Murale réalisée à Montréal dans le cadre de Canettes de ruelleCrédits photo : Marie-Étienne Melançon, 2024
Murale réalisée à Montréal dans le cadre de Canettes de ruelle
Crédits photo : Marie-Étienne Melançon, 2024

Place à la relève! – Entre expression et régulation : une exploration du graffiti et du street art des femmes à Montréal

Par Marie-Étienne Melançon, diplômée de la maîtrise en aménagement (Université de Montréal)

Depuis les années 1970, le graffiti et le street art ont transformé les paysages urbains à travers le monde, y compris à Montréal. Ces pratiques culturelles, initialement associées à des sous-cultures masculines, se sont transformées au fil des décennies pour inclure de nouvelles voix, notamment celles des femmes. Ces dernières utilisent ces formes d’expression pour aborder des thématiques créatives, mais aussi sociales, politiques et féministes, marquant leur présence dans l’espace public.

Cependant, leur participation à ces pratiques comporte des défis. Les femmes graffeuses et artistes de rue se heurtent à des dynamiques de genre qui les désavantagent, tant dans l’accès à l’espace public que dans la reconnaissance de leur travail. Elles doivent également composer avec des risques spécifiques, comme le harcèlement de rue et un sentiment d’insécurité accru lorsqu’elles se trouvent dans les espaces urbains la nuit. Ces défis peuvent refléter les inégalités structurelles présentes dans les villes, où l’urbanisme et l’espace public sont souvent conçus en fonction de normes privilégiant les expériences masculines. Malgré cela, des artistes engagées redéfinissent ces pratiques, en donnant une visibilité aux luttes féministes et aux enjeux sociaux à travers leur travail.

Pour comprendre les expériences des femmes dans le graffiti et le street art à Montréal, notre recherche adopte une approche féministe, qualitative et exploratoire. Cette méthodologie permet de valoriser les voix et les récits de celles qui pratiquent ces formes d’art. Inspirée par les travaux en aménagement inclusif et les études de genre, l’étude cherche à comprendre les normes sociales qui influencent la participation des femmes à ces pratiques.

Les données ont été recueillies à travers des entrevues semi-dirigées avec deux groupes principaux : sept femmes âgées de 18 à 35 ans, actives dans le graffiti et le street art, et trois intervenants impliqués dans la planification ou la valorisation de ces pratiques à Montréal. Cette méthode a permis une coconstruction des connaissances, où les participantes pouvaient partager librement leurs expériences, leurs perceptions et les défis qu’elles rencontrent.

Trois grandes catégories de pratiques ont émergé de cette analyse : le graffiti sur des surfaces non autorisées, le street art sur des surfaces non autorisées (comme le collage) et le street art sur des surfaces autorisées (comme les murales). Ces catégories mettent en lumière une diversité d’interactions avec l’espace urbain et révèlent des enjeux propres à chacune. Par exemple, le graffiti illégal est marqué par des codes culturels permettant la construction de l’identité masculine comprenant une valorisation du risque, tandis que les murales offrent des opportunités plus sécurisées, mais confrontent les femmes à d’autres défis, notamment des défis professionnels.

En parallèle, les normes urbaines et les politiques, comme les approches de tolérance zéro, influencent directement les choix et les opportunités des artistes. Ces normes soulèvent des questions sur l’équilibre entre régulation et expression libre dans l’espace urbain.

Les résultats de cette recherche ont permis de mettre en évidence les multiples dimensions des pratiques de graffiti et de street art chez les femmes à Montréal, ainsi que les défis et opportunités qu’elles peuvent rencontrer.

Une diversité de pratiques artistiques

Les femmes artistes interrogées naviguent entre différentes formes de graffiti et de street art, chacune offrant des espaces d’expression uniques. Le graffiti sur surface non autorisée, souvent associé à une culture masculine et antiautoritaire, reste un défi pour les femmes en raison des risques accrus, tels que les sanctions légales combinées au risque d’agression ou de harcèlement dans l’espace urbain la nuit. Cependant, certaines y trouvent une forme d’empowerment, en s’appropriant ces codes pour défier les normes de genre et reprendre le contrôle de leur corps dans l’espace la nuit

Le street art non autorisé, comme le collage, se distingue par une plus grande accessibilité et une visibilité qui interpelle directement le public. Cette forme d’intervention dans l’espace est souvent utilisée pour aborder des enjeux sociaux, par exemple dans le cas des collages féministes, qui dénoncent les violences faites aux femmes et les inégalités de genre. Les messages explicites portés par ces œuvres témoignent d’une volonté d’éduquer et de mobiliser la société, tout en créant un dialogue avec les passant·e·s.

Enfin, les pratiques autorisées, comme les murales, offrent un espace plus structuré et moins risqué. Cependant, elles soulèvent des tensions entre l’authenticité artistique et les pressions commerciales ou institutionnelles. Pour ces artistes, ces tensions représentent un défi constant dans la recherche d’une reconnaissance qui respecte leurs valeurs et leur engagement.

Défis persistants et opportunités d’empowerment

Les femmes artistes et graffeuses doivent composer avec des obstacles institutionnels et sociaux qui limitent leur participation à ces pratiques. Parmi les enjeux identifiés, le harcèlement de rue, l’invisibilité médiatique et la discrimination dans les opportunités professionnelles figurent en tête. Ces réalités freinent la reconnaissance des compétences et de l’impact artistique de ces femmes.

Cependant, ces défis s’accompagnent d’opportunités significatives. Pour plusieurs participantes, l’art urbain constitue un outil d’engagement féministe et un moyen puissant de réappropriation de l’espace urbain. Ces pratiques leur permettent de transformer la ville en un lieu d’expression collective et de résistance, tout en bâtissant une communauté.

Des pistes de solutions pour soutenir les femmes

Les conclusions de cette recherche suggèrent plusieurs pistes pour mieux soutenir les femmes dans le graffiti et le street art. La mise en place de programmes institutionnels favorisant la visibilité des femmes artistes, la création de lieux sécuritaires pour pratiquer leur art et la promotion d’un urbanisme inclusif sont des leviers importants pour réduire les barrières à leur participation.

En défiant les normes établies, les femmes artistes urbaines redéfinissent non seulement le paysage artistique montréalais, mais aussi les dynamiques sociales et politiques qui façonnent l’espace public. Leur engagement dépasse le cadre esthétique pour devenir un acte politique et féministe, ouvrant de nouvelles perspectives sur l’avenir des villes inclusives.