École Dollard-des-Ormeaux, salle de classe. Projet Schola, Université Laval, 2019.

Capsule thématique

Regard sur le design biophilique

Auteure: Mélanie Watchman*

Introduction

La biophilie se définit comme le besoin biologique des humains de maintenir une connexion avec la nature. La notion de design biophilique représente quant à elle une tentative délibérée de traduire la biophilie dans l’environnement urbain et bâti (Kellert et al., 2008). Reconnecter les personnes avec les systèmes et les processus naturels présente de nombreux avantages pour le bien-être. L’intégration de la lumière naturelle, des plantes, de matériaux naturels ou de vues agréables représentent certaines stratégies biophiliques qui peuvent améliorer la créativité, le bien-être et la performance cognitive des personnes. Pour maximiser tout son potentiel, une approche de design biophilique devrait aborder toutes les échelles du projet, depuis l’environnement urbain jusqu’aux espaces intérieurs. Cette capsule thématique s’intéresse d’abord à l’évolution du design biophilique dans le temps. Elle propose ensuite une synthèse des concepts clés pour favoriser l’intégration de la nature à toutes les échelles des projets d’aménagement. Pour conclure, la capsule présente à titre d’exemple, le Phipps Center for Sustainable Landscapes à Pittsburgh et un agrandissement d’école primaire dans la région de Québec.

Qualités biophiliques d’hier à aujourd’hui

Le terme « biophilie » a été popularisé par le biologiste américain Edward O. Wilson (1984), mais les origines du concept sont beaucoup plus vieilles. Le penchant pour la nature et l’incorporation d’éléments biophiliques dans l’environnement bâti s’observe dans plusieurs cultures et représente une pratique courante depuis les débuts de l’architecture (Ramzy, 2015). En effet, des thèmes de la nature peuvent être identifiés dans les premières structures humaines. Pensons aux feuilles d’acanthe sur les temples grecs, l’ornementation animale sur les monuments égyptiens ou les cours intérieures de l’Alhambra en Espagne. Avant la révolution industrielle, la majeure partie de l’humanité évoluait dans des sociétés agraires, ce qui impliquait de s’établir à proximité de la nature. La vie humaine s’organisait autour des cycles et des processus naturels, telles les heures de lever et de coucher du soleil. L’industrialisation et l’urbanisation ont modifié ces rapports à la nature en créant des distances, parfois physiques, parfois psychologiques, avec la nature.

La transformation de la conception architecturale au cours du siècle dernier suggère un va-et-vient entre les bâtiments qui relient les occupants et l’environnement extérieur et ceux qui créent une déconnexion. L’architecture axée sur la technologie utilise une multitude de systèmes mécaniques, comme la climatisation, la ventilation mécanique ou l’éclairage artificiel. Ces systèmes privent les personnes d’informations sur les conditions et les variations sensorielles qui se produisent à l’extérieur. Cela crée des conditions intérieures uniformes, prévisibles et automatisées, mais le maintien de ces environnements nécessite finalement beaucoup d’énergie. À l’inverse, le design biophilique adopte une approche davantage axée sur les personnes; il favorise des occupants dynamiques, adaptables et participatifs qui répondent aux conditions changeantes de l’environnement intérieur et extérieur.

Traditionnellement, la conception des bâtiments au Québec permettait aux occupants d’apprendre à coexister avec l’environnement extérieur. Les stratégies disponibles pour ce faire comprenaient la maximisation des fenêtres pour capter la chaleur du soleil et la réduction du nombre de fenêtres exposées aux vents forts et aux tempêtes. Au cours des décennies suivantes, l’adaptation aux conditions climatiques est souvent devenue secondaire par rapport à d’autres préoccupations, telles que l’intégration aux infrastructures existantes (Zrudlo, 1994). Ainsi, cette dernière génération de bâtiments incluait davantage de technologie pour créer des conditions intérieures agréables, ce qui entraînait souvent une plus grande déconnexion avec le contexte extérieur. Plutôt que de s’adapter au climat, ces bâtiments surprotégeaient leurs occupants dans des espaces peu ou pas ouverts sur l’extérieur. De même, le recours au chauffage, au refroidissement et à la ventilation mécaniques a permis de maintenir des réglages intérieurs constants, indépendamment des conditions extérieures.

