Toit vert, Centre Phi (Montréal). Photo: V. Vincent (2016).

Raconte-moi un terrain

Un toit vert: un lieu à fréquenter, ou du moins, un espace à contempler

Entrevue avec Caroline Gagnon, professeure à l’École de design de l’Université Laval

Par Claudia Larochelle, professionnelle de recherche CRAD / VRM

 

Au cours des dernières années, vous avez mené des recherches sur l’aménagement des toits verts. Pourriez-vous nous en dire plus sur la recherche, son contexte et les principaux objectifs?

J’ai amorcé cette recherche dans un contexte de subvention thématique du CRSH, où pour une des rares fois la question des enjeux écologiques pouvait être abordée par le biais des sciences humaines et sociales plutôt qu’uniquement sur le plan de la conservation de la biodiversité. La question à laquelle nous tentions de répondre est la suivante : Est-ce que les toits verts sont d’abord perçus comme des infrastructures ou comme des aménagements, des paysages? Partant de là, il s’agissait d’orienter la recherche vers une approche aménagiste, donc au bénéfice des concepteurs et peut-être moins au bénéfice d’une compréhension strictement sociologique ou écologique des toits verts.

Connaissant les avantages reliés à la présence de toits verts (réduction des îlots de chaleur, qualité de vie urbaine, etc.) bien qu’il ne s’agisse pas d’une pratique écologique prisée chez les citoyens, l’objectif était de formuler des recommandations pour que l’on puisse mieux implanter, et à plus grande échelle, des toits verts. Comment améliorer les politiques publiques pour soutenir ces pratiques écologiques en lien avec ces infrastructures vertes en comprenant mieux ce qui favorise leur appropriation, en prenant pour acquis qu’une approche de design plus adaptée aiderait à leur implantation? Grosso modo, nous voulions comprendre qu’est-ce qui fait que l’on apprécie davantage un type de toit vert plutôt qu’un toit traditionnel.

L’un des enjeux de la méthodologie était de développer un dispositif de collecte de données permettant de comprendre la perception des toits verts dans un contexte où l’on n’a pas la possibilité d’amener les participants de l’enquête sur place.

FIgure 1 : exemples de toits verts extensifs, par définition les toits verts extensifs n’ont pas une charge structurale très élevée et c’est surtout des petites plantes (ex. plantes grasses) qui y sont cultivés, à l’inverse des toits verts intensifs ont une charge structurale plus élevée. Source : Proceedings of DRS 2018 International Conference25–28 June 2018, Limerick, Ireland

Quelle a été la démarche méthodologique pour répondre à vos objectifs ?

L’approche méthodologique s’est d’abord orientée vers la caractérisation des toits verts. Nous avons fait une première recension des toits verts qui avaient été implantés à Québec et Montréal et nous en avons choisi 30. La plupart étaient de type extensifs (figure 1), c’est-à-dire avec une couche de substrat légère (de moins de 6 pouces), mais il y avait quelques toits verts mixtes (combinant une partie avec un substrat épais – intensif- avec une partie de substrat légère), donc avec des petits espaces de terrasse. Ensuite, nous les avons visités et caractérisés en cinq types, pour pouvoir développer notre projet d’enquête qualitative auprès des citoyens.

Nous nous sommes dotés d’un protocole pour la prise des photos afin de rendre compte des différentes étapes d’accès au toit vert et des séquences où nous pouvions apercevoir le toit en entrant dans l’édifice avant d’accéder au toit. Ces photos ont servi non seulement pour caractériser le toit vert, mais aussi pour aborder l’expérience du toit vert lors de la seconde partie de la collecte de données, lors des entretiens avec les citoyens.

Pour la réalisation des entrevues, cela s’est fait en deux parties :  la première partie était sans images et la deuxième avec des images. Dans la première partie, la question suivante était posée aux répondants : « Un toit vert, qu’est-ce que ça évoque pour vous ? ». Nous avions délibérément choisi des gens qui avaient des connaissances sur les toits verts et d’autres, non afin de comprendre ce qu’un toit vert évoque spontanément dans l’imaginaire des gens.

