Villes, climat et inégalités
ILEAU, une campagne de verdissement innovante qui participe à la transition écologique et à la résilience urbaine des communautés de l’est de Montréal
Décembre 2022
Caroline Côté, étudiante à la maîtrise en études urbaines (UQAM)
Introduction
La présente recherche porte sur la campagne de verdissement Interventions locales en environnement et aménagement urbain (ILEAU) créée en 2015 par le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal). Elle a bénéficié d’une bourse d’excellence MITACS Accélération et s’inscrit également dans un mémoire de maîtrise en études urbaines. Cet article présente donc la mise en commun de certains éléments du mémoire et du projet de recherche pour le CRE-Montréal. L’objectif de la recherche était de dégager les principes, processus et actions de la campagne les plus porteurs afin de concevoir un modèle d’action ILEAU qui pourrait être transférable à d’autres territoires. ILEAU est une campagne de verdissement combinant une diversité de mesures qui visent à réduire les îlots de chaleur urbains dans l’est de Montréal. Un élément en particulier s’est démarqué lors du projet de recherche, celui de l’innovation sociale. Si le CRE-Montréal ne s’est jamais positionné comme une organisation axée sur l’innovation sociale, il est apparu clairement durant l’étude que sa campagne ILEAU repose sur celle-ci. Dans un contexte de planification territoriale, il est observé que certaines actions, qui ont pour but de réduire les changements climatiques et leurs impacts, participent à créer des inégalités sociospatiales et environnementales plus grandes que la situation initiale (Anguelovski et al., 2016). L’innovation sociale se présente ici comme une alternative à la planification urbaine traditionnelle du territoire. Le présent article vise donc à démontrer, à travers l’exemple d’ILEAU, comment l’innovation sociale peut permettre des avancées en matière d’environnement tout en réduisant les inégalités sociospatiales et environnementales.
Recension de la littérature scientifique
Innovation sociale
Le concept apparaît comme un moyen prometteur pour traiter les enjeux sociaux (Avelino et al., 2019; Howaldt et Kopp, 2012). De façon simple et générale, l’innovation sociale se définit ainsi : « une innovation qui se veut sociale autant dans son processus que dans son résultat, qui permet l’autonomisation des individus et conduit à des changements sociaux » (traduction libre de Hubert, 2010). L’innovation sociale se comprend comme un processus d’adaptation et d’apprentissage ainsi que de construction et de coordination continue d’un réseau d’acteurs sociaux du milieu avec comme objectif d’améliorer le bien-être des communautés dans lesquelles l’innovation sociale est impliquée (Harrisson et Vézina, 2006; Richez-Battesti et al., 2012). À noter également qu’une importance marquée est accordée à l’autonomisation et à la participation des acteurs, dont les bénéficiaires des services, et ce, dans le but d’augmenter leur capacité d’agir dans leur milieu (Besançon, 2013; Cloutier, 2003; Richez-Battesti et al., 2012).
Inégalités environnementales
Les effets des changements climatiques ne sont pas équitablement répartis et certaines populations sont plus à risque de subir les inconvénients de ceux-ci et ainsi avoir des répercussions sur leur santé et leur qualité de vie (Chancel, 2020; Guivarch et Taconet, 2020). Ce phénomène renvoie au concept d’inégalités environnementales. Les inégalités environnementales se définissent « comme les inégalités d’exposition aux risques environnementaux, exposition qui est jugée “disproportionnée” quand certains groupes sociaux ou certaines catégories sociales en souffrent plus que d’autres de façon significative » (Larrère, 2017, p. 7). La complexité des inégalités environnementales se situe à l’intersection de l’exposition qui est liée au territoire et des vulnérabilités qui sont induites par les inégalités sociales. Les conséquences pour les individus qui cumulent l’exposition et les vulnérabilités sont plus grandes et difficiles à surmonter : « à danger égal, les plus pauvres, les plus défavorisés sont plus exposés : ils sont plus fragiles, ils ont moins de solutions de rechange, ils ont plus de difficulté à se reconstruire » (Larrère, 2017, p. 10). La question de l’accès est également centrale dans les inégalités environnementales : l’accès à des infrastructures environnementales, telles que les espaces verts, les parcs, les bords d’eau, etc. (Guivarch et Taconet, 2020; Laurent, 2015), mais aussi l’accès aux décisions politiques qui ont de l’influence sur l’aménagement du territoire et sur l’environnement (Larrère, 2009).
