Profil pro

Rencontre avec Nicole Brais, Chargée de Projets – Direction de la planification des services, Réseau de transport de la Capitale

Par Salomé Vallette, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

Profil Pro propose des entrevues réalisées avec un collaborateur ou une collaboratrice des milieux de pratique. Projet pensé par Camille Gélix, ancienne étudiante membre de VRM, l’objectif est de faire connaître les métiers en lien avec les études urbaines et de mettre en valeur des parcours académiques et professionnels variés.

Est-ce que vous pouvez me parler de votre parcours scolaire, professionnel et quelles ont été les étapes qui vous ont permis d’œuvrer au sein du Réseau de transport de la Capitale (RTC) ?

 

Parfois, les gens suivent une ligne droite et ont une idée claire de ce qu’ils veulent faire dans la vie, mais je pense qu’il y a d’autres personnes qui naviguent différemment, c’est mon cas!

J’ai d’abord fait des études en arts plastiques au collégial, ensuite, j’ai fait un bac en service social à l’Université de Montréal puis, j’ai travaillé pendant plusieurs années comme organisatrice communautaire dans le Centre-sud à Montréal, un quartier reconnu comme étant défavorisé. J’ai beaucoup travaillé sur le dossier de l’habitation et c’est comme ça que je me suis intéressée aux questions d’urbanisme. Pour des considérations familiales, j’ai ensuite déménagé à Québec où j’ai repris mes études, cette fois, en aménagement du territoire à l’Université Laval. J’ai fait un mémoire sur les conditions de vie et de logement, plus précisément sur l’impact d’un règlement dans les HLM qui touchait particulièrement les femmes monoparentales. C’est une recherche qui a été dirigée par Louise Quesnel, qui est politologue. J’ai ensuite poursuivi au doctorat en géographie, cette fois avec Paul Villeneuve et Denise Piché, sur la dimension géographique de la conciliation travail-famille.

Dans une perspective qualitative, j’ai comparé les stratégies de jeunes familles habitant un quartier du centre-ville, Limoilou, et une banlieue, Val-Bélair.  Enfin, j’ai fait un premier postdoctorat avec le GIRBa, une équipe pluridisciplinaire qui fait de la recherche sur la banlieue, au cours duquel j’ai travaillé sur les banlieues vieillissantes. Mon deuxième postdoctorat a été entrepris à la Chaire Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. J’y ai travaillé sur la question du rapport des femmes à l’espace.

À travers mon parcours, je me suis impliquée au Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur à Québec parce que je voulais garder un lien avec le milieu associatif. J’ai aussi siégé à la Commission Femmes et ville, une commission consultative initiée par l’équipe du Maire Jean-Paul L’Allier.

Je suis finalement entrée à la Ville de Québec comme contractuelle avec le mandat d’élaborer la politique familiale, puis à (feu) l’Agence de la Santé et des Services sociaux où j’ai travaillé dans le suivi évaluatif. Mon expérience à l’Agence m’a fait réaliser qu’entre mes deux pôles de formation, soit le service social et l’urbanisme, mon intérêt, c’était vraiment la ville. Lorsqu’un poste s’est ouvert au Réseau de transport de la Capitale en 2009, je n’ai pas hésité. J’avais quelque part toujours voulu y travailler parce que pour moi, le transport en commun, c’est une mission essentielle.

Au fil de mes expériences, j’ai développé une expertise dans l’élaboration de plans. J’ai été engagée avec pour mandats de coordonner la contribution du RTC à l’élaboration du Plan de mobilité durable de la Ville de Québec ainsi que la révision du plan stratégique 2005-2014 du RTC. Les fusions municipales ont grandement modifié l’environnement dans lequel le RTC évoluait jusque-là. La révision du plan stratégique 2005-2014 s’est donc transformée en l’élaboration d’un nouveau plan en phase avec les orientations du Plan de mobilité durable. Ce plan est finalement sorti en 2018. Plus récemment, j’ai coordonné la production du deuxième plan de développement en accessibilité universelle en conformité avec  la loi sur les personnes handicapées (Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale). La planification à moyen ou long terme, ce n’est pas juste une obligation imposée par la loi, c’est nécessaire pour savoir où on s’en va et cibler les moyens pour y arriver! En matière de transport en commun et d’accessibilité, on n’improvise pas au jour le jour. Ça prend une direction, une vision. Et la collectivité doit être informée des services qui seront mis en place dans la prochaine décennie.

