Profil Pro

Rencontre avec Nabila Bachiri, conseillère senior en mobilité durable à la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ)

Par Flandrine Lusson, étudiante au doctorat en études urbaines à l’INRS

Profil Pro propose des entrevues réalisées avec un collaborateur ou une collaboratrice des milieux de pratique. Pensé par Camille Gélix, ancienne étudiante membre de VRM, ce projet a pour double objectif de faire connaître les métiers en lien avec les études urbaines et de mettre en valeur des parcours scolaires et professionnels variés.

 

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, ainsi que des étapes qui vous ont permis de travailler au sein de la Communauté métropolitaine de Québec?

Tout d’abord, j’ai terminé mes études collégiales en mathématiques et je rêvais de devenir architecte. J’ai donc poursuivi mes études universitaires à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme (ÉPAU) d’Alger, en Algérie, où j’ai décroché mon diplôme d’architecte en 1996 avec une spécialisation en urbanisme opérationnel. J’ai exercé mon métier d’architecte dans un bureau d’architecture privé. Par la suite, j’ai occupé des postes d’architecte-urbaniste dans des institutions gouvernementales, notamment au département des études urbaines du Gouvernorat du Grand-Alger (Algérie). En 2004, j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour aller parfaire mes connaissances en tentant l’aventure quelque part dans le monde. Une amie, qui était alors étudiante à l’École d’architecture de l’Université Laval, m’a convaincue de la rejoindre au Québec pour obtenir un diplôme de deuxième cycle. Malgré certaines réticences de ma part à cause de l’éloignement et du froid dissuasif pour la Méditerranéenne que je suis, j’ai quand même fini par atterrir à Montréal en plein mois de janvier. Il faisait -25 °C. Tout un choc! Cela dit, après un an, mon année sabbatique s’est écoulée et ma maîtrise en sciences de l’architecture n’était pas encore terminée. J’ai donc quitté mon emploi en Algérie pour me consacrer à relever les nouveaux défis qui se présentaient à moi au Québec. De fil en aiguille, j’ai été finalement amenée à entreprendre un doctorat en aménagement du territoire et développement régional à l’École supérieure d’aménagement de l’Université Laval, ce qui m’a permis de poursuivre et d’approfondir la réflexion, entamée à la maîtrise, sur les enjeux liés à la mobilité quotidienne, notamment, d’une frange de la population en quête d’autonomie. Mes recherches ont porté sur l’impact de la localisation résidentielle et des lieux de destination sur la mobilité quotidienne et sur l’influence des formes urbaines sur les pratiques modales. À la même période, j’avais aussi beaucoup d’intérêt pour l’enseignement et durant quelques années, j’ai eu la chance de donner des cours de deuxième cycle et participer ainsi à la formation de la relève.

Durant mes années d’études, j’étais aussi membre du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues, le GIRBa, affilié au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) de l’Université Laval. C’était un regroupement de chercheuses et chercheurs issus de disciplines diverses (architecture, aménagement, urbanisme, sociologie, santé, etc.), dont les travaux portaient notamment sur les relations personnes-milieux, le phénomène de périurbanisation et de vieillissement des banlieues de première couronne et de leur population, la mobilité quotidienne, les aspirations résidentielles et les processus participatifs en aménagement du territoire. Cette approche interdisciplinaire a élargi mes horizons et fait exploser mes œillères. Faire partie de ce groupe de recherche a été très formateur pour moi.

Finalement, alors que je terminais mon doctorat en 2012, la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) proposait un poste qui correspondait parfaitement à un aboutissement de mon parcours. J’ai donc postulé et je travaille depuis à la CMQ. C’est comme si tout ce cheminement était naturel et que tout s’enchaînait parfaitement. Je continue donc à travailler sur des enjeux de mobilité à l’échelle métropolitaine, sur l’intégration entre l’aménagement du territoire et les transports les plus respectueux de l’environnement, sur la structuration du territoire métropolitain par la mobilité durable, etc.

 

Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail et est-ce que vous rencontrez certaines limites?

