Compte rendu

Conférence et discussion autour de la mobilité, de l’aménagement urbain et du genre : Où en sommes-nous à Montréal pour une ville verte, inclusive et féministe ?

27  septembre 2023

Par Sophie Lavoie, étudiante à la maîtrise en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS), André-Philippe Saint-Arnaud, étudiant à la maîtrise en études urbaines (UQAM)

Introduction

Le 27 septembre dernier avait lieu au centre Urbanisation, Culture et Société de l’INRS une conférence-discussion autour des thématiques de la mobilité, du genre et du féminisme. Organisé par le tout nouvel atelier de vélo de l’INRS, le but de cette conférence était de réunir les étudiant·e·s de l’UQAM et de l’INRS, de même que le milieu militant, communautaire et associatif de Montréal. Ainsi, ce sont près de 40 personnes qui se sont présentées afin d’en apprendre davantage sur les liens entre les femmes, les minorités de genre et les différents enjeux qui peuvent se manifester dans leur mobilité urbaine. Quatre étudiantes au doctorat et à la maîtrise, une partenaire et une auteure et journaliste ont ainsi pu prendre la parole et faire connaître davantage au public les enjeux de mobilité propres aux femmes.

Constat général sur la mobilité et le genre issu d’un mandat de recherche pour le Conseil des Montréalaises,

Par Gabrielle Perras St-Jean, Hélène Madénian et Naomie Léonard, étudiantes au doctorant en études urbaines, INRS

La première conférence de cette soirée a été présentée par des étudiantes au doctorat qui ont récemment effectué un mandat de recherche pour le Conseil des Montréalaises. Gabrielle Perras St-Jean, Hélène Madénian et Naomie Léonard ont partagé avec le public les principaux constats de cette recherche concernant les enjeux de mobilité vécus par les femmes à Montréal.

D’abord, les chercheuses ont présenté le Conseil des Montréalaises. Il s’agit d’une instance consultative composée de 15 membres bénévoles qui émet des recommandations et publie des avis qui concernent la sécurité et les conditions de vie des femmes à Montréal. Sous mandat du Conseil, les chercheuses ont effectué une partie de la recherche ainsi que la rédaction de l’Avis pour une transition écologique juste et féministe à Montréal, publié en 2022.

À partir d’une revue de la littérature autour des thèmes croisés du féminisme, du genre et des changements climatiques, le mandat avait pour objectif de documenter les effets immédiats et ultérieurs des changements climatiques sur les Montréalaises dans toute leur diversité.

Réalisée par une équipe de recherche sous la supervision de Jen Gobby, cette revue de la littérature a permis de constater que les femmes sont aux premières loges des changements climatiques, notamment en raison de leur précarité économique, de leurs emplois liés au domaine du care et de la santé globale, de l’augmentation des violences physiques, psychologiques et sexuelles et de l’augmentation des inégalités entre hommes et femmes.

Les doctorantes ont souligné que les villes doivent mieux prendre en compte la dimension du genre dans les politiques qui concernent l’adaptation aux changements climatiques et leur atténuation, puisque trop souvent, les femmes sont davantage touchées. De plus, les chercheuses ont souligné l’importance d’utiliser les principes de la recherche féministe et intersectionnelle afin d’étudier les impacts sur différentes caractéristiques telles que l’origine ethnique, l’âge, l’orientation sexuelle, et ce, selon les quartiers et les milieux socioéconomiques.

La question de recherche qui guidait les doctorantes était la suivante : comment les changements climatiques affectent-ils et affecteront-ils les Montréalaises ? C’est à partir des expériences des Montréalaises que les chercheuses ont collecté leurs données, et ce, dans une démarche intersectionnelle. Elles ont mené des entretiens avec des expertes, des intervenantes et des militantes.

Résultats : quels sont les enjeux pour la mobilité active et durable des femmes ?

En superposant les cartes de défavorisation matérielle et sociale sur les cartes de vulnérabilité aux inondations et aux îlots de chaleur urbains, les chercheuses ont identifié les secteurs les plus vulnérables de Montréal, ce qui soulève d’importantes questions pour la transition.