Ensuite, durant la partie de l’entretien mobilisant les photos, nous avons tenté de faire entrer les gens en situation d’expérience de toits verts. Nous avons donc préparé une présentation dynamique avec plusieurs photos du site en mode séquencé du parcours d’accès au toit vert où les participants pouvaient revenir à une image s’ils le souhaitaient. Au préalable, nous avons constaté qu’il était nécessaire d’expliquer où les photos avaient été prises car nous avons constaté qu’il y avait des toits à différentes hauteurs et par conséquent, pas toujours conforme aux représentations mentales d’un toit. Dans l’imaginaire, le toit c’est ce qu’il y a au plus haut d’un édifice, mais en réalité, ce n’est pas toujours ça, il y a des toits au rez-de-chaussée, au niveau de la rue, il y en a d’autres qui sont au 2e ou 3e étage, et il y en a d’autres qui sont sur le sommet de l’édifice.

Quand le toit est très haut, l’aspect ascensionnel pour s’y rendre et la prise de conscience du contexte en surplomb de la ville peuvent être assez impressionnants en situation et cela est difficile à rendre compte par des photos. Par exemple la Polytechnique de Montréal ou encore, l’Université McGill ou l’Hôpital St. Mary’s à Montréal (Figure 2 et 3), on arrive sur le toit vert qui est dans la canopée urbaine, il y a le toit vert mais tout ce qu’il y a autour qui contribue à l’expérience. Sur un plan logistique, ce n’est pas toujours simple d’avoir accès aux toits verts, dans certains cas, une demande doit être transmise à l’administration de l’édifice et implique d’être accompagnés (on a eu à enfiler un harnais d’escalade à un endroit pour être attachés). Ainsi, ayant obtenu ces autorisations, en tant que chercheurs, nous avons eu un accès privilégié aux toits verts nous permettant d’y aller alors que ce n’est souvent pas possible.

Figure 2 : École Polytechnique de Montréal. Source : Proceedings of DRS 2018 International Conference25–28 June 2018, Limerick, Ireland

Tout le défi de la collecte de donnée est de transmettre l’expérience à travers un dispositif méthodologique adéquat, mais le moins biaisé possible.

Donc, la méthodologie a été construite de cette façon-là, c’est à dire pour documenter avec des photos de terrain, alimentant l’enquête qualitative avec non pas une, mais de façon séquentielle avec plusieurs photos, afin d’être en mesure de donner l’impression d’être sur place.

Après la collecte de près d’un an, un autre défi s’est posé : comment traiter ces informations ? D’abord, nous n’avions pas choisi le bon logiciel d’analyse. Ce dernier était davantage conçu pour des approches déductives où le cadre théorique est bien établi. Nous étions davantage dans une approche inductive, par théorisation ancrée, et ça ne nous a pas vraiment servi, du moins pas de manière aussi fine que nous l’aurions souhaité. Nous avons fait un premier découpage des données d’entretiens avec le logiciel et finalement, nous avons tout traité à la main dans des tableaux d’extraction assez détaillés. La mise en valeur des résultats, notamment par des publications, a été retardée en raison de ces complications méthodologiques.

Comme il y a eu beaucoup de personnes impliquées dans le projet, c’était également plus difficile d’arriver à une synthèse, de trouver le fil conducteur ayant une capacité compréhensive forte. Sans parler du fait que 30 entrevues et presqu’autant de données de terrain de toits verts constituaient une base de données copieuses pour compléter des analyses fines. En bref, c’est difficile de traiter du qualitatif avec beaucoup de données. Nous n’avons qu’à penser au temps de transcription, au temps de codage et à l’interprétation des données physico-spatiales. Nous n’avons pas optimisé autant que souhaité la base de données des entretiens qualitatifs. Le défi de les croiser aux données physiques et perceptuelles en contexte a aussi été difficile à relever.

Figure 3 – Exemple du toit vert de l’Hôpital Saint-Mary’s (Montréal) montré par une série de photos (de gauche à droite) lors des entrevues (vues du rez-de-chaussée perceptibles par des vues furtives à l’entrée et des vues des fenêtres de l’hôpital à l’étage ainsi qu’une vue générale, mais autrement inaccessible pour les patients depuis le toit de l’hôpital, montrées dans la première photo).

Quels sont les principaux résultats que vous tirez de cette enquête de terrain?