Si les inégalités environnementales impliquent toujours une exposition, elles n’impliquent par contre pas toujours des vulnérabilités. Pour illustrer ce propos, Laurent (2015) utilise l’exemple des terrains riverains qui, en raison de leur forte valeur foncière, sont détenus par des personnes financièrement aisées. Le fait d’être situés en bordure d’un cours d’eau augmente cependant les risques d’inondation. Ces individus sont donc exposés aux risques, mais peuvent souvent déménager advenant une montée des eaux.
Les milieux hautement urbanisés sont plus enclins aux îlots de chaleur urbains puisqu’ils cumulent les deux facteurs principaux de la création d’ICU : l’absence d’arbres et de végétation ainsi que la minéralisation du sol. Dans une perspective de santé publique, les îlots de chaleur urbains sont préoccupants. Comme ils accentuent la fréquence, la durée et l’intensité des vagues de chaleur, ils sont particulièrement nocifs pour les personnes les plus vulnérables. Selon Anquez et Herlem (2011), ces personnes sont « les personnes atteintes de maladies chroniques, les populations socialement isolées, les très jeunes enfants, les travailleurs, les travailleurs extérieurs, les personnes de faible niveau socioéconomique, les sportifs extérieurs de haut niveau, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes âgées » (p. 6). Les projets de verdissement se présentent alors comme l’une des solutions pour contrer les effets des îlots de chaleur et diminuer l’impact négatif de ceux-ci sur la santé des individus.
Les rapprochements directs entre l’innovation sociale, les inégalités et la justice environnementale sont assez récents dans la littérature scientifique. Par contre, certaines composantes de l’innovation sociale telles que l’autonomisation et la participation ont souvent été évoquées comme éléments favorisant la mise en place de mécanismes de lutte aux inégalités sociales et environnementales (Bacqué et Biewener, 2015; Ballet et al., 2015; Deldrève et al., 2019; Ghorra-Gobin, 2005; Larrère, 2017).
Le cas : la campagne ILEAU
ILEAU est une campagne de verdissement coordonnée par le CRE-Montréal. Créé en 1996, l’organisme a pour but de faire la promotion du développement durable et de protéger l’environnement. Le CRE-Montréal prend régulièrement position sur des enjeux locaux et régionaux, aidant ainsi à informer la population, mais aussi les instances politiques sur des prises de décisions ayant un impact majeur sur l’environnement. La campagne a été créée grâce à un financement du Fonds vert dans le cadre du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. À travers la lutte aux ICU, ILEAU vise aussi à augmenter et protéger la biodiversité, améliorer les déplacements actifs et sécuritaires, favoriser l’accès aux pôles de transport collectif, augmenter l’accès à la nature et accélérer l’implantation de mesures d’adaptation aux changements climatiques et de réduction des effets de ces derniers.
Le territoire étudié
Le territoire d’intervention de la campagne ILEAU comporte présentement huit arrondissements sur l’île de Montréal (Montréal-Nord, Saint-Léonard, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Anjou, Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles [2015], Ahuntsic-Cartierville, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension et Rosemont–La-Petite-Patrie [2018]). La sélection de ce territoire qui fait 147 km2 n’est pas anodine, puisqu’ILEAU s’est basée sur une carte des ICU ainsi qu’une carte de l’indice de défavorisation sur l’île de Montréal. L’est de la ville de Montréal présentait non seulement un indice d’ICU plus grand, mais également un indice de défavorisation plus grand. On parle donc ici d’imbrication entre une vulnérabilité économique et une exposition aux ICU, rendant les répercussions de ces derniers encore plus graves.
Tout d’abord, une recherche documentaire a été effectuée sur la campagne ILEAU. Celle-ci comprend des échanges et des rencontres avec des membres du personnel du CRE-Montréal, l’analyse de documentation interne fournie par le CRE-Montréal, l’analyse des différents articles de presse et sites Web ainsi que de l’infolettre mensuelle d’ILEAU couvrant inclusivement 2016 à 2021. Ensuite, 24 entrevues ont été réalisées auprès de différents acteurs (citoyens et citoyennes, entreprises, institutions, organismes communautaires) pour documenter leur appréciation de la campagne ILEAU.
Résultats
L’innovation sociale pour contrer les inégalités environnementales
Tout comme le CRE-Montréal, la campagne ILEAU est basée sur la concertation. Il y a donc un mécanisme démocratique qui est mis en place dans la façon d’aménager le territoire. La concertation est une approche intéressante qui « peut contribuer à consolider les réseaux communautaires, à favoriser la cohésion et l’inclusion sociale, à mettre en valeur les connaissances issues de l’expérience et à accroître un sentiment de contrôle des participants sur le développement de leur milieu de vie » (Bernier et al., 2010, p. 175).