 

Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail ? Est-ce que vous rencontrez certaines limites ?

 

D’abord, je crois fondamentalement à la mission du transport en commun. Pour moi, c’est essentiel et je crois qu’il faut articuler le développement des villes autour du transport collectif si on veut faire face aux changements climatiques, c’est vraiment un défi qui m’allume! J’aime penser qu’on travaille à mettre en place un service qui va soutenir les gens prêts à modifier leurs habitudes de déplacement. Je comprends qu’on ne pourra peut-être pas faire changer du jour au lendemain les habitudes de tout le monde, mais c’est pour les prochaines générations qu’on travaille. J’ai grandi sur la rive-sud de Montréal. J’ai utilisé très jeune le métro. Pour moi, le transport en commun a toujours été synonyme de liberté! Ça sera la même chose pour les jeunes qui grandiront avec le tramway. Je veux travailler pour faire en sorte que le transport soit accessible pour tous et toutes et pour que l’offre de service soit complète, plus diversifiée et qu’elle permette aux gens qui le souhaitent de moins utiliser leur voiture. Pour l’instant, ces conditions-là sont possibles au centre-ville, mais moins en banlieue. C’est là qu’il faut innover pour faire en sorte que les gens aient plus d’options pour se déplacer.

Parmi les choses que j’aime de mon travail, il y a aussi mes collègues. C’est une belle organisation qui compte environ 1700 personnes dont une grande majorité de chauffeurs, hommes et femmes. J’ai beaucoup d’estime pour eux, c’est un métier exigeant. Il y a aussi beaucoup de jeunes, ils sont très conscientisés aux enjeux climatiques. C’est un bel environnement de travail avec des gens allumés.

Sinon, se renseigner, être au fait de ce qui se passe ailleurs, c’est toujours un défi de faire ça. C’est peut-être l’aspect que je trouve le plus difficile. Les collaborations entre les milieux de la recherche et de la pratique sont nécessaires. Mais les rythmes ne sont pas les mêmes, les exigences non plus et c’est un défi de les concilier.  C’est clair pour moi qu’une formation en recherche est une plus-value. Je suis reconnaissante au RTC d’avoir reconnu mon expérience en recherche.

 

Justement, comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine ? Et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années ?

 

Je ne fais plus de recherche, c’est clair. C’est un choix que j’ai fait. Je ne me considère pas comme une urbaniste ni comme une travailleuse sociale – je ne fais d’ailleurs partie d’aucun ordre professionnel. J’ai plutôt une approche transdisciplinaire et demeurer au fait de l’actualité dans mon secteur d’activité fait partie de ma tâche. Il y a beaucoup de ressources accessibles, je pense au site de VRM bien sûr, mais aussi au site du Forum Vies Mobiles en France. Je trouve qu’il y a une réelle volonté des chercheurs de rendre accessible la recherche. Il y a aussi les grandes associations de transport public comme l’Union internationale des transports publics qui produisent aussi de la documentation intéressante.

Enfin, comment je vois mon secteur dans les prochaines années? La notion de mobilité s’est imposée dans la dernière décennie dans l’espace public. Les innovations technologiques y sont pour beaucoup. C’est certain que le contexte pandémique actuel soulève de nombreuses questions sur ce plan et, plus largement, sur celui du développement urbain. Vers quoi on s’en va? C’est difficile à dire pour le moment! Le télétravail s’est diffusé à la vitesse grand V et il est certainement là pour rester, du moins en partie.  Est-ce qu’il y aura moins de bureaux au centre-ville? Quels seront les impacts pour les services et les commerces qui dépendent de l’achalandage des travailleurs? Est-ce que ça va renforcer les préférences en faveur des banlieues et de la périphérie? On voit que l’accessibilité, le principal enjeu, ne passera plus autant par le déplacement. C’est difficile de prédire l’avenir, mais ce sera intéressant de suivre ça. C’est sûr que ça va demeurer un domaine extrêmement vivant et extrêmement intéressant. Je ne pense pas qu’à long terme, ça remette en question la pertinence du transport en commun malgré ses vulnérabilités en contexte de pandémie. Dans un contexte de crise climatique et d’organisation de nos villes, sa pertinence demeure. Il faut faire en sorte que les services répondent à la diversité des besoins, qu’ils s’adaptent aux nouvelles réalités et que les gens puissent se déplacer en ayant à leur disposition plusieurs options. Assurer l’accessibilité tout réduisant les impacts de la mobilité sur l’environnement, tout le défi est là.