Rovaniemi, Finlande
Crédit Photo : Marie-Hélène Roch

Capsule thématique

Regard sur la nordicité et les stratégies de villes d’hiver durables

Auteure : Marie-Hélène Roch* (janvier 2018)

 

Introduction

Rovaniemi, Finlande
Crédit photo : Marie-Hélène Roch

En matière de planification et d’aménagement urbain, les considérations du climat local sont de plus en plus prises en compte dans l’effort de créer des milieux de vie à dimension humaine et durable. La réalité d’une ville d’hiver, qui se définit par des conditions climatiques hivernales rigoureuses, tel que de fortes chutes de neige et des températures froides, est composée de plusieurs contraintes et opportunités. En ce sens, le mouvement des Villes d’hiver (Winter Cities) est né d’une volonté de mieux adapter les environnements urbains à la réalité hivernale et de promouvoir des pratiques innovantes en matière de design urbain et impacts d’appropriation des espaces publics à l’échelle des communautés locales, peu importe la saison.

L’impact de l’urbanisation et les phénomènes d’adaptation dans le vécu hivernal au Canada et au Québec ont été abordés sous l’angle de dif­férentes disciplines, telles que la géographie (Hamelin, 1980; 1999; 2000), l’urbanisme (Pressman, 1985; 1988), l’ethnologie (Lamontagne, 1983), l’anthropologie (Arcand, 1999), la photographie (Carrière, 2003) et la culture (Charti­er, 2011) pour ne nommer que celles-ci. Cette rupture qu’entraîne l’hiver affecte à la fois nos comportements et nos pratiques sociales, économiques et cul­turelles. Voilà qu’avec les changements climatiques se multiplient de plus en plus des conditions météorologiques extrêmes (méga tempête, vortex polaire, gel et dégel) qui exigent que les villes trouvent des solutions en matière de résilience saisonnière, c’est-à-dire qui tiennent compte du changement des saisons.

Cette capsule dégagera d’abord les définitions et concepts clés qui peuvent être transposés au contexte hivernal urbain, soit de nordicité, d’hivernité et l’évolution de la notion de ville d’hiver. Ensuite, elle présentera à travers divers cas de villes canadiennes et scandinaves, des stratégies et discours derrière la construction de villes d’hiver durables et innovantes. La réflexion de ces villes s’insère dans une démarche de valoriser le développement d’un réseau collaboratif de villes nordiques et de générer une expérience renouvelée de l’hiver vécu en ville.

La nordicité : une notion qui est en nous

Rovaniemi, Finlande
Crédit photo : Marie-Hélène Roch

« L’hiver se présente comme une saison, un espace, ainsi qu’une émotion. » (Hamelin, 1999)

La démarche réflexive du géographe québécois Louis-Ed­mond Hamelin, qui s’intéresse tant à l’espace qu’aux men­talités dans la compréhension des pays froids, est à l’origine de la création de la notion de nordicité. Ce concept apparu dans les années 1960 exprime l’état, le degré, la conscience et les représenta­tions d’une territorialité froide à l’intérieur de l’hémisphère boréal. La nordicité saisonnière ou hivernité concerne le fait et le vécu d’une période froide d’une certaine durée (Hamelin, 1999). Elle exprime aussi l’idée et l’appréciation de l’hiver plutôt que la description rigoureuse des effets visibles du gel, de la neige et des glaces (Carrière, 2003). Avec l’élaboration d’un vocabulaire spécifique à la neige et au froid, son apport à la pensée circumpolaire et son approche multidisciplinaire ont permis au Québec de pouvoir observer, connaître et comprendre les composantes physiques et mentales du Nord. En continuité, le professeur d’études littéraires Daniel Chartier, titulaire de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique à l’Université du Québec à Montréal, présente la nordicité comme étant un concept parcourant de manière transversale la culture et l’identité du Québec, étant sollicité dans les œuvres, tant au niveau des personnages, réels ou symboliques, que dans des manifestations, des rituels, des symboles, tous révélant la forte présence de l’hiver et du nord dans cette identification (Chartier 2011).