Plus récemment, les bâtiments écologiques ont commencé à inverser cette tendance en créant des espaces confortables tout en évitant le recours excessif à la technologie. Le fait de s’appuyer sur une architecture passive et à faible consommation d’énergie améliore non seulement les performances environnementales d’un bâtiment, mais augmente également le confort des occupants (Cole et al., 2010). De plus, l’adoption d’une approche de design biophilique encourage la conception de bâtiments qui considèrent leur contexte climatique et environnemental pour favoriser le bien-être des occupants.

Alors que les considérations biophiliques sont de plus en plus intégrées dans les bâtiments et les espaces immédiats les entourant, l’application de principes biophiliques dans les villes mérite d’être explorée. Qu’est-ce qu’une ville biophilique ? Quelles sont ses caractéristiques et ses qualités ? La réponse la plus simple pourrait être : une ville qui donne la priorité à la nature dans sa conception, sa planification et sa gestion. En ce sens, une ville biophilique reconnaît le besoin pour les personnes d’être quotidiennement mises en contact avec la nature et de côtoyer les processus et systèmes naturels (Beatley, 2011). Un milieu de vie qui intègre les principes biophiliques prendrait la forme de villes et de bâtiments qui sont sains pour leurs habitants et créent un écosystème urbain sain. Ils nous encouragent à passer plus de temps à l’extérieur, nous connectent avec notre climat et augmentent la préservation d’espaces ouverts. De plus, ces villes et bâtiments biophiliques sont économiquement viables, aujourd’hui et pour les générations à venir, notamment en raison des retombées positives pour la productivité au travail, l’apprentissage scolaire, le taux de guérison, la sécurité urbaine et les commerces (Browning et al., 2014).

L’effet multiplicateur dans une perspective biophilique

Le design biophilique constitue davantage que la somme des stratégies dispersées ici et là dans la ville ou dans un projet d’architecture. Les synergies qui existent entre les stratégies présentes à différentes échelles du projet enrichissent les décisions prises lors de son élaboration. Par exemple, un quartier conçu en fonction des principes biophiliques invite les personnes à passer plus de temps à l’extérieur. Les stratégies pour ce faire incluent la création d’un microclimat urbain agréable qui tire profit des vents d’été et atténue ceux d’hiver, ou encore qui laisse pénétrer le soleil en hiver et le filtre en été. En retour, cela permet aux bâtiments conçus selon les mêmes principes biophiliques de tirer un avantage encore plus grand que si ces bâtiments avaient été conçus dans un quartier ordinaire. Cela illustre l’importance de l’effet multiplicateur.

École Dollard-des-Ormeaux, cour intérieure. Projet Schola, Université Laval, 2019.

L’effet multiplicateur constitue un mécanisme souvent abordé pour réduire drastiquement la consommation énergétique du milieu bâti. « En diminuant la demande de moitié par un aménagement urbain dense, en diminuant de moitié la consommation des bâtiments par des stratégies bioclimatiques passives, en doublant l’efficacité des systèmes et en comblant la moitié de la demande restante par les énergies renouvelables, il serait théoriquement possible de réduire rapidement par un facteur seize notre consommation énergétique » (Potvin et Demers, 2018). Dans le cas du design biophilique, l’effet multiplicateur vise l’addition d’éléments naturels plutôt que la réduction de la consommation énergétique. Par exemple, l’aménagement d’espaces verts en ville crée des îlots de fraîcheur, plutôt que des îlots de chaleur. Cela nous encourage à passer plus de temps à l’extérieur et permet ainsi de nous connecter davantage avec la nature. Les déplacements actifs deviennent également plus attrayants. La présence d’espaces verts près des bâtiments contribue aussi à la qualité des vues depuis les espaces intérieurs. D’autre part, si les façades des bâtiments sont facilement manipulables, nous pouvons ouvrir les fenêtres au printemps et à l’automne, par exemple. Ce geste simple permet à ce bassin d’air frais et sain créé à l’extérieur de rafraîchir naturellement les espaces intérieurs. Plusieurs bâtiments, particulièrement les édifices à bureaux, offrent un environnement intérieur uniforme contrôlé par des systèmes mécaniques. Outre les conséquences économiques et environnementales de maintenir des conditions artificiellement uniformes, les résultats de la recherche confirment que nous avons besoin de variations dans nos environnements et qu’un environnement trop homogène mène à l’inconfort (Browning et al., 2014). Si au contraire ces fenêtres s’ouvrent sur des espaces urbains bruyants, pollués, chauds et à intérêt visuel limité, les stratégies biophiliques intégrées à l’architecture perdent beaucoup de potentiel.