Le secteur des transports émet 40 % des gaz à effet de serre (GES) à Montréal, et de plus en plus de décideurs, décideuses et élu·e·s reconnaissent l’importance de réduire le parc automobile. Or, le territoire montréalais est fortement hétérogène et inégalitaire en ce qui concerne les infrastructures et les services de transport, ce qui se traduit par un enjeu d’accessibilité touchant particulièrement les femmes. Elles sont en effet plus nombreuses à avoir des personnes à leur charge, à accompagner des enfants dans leurs déplacements, transportant plusieurs bagages et sacs ou une poussette. Par ailleurs, elles sont surreprésentées parmi les populations à faible revenu, donc également plus présentes dans les quartiers où il y a des enjeux d’iniquité dans les services et infrastructures de mobilité durable.

Les chercheuses ont aussi abordé les obstacles à la pratique du vélo, soit le sentiment de sécurité, le manque d’aménagements sécuritaires, voire l’absence complète d’infrastructures cyclables, et certaines barrières socioculturelles. Ces barrières sont multidimensionnelles : l’investissement et les coûts liés à l’achat et à l’entretien d’une bicyclette, une bonne condition physique nécessaire pour faire le trajet, la prise en charge des déplacements des membres de la famille, la distance à parcourir entre le domicile et les différentes destinations, les représentations sociales négatives, etc. Tous ces enjeux affectent particulièrement les femmes.

D’autre part, les doctorantes ont souligné que la complémentarité entre les services en transport en commun et le transport actif doit être soutenue afin de rendre le transport actif à la portée des femmes. Elles ont également indiqué que les infrastructures et les services sont fortement inéquitables sur le territoire montréalais. Les femmes sont plus nombreuses à utiliser les transports en commun, entre autres parce qu’elles sont davantage représentées dans les groupes désavantagés socioéconomiquement. Il y a donc plusieurs barrières qui peuvent limiter et exacerber les désavantages des femmes dans leur mobilité au quotidien.

Conclusion

Les chercheuses ont terminé en mentionnant que les vulnérabilités sont les résultats historiques de décisions politiques et de désinvestissements dans certains secteurs. Pour limiter les impacts négatifs des changements climatiques sur la mobilité des femmes, et afin que la transition socioécologique soit la plus juste possible, les villes doivent mieux répartir les infrastructures et les services sur leurs territoires. Enfin, toutes personnes désireuses de consulter l’Avis pour une transition écologique juste et féministe à Montréal du Conseil des Montréalaises peuvent trouver le document en ligne ou à la fin de ce compte-rendu.

Considérations du genre dans les projets d’écoquartier à Montréal

Par Marylin Jean, diplômée de la maîtrise en études urbaines, UQAM

La deuxième présentation était celle de Marylin Jean qui, dans le cadre de son mémoire de maîtrise, s’est intéressée à la dimension du genre dans les projets d’écoquartiers de Montréal et à la façon dont ceux-ci prenaient en compte les particularités des déplacements des femmes. À partir d’une revue de littérature centrée sur la question du genre et la planification des écoquartiers, l’étudiante examine comment les principes du paritarisme (gender mainstreaming) sont intégrés dans le développement des écoquartiers.

La méthodologie adoptée est une approche qualitative avec une étude de cas multiples composée de deux écoquartiers à Montréal, soit celui du Technopôle Angus (îlot central) et du PPU Lachine-Est. La collecte de données inclut une analyse documentaire concernant les projets, une analyse du cadre bâti et des entretiens semi-dirigés avec des spécialistes de la planification urbaine. Les données recueillies ont été analysées à partir d’une grille d’analyse basée sur le document Gender Mainstreaming in Urban Planning and Urban Development de la ville de Vienne (2013).

Résultats

En matière de gouvernance dans les écoquartiers, on comprend que les femmes sont bien représentées et très actives dans la gestion des comités, particulièrement dans l’écoquartier de Lachine-Est. Toutefois, les femmes demeurent sous-représentées parmi les citoyens corporatifs et les promoteurs.