Ville d’hiver : une approche en deux temps

Prise en compte du climat nordique dans l’architecture et l’urbanisme

La création du concept de Ville d’hiver (Winter City) est apparue en 1980. Au même moment, la Liveable Winter City Associations (LWCA) était formée par des chercheurs canadiens dans l’idée de partager des solutions aux divers enjeux des réalités climatiques nordiques en milieu urbain. L’un d’eux, Norman Pressman, Professeur émérite au département d’urbanisme de l’Université de Winnipeg au Manitoba, est l’un des principaux chercheurs à s’être penché sur la question de l’adaptation des villes à l’hiver. Sa contribution se situe entre autres au niveau de l’identification des enjeux hivernaux en milieu urbain et la promotion de la sensibilité hivernale en aménagement. Parmi les opportunités qu’il identifie pour les villes d’hiver il y a : 1- l’innovation (énergie, construction, design, vêtements, etc.), 2- l’accessibilité de plusieurs sports d’hiver, 3- l’utilisation de glace et de neige pour l’installation d’art public, 4- le tourisme hivernal et 5- les variations saisonnières. Sinon du côté de l’Europe, le professeur en aménagement Jorma Mänty en Finlande et les architectes Ralph Erskine et Boris Culjat en Suède ce sont aussi intéressés dans leurs pratiques à la diminution de fréquentation des espaces publics et des interactions sociales en climat nordique. Afin de poursuivre cette mission, l’Institut des villes d’hiver (Winter Cities Institute), organisme qui fait la promotion des villes d’hiver durables, rassemble depuis 2006 plusieurs membres (Villes et municipalités, Architectes, Urbanistes, Ingénieurs, Professionnels du milieu des parcs et loisirs, Chambres de commerce et développement économique) qui déploient des solutions d’aménagement et de création d’espaces publics exemplaires dans les villes nordiques.

Panorama de la ville d’Edmonton
Source : Winter Cities Shake Up 2017

Image de marque et design urbain : voir l’hiver comme un atout

Le réseau World Winter Cities Association for Mayors, quant à lui, regroupe plus d’une vingtaine de villes nordiques à travers le monde, par exemple Sapporo au Japon, Qiqihar en Chine et Novossibirsk en Russie. Au Canada, seule la ville d’Edmonton en était membre, mais voilà que tout récemment, Winnipeg vient de rejoindre ses rangs. Les critères d’adhésion pour une ville sont une accumulation annuelle de neige de plus de 20 cm (8 Po) et une température moyenne de 0 °C (32 °F) ou moins pendant le mois le plus froid. L’association a pour mandat de promouvoir les technologies hivernales – par exemple, des techniques pour la construction de routes ou la gestion des eaux et des déchets – et permettre aux villes membres de partager leurs expériences.

Le branding territorial, et plus spécifiquement le « city branding », est devenu une pratique largement répan­due à l’échelle internationale et elle consiste véritable­ment à créer une image, un « label », une idée forte pour mettre en valeur un territoire spécifique, mais plus généralement une ville, une métropole ou un quartier par le biais d’aménagements et d’infrastructures sym­boliques qui deviennent dans certains cas de véritables emblèmes urbains (Lefebvre, S, Adjizian J-M et R. Roult, 2012).

Dans la volonté de s’établir comme capitale mondiale hivernale, Edmonton est l’hôte en 2015 et 2017 de la conférence Winter Cities Shake-up dans le prolongement de la création de sa stratégie de ville d’hiver « For the Love of Winter ». Son plan d’implantation stratégique s’oriente autour de quatre grands principes : «Vie en hiver», «Design en hiver», «Économie en hiver» et «Notre histoire et culture en hiver»; qui regroupent dix objectifs déclinés selon soixante-quatre actions. Initiée en 2010 par un conseiller de la ville, c’est en février 2011 que les choses prennent forme avec une mission de reconnaissance qui s’organise en Scandinavie afin de procéder à des études de cas au sein de villes en Norvège et Finlande. La démarche s’inspire de l’approche holistique de l’architecte et urbaniste danois Jan Gehl. À l’issue de cette tournée, une typologie d’éléments clés associés à l’identité d’une ville d’hiver exemplaire se dénote : le fait « d’embrasser l’hiver », authenticité, culture d’hiver, accessibilité et maintenance, espace public, nature, art et plan lumière, neige et de glace.