Pour ce faire, ILEAU organise des rencontres deux fois par année avec les partenaires du milieu pour développer et mettre à jour une vision collective. Ces rencontres, qui se déroulent généralement en personne, participent au partage de connaissances et permettent l’émergence de nouvelles solutions qui partent directement des individus qui côtoient les enjeux au quotidien. À travers les différentes actions de sa campagne, ILEAU ne se présente pas comme le faiseur de projets, mais comme un intermédiaire. Ces rencontres sont donc l’occasion de reconnaître l’expertise terrain et de mettre en relation les différents acteurs qui peuvent s’entraider et se compléter pour créer et augmenter leurs bénéfices mutuels.
Dans le cadre de la campagne ILEAU, on comprend donc l’innovation sociale comme un processus permettant de créer des impacts qui dépassent le cadre d’action initial, qui se multiplient et qui perdurent par eux-mêmes, puisqu’ils sont portés par les individus ayant développé de nouveaux savoirs et savoir-faire lors des différentes activités auxquelles ils ont participé (autonomisation).
Limites
L’innovation sociale qui encourage la concertation et le faire-ensemble apporte certainement des transformations. On voit des résultats quant à la réduction des ICU, par exemple, mais cela induit également certains défis sociaux. Il est possible que certaines des activités mentionnées ci-haut ne rejoignent pas les personnes plus vulnérables, de par la nature de l’activité ou encore parce que la concertation ne garantit pas que les groupes présents soient égaux ou encore qu’ils aient la même influence dans la prise de décision (Blondiaux, 2001; Fontan et Lachapelle, 2000). Il se peut également que ce type d’activité participe aussi à l’exclusion des populations qu’il essaie d’aider. De plus, comme ILEAU adopte une posture d’intermédiaire et opte pour des mécanismes de concertation, ses revendications sont plus modérées. En entrevue, ce positionnement a parfois été perçu comme un manque de volonté par les citoyennes et les citoyens qui s’investissent activement dans l’aménagement et le verdissement de leur territoire.
Finalement, ILEAU a créé un ensemble structurant d’activités multiples et diversifiées (verdissement, biodiversité, mobilité active, transport en commun, etc.), rendant une compréhension globale de la campagne un peu difficile. Si toutes les personnes en entrevue associent ILEAU au verdissement, les autres dimensions de la campagne sont plus rarement évoquées.
Conclusion
Dans la lutte aux changements climatiques et aux inégalités environnementales, on peut voir que les actions d’ILEAU ont plusieurs bénéfices. Premièrement, réduire l’exposition des populations vulnérables aux îlots de chaleur urbains grâce au choix du territoire d’intervention et aux actions de verdissement. Deuxièmement, augmenter l’autonomisation des communautés en inscrivant les individus dans l’action et en favorisant la participation qui mène à une citoyenneté active.
Grâce aux démarches de concertation et de participation propres à l’innovation sociale, il est possible d’ajouter un facteur humain dans le processus qui permet d’aller traiter des enjeux plus larges. Cependant, les nombreux champs d’intervention d’ILEAU et son positionnement comme intermédiaire semblent être encore mal compris par la population en général, pouvant ainsi limiter le degré de participation ou d’adhésion à la campagne.
À travers la campagne ILEAU, l’innovation sociale permet d’impliquer les citoyens et les citoyennes, les organismes, les institutions et les entreprises dans l’aménagement de leur territoire (dimension sociale) et ultimement dans la lutte aux changements climatiques (dimension environnementale) en leur fournissant des ressources naturelles et financières (dimension économique). C’est donc une démarche complexe, qui permet de mettre en relation plusieurs dimensions afin qu’elles s’aident mutuellement. L’innovation sociale au sein de campagnes d’intervention locales, que ce soit au niveau du verdissement ou dans d’autres domaines, aurait donc tout intérêt à être davantage explorée pour assurer une compréhension et une reconnaissance des différents moyens d’intervention.
Pour citer cet article
Côté, C. (2022). ILEAU, une campagne de verdissement innovante qui participe à la transition écologique et à la résilience urbaine des communautés de l’est de Montréal. Dans Répertoire de recherche Villes, climat et inégalités. VRM – Villes Régions Monde. https://www.vrm.ca/ileau-une-campagne-de-verdissement-innovante-qui-participe-a-la-transition-ecologique-et-a-la-resilience-urbaine-des-communautes-de-lest-de-montreal
Textes sources
La boîte à outils (à paraître), créée avec le Conseil régional de l’environnement de Montréal.
Bibliographie
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