cyclables parcourues. Troisièmement, la probabilité de vivre un conflit de circulation de gravité supérieure est modélisée en fonction du type de voie empruntée.

Ces trois dimensions sont colligées de façon à mesurer la qualité générale des voies cyclables. En connaissant la « performance » de chaque tronçon de voie cyclable selon chacune des trois dimensions, on attribue ainsi une « note » à ces tronçons, que l’on propose comme indice de qualité.

 

Résultats

Exposition au bruit

D’abord, les niveaux moyens mesurés à Montréal, Laval et Longueuil en 2018 sont respectivement de 69,5, 69,2 et 68,7 dB(A). Ensuite, le type de voie cyclable empruntée a peu d’influence sur l’exposition au bruit ; c’est plutôt le type de route à proximité de laquelle cette voie cyclable est aménagée qui influence les niveaux de bruit. Enfin, ces niveaux de bruit, sans être dommageables à court terme pour la santé des cyclistes, ont quand même le potentiel de fortement incommoder environ 10 % de la population. Ces résultats ont été publiés dans un article des Cahiers de géographie du Québec (sous presse).

Conflits (résultats préliminaires)

Une analyse exploratoire des conflits de circulation sur un échantillon du quart du jeu de données a permis de relever 221 conflits. Les usagers de la route impliqué.es dans les conflits varient selon le type de voie cyclable empruntée : sur les pistes hors rue, la majorité des conflits ont lieu avec des piétons qui profitent du chemin pour se promener, tandis que sur les bandes cyclables, la plupart des conflits se résument à une voiture stationnée en double dans la voie cyclable. Les conflits avec des voitures en mouvement surviennent surtout sur les rues sans aménagement cyclable.

Autres résultats

Les résultats pour l’exposition à la pollution de l’air et pour l’état de la chaussée sont en cours d’analyse.

Cette recherche est effectuée sous la direction de Philippe Apparicio (INRS) au Laboratoire d’équité environnementale (LAEQ) et bénéficie d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).