Isbanan, Lulea, Suède
Source: Vivre en Ville

De novembre 2011 à l’automne 2012, un groupe de travail qui se compose de professionnels de la Ville (urbanistes, architectes, designers urbains, ingénieurs, conseillers, agents de développement régional, etc.) développe les objectifs de la stratégie. Ceux-ci sont répartis dans quatre différents comités : design urbain, hospitalité/affaires/tourisme, qualité de vie/vie publique/habitabilité et branding territorial/marketing. Le lancement de la stratégie a lieu en janvier 2012 et s’accompagne d’une conférence qui invite les citoyens à prendre part à ses activités. Entre janvier et juin 2012, se tiennent une vingtaine de consultations publiques avec des groupes de discussions et des ateliers qui font appel à la participation de la communauté edmontonienne. On révèle que 700 personnes prennent part à ces activités. Depuis, différentes initiatives s’organisent pour mobiliser et maintenir la discussion sur l’importance du design et l’aménagement de villes nordiques vivantes et animées.

 

Design urbain hivernal

Olivier Legault urbaniste chez Vivre en Ville et à la Fondation Rues Principales, a un penchant particulier pour le design urbain et l’aménagement hivernal de l’espace public. Il a notamment réalisé des études de cas d’aménagements publics scandinaves en contexte hivernal. Ses travaux menés en Suède, lui ont permis de relever six typologies d’espaces urbains et naturels où il est facile de programmer un nombre important d’activités hivernales : la pente pour la glissade, l’étendue d’eau pour le patinage, la place publique à animer avec des kiosques ou un marché, la rue piétonne (ou rue com­merçante à échelle humaine), la forêt, pour les balades à l’abri du vent et le parc pour les animations et activités hivernales de proximité). La mise en valeur de la saison hivernale s’inscrit à travers ce réseau blanc d’espaces publics de qualité et attractif.

Événement Luminothérapie à Montréal
Source : Partenariat du Quartier des Spectacles

Dans l’idée de transformer l’hiver en valeur ajoutée pour la culture, le vivre ensemble et la vie en ville, des phénomènes d’adaptation apparaissent, autant de l’ordre du festif que de la quotidienneté. Voici quelques exemples, ici et ailleurs, qui traduisent le potentiel d’embrasser la nordicité et l’hivernité.

Opportunité 1 : Caractère événementiel et esthétique de l’hiver

Le mécanisme d’adaptation à l’hiver apparent à Montréal réside dans ses grandes célébrations et manifesta­tions culturelles destinées aux Montréalais, mais aussi dans la promotion du tourisme récréatif d’hiver. On peut penser ici à la tradition de fête d’hiver avec le Carnaval de Montréal (1883-1889) et actualisée ses dernières années avec l’Igloofest, Montréal en Lumière, Lu­minothérapie, etc. Cette tendance est d’ailleurs observée dans la Stratégie de mise en œuvre du tourisme hivernal 2014-2020 – Plan d’action 2014-2017 de Tourisme Québec. Les festivals et événements hiver­naux prennent de plus en plus de place dans l’animation des milieux urbains; concours internationaux de sculp­tures sur glace/neige, fêtes d’hiver, illumination des villes et mise en valeur de l’architecture.

Ruelle blanche du quartier Villeray, Montréal
Crédit Photo : Marie-Hélène Roch

Ce phénomène est d’ailleurs observé à travers d’autres métropoles canadiennes qui valorisent à partir de concours d’architecture, de design et d’art contemporain des expériences à la fois ludiques et contemplatives qui ont pour fonction de limiter les inconforts du froid, de protéger du vent ou d’animer les espaces publics. À Toronto, il y a le concours de design international Winter Stations qui vise à transformer les chaises de sauveteurs en installations artistiques temporaires sur la Plage Woodbine dans l’objectif de célébrer les paysages d’hiver des rives du Lac Ontario. À Winnipeg, il s’agit de la compétition artistique et architecturale d’abris sur glace Warming Huts qui accueille des installations sur la Red River Mutual Trail, la plus longue patinoire naturelle au monde, pour agrémenter l’expérience des visiteurs.

Opportunité 2 : Appropriation citoyenne, l’exemple des ruelles blanches

L’animation des ruelles de Montréal 365 jours par année se fait de moins en moins rare. Patinoire, glissade, pistes de ski de fond, ornementations prennent d’assaut ce lieu de proximité pour en faire un havre récréatif et ludique en période hivernale. Ces initiatives citoyennes répondent au besoin quotidien de demeurer actif et de favoriser le lien social au fil des saisons.

Opportunité 3 : Mobilité active, une priorité quatre saisons

Personne âgée qui se déplace en luge finlandaise, Rovaniemi, Finlande
Crédit Photo : Marie-Hélène Roch

Les déplacements l’hiver peuvent représenter une source de défis avec la présence de la neige, la glace ou le verglas. Les populations à risque, les personnes âgées par exemple, peuvent redouter ces conditions extrêmes, ce qui augmente les risques d’isolement. En Finlande, il est commun de croiser des personnes âgées qui se déplacent en luge pour faire leurs courses ou occupations quotidiennes.

