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Gouvernance climatique à Montréal : acteurs, attentes et discours

Octobre 2023

Par Hélène Madénian, étudiante au doctorat en études urbaines, INRS

Présentation de la recherche

Plus que jamais considérées comme des actrices de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques, les villes doivent déverrouiller et accélérer l’action climatique. Dans le même temps, les mouvements sociaux et les groupes communautaires alertent sur l’urgence d’agir et les enjeux de justice climatique. À travers une étude approfondie du cas de Montréal, cette recherche permet d’examiner qui gouverne les changements climatiques au niveau urbain, de quelles façons et suivant quelles compréhensions de la situation.

Depuis les vingt dernières années, l’engagement des municipalités dans la lutte contre les changements climatiques s’est accéléré. Après s’être d’abord concentrées sur la comptabilisation et la réduction des gaz à effet de serre, les villes se sont peu à peu tournées vers l’adaptation. Aujourd’hui, nombre d’entre elles affichent des ambitions de carboneutralité et de résilience pour 2050. Néanmoins, les résultats obtenus jusqu’à maintenant en ce qui a trait à l’atténuation et à l’adaptation restent faibles. Ceci peut notamment s’expliquer par les défis de la gouvernance climatique urbaine tels que la coordination entre les différents acteurs publics, privés et la société civile ou encore la portée et l’efficacité des mesures mises en œuvre. La littérature souligne également une tendance à privilégier une approche dépolitisée dans laquelle les politiques climatiques sont peu débattues malgré l’urgence d’agir.

Face à ces constats, ma recherche de doctorat s’est intéressée à l’évolution de la gouvernance climatique à Montréal dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre du Plan climat de la Ville paru en 2020. Plus spécifiquement, j’ai cherché à identifier quels acteurs se démarquent dans la gouvernance climatique urbaine, quels discours ils portent pour l’action climatique et l’équité, et sur quels outils et instruments ils fondent leurs attentes pour réaliser une ville carboneutre et résiliente d’ici 2050.

Méthodologie

La période étudiée pour cette recherche qualitative est celle du premier mandat de l’équipe Projet Montréal à la Ville de Montréal (novembre 2017 à novembre 2021). La collecte de données s’est faite en trois temps. Tout d’abord, j’ai réalisé une analyse documentaire de différents plans et documents de la Ville de Montréal en lien avec la lutte contre les changements climatiques. Ensuite, j’ai mené 31 entretiens semi-dirigés avec des personnes impliquées dans l’élaboration du Plan climat 2020-2030 (fondations philanthropiques, fonctionnaires de la Ville, groupes environnementaux, entreprises et institutions) et des personnes issues de groupes de la société civile montréalaise non impliqués dans l’élaboration du Plan et ayant exprimé des préoccupations sur son contenu ou sur les questions de justice climatique à Montréal. Finalement, j’ai réalisé des observations, participantes et non participantes, de plusieurs activités en lien avec l’action climatique de la Ville de Montréal, de ses partenaires ou de groupes de la société civile.

Les différentes données collectées ont été enregistrées dans le logiciel Nvivo 12 pour procéder à leur analyse qualitative. J’ai créé un arbre de codage à partir des concepts du cadre théorique et défini des sous-codes à partir des questions de mes grilles d’entretien. Certaines parties du codage ont également émergé à travers un mode inductif de découverte des nouveaux moyens et acteurs de la gouvernance urbaine climatique.

Résultats

À l’issue de la recherche, trois principaux résultats se dégagent. Premièrement, les résultats montrent que les fondations philanthropiques occupent une place grandissante dans la gouvernance climatique urbaine. À Montréal, elles ont ainsi aidé à financer le processus d’élaboration du Plan climat 2020-2030 ainsi qu’à mobiliser et à coordonner certains acteurs autour de ce projet. Puis, elles ont été à l’initiative de la création du Partenariat Climat Montréal pour faciliter la mise en œuvre du Plan. Cette organisation vise en effet à mobiliser les forces économiques, philanthropiques, institutionnelles et communautaires pour accélérer la décarbonation de la métropole et renforcer sa résilience. Si les fondations philanthropiques semblent avoir joué un rôle d’entrepreneur politique (policy entrepreneur) en permettant des gains d’efficacité et de mobilisation pour l’action climatique, on peut également constater leurs impacts sur la gouvernance climatique urbaine en matière de représentativité et d’inclusivité.

Deuxièmement, les résultats montrent que les acteurs terrain, c’est-à-dire les acteurs publics et ceux de la société civile engagés dans l’action climatique, misent sur une approche de gestion du carbone et sur des interventions urbanistiques, à travers la règlementation, tels que les programmes particuliers d’urbanisme (PPU) et le futur Plan d’urbanisme et de mobilité, pour atteindre les objectifs du Plan climat. Dans les deux cas, les acteurs sont relativement confiants quant à l’atteinte des résultats. Cependant, en concentrant leurs attentes dans des outils et règlements à venir, ils risquent de manquer des occasions de progresser vers des futurs urbains plus durables, et ce, dès maintenant.

Troisièmement, les résultats montrent que l’équité climatique à Montréal n’est pas envisagée de la même façon à la Ville et au sein de certains groupes de la société civile. La Ville vise la résilience des communautés, à travers le développement de pôles de résilience et le développement du capital social notamment, mais ne mentionne pas comment les initiatives aideront principalement les populations discriminées et marginalisées. Pour plusieurs groupes de la société civile, incluant des mouvements sociaux et des groupes plus contestataires, l’équité est envisagée à travers la notion de justice climatique, c’est-à-dire en reconnaissant l’existence d’inégalités et de responsabilités différenciées dans la crise climatique, ainsi que la superposition d’inégalités et de discriminations pour certaines populations. Or, l’absence de terrain politique permettant la confrontation de ces différentes compréhensions et représentations de l’équité climatique ne permet pas pour l’instant de faire émerger un débat démocratique à Montréal.

Cette recherche amène à conclure que la gouvernance climatique urbaine s’est reconfigurée à différents niveaux à Montréal depuis quelques années, aussi bien en ce qui concerne les acteurs que les plans, les actions et les discours. Cependant, les enjeux d’équité dans l’action climatique sont encore trop peu débattus de façon démocratique et de façon transversale avec les autres enjeux urbains.

*Cette recherche a reçu le soutien financier de l’INRS dans le cadre d’une bourse d’excellence, celui du Conseil de recherches en sciences humaines dans le cadre d’une bourse doctorale et celui du Fonds de recherche du Québec – Société et culture dans le cadre d’une bourse doctorale. Elle a également reçu le soutien de Mitacs dans le cadre du programme Mitacs Accélération pour le projet Labo Climat Montréal avec la Ville de Montréal et Ouranos.