Compte rendu – Mobilizing Jutice Community of Practice Workshops (Workshop #3)

Beyond Infrastructure: How Emetional and Mental Safety Impact Transport Equity

17 november 22 (En ligne)

Par Sophie Lavoie, étudiante à la maîtrise en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

Un événement organisé par The Center for Active Transportation

Les barrières émotionnelles et mentales de la mobilités : au-delà des infrastructures physiques

Chaque jeudi du mois de novembre 2022, The Centre for Active Transportation (TCAT) organisait une série d’ateliers (workshops) afin de partager les pratiques et connaissances des communautés en lien avec la justice en matière de mobilité (mobility justice). Le TCAT a comme mission de faire progresser le savoir et les actions des groupes de recherche et organismes qui contribuent à construire des milieux de vie et des rues inclusives et sécuritaires. L’organisme fait la promotion du transport actif qui joue un rôle crucial dans la création de villes économiquement viables. Les communautés autochtones occupent une place d’importance au sein de l’organisation puisque le TCAT oriente ses actions et recherches selon la prémisse que le territoire urbain est un territoire volé aux communautés autochtones. Par ailleurs, les peuples issus des Premières Nations sont davantage vulnérables aux changements climatiques. Par conséquent, les politiques doivent pouvoir trouver des solutions aux questions autochtones et aux enjeux qui les concernent. C’est à travers l’organisation de différentes séances d’apprentissage et de collaboration que le TCAT poursuit sa mission. Ces rencontres entre communautés de pratique ont plusieurs objectifs, soit mettre en relation les acteurs du milieu, décrire et tenter de résoudre les causes structurelles de l’iniquité en transport au Canada et finalement documenter les pratiques. Cet atelier du mois de novembre était réparti autour de quatre discussions. Celle qui fait l’objet de ce compte-rendu s’intéresse aux barrières qui ne sont pas des infrastructures de type physique. La conférencière invitée, Christine Brouzes, a pu mettre en lumière les barrières émotionnelles et mentales en lien avec la sécurité dans les transports. Brouzes est une militante et artiste qui a démarré un service de taxi pour femmes à Winnipeg. C’est à travers son expérience de chauffeuse de taxi pour des femmes rencontrant des enjeux de mobilité qu’elle aborde les barrières mentales et émotionnelles qui affectent la mobilité. Elle est la créatrice du service Ikwe Safe Rides, un organisme communautaire qui fournit des trajets de taxi gratuits et sécuritaires aux femmes.

Ikwe Safe Rides : taxi et transport adapté pour et par les femmes

Lorsque Christine Brouzes crée en janvier 2016 une page Facebook pour faire la promotion d’un service collectif de taxi pour les femmes à Winnipeg, elle constate que les besoins sont beaucoup plus grands que ce qu’elle anticipait. Rapidement, la militante et ses bénévoles deviennent débordées et ne fournissent plus à la demande. Quelques mois plus tard, elle démarre son propre organisme formel, Ikwe Safe Rides. Cet organisme prend forme à l’issue d’un constat sur le terrain. Brouzes et d’autres femmes prennent conscience de l’ampleur du problème d’insécurité et d’anxiété dans les déplacements quotidiens et à quel point les femmes autochtones sont disproportionnellement touchées par rapport à d’autres populations. En effet, ce sont elles qui vivent le plus de menaces et d’anxiété dans leurs déplacements. Elles sont nombreuses à recevoir des commentaires hautement déplacés de la part des chauffeurs de taxi lors d’un trajet, ce qui peut constituer un immense obstacle dans leur mobilité quotidienne. Par ailleurs, Brouzes rappelle que ce problème est aussi constitutif de tous les autres modes de transport. En nous racontant certaines histoires vécues par des femmes dans leurs déplacements, Brouzes mentionne que le problème est large et structurel. En effet, même si une femme dénonce un chauffeur de taxi à son employeur, ce dernier peut ne pas prendre les plaintes au sérieux en raison de la culture de l’entreprise. Par ailleurs, les chauffeurs d’autobus ne sont pas formés pour garder un œil sur ce qui se passe dans l’autobus et à l’arrêt. Ainsi, de nombreux citoyens et citoyennes ne se sentent pas en sécurité dans leurs déplacements et dans les modes de transport collectif. Il peut s’agir de personnes issues de la communauté LGBTQ2+, de personnes en situation de handicap, de personnes dont le corps ne correspond pas au standard physique dominant, de membres de minorités ethniques, etc. Ces problèmes peuvent avoir de fortes répercussions sur les vies de ces populations, en leur faisant perdre des opportunités d’emploi par exemple, mais aussi en créant de l’isolement social, du stress, des soucis financiers et des situations mentales instables et fragiles. Brouzes dénonce aussi le fait que ces personnes vulnérables prennent parfois des décisions contre leur gré, soit de ne tout simplement pas sortir et de rester à la maison, pour éviter de se retrouver dans une situation inconfortable ou menaçante.