Le vélo d’hiver déjà bien établi en Scandinavie. Par exemple, la Ville d’Oulu en Finlande, qui reçoit des quantités importantes de neige, priorise néanmoins l’entretien de son réseau cyclable par rapport à son réseau routier. La croissance constante de la pratique du vélo en hiver à Montréal est aussi révélatrice du changement de vision qui s’opère vis-à-vis cette pratique.

Cycliste d’hiver, Finlande
Crédit Photo : Marie-Hélène Roch

Conclusion

Cette capsule aura permis de faire un portrait des tendances en termes de discours et stratégies derrière la construction de villes d’hiver durables et innovantes. Certaines favorisent la festivalisation de la vie culturelle et se destinent à satisfaire des objectifs qui profiteront à la fois au tourisme, la consommation, mais aussi à l’apport du festif et du ludique dans les espaces urbains. Notons également que ces actions misent grandement sur la revitalisation urbaine et la création de zones thématiques afin d’accroître l’attractivité de la Ville en saison hivernale. D’autres misent plutôt sur une adaptation de la Ville à l’hiver par des innovations techniques en matière de construction ou d’économie d’énergie. Pensons ici à la prise en compte de l’ensoleillement et des corridors de vent dans la planification. Toutefois, il est permis de croire que la participation citoyenne et les dimensions d’engagement, d’appropriation, d’affirmation identitaire, d’échelle locale et de lien social prennent de plus en plus de place dans les préoccupations. Enfin, le futur des villes d’hiver, en est un de mutation avec les changements climatiques à l’œuvre. Elles devront concentrer leurs efforts sur les enjeux de variabilité saisonnière et mettre de l’avant la résilience des aménagements.

Bibliographie

Arcand. B. 1999. Abolissons l’hiver!, Les Éditions du Boréal, Montréal

Carrière. B. 2003. Hivers, les éditions Les 400 coups, Montréal

Chartier, D. 2011. « La nordicité et l’hivernité culturelles du Québec». Cap-aux-Diamants. 108 : 4-7

Chartier, D et J. Désy. 2014. La nordicité du Québec : entretiens avec Louis-Edmond Hamelin, Les Presses de l’Université du Québec, Montréal

Gehl, J. 2012. Pour des villes à échelle humaine, Les Éditions Écosociété : Montréal

Gironnay, S. 2015. Vivre et concevoir avec la neige au Québec, MAQ, Montréal

Hamelin, L-E. 2000. « Le Nord et l’hiver dans l’hémisphère boréal » Cahiers de géographie du Québec 44 (121) 5-25.

Hamelin, L-E. 1999. « Espaces touristiques en pays froids » TÉOROS 18 (2) 4-9.

Hamelin, L-E. 1980. Nordicité canadienne, Éditions Hurtubise, Ville Lasalle

Lamontagne, S-L. 1993. L’hiver dans la culture québécoise (XVIIe – XIXe siècles), Institut québécois de recherche sur la culture, Québec

Lefebvre, S, Adjizian J-M et R. Roult. 2012. «Aménager la ville pour de sains habitudes de vie». Groupe de recherche sur les espaces festifs (GREF). 1-39.

Legault, O. 2013. « Le design hivernal des espaces publics : Études de cas scandinaves » Institut d’urbanisme et faculté d’aménagement (Université de Montréal)

Legault. O. 2017. «Que faire en hiver?» Urbanité – Printemps/Été 2017 24-26.

Mänty, J et N. Pressman. 1988. Cities Designed for Winter, The DATUTOP Editor, Tampere

Pressman, N. 1985. Reshaping winter cities : concepts, stratégies and trends : University of Waterloo Press

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Ville d’Edmonton. 2013. « For the Love of Winter : Winter City Strategy Implementation Plan». 1-52

Ville de Montréal. 2002, «Plan d’urbanisme de la ville de Montréal – objectif 13 – », consulté le 20 décembre 2015.

Vivre en ville (s.d.). « Design actif en contexte hivernal», Collectivitesviables.org, Vivre en Ville., consulté le 10 janvier 2018.

Zardini, M. 2006. Sensations urbaines : une approche différente de l’urbanisme, CCA : Montréal

*Marie-Hélène Roch est étudiante à la maîtrise en études urbaines au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS-UCS).