Profil pro

Rencontre avec Mathieu Rivard, directeur général chez Muniscope, Comité des fonctionnaires des provinces et territoires pour les administrations locales

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

Profil Pro propose des entrevues réalisées avec un collaborateur ou une collaboratrice des milieux de pratique. Projet pensé par Camille Gélix, ancienne étudiante membre de VRM, l’objectif est de faire connaître les métiers en lien avec les études urbaines et de mettre en valeur des parcours académiques et professionnels variés.

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, ainsi que des étapes qui vous ont permis de travailler au sein de Muniscope?

J’ai un bac en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Pendant mes études, j’ai fait la connaissance de Jean-Pierre Collin, qui était professeur à l’INRS et je l’ai approché, en 2004, pour qu’il soit mon directeur de maitrise à l’INRS en études urbaines. Avant de débuter ma maitrise, j’avais fait un stage à l’OCDE au sein de la division de la gouvernance publique pour travailler sur l’examen territorial de la Région métropolitaine de Montréal. L’objectif des examens territoriaux étaient notamment d’identifier et de diffuser l’information sur les pratiques exemplaires en matière de politique territoriale et de gouvernance. Mon travail consistait à faire des entrevues avec les parties prenantes de la région métropolitaine et j’ai travaillé sur la rédaction de quelques sections portant sur le volet « Gouvernance métropolitaine » de l’examen territorial.

J’ai dirigé mon sujet de maitrise sur le contrat de ville, une expérience qui avait été réalisée par le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal. C’était peu après les fusions municipales, la Communauté métropolitaine de Montréal en était à ses premières années, donc il y avait beaucoup de choses qui se mettaient en place.

Au cours de mes années de maitrise, j’ai travaillé pour le réseau VRM et Jean-Pierre sur différents projets, notamment sur les comités de transition et sur des projets liés à la gouvernance métropolitaine. J’ai aussi travaillé à la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) à temps partiel pour la direction générale. C’étaient des années occupées! Ensuite, j’ai déménagé à Toronto pour travailler avec l’organisation pour laquelle je travaille toujours, qui s’appelait à l’époque le Comité intergouvernemental de recherches urbaines et régionales (CIRUR). J’ai commencé comme analyste de politique, puis je suis devenu coordonnateur de la recherche et depuis 2013, je suis directeur général de l’organisation. Aujourd’hui, le mandat a changé – déjà, on ne s’appelle plus le CIRUR – et notre mandat se divise en trois composantes.

Premièrement, nous sommes depuis peu le secrétariat de la Table des ministres provinciaux et territoriaux responsables des administrations locales. Nous avons une petite équipe qui aide à la coordination des rencontres ministérielles avec la Table des sous-ministres et un Comité de sous-ministres adjoints et de directeurs exécutifs des ministères des Affaires municipales des treize provinces et territoires. Nous aidons surtout à coordonner le contenu des rencontres et les messages qui seront soutenus lors des rencontres avec les ministres fédéraux. Nous coordonnons des groupes de travail qui sont mis en place par la Table des ministres. Par exemple, depuis deux ans, nous travaillons sur les impacts de la COVID-19 sur les municipalités. Auparavant, nous avions des groupes de travail sur la gestion des actifs, les infrastructures, l’impact des changements climatiques et l’adaptation aux catastrophes naturelles ainsi que sur l’imputabilité et l’éthique. Nous sommes une des seules tables qui sont seulement provinciales et territoriales (PT), car dans d’autres secteurs comme les transports ou l’environnement, le gouvernement fédéral fait, dans la plupart des cas, partie des tables. On les appelle les tables FPT (fédéral, provincial, territorial).

La deuxième partie importante de notre mandat consiste à mener des recherches pour différentes organisations, principalement pour les ministères responsables comme le ministère des Affaires municipales. Nous avons donc un rôle de soutien au développement de politiques, de programmes et de nouvelles lois municipales. Notre spécialité réside dans des comparaisons, des survols de ce que font les autres provinces et territoires. Par exemple, quand une province envisage de changer le pouvoir de taxation des municipalités, elle nous demande de faire un rapport pour présenter ce qui existe ailleurs et, dans certains cas, de formuler des recommandations. Nous travaillons sur des mandats de recherche sur l’aménagement du territoire, les finances locales, la démocratie municipale, l’évaluation foncière, les infrastructures – tout ce qui est d’intérêt municipal ou relève des ministères responsables des municipalités. Par ailleurs, nous acceptons aussi des mandats pour des municipalités ou des associations municipales, mais leur nature est un peu différente. Souvent, ils portent plutôt sur des questions d’urbanisme ou d’aménagement du territoire.

Et finalement, la troisième composante de notre mandat est la documentation des responsabilités municipales. Nous avons une bibliothèque et un centre de documentation qui sont à la disposition des municipalités, des ministères et de quelques clients privés.

Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail et est-ce que vous rencontrez certaines limites?