La notion de temporalité s’avère fondamentale dans une approche biophilique. Surtout dans le contexte climatique québécois, l’intensité et la disponibilité d’éléments naturels varient grandement selon les saisons. Pensons à la présence de la neige, les variations de température au cours de l’année, la durée de la lumière naturelle, les couleurs des végétaux. Ces variations constituent une richesse sensorielle à exploiter, plutôt que des contraintes à affronter. À chaque saison, les éléments naturels devraient occuper une place centrale dans tout ce que nous concevons et construisons : des écoles aux hôpitaux en passant par les quartiers et la planification à l’échelle urbaine et régionale. Le type et l’étendue des caractéristiques naturelles varient en partie en fonction de l’échelle. Bien que les intentions demeurent les mêmes, les stratégies peuvent différer entre une intervention dans une région, une communauté, un quartier, une rue, un îlot et un bâtiment.

 

Région et communauté

Les considérations biophiliques à l’échelle des régions et des communautés constituent les stratégies ayant le plus de bénéfices potentiels pour le bien-être des humains en raison de leur effet multiplicateur. Des exemples de considérations importantes incluent la gestion des réseaux hydrographiques, les plaines inondables, les systèmes riverains, les systèmes d’espaces verts régionaux et les réseaux écologiques urbains. Le verdissement des principaux corridors de transport représente une autre piste d’action pour enrichir les expériences biophiliques dans les communautés.

Quartier et rue

À la suite des aspects biophiliques considérés à l’échelle régionale, plusieurs auteurs, dont Browning et al. (2014), Beatley (2011) et Kellert et al. (2008), proposent des stratégies applicables à l’échelle du quartier et des rues. De nombreuses stratégies visent à végétaliser les milieux urbains. Parmi les propositions se trouvent les jardins communautaires, les parcs de quartier, les rues vertes, les jardins sur les trottoirs, les arbres urbains, et les aménagements paysagers comestibles. Les autres stratégies présentées concernent le développement à faible impact environnemental, les rues étroites, le haut degré de perméabilité entre les bâtiments, et l’accès à une lumière naturelle abondante pour l’ensemble du quartier.

Îlot et bâtiment

À l’instar de l’échelle du quartier, beaucoup de stratégies applicables à l’échelle du bâtiment impliquent la présence de végétaux. Par exemple, pensons aux cours végétalisées, aux logements groupés autour d’espaces verts, à la végétation indigène, aux murs et aux toits verts ou encore aux jardins en toiture. À l’échelle architecturale, une analyse détaillée des recommandations présentées par cinq ouvrages complémentaires révèle plus de 80 principes de conception pour créer un sentiment de nature dans l’environnement bâti. Ces dernières vont au-delà des végétaux pour inclure l’expérience de stimuli sensoriels variés, les vues vers l’extérieur, les matériaux naturels, l’expression des cycles et processus naturels, etc. Considérant la multiplicité des stratégies proposées, deux exemples nord-américains sont ici étudiés.

Intégration des stratégies biophiliques : deux cas de figure

Pour illustrer le design biophilique, voici deux exemples nord-américains où les éléments naturels sont mis de l’avant : un centre sur le développement durable à Pittsburgh et l’agrandissement de l’école primaire Dollard-des-Ormeaux dans la région de Québec.

