Profil pro

Rencontre avec Cécile Poirier, Conseillère en développement de l’habitation au Service de l’habitation, Ville de Montréal

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

Profil Pro propose des entrevues réalisées avec un collaborateur ou une collaboratrice des milieux de pratique. Projet pensé par Camille Gélix, ancienne étudiante membre de VRM, l’objectif est de faire connaître les métiers en lien avec les études urbaines et de mettre en valeur des parcours académiques et professionnels variés.

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, ainsi que des étapes qui vous ont permis de travailler au sein du Service de l’habitation de la Ville de Montréal ?

J’ai fait Sciences Po Bordeaux en France et ensuite j’ai obtenu un diplôme d’études approfondies (DEA) en gouvernement local, pouvoir et action publique, toujours à Sciences Po Bordeaux. Dans ce contexte, j’ai suivi des cours de sociologie politique sur le Canada et le Québec et, pour mon DEA, j’ai rédigé un mémoire sur la politique de régionalisation de l’immigration au Québec, ce qui m’a amenée à faire un stage de recherche à l’INRS. C’est là que j’ai rencontré Annick Germain par l’intermédiaire de Daniel Latouche qui m’accueillait pour mon stage. Après ce premier contact, je me suis inscrite au doctorat en études urbaines à l’INRS, sous la direction d’Annick Germain, en cotutelle avec la Faculté d’aménagement de Bordeaux sous la direction de Jean-Pierre Augustin, récemment décédé. Durant mon doctorat, j’ai été assistante à la coordination pour le volet 2 Logement et Vie de quartier du Centre Immigration et métropoles rattaché au réseau Métropolis qui n’existe plus aujourd’hui. Il s’agissait d’un réseau pancanadien financé par le CRSH, Citoyenneté et immigration Canada et d’autres partenaires fédéraux pour susciter un meilleur arrimage de la recherche sur l’immigration et l’intégration aux besoins des responsables de politiques publiques et des intervenants et intervenantes terrain. Le Centre Immigration et métropoles rassemblait des chercheurs et chercheuses ainsi que des personnes représentant notamment la Ville de Montréal, Centraide du Grand Montréal, la Société d’habitation du Québec (SHQ) et l’Office municipal d’habitation. Ce réseautage m’a permis de collaborer sur plusieurs projets de recherche et de créer des contacts professionnels qui m’ont servi par la suite.

Après mon doctorat, j’ai d’abord travaillé à l’INRS pendant deux ans en tant qu’associée de recherche, puis j’ai travaillé chez Centraide comme conseillère en planification. Mon mandat principal était d’assurer le financement et l’évaluation des tables de quartiers en développement social, en collaboration avec la Ville de Montréal et la Direction régionale de santé publique, les deux autres bailleurs de fonds de l’Initiative montréalaise de soutien au développement social local. Là, j’ai pu développer des contacts et travailler en collaboration avec différents réseaux. Avec une autre collègue, on se partageait la moitié du territoire du Grand Montréal, donc j’ai pu découvrir différentes initiatives dans toute cette région, bien connaître une diversité de quartiers et d’enjeux. Après sept années à Centraide, j’ai intégré le Service de l’habitation. La directrice de l’époque, Danielle Cécile, souhaitait assurer la relève dans différents profils en prévision de plusieurs départs à la retraite. Le Service de l’habitation de la Ville de Montréal est diversifié, il y a des urbanistes, des architectes, des spécialistes du cadre bâti, etc. De mon côté, j’ai un profil généraliste en sciences politiques avec des connaissances du milieu communautaire en développement social, des enjeux liés à l’immigration et des besoins et conditions de logement. Dans la division Stratégies et politiques, nous produisons des analyses et des recommandations pour la direction et les élus et élues sur différentes thématiques, à leurs demandes ou à la demande de la population, à l’issue des consultations produites par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) ou en réponse aux avis des conseils (Conseil des Montréalaises, Conseil interculturel et Conseil jeunesse), et tout cela en collaboration avec les services responsables et les arrondissements. En ce moment, une grande partie de mon travail est de suivre les plans d’action transversaux, comme le plan stratégique Montréal 2030, le Plan solidarité, équité et inclusion, et d’arrimer ces orientations transversales avec les interventions en habitation. Je suis en poste depuis maintenant huit ans.

Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail et rencontrez-vous certaines limites ?