Pour les participants, les toits verts, c’est un espace qui était plus idéalisé que ce qu’un toit vert extensif peut permettre en termes d’expériences et surtout de fréquentation. Pour certaines personnes, c’est comme la cour qu’elles n’ont pas, la possibilité de voir l’activité de la rue sans être vu, avoir des points de vue sur la ville. Ainsi, les gens voient le toit vert comme un lieu et moins une infrastructure. Si nous voulons en faire la promotion, ça entre en conflit avec l’imaginaire d’accessibilité que cela connote. C’est l’un des enjeux importants à saisir pour les concepteurs des politiques publiques, un toit vert a plus qu’une fonction écologique pour les citoyens. Par contre, ce que nous retenons aussi, c’est que les gens nous disaient que pour eux, un toit vert c’est mieux qu’un toit traditionnel et que le voir dans le paysage urbain est un atout intéressant. Par exemple, une personne nous a dit : « ça fait comme des cheveux qui poussent sur un édifice, donc, si on ne peut pas le fréquenter, est-ce qu’on peut au moins le contempler !? » La rêverie qui consiste à imaginer des vues sur les toits verts de la ville plutôt que de voir des toits goudronnés était vraiment intéressante.

Dans la perception des gens, le toit vert c’est aussi un espace à fréquenter et quand ils se rendaient compte qu’il y a des toits sur lesquels il n’est pas possible d’accéder, spontanément, ils nous disaient : « Pourquoi faire un toit vert si nous ne pouvons pas y aller ? »

Nos résultats soulignent l’importance de prendre en compte, dans la conception des toits verts, les possibles interprétation à l’échelle de l’expérience quotidienne. Aussi, sur le plan des principes de design à retenir, ils amènent à réfléchir à la façon dont nous pouvons signifier, indiquer ou souligner par des aménagements, la présence d’un toit vert – et ce, même du point de vue du passant. S’il n’est pas possible d’y aller, comment capter le regard, signifier la présence du toit vert, pour que la végétation puisse faire partie de l’expérience intérieure ou extérieure, selon le point de vue accessible sur le toit, mais qu’il fasse partie plus largement de l’expérience des individus au quotidien. Il faut par conséquent apprendre à concevoir en se basant davantage sur les conditions entourant la relation du toit à son contexte d’expériences. Pour le design ça peut être vraiment intéressant.

Nous retenons aussi qu’il y a pour les citadins quelque chose d’«aspirationnel», une exigence en regard des toits verts, qui réduit la justification du seul bénéfice écologique que ces toits apportent. Certains disaient : « tu sais, premièrement, il faut aller désherber, deuxièmement, ça coûte plus cher et troisièmement, je ne peux pas y aller, alors pourquoi je mettrais un toit vert ? ».

Ainsi, nous pouvons penser que cette recherche suggère quelques bémols en regard d’une pratique écologique qui fait reposer uniquement l’initiative à l’échelle individuelle (du moins pour les toits résidentiels). Les gens se disent très volontaires, mais d’un autre côté s’il n’y a pas de bénéfices qualitatifs associés au fait de remplacer un toit traditionnel par un toit vert, le toit blanc devient beaucoup plus rationnel comme choix, d’une certaine façon.

Cela ramène le rôle de l’aménagement dans le développement des infrastructures vertes, justement. Comment pouvons-nous utiliser ces connaissances-là pour faire mieux, comment prendre en considération la perception et les aspirations des citoyens dans la conception de ces infrastructures, comment faire en sorte, sans complètement répondre à toutes les représentations, d’y porter plus d’attention dans les projets ? Car il y a toujours des possibilités d’intégrer beaucoup d’éléments dans le devis d’un projet qui nous permettraient de répondre à certaines aspirations (ex. : choix des végétaux pour les rendre perceptibles de la rue ou du point de vue accessible, etc.).

Schéma illustrant l’interprétation des résultats de l’enquête. Source : Proceedings of DRS 2018 International Conference25–28 June 2018, Limerick, Ireland

La recherche en question

« A place to be or, at least, a space to see : A qualitative inquiry on the experience and appreciation of extensive green roofs ».

Recherche menée par Caroline Gagnon (Université Laval), Danielle Dagenais (Université de Montréal) en collaboration avec Valérie Côté, Catherine Brouillette et Cendra François Percy, assistantes de recherche CPEUM.

Certificat d’éthique no: CPER-09-080-P
CRSH – 865-2008-0080

Image : Hôpital St. Mary’s (Montréal). Source : Proceedings of DRS 2018 International Conference25–28 June 2018, Limerick, Ireland

Caroline Gagnon

Caroline Gagnon est professeure à l’École de design de l’Université Laval, elle est également membre du réseau VRM depuis 2015.