Phipps Center

Phipps Center for Sustainable Landscapes, Denmarsh Photography. Tirée du site web : www.denmarsh.com/phipps.html/

Souligner les processus et changements naturels

Le Phipps Center for Sustainable Landscapes situé à Pittsburgh, Pennsylvanie, constitue un exemple de projet biophilique primé par le International Living Future Institute. Cette organisation à but non lucratif est notamment responsable du Living Building Challenge, la certification de construction écologique la plus rigoureuse au monde. Le projet en question comporte plusieurs caractéristiques environnementales et souligne les processus naturels présents sur le site et dans le bâtiment. Ce bâtiment profite de son immersion dans un paysage botanique pour offrir aux occupants une expérience visuelle et auditive en constante évolution. Reconnaissant l’importance du son pour connecter les personnes à la nature, la sculpture auditive d’Abby Arresty introduit les sons de Pittsburgh dans l’espace. Cela inclut le sifflement rythmé des cigales, le doux sifflement de la pluie et le sifflement nostalgique d’un train qui passe. Cette variabilité sensorielle invite les gens à faire une pause, à toucher, à regarder et à écouter – à connecter avec la nature. Le bâtiment est organisé autour d’un hall central avec un atrium, ce qui souligne le changement radical d’élévation qui caractérise le site. L’atrium de trois étages est ancré dans le bâtiment et sert de guide aux visiteurs, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur. La tour translucide avec son toit incliné constitue le point culminant du bâtiment. Les visiteurs qui empruntent le sentier sinueux à travers les jardins peuvent se référer à cet élément important pour rester orientés lors de la transition de l’amphithéâtre au lagon. À l’intérieur, le hall et l’atrium guident les personnes dans le bâtiment et les connectent à d’autres espaces; à partir de là, il est possible de voir clairement à travers le bâtiment d’est en ouest. Cet espace public baigné de lumière, où la lumière du soleil et l’accès aux vues renforcent la fonction de l’atrium en tant que point central, attire les gens.

Équilibrer connexion et protection de la nature

L’agrandissement de l’école primaire Dollard-des-Ormeaux à Shannon se déploie autour d’une cour intérieure éducative. Les fenêtres généreuses au rez-de-chaussée créent une connexion visuelle entre les différentes parties de l’école. Elles permettent aussi une connexion avec l’extérieur depuis les aires de circulations. La cour intérieure offre une connexion avec les changements de soleil et de nuages, tout en contribuant au sentiment de cocon et de protection. Outre la géométrie de l’école, le bois est mis en valeur dans cette école pour créer des espaces chaleureux et protecteurs. L’utilisation du bois pour les corridors, les portes intérieures et en tant que parement dans le gymnase renforce le lien des élèves et du personnel avec la nature. Ce matériau naturel permet aussi de répondre aux critères de durabilité et de résistance qu’exigeait le projet.

Conclusion

L’effet multiplicateur constitue une piste de design à privilégier pour bonifier les connexions entre les personnes et la nature au quotidien. Si les stratégies de design biophilique demeurent encore floues, elles expriment des intentions qui peuvent guider les aménagements régionaux, la revalorisation des quartiers et la conception architecturale. En ce sens, l’approche biophilique représente une dimension complémentaire aux dimensions de performance énergétique et environnementale et aux dimensions culturelles et symboliques. Concevoir des villes et des bâtiments biophiliques, c’est se préoccuper autant de ce que signifie la conception durable que de ses performances. Outre le souci de bien-être des personnes, les aménagements et constructions biophiliques devraient fonctionner correctement sur le plan environnemental. Les acteurs de l’aménagement et de la construction ne peuvent pas s’excuser pour des performances médiocres en plaidant simplement un riche lien symbolique avec la nature. Ainsi, il s’avère primordial que la quête du bien-être des personnes que le design biophilique promeut soit considérée à la fois dans une perspective multiscalaire et multidimensionnelle.

 

Bibliographie

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*Mélanie Watchman est étudiante au doctorat à l’École d’architecture de l’Université Laval