Je travaille beaucoup avec le Service de la diversité et de l’inclusion sociale sur des mandats comme la prise en compte de l’accessibilité universelle à l’échelle municipale, l’équité territoriale ou le programme Municipalités amies des aînés. En ce moment, je travaille sur l’implantation de l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) dans les actions municipales. Plus spécifiquement, je coordonne l’élaboration d’un plan d’implantation de l’ADS+ au sein du service de l’habitation afin d’instaurer une lecture à 360 degrés des enjeux et une meilleure prise en compte des angles morts de nos interventions. Cette démarche est pan-montréalaise et s’inscrit dans la planification stratégique 2030. Donc, ce que je trouve intéressant est que nous sommes de plus en plus dans le transversal, nous essayons d’arrimer les objectifs en habitation à des objectifs plus larges et transversaux.

Nous faisons également beaucoup de reddition de compte pour les élues et élus afin de mesurer la progression des engagements municipaux et auprès de la SHQ qui finance les programmes en habitation. Nous essayons également de comprendre les effets que produisent nos interventions, les effets sur les populations et les milieux de vie. L’évaluation m’intéresse beaucoup et je viens de terminer un certificat en évaluation de programmes, projets et politiques à l’UQAM afin de développer mes compétences dans ce domaine. J’aime bien explorer, défricher et essayer de nouvelles choses.

J’aime aussi comprendre la réalité des personnes et connaître leurs besoins. La notion de service public est très importante pour moi et j’aspire à ce que mon travail contribue au bien-être des Montréalais et Montréalaises. C’est pourquoi il est primordial d’intégrer à notre travail des consultations citoyennes, de tenir compte de l’expertise des collègues du service ou d’autres services et arrondissements, ainsi que du milieu communautaire. Ce dialogue est pour moi fondamental.

En ce qui concerne les limites, je dirais la question du temps, car les échéances peuvent être très serrées et il y a souvent des urgences, ce qui n’est pas surprenant dans le contexte des besoins tout aussi urgents en habitation. L’autre limite importante, c’est que les défis sont immenses et qu’il est impossible de financer ou de mettre en oeuvre l’ensemble des mesures qui seraient pertinentes, nécessaires et souhaitées.

Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine ?

J’essaie d’assister à des webinaires, par exemple ceux du CREMIS (Centre de recherche sur les inégalités sociales et les discriminations), du CRACH (Collectif de recherche et d’action sur l’habitation), qui touchent à l’habitation, ceux de l’INRS, ou encore de la SCHL (Société canadienne d’hypothèques et de logement), qui a créé un groupe de codéveloppement pancanadien qui aborde des thématiques très variées et concrètes. Je lis principalement des rapports de recherche, mais surtout les synthèses et lorsque le besoin se présente, je creuse un peu plus. Dans l’équipe, nous partageons beaucoup d’articles de journaux, d’articles de centres de recherche. J’aime bien consulter les mémoires et thèses universitaires parce qu’ils ont des angles très spécifiques qui donnent beaucoup de pistes de réflexion. En revanche, notre gros défi est le manque de temps pour lire en profondeur. Donc, nous avons une préférence pour les rapports de synthèse et les capsules comme celles de VRM.

Comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années ?

L’habitation a toujours été une question importante pour la Ville de Montréal, mais ça l’est encore plus dans le contexte actuel de crise du logement abordable. En effet, nous vivons en ce moment une certaine reconfiguration du secteur, car le principal levier gouvernemental pour développer du logement social et communautaire, AccèsLogis, n’est actuellement plus financé, ce qui crée beaucoup d’incertitudes, notamment chez nos partenaires communautaires. Le gouvernement du Québec a annoncé de nouveaux programmes, et depuis 2017 le gouvernement fédéral a aussi adopté sa Stratégie nationale sur le logement, qui comporte différents programmes. De son côté, la Ville de Montréal a lancé un vaste chantier, le Chantier Montréal abordable, pour explorer de nouveaux leviers financiers, réglementaires et juridiques. Les outils élaborés par la Ville se veulent complémentaires aux nouvelles interventions gouvernementales. Ce sera donc intéressant de voir comment le secteur va évoluer au fil du temps.

Un autre aspect est que les besoins des populations évoluent. Le vieillissement de la population, combiné à la volonté des personnes de vieillir chez elles, incite à se questionner sur la construction et l’adaptation des logements et sur l’accessibilité universelle. Je porte ces préoccupations et je pense qu’il faut poser des gestes dès maintenant pour qu’ultimement les Montréalais et Montréalaises puissent vieillir en sécurité et pour avoir un impact positif sur l’autonomie des personnes, quelle que soit leur situation. Nous devons également faciliter le maintien des familles en ville, et nous assurer d’avoir des milieux de vie où tous les types de ménages peuvent vivre dans une perspective d’équité.

Enfin, la qualité et le maintien de l’abordabilité des logements existants constituent un enjeu important.