Marylin Jean constate également que le genre n’a pas été considéré dans le projet du Technopôle Angus, mais que dans le cas de l’écoquartier Lachine-Est, une politique d’analyse différenciée selon le sexe a été appliquée. Cependant, on note que l’écoquartier Technopôle Angus a tout de même été réfléchi et planifié en fonction des familles, ce qui peut avantager les femmes.

Il y a une forte présence d’infrastructures sociales dans les deux écoquartiers, comme des établissements de santé et des écoles, ce qui peut faciliter les nombreux déplacements faits pour le care (les soins) au quotidien. À Lachine-Est, l’écoquartier s’est doté d’un pôle civique en mettant en place des réserves foncières dans le but d’installer des infrastructures communautaires et de services sociaux. Marylin Jean a soulevé que les sites doivent pouvoir se démarquer en matière d’accessibilité et de mobilité, afin de simplifier les déplacements quotidiens des femmes, mais aussi d’améliorer leur sentiment de sécurité en tant que piétonnes.

Enfin, la sécurité urbaine dans les deux écoquartiers permet généralement de favoriser un contrôle social naturel, c’est-à-dire permettre à tout le monde de garder les yeux sur la rue et les espaces publics, ce qui contribue au sentiment de sécurité, mais aussi de simplifier la surveillance des enfants, par exemple. Dans les deux cas, les écoquartiers tendent à prioriser les personnes qui se déplacent à pied, afin que celles-ci soient constamment protégées durant leurs déplacements.

Constats et apprentissages en matière de genre dans le cadre des projets à vélo du collectif Solon

Par Pauline Wolff, Ph.D en aménagement à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, chercheuse et évaluatrice pour Solon Collectif

La troisième conférencière de la soirée était une partenaire du milieu communautaire qui travaille sur les questions de mobilités douces et actives avec le collectif Solon, Pauline Wolff, qui est également chargée de formation pratique en aménagement à l’Université de Montréal. Elle a créé plusieurs cours pour le programme d’urbanisme de l’UdeM et en plus d’enseigner, elle travaille pour Solon en tant que chercheuse et évaluatrice. L’un des programmes de Solon se nomme LocoMotion, dont l’objectif est de favoriser le partage et la mise en commun d’actifs de mobilité, comme des remorques, des vélos-cargos et des voitures personnelles. LocoMotion vise également à créer des liens entre voisin·e·s et à faciliter les rencontres dans les quartiers participants. La mission de Solon est d’accompagner les citoyen·ne·s dans leurs projets afin de tendre vers une transition socioécologique, et ce, en rassemblant les communautés.

Pauline Wolff a entamé sa conférence en partant du constat que le monde de la recherche et celui de l’aménagement du transport sont majoritairement très masculins, alors que la mobilité est genrée, donc que ceux et celles qui en réfléchissent l’aménagement devraient refléter une plus grande diversité. Toutefois, de plus en plus, les spécialistes de la mobilité et du transport reconnaissent ces enjeux et travaillent à rendre les déplacements des femmes mieux adaptés à leurs besoins.

Pauline Wolff a également reconnu que le projet LocoMotion n’échappe pas à la division genrée dans ses activités. Elle a souligné que LocoMotion n’avait jusqu’à maintenant jamais fait d’analyse de ses données selon le genre, malgré le fait que le collectif Solon soit très impliqué dans des projets conçus pour et par les femmes.

Au-delà des chiffres, qu’est-ce que 8 000 emprunts de vélos et remorques peuvent nous dire sur la mobilité des femmes ? Pauline Wolff a souligné que le projet LocoMotion impliquait plus d’hommes, contrairement aux autres projets, probablement en raison du caractère plus technique de la mécanique propre aux vélos et aux remorques. Selon la conférencière, les femmes auraient plutôt tendance à sous-évaluer leurs connaissances et leurs capacités en matière de mécanique de vélo, alors que la plupart du temps, elles réussissent à accomplir des réparations et des travaux d’entretien de leurs vélos.

