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Au-delà des services écosystémiques culturels : évaluation des valeurs relationnelles des usagers et des usagères envers les jardins de rue à Montréal

Juillet 2023

Par Eva Doan-Lavoie, étudiante à la maîtrise en environnement et développement durable à l’Université de Montréal

Présentation de la recherche

Les infrastructures vertes urbaines (IVU) fournissent des services écosystémiques (SE) valorisés pour des raisons économiques, sociales et environnementales. Toutefois, les SE culturels (SEC), c’est-à-dire les bienfaits immatériels découlant des interactions entre l’humain et les écosystèmes, restent moins bien compris que les autres SE, surtout en ce qui concerne leurs significations pour la population citadine. Les SEC sont ancrés dans la culture et les valeurs des communautés qui les perçoivent. Le cadre théorique des SE renvoie à une vision dichotomique de la nature, soit que celle-ci est valorisée comme un moyen d’atteindre le bien-être humain (valeur instrumentale) ou comme une fin en soi (valeur intrinsèque). Cette vision n’est pas adaptée à l’évaluation de tous les SEC, puisque certains d’entre eux sont intangibles, incommensurables, ne peuvent pas être monnayés ou échangés (la valeur sacrée, par exemple).

Afin de combler les lacunes de cette vision dichotomique, la notion de valeur relationnelle (VR) a récemment été conceptualisée. Cette notion englobe les préoccupations liées aux relations avec la nature et les responsabilités des personnes envers cette dernière et envers les autres. La recherche sur les VR s’est penchée sur le concept et ses origines, ses composantes ou son potentiel d’application et a notamment soulevé la difficulté de différencier les VR des valeurs instrumentales en pratique. Bien qu’un nombre croissant d’études de cas cherchent à augmenter les données empiriques sur l’application des VR, aucune ne porte sur les IVU de proximité qui sont pourtant appréciées par les citadin.e.s au quotidien.

C’est pourquoi notre étude s’est penchée sur les jardins de rue, une IVU à l’échelle de la rue intéressante du point de vue du rapport à l’espace des usager.ère.s. En effet, il s’agit d’un espace vert linéaire en bordure de trottoir aménagé et entretenu collectivement par les résident.e.s. Cependant, puisque l’espace est partagé, les limites d’appropriation du jardin par les usager.ère.s sont floues. L’espace est également réglementé et présente des usages concurrents au jardinage. Notre étude a donc cherché à mettre en lumière les VR des usager.ère.s envers les jardins de rue de l’arrondissement Rosemont–La-Petite-Patrie à Montréal. Le but était de mieux comprendre les relations des usager.ère.s avec cette IVU, de comprendre la signification offerte à ces jardins et de mettre en évidence la manière dont ces relations contribuent au bien-être. La recherche visait également à révéler la manière dont les VR se manifestent dans le discours des usager.ère.s, notamment dans l’optique de les différencier des autres types de valeurs environnementales.

Méthodologie

Quatre jardins de rue au profil similaire ont été sélectionnés. Puisque l’étude vise à se concentrer sur des relations avec les jardins de rue, nous avons cerner les tronçons les plus représentatifs possibles au niveau du contexte physico-spatiale. Pour ce faire, les caractéristiques de la végétation et des infrastructures des différents jardins de rue de l’arrondissement ont été comparées. De trois à cinq usager.ère.s ont été recruté.e.s par tronçon sans prendre en compte leur profil socioéconomique. Le but n’était pas d’étudier une relation entre les profils socioéconomiques et les réponses obtenues, mais d’explorer la richesse des réponses sur le plan qualitatif afin d’examiner les VR des usagers envers les jardins de rue. La grille d’entretien pour les entrevues semi-dirigées visait à ce que les usager.ère.s expriment leurs VR envers les jardins de rue. Les questions portaient sur l’importance que revêt le jardin à leurs yeux, sur leur relation avec le jardin ou leur communauté, sur leurs souvenirs et leurs histoires concernant le jardin, ainsi que sur leurs actions réalisées en lien avec le jardin. Les entretiens ont été retranscrits, puis codés à l’aide du logiciel QDA Miner. Les catégories de codes (grandes catégories de VR), les codes (les VR) et les indicateurs discursifs, permettant d’identifier les codes, avaient été déterminés en amont lors d’une revue de la littérature sur les SEC et les VR.

Résultats

La recherche a permis de mieux comprendre l’expérience des usager.ère.s et la complexité des significations que revêtent les jardins de rue pour ces personnes. La relation aux jardins de rue permet ainsi de nourrir l’identité des usager.ère.s, de leur faire vivre des expériences valorisées, d’augmenter leurs capacités et leurs connaissances, d’accroître leur sens des responsabilités envers la nature et envers les autres, puis d’alimenter leur bien-être de manière globale. Plus spécifiquement, l’analyse a permis de faire le lien entre les VR des usager.ère.s et les jardins de rue ainsi que de comprendre deux aspects clefs du bien-être : le bien-être eudémonique et hédoniste. Le bien-être eudémonique réfère au bonheur et à l’accomplissement de soi, qui sont liés à la qualité de la vie personnelle et sociale des personnes, et l’aspect hédonique réfère à l’expérience d’émotions positives, de plaisir et de satisfaction générale.

En recensant les différentes manières dont les VR ont été exprimées par les usager.ère.s, l’étude contribue à la littérature sur les indicateurs discursifs permettant d’identifier les VR. Par exemple, des indicateurs sous forme d’énoncés pourraient être utilisés lors de sondages visant à identifier les VR de différents types d’IVU. Mettre en évidence les différentes expressions des VR dans le discours des usager.ère.s a aussi témoigné de la difficulté de les différencier des autres types de valeurs environnementales (instrumentales et intrinsèques). En effet, les VR peuvent avoir une orientation instrumentale, soit orientée vers l’évaluateur.trice (p. ex., appréciation des jardins pour son bien-être personnel), une orientation intrinsèque, soit orientée vers l’objet valorisé (p. ex., importance des jardins pour la biodiversité), ou une orientation altruiste, soit orientée vers les autres personnes (p. ex., importance des jardins pour la communauté). L’étude a aussi démontré le rôle social significatif des jardins de rue.

Enfin, l’analyse a soulevé des hypothèses concernant les facteurs influençant les VR des usager.ère.s envers les jardins de rue. Le contexte social, culturel, économique et territorial, l’identité des personnes et leurs expériences pourraient tous être des facteurs d’influence. Plus de recherches devraient donc être faites sur cette IVU de proximité pour comprendre les différents facteurs contextuels qui contribuent à sa réussite, mais aussi les sources de conflits potentiels afin de favoriser les relations positives entre les personnes et les jardins de rue ainsi que leur pérennité.