Quelles sont les solutions pour les communautés de pratique?

Le but de ces rencontres étant de transmettre les meilleures pratiques des organismes aux autres participants et participantes, Brouzes a invité les personnes présentes à sa conférence à engager la discussion avec leur organisme et leur milieu de travail sur les enjeux de mobilité qui se cachent au-delà des infrastructures physiques. Elle suggère fortement aux organismes d’ajouter le sujet à leur agenda, de collecter des données concernant le stress et l’anxiété dans les pratiques de mobilité des individus et d’approcher les gouvernements locaux afin de savoir s’ils ont affecté des membres du conseil municipal à ces enjeux. En ce sens, Brouzes mentionne qu’elle a déjà entamé le travail à Winnipeg. Elle invite ses conseillères et conseillers municipaux à forcer les compagnies de taxi à s’attaquer au problème de harcèlement de la part des chauffeurs envers les femmes. Brouzes mentionne que de simples outils peuvent rapidement être mis en place pour améliorer la sécurité des femmes.

Elle suggère d’inclure des enregistrements audios et visuels dans les voitures de taxi et de permettre de payer en avance le trajet. Présentement, des caméras sont présentes dans certains taxis, mais celles-ci ne permettent pas de rendre compte des propos haineux et sexistes que peuvent avoir les chauffeurs de taxi à l’égard des femmes, puisque les victimes figent la plupart du temps dans de telles situations. De plus, en payant à l’avance, les femmes peuvent éviter de se faire poser la fameuse question : « Aimeriez-vous payer d’une autre façon? » Il s’agit de la plainte la plus communément rapportée par les femmes dans leurs déplacements en taxi.

Réfléchir à la mobilité au-delà des infrastructures physiques

Cette séance a permis aux personnes et organismes participants de réfléchir à l’équité en transport au-delà des infrastructures physiques. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des pistes cyclables et d’améliorer le réseau de transport en commun. En effet, si une intersection n’est pas assez éclairée, cela a pour effet d’augmenter le stress et l’anxiété des femmes dans leurs déplacements, créant ainsi des barrières émotionnelles et mentales à la mobilité. Bien entendu, la sécurité passe par les infrastructures, mais d’autres dispositifs peuvent être mis en place pour favoriser la sécurité mentale et émotionnelle des citoyens et citoyennes. Si les infrastructures physiques sont une partie de la solution, des zones d’ombre demeurent par rapport à la sécurité mentale et émotionnelle en lien avec la mobilité des individus. Le fait d’être une femme et d’être victime de harcèlement sexuel et racial lors de déplacements en taxi est un bon exemple de barrière mentale et émotionnelle. Ces barrières sont un frein à la mobilité des femmes et des populations vulnérables. Il s’agit ici d’un appel de la part de Christine Brouzes afin que cet enjeu émerge au sein des organismes et politiques et qu’il soit davantage documenté dans les pratiques et les recherches en rapport avec la mobilité.