Pauline Wolff a aussi indiqué que les femmes sont plus nombreuses à siéger au sein des comités de la plupart des projets soutenus par Solon. De plus, les comités qui fonctionnent le mieux sont ceux où les femmes sont en majorité. Les femmes sont aussi davantage impliquées dans le travail qui consiste à prendre soin du parc de véhicules en partage, ce qui s’inscrit dans le travail de care. Le travail de care est nécessaire dans toutes les sphères de la société, mais celui-ci tend toujours à être dévalorisé et davantage effectué par les femmes. Cela est aussi vrai pour les projets de mobilité communautaire.

La mécanique féministe, un outil crucial pour le cyclisme chez les femmes

Pauline Wolff a ensuite abordé la pratique du vélo d’hiver, de plus en plus répandue à Montréal. Même si la pratique gagne en popularité, les hommes sont toutefois plus nombreux à enfourcher leur bicyclette sous la neige, et ce, pour plusieurs raisons. Les femmes n’auraient pas le même rapport au confort et à la sécurité que les hommes, mais elles craindraient aussi davantage le jugement social, notamment parce qu’elles accompagnent souvent des enfants dans leurs déplacements.

Enfin, le sentiment de compétence est plus bas chez les femmes, même si elles se débrouillent en mécanique de vélo. Parmi celles qui se sont mises à pratiquer le vélo d’hiver à Ahuntsic l’an dernier, Pauline Wolff a constaté qu’elles se débrouillent en mécanique et que la pratique du vélo hivernal s’est avérée beaucoup plus confortable ou sécuritaire que ce qu’elles s’imaginaient.

Les ateliers de vélo donnés par le collectif Mécanique féministe, un autre service offert par Solon, visent également à rendre la pratique du vélo plus inclusive pour les femmes. L’initiative vise à inciter les femmes à se mettre les mains dans le cambouis, en leur permettant de rehausser leur sentiment de compétence en mécanique cycliste. Pauline Wolff a ainsi constaté que lorsqu’on accompagne les femmes dans l’entretien mécanique du vélo, elles développent leurs capacités techniques tout comme leurs motivations à pratiquer le cyclisme utilitaire.

D’autres projets féministes et cyclistes réussis pour Solon

Solon organise des balades à vélo pour femmes dans le quartier Saint-Benoît à Ahuntsic, ce qui a permis à plusieurs dizaines de femmes de reprendre contact avec le vélo, de découvrir leur quartier et de créer des liens avec d’autres citoyennes de leur quartier.

Par ailleurs, Pauline Wolff a mentionné que les femmes racisées pouvaient avoir des obstacles supplémentaires à la pratique du vélo. Elles peuvent ne jamais l’avoir appris, ou être embarrassées d’enfourcher un vélo, ce qui nécessite un plus grand travail d’accompagnement. Les balades à vélo montrent ainsi que ce mode de transport permet de découvrir la ville, de se l’approprier, mais aussi de créer des liens avec d’autres personnes.

Pauline Wolff a terminé sa présentation en soulignant que le monde du vélo doit changer puisqu’il est encore associé à une pratique de performance et donc destiné aux personnes qui sont en bonne condition physique. Or, cela n’est pas le cas et en augmentant la pratique du vélo chez les femmes, nous offrons d’autres modèles corporels féminins, tant au niveau des formes que de la couleur de peau. Les différents projets menés par Solon et LocoMotion permettent ainsi de démocratiser la pratique de la bicyclette et de la rendre plus accessible aux femmes.

Conférence sur le vélo comme outil de libération féministe,

Par Gabrielle Anctil, journaliste indépendante et auteure

La dernière conférence de cette soirée était donnée par Gabrielle Anctil, journaliste indépendante et auteure. Bien connue dans le milieu littéraire et militant de Montréal, elle a imagé que la bicyclette et le féminisme ont toujours été une histoire d’amour, et ce, pour plusieurs raisons sociales et historiques.

Dès l’apparition du premier modèle de bicyclette, la mode féminine connaît une révolution, si bien que les femmes peuvent désormais s’affranchir des multiples couches de jupes et être plus à l’aise dans leurs mouvements. Le vélo aurait ainsi permis aux femmes d’être plus mobiles et autonomes, les libérant de certains vêtements qui leur causaient de graves problèmes de santé physique. Les suffragettes, féministes de la première vague, aimaient elles aussi beaucoup la bicyclette.