Je dirais qu’il y a plusieurs aspects que j’aime. Tout d’abord, le fait de travailler sur des mandats diversifiés et qui sont souvent d’actualité. Le fait d’avoir toujours des défis à relever, dont certains peuvent me sortir de ma zone de confort. Ça m’oblige à demeurer avide de nouvelles connaissances pour mener à bien chaque projet. Je dois avouer que je n’ai pas le temps de m’ennuyer et c’est, de mon point de vue, un luxe dans le milieu professionnel. Pour rester motivée, il est primordial que le travail soit stimulant intellectuellement parlant. Si ce n’est pas le cas, il faut tout simplement changer de travail!

Il y a aussi le fait que ce soit une belle petite organisation reposant sur une équipe multidisciplinaire qui travaille dur et qui est très efficace. On doit être capable de travailler sur n’importe quel enjeu lié à l’aménagement du territoire. C’est une équipe sensible aussi aux enjeux environnementaux et sociaux qui œuvre sans relâche pour que ceux-ci soient mieux intégrés dans les outils de planification en aménagement du territoire.

Pour ce qui est des limites, je dirais que c’est le fait d’avoir l’impression de manquer de temps pour mener en profondeur chaque projet. Il faut apprendre à performer malgré certains délais qui peuvent être très serrés. J’ai quelquefois l’impression de manquer de temps pour pouvoir approfondir encore plus l’ensemble des dimensions, du moins, autant que je le voudrais. Il faut donc apprendre à s’adapter à cette réalité. Dans d’autres cas, c’est l’inverse qui peut arriver. On travaille avec plusieurs partenaires et organisations et chacun chemine à son rythme et a une structure interne qu’il faut respecter. Parfois, ça peut être plus long pour certains de faire cheminer un dossier et plus rapide pour d’autres. Il faut donc constamment évaluer ce qui se passe autour, être stratège pour saisir le bon moment pour faire avancer un projet et avoir conscience que la patience est une vertu qui s’acquiert avec de la patience.

 

Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine?

Je reste à l’affût des publications scientifiques, de la littérature grise, des modifications éventuelles aux lois et règlements en vigueur et des différentes réflexions menées à différents niveaux, notamment sur les enjeux d’aménagement du territoire et de transport. J’assiste ou je participe à la plupart des congrès et colloques qui couvrent mes champs d’intérêt. À travers les années, j’ai pu enrichir encore plus mon réseau qui comprend désormais à la fois des universitaires, des chercheur.ses et des praticien.nes. Maintenir et renforcer le canal de communication entre le milieu de la recherche et celui de la pratique est, de mon point de vue, essentiel pour faciliter le transfert et les échanges de connaissances. Les efforts du réseau VRM sont, à cet égard, à saluer.

 

Comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?

Je le vois en effervescence! On a la chance d’œuvrer dans un domaine qui, à certains moments, déchaîne les passions à Québec. Il y a plusieurs projets d’envergure qui changeront de façon majeure le portrait de la région : le projet de Réseau structurant de transport en commun de la ville de Québec, le projet d’interconnexion des réseaux de transport en commun de Québec et de Lévis, le nouveau lien sous-fluvial entre les deux rives, le nouveau pont de l’Île-d’Orléans, l’annonce faite par le ministère des Transports relativement au déploiement d’un réseau de voies réservées pour desservir les banlieues nord, etc. En parallèle, il y a aussi l’exercice de refonte majeure de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui date de 1979 et la mise en œuvre des différentes politiques gouvernementales. Les défis consisteront certainement à concilier la planification des transports, de l’aménagement et des grands projets, et ce, dans le respect des orientations gouvernementales et des attentes des citoyen.nes et des acteur.trices du milieu qui aspirent à un développement plus durable de leur territoire. Sincèrement, je pense que ça prendra certainement encore plusieurs années de débats passionnés dans la région.

Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue non plus le phénomène de dématérialisation des espaces du quotidien, qui a été accéléré notamment par les mesures mises en place pour contrer la pandémie de COVID-19 et, bien entendu, par les solutions et innovations technologiques émergentes. Les modes de vie sont en mutation. Nous sommes donc à l’affût des tendances. Les prochaines années sont prometteuses et quiconque évolue dans ce domaine ne risque pas de s’ennuyer!