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La pratique du vélo d’hiver à Montréal : risques perçus et observés

Août 2023

Par David Carpentier-Laberge, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS

Présentation de la problématique

Depuis le début du 21e siècle, les déplacements utilitaires à vélo, dans les villes d’Amérique du Nord, sont en croissance. De nombreux bénéfices sont associés à une augmentation de la part modale du transport actif, tels que la diminution du trafic routier et de la pollution atmosphérique et sonore, ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Puisque le taux de rétention des cyclistes en hiver n’est que de 15 %, les potentiels effets bénéfiques d’un transfert modal vers le vélo en cette période sont considérables.

La littérature sur les déplacements à vélo, durant le printemps, l’été et l’automne, recense cependant de nombreux risques, notamment les conflits et les accidents avec des véhicules motorisés. À ces risques observés s’ajoutent les risques perçus par les cyclistes, qui peuvent différer des risques observés et ainsi représenter des barrières importantes aux déplacements utilitaires à vélo. Malgré une documentation importante des risques perçus et observés de la pratique du vélo, très peu de recherches se sont intéressées aux potentielles variations de ces risques dans des conditions climatiques hivernales. Les rares études sur le vélo d’hiver ont démontré l’importance de la présence d’un réseau cyclable protégé et entretenu, et ont mesuré l’inquiétude relative aux risques de chute chez les non-cyclistes. Afin d’alimenter la littérature sur le vélo d’hiver, cette recherche a pour objectif de documenter les risques perçus et observés de cette pratique et d’identifier les potentielles disparités entre les saisons.

Démarche méthodologique

Cette recherche mobilise les méthodes de l’observation non participante et des entretiens semi-dirigés. Nous avons sélectionné dix cyclistes sur le territoire de la ville de Montréal durant l’hiver 2022 afin d’évaluer les risques observés et perçus du vélo d’hiver. Ces risques ont été évalués en trois temps.

Tout d’abord, les cyclistes ont enregistré leurs déplacements à l’aide du capteur 1M+ durant une période de deux semaines entre les mois de février et mars 2022. Le 1M+ est un capteur libre (open source) à faible coût spécialement adapté aux vélos qui permet d’enregistrer des vidéos, la position géographique ainsi que la distance latérale de dépassement. L’appareil, positionné sur le guidon, est également muni d’un bouton de déclenchement qui, lorsqu’activé, enregistre la position géographique et l’heure. Les cyclistes avaient comme mandat d’activer le déclencheur à chaque événement jugé risqué, ce qui correspond aux risques perçus.

Les chercheurs ont ensuite visionné l’intégralité de ces vidéos, soit près de 50 heures d’enregistrements. En s’inspirant de la littérature existante sur les risques associés aux déplacements à vélo, les chercheurs ont identifié neuf types de risques qu’ils ont attribués à chaque événement risqué, correspondant ainsi aux risques observés.

Enfin, des entretiens dirigés ont été réalisés avec ces mêmes cyclistes. Les personnes participantes ont visionné l’ensemble des risques observés et confirmé s’il s’agissait effectivement ou non d’un risque. Une discussion a suivi sur les écarts et les similitudes entre les risques perçus et observés ainsi que sur la fréquence et l’inquiétude relative à chaque type de risque.

Résultats

Au total, les cyclistes ont enregistré 69 risques tandis que les chercheurs en ont recensé 260. Un constat est clair, pour les cyclistes, la cohabitation avec les véhicules motorisés constitue le principal risque de la pratique du vélo d’hiver. D’ailleurs, les personnes participantes ne considèrent pas que ce type de risque est plus fréquent en hiver comparativement aux autres saisons. Cependant, certains problèmes de déneigement, inhérent à l’hiver à Montréal, augmentent indirectement les risques avec les véhicules motorisés. En effet, la circulation sur les voies routières, et particulièrement lorsqu’il y a présence de bandes cyclables (délimitation peinte au sol), est plus risquée en hiver. L’accumulation de neige en bordure de route et sur les bandes cyclables réduit l’espace de circulation réservé aux cyclistes augmentant ainsi les risques de dépassements dangereux et de conflits avec les voitures. Malgré cet enjeu, les cyclistes sont de manière générale satisfait·e·s de l’entretien du réseau cyclable protégé en hiver.

La majorité des risques observés par les chercheurs sont des conflits avec les piétons et des problèmes associés au déneigement. Ces risques sont parmi les catégories avec les plus faibles taux de confirmation par les cyclistes. Ces situations ne sont pas problématiques, mais plutôt prévisibles et ont un potentiel catastrophique limité. Les catégories de risques qui impliquent un véhicule motorisé sont également parmi les plus fréquentes avec des taux de confirmation très élevés chez les cyclistes.

Les particularités du vélo d’hiver

Comme démontré dans la triple évaluation des risques, le principal enjeu de sécurité dans la pratique du vélo d’hiver est la cohabitation avec les véhicules motorisés, ce qui ne diffère pas des principaux risques des déplacements à vélo durant les autres saisons. Dans l’imaginaire collectif, le vélo d’hiver est fréquemment associé à des risques de chutes et à des déplacements périlleux dans la neige et la glace, alors qu’en réalité ces événements sont très rares et non déterminants. Différentes variables des concepts de la perception du risque et du sentiment d’inquiétude permettent d’expliquer cette faible variation des risques selon les saisons.

Les concepts de la gravité et du potentiel catastrophique des événements expliquent, entre autres, pourquoi les conflits avec les piétons et les problèmes de déneigement ne sont pas problématiques, et à l’inverse, que les risques associés au partage de la route avec les véhicules motorisés sont beaucoup plus inquiétants. Ensuite, l’expérience des cyclistes d’hiver, une variable du concept de la perception du risque, est également très déterminante dans la pratique du vélo d’hiver et la gestion des risques. Plusieurs cyclistes ont une approche différente durant la saison froide et vont davantage privilégier les pistes cyclables protégées comparativement aux autres saisons. Un grand nombre de cyclistes vont planifier leurs itinéraires et emprunter des parcours connus jugés sécuritaires, alors que l’itinéraire le plus court est fréquemment priorisé durant les autres saisons. À l’inverse, l’absence de contrôle des risques avec les véhicules motorisés explique pourquoi ces événements sont toujours aussi problématiques toutes saisons confondues. Il est vrai que les risques semblent être similaires en hiver comme durant les autres saisons, mais cela est attribuable à une adaptation dans le mode de déplacement acquise avec l’expérience et à une préparation supplémentaire.

Notre recherche montre que l’accès à l’information sur le vélo d’hiver représente l’une des barrières les plus importantes à cette pratique. De nombreuses personnes sont inquiètes quant aux risques réels de cette pratique et se questionnent sur les préparatifs nécessaires pour amorcer une première saison à vélo en hiver. Le partage de l’expérience des cyclistes qui pratiquent déjà le vélo d’hiver, l’explication des risques de cette pratique, ainsi que l’expansion du réseau cyclable protégé et déneigé permettraient une augmentation considérable de la part modale du cyclisme hivernal à Montréal.