Regards croisés sur les lieux de culte

Par Gabriel Jean-Maltais, en collaboration avec Catherine Paquette, étudiant.e.s à la maîtrise en études urbaines à l’INRS – Urbanisation Culture Société et membres de l’équipe des Midis de l’immigration de l’INRS*

 

Présentation

Le paysage montréalais illustre parfaitement les trois mutations spatiales de la nouvelle géographie des lieux de culte : 1) leur installation dans des lieux qui ne leur étaient pas destinés à l’origine; 2) le passage qui s’effectue au niveau de l’appartenance des membres, à savoir du modèle paroissial fondé sur la proximité vers un modèle congrégationnel qui s’appuie sur des logiques affinitaires et 3) une diversité croissante des fonctions assurées par ces lieux de culte, notamment pour les populations immigrantes.

Ces deux dernières mutations en particulier sont au cœur des propos des deux conférencier.e.s qui ont présenté leurs résultats de recherche sur des églises chrétiennes évangéliques lors d’une séance des Midis de l’immigration à l’INRS le 21 février 2019. Ceux-ci illustrent bien ces changements et leur impact pour les immigrant.e.s nouvellement arrivé.e.s.

 

Le modèle congrégationnel et les rapports à l’espace des immigrant.e.s récents dans deux églises évangéliques montréalaises

Christine Préfontaine-Meunier a consacré son mémoire de maîtrise en Études urbaines à l’INRS – Urbanisation Culture Société à deux églises évangéliques attirant surtout des populations africaines, l’une située dans une périphérie industrielle, l’autre située en plein cœur de Montréal. Elle s’est intéressée à deux questions. Premièrement, comment ces deux localisations influencent, du point de vue des pasteurs, l’organisation des activités de l’église? Deuxièmement, comment ces mêmes situations géographiques affectent, du point de vue des croyants, les trajets vers l’église et l’expérience spatiale de leur nouvelle ville lors de ceux-ci?

Se référant à la recherche de C. Préfontaine-Meunier, Annick Germain a résumé la démarche sous tendant cette enquête (cartes mentales et entrevues). Elle en a également souligné certains axes novateurs qui permettent de comprendre, notamment grâce aux outils conceptuels développés par Bertrand Montulet, les comportements de mobilité des croyants basés sur la succession efficace des activités de déplacement, et leurs représentations tronquées de l’espace urbain.

 

Ce que la religion fait à l’intégration : l’exemple du rôle des Églises chrétiennes auprès des personnes immigrantes

Frédéric Dejean, professeur au Département de sciences des religions de l’UQAM, a ensuite partagé quelques réflexions à partir d’une recherche-action menée auprès d’églises évangéliques montréalaises. Il a montré comment la pratique religieuse des communautés immigrantes fonctionne comme un incubateur de liens sociaux.

Dans une récente recherche sur la place des groupes religieux dans l’intégration des personnes immigrantes dans la région de Montréal, il distingue trois catégories de congrégations en fonction de leurs origines:

1- Églises relativement anciennes, majoritairement composées de personnes non issues de l’immigration, mais qui se diversifient;

2- Églises multiculturelles, regroupant des personnes surtout issues de l’immigration, mais sans groupe dominant;

3- Églises « ethniques », principalement constituées d’un groupe culturel ou national particulier. Parmi ces dernières se trouvent des Églises transnationales, établies à travers le monde. Pour les migrants, celles-ci permettent une « intégration avant l’immigration » : les migrants auront déjà un réseau social qu’ils pourront utiliser à leur arrivée afin de les aider à trouver logement, emploi, etc.

Les « 3 R »

Dejean a ensuite fait appel à l’auteur Charles Hirschman pour établir en quoi le religieux peut soutenir les besoins des immigrant.e.s en termes d’intégration, ce qu’il catégorise en « 3 R» : refuge, respectabilité, ressources. Le « refuge » fait référence à la perte de repères par les nouveaux arrivants, et comment les communautés religieuses peuvent ainsi subvenir à leurs besoins psychosociaux. Le besoin de respectabilité vise la recherche de reconnaissance de sa propre valeur, entre autres professionnelle, ce qui n’est pas nécessairement octroyé d’emblée par la société d’accueil. Finalement, les « ressources» renvoient aux apports financiers et informationnels qui peuvent aider les immigrant.e.s à négocier leur établissement en terre d’accueil.

 

Capital social

Les églises seraient ainsi des endroits où l’individu peut se forger un capital social (ressources et potentiels provenant du réseau social d’un individu), permettant d’obtenir des connexions pour des emplois. C’est ainsi surtout dans les liens informels, faits entre coreligionnaires mais développés en dehors de l’église que ces relations peuvent être fructueuses et ainsi aider à l’intégration. Finalement, au fil des entrevues menées par F. Dejean, des dynamiques différentes ont pu être notées entre les types d’églises. Par exemple, les églises avec une population migrante moins importante permettaient aux immigrant.e.s de comprendre plus rapidement la culture d’accueil via les autres croyant.e.s.

Ces présentations, et la discussion qui s’ensuivit, ont permis de mieux comprendre comment les lieux de culte influencent la perception des personnes immigrantes et leur installation à Montréal. De nouvelles recherches, en particulier sur d’autres dénominations religieuses, pourraient permettre de mieux saisir dans toute sa nuance l’influence des organisations religieuses dans l’accueil des personnes immigrantes et leur vision de la ville.

 

* Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser six rencontres par année sur l’heure du dîner, trois à l’automne, trois à l’hiver.