Ces groupes de femmes militaient pour des droits fondamentaux, comme le droit de vote, le droit à l’éducation et à une carrière professionnelle, ainsi que le droit à l’autonomie. Le vélo a ainsi agi en tant qu’outil fort pertinent dans la lutte pour les droits des femmes, en les rendant égales aux hommes en matière de mobilité.

Grâce à un impressionnant travail d’archives, Gabrielle Anctil a fait plusieurs liens implicites entre l’actualité toute récente et le droit des femmes à utiliser une bicyclette il y a plus d’un siècle. Elle a démontré que, encore aujourd’hui, les genres sont figés et difficiles à contester. Les journaux de l’époque étaient nombreux à accuser la bicyclette de tous les maux. Selon des réfractaires, la bicyclette allait modifier la morphologie des femmes et les transformer en hommes. La bicyclette était vue par les personnes conservatrices de l’époque comme responsable de changements de mœurs et valeurs, ce qui provoquait de vives réactions. Certains hommes craignaient également que la bicyclette ne déflore les femmes avant le mariage, ce qui les rendait impures et mauvaises.

Pour illustrer la force symbolique de la bicyclette, Gabrielle Anctil a mentionné la protestation d’étudiants survenue à l’Université de Cambridge en 1897, contre l’accès des femmes aux études supérieures. Si le droit d’obtenir un diplôme universitaire leur est refusé, les femmes obtiennent en revanche le droit de fréquenter l’université. Pourtant, le premier jour où des étudiantes se présentent à Cambridge, un groupe d’hommes les empêche d’entrer dans l’établissement. Pour symboliser le danger que représente la femme pour l’université, ils pendent une poupée sur une bicyclette. La bicyclette était alors bel et bien vue comme un outil dangereux pour le statu quo. On comprend aussi que ces manifestations visaient à protéger des privilèges masculins, comme celui de l’éducation.

Gabrielle Anctil a également rappelé que des femmes avaient fait leurs preuves dans le cyclisme sportif, défiant ainsi les préjugés et stéréotypes dans l’athlétisme. Louise Armaindo a été sacrée championne du monde dans les épreuves de performance où elle était la seule femme face à des hommes. Québécoise d’origine, elle a été une pionnière dans le cyclisme sportif féminin. Kittie Knox, une femme noire américaine, a aussi remporté plusieurs épreuves dans le cyclisme sportif, venant ainsi remettre en question le fait que la bicyclette était alors réservée aux hommes blancs. Bref, la bicyclette n’est pas seulement une révolution technique en matière de mobilité, mais aussi un outil d’émancipation qui a grandement contribué à donner une impression de liberté et d’autosuffisance, comme le mentionne Susan B. Anthony, une activiste féministe américaine.

Le cycloféminisme aujourd’hui

Aujourd’hui, le vélo est de plus en plus important dans les questions urbanistiques et l’aménagement du territoire des villes. Si ce mode de transport est encore majoritairement exercé par les hommes adultes, il demeure toutefois un outil pour la lutte féministe et l’appropriation de la ville par les femmes.

Gabrielle Anctil a affirmé qu’il y a actuellement un bouillonnement littéraire sur les liens entre la bicyclette et le féminisme : de nombreux zines, livres, balados et bandes dessinées sur le thème sont publiés chaque année, même s’ils demeurent plus discrets dans le monde francophone.

Comme Pauline Wolff l’avait mentionné, Gabrielle Anctil a souligné l’importance des ateliers de vélo pour femmes, mais aussi des boutiques de vélo spécialisées. Toutefois, les femmes se retrouvent plus souvent à vendre des accessoires dans les boutiques de vélo, alors que les hommes sont plus enclins à s’occuper de la mécanique. Les boutiques de vélo féministes, comme la boutique Bikurious à Montréal (aujourd’hui fermée), offrent des modèles différents. Par ailleurs, une écrasante majorité d’ateliers de vélo communautaires proposent des soirées non mixtes pour femmes et minorités de genre.