Je dirais que ce qui est intéressant est d’abord la variété de notre travail, du fait que notre mandat comporte trois composantes qui sont assez différentes. L’autre aspect que je trouve particulièrement intéressant est que nous sommes à l’intersection des questions municipales ou locales et des questions intergouvernementales, donc nous voyons la mise en place ou l’élaboration de programmes et de politiques. Ainsi, nous sommes bien placés pour observer l’évolution des grands enjeux particuliers des municipalités au fil des années. Par exemple, quand j’ai commencé au sein de notre organisation, les questions qui revenaient souvent dans les mandats de recherche portaient sur la gouvernance, les structures municipales, les réformes, comme la régionalisation de certains services. Ensuite, la plupart des provinces et territoires sont un peu passés à autre chose et l’enjeu des structures est un peu moins présente, quoique le Nouveau-Brunswick a entamé une réforme de la gouvernance locale l’automne dernier. À l’inverse, quand je suis arrivé en 2006, nous parlions très peu des questions éthiques et des codes de conduite pour les élus municipaux. Nous avons pu observer à l’élaboration de différentes politiques de législation dans des provinces et des territoires pour mettre en place, graduellement, les codes d’éthique et les codes de conduite pour les élus municipaux. Je dirais que ce fut aussi le cas avec la gestion des actifs et la question du rôle des municipalités dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, qui s’est progressivement installée comme pratique au fil des années.

Pour ce qui est des limites, c’est sûr que notre lentille est résolument canadienne, donc nous n’avons pas une vision internationale ou même nord-américaine, en comparaison avec ce que je faisais à l’OCDE ou ce que font certaines autres organisations portées par des enjeux locaux. Aussi, comme nous ne sommes pas nécessairement dans la mise en place de politiques, mais plutôt dans un rôle de soutien à leur élaboration, nous avons moins l’œil sur les façons dont ces politiques-là s’articulent une fois que les municipalités doivent les mettre en place. C’est un peu un angle mort de notre situation. Puis, la coordination intergouvernementale représente une autre limite. C’est un enjeu assez complexe de devoir concilier les positions des différentes provinces et de trois territoires qui ont souvent des intérêts divergents, de l’Ontario au Nunavut. Parfois, c’est un défi de trouver des positions communes entre des acteurs aussi différents.

 

Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine?

Nous avons une personne qui fait une veille de l’actualité locale, municipale et régionale au centre de documentation, donc nous avons un suivi assez serré des nouveaux développements réalisés dans les municipalités canadiennes. Avec cela, nous envoyons un bulletin hebdomadaire à nos partenaires. De mon côté, j’ai aussi des rencontres hebdomadaires avec mon conseil d’administration et différents groupes de travail sur des enjeux municipaux, comme l’impact de la COVID-19 sur les finances locales, sur les relations avec les communautés autochtones, sur les infrastructures, sur l’imputabilité, puis sur la modernisation de la gouvernance. Ainsi, nous pouvons être à jour sur les enjeux de chaque province, parce que ça change de l’une à l’autre. Enfin, nous participons à des webinaires, nous utilisons aussi VRM – l’infolettre est vraiment intéressante! – et j’essaye d’écouter ou de suivre les webinaires d’universités ou de centres de recherche pour justement voir ce qui se fait dans le milieu pour compléter notre survol des questions municipales et locales.

Comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?

Pour ce qui est des municipalités, il y a beaucoup de choses qui semblent évoluer, notamment la relation avec les provinces et territoires. Il y a une volonté, un élan de plus en plus grand pour s’éloigner de la relation créature/créateur. Il y a aussi la question du financement que les municipalités vont essayer de pousser en vue de mener des réformes et d’avoir accès à des sources de revenus plus variées, afin qu’elles dépendent moins du champ foncier. J’ai hâte de voir comment cela va évoluer au cours des prochaines années.

Pour ce qui est des relations gouvernementales, j’ai un peu de difficulté à prévoir les évolutions. La relation avec le gouvernement fédéral a changé à travers le temps. En 2010, notre organisation était FPT, mais pendant les années Harper le gouvernement fédéral s’est complètement retiré. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose dans ce contexte-là, car cela permet aux ministres d’interpeller le gouvernement fédéral à leur guise sur des questions qui les intéressent, notamment le financement des infrastructures locales. Donc, je pense que nous avons atterri à un bon endroit pour ce qui est de la gouvernance intergouvernementale.

Aujourd’hui, l’impression que donnent les journaux et les médias des relations entre les provinces, notamment sur le financement des municipalités et des infrastructures, est peut-être un peu trompeuse. Je pense que la coopération entre les provinces et territoires est très bonne et c’est selon moi une des raisons pour lesquelles les dossiers avancent avec le gouvernement fédéral. Je n’ai pas de boule de cristal, mais je suis curieux de voir de quelle façon cela va évoluer, notamment après les prochaines élections provinciales.