La conférencière a ensuite mentionné que l’intersectionnalité des luttes dans le monde du vélo était la prochaine étape et qu’il était important de visibiliser les enjeux que vivent les personnes racisées qui se déplacent à bicyclette en ville. En effet, une étude mentionne que la police interpelle plus souvent les personnes de couleur à vélo, suspectant un vol de bien d’autrui. Enfin, la conférencière a expliqué que la revendication de pistes cyclables pouvait embourgeoiser les quartiers et qu’il est important de considérer les personnes à faible revenu dans la lutte environnementale.

Vulve et cyclisme : adapter sa selle pour un plus grand confort

Dans le milieu du cyclisme sportif, il est largement admis qu’il faut souffrir pour performer. Les maux de dos, les douleurs aux mollets ou encore la tuméfaction des parties génitales sont souvent considérés comme normaux pour les cyclistes. Cependant, Hannah Dines, une championne du monde cycliste, a récemment subi une chirurgie vaginale pour reconstruire ses lèvres, fortement abîmées par la selle de son vélo. Selon Gabrielle Anctil, on a trop longtemps sous-estimé l’importance des selles, particulièrement pour les femmes. Cela peut être dû au fait qu’on minimise souvent les maux des femmes, surtout les douleurs du ventre et du sexe, que l’on associe à tort aux menstruations. Insistant sur l’importance cruciale des selles dans la pratique du vélo, Gabrielle Anctil recommande des selles plus larges, bien ajustées, légèrement inclinées vers l’avant afin de déplacer le poids du corps sur les fesses plutôt que sur les lèvres vaginales.

Conclusion

Il y a une dizaine d’années, la conférencière devait expliquer ce qu’était le cycloféminisme, car le terme n’était pas bien compris par la population en général. Aujourd’hui, la notion suscite un grand intérêt et devient de plus en plus populaire.

Au terme de cette conférence, le cycloféminisme se présente comme un besoin de reconnaître la bicyclette en tant qu’outil d’émancipation féminine. Qui plus est, il permet de veiller à l’inclusivité des espaces cyclistes, que ce soit les boutiques, le monde du sport et de l’athlétisme, ainsi que les ateliers de vélo communautaires. Nous laissons finalement ici quelques recommandations littéraires et cinématographiques proposées par Gabrielle Anctil pendant sa conférence, pour toute personne désireuse de découvrir à quel point la bicyclette peut être un outil révolutionnaire (ou vélorutionnaire!) pour de nombreuses luttes intersectionnelles.

Pour aller plus loin :

1. Le documentaire Mama Agatha, par Fadi Hindash.

Le film est une incursion dans un groupe de femmes migrantes à Amsterdam. Ensemble, elles apprennent à faire de la bicyclette, en surmontant leurs peurs. Le documentaire met en scène une personnalité colorée, Agartha Frimpong (mama Agatha), qui gère le programme et aide les femmes migrantes à s’approprier les rues d’Amsterdam à bicyclette.

2. Le zine du collectif Les Dérailleuses : Londonderry.

Il s’agit d’un collectif qui mène plusieurs projets, dont la publication du zine Londonderry.

3. Le livre Bicycle/Race : Transportation, Culture, & Resistance, par Adonia Lugo

Citation du livre : « Oubliez le financement de pistes cyclables, ce dont nous avons besoin, ce sont des équipes de cyclistes dans chaque école secondaire, d’ateliers vélo dans chaque centre communautaire, d’allocations pour les personnes aînées qui réparent les vélos des enfants dans leur quartier. Nous devons payer les pauvres pour qu’ils utilisent des bicyclettes et fassent partie du réseau grandissant à travers lequel des cultures de transport plus durables pourraient circuler. Quelle action plus directe pourrait-on mener pour perturber la dévalorisation habituelle des personnes qui utilisent le vélo pour survivre ? » (traduction libre)

4. Voir aussi l’Avis pour une transition écologique juste et féministe à Montréal du Conseil des Montréalaises.