Par Abel Latyr Sarr, étudiant à la maîtrise en études urbaines (INRS)
Introduction
Les universités jouent un rôle très important dans le développement urbain des zones dans lesquelles elles sont implantées. Au-delà de leur objectif premier d’enseignement et de recherche, elles entrainent un essor économique, social et culturel, surtout dans les pays en développement comme le Sénégal. En effet, la répartition des infrastructures ou des politiques publiques au Sénégal a été pendant longtemps marquée par la centralisation autour de Dakar, la capitale. Cette centralisation est héritée de l’époque coloniale, car la région de Dakar était la capitale de l’Afrique occidentale française, où se concentraient les infrastructures majeures. C’est aussi à Dakar qu’a été fondée, en 1957, la première université de l’Afrique occidentale française et du Sénégal.
Après l’indépendance du Sénégal en 1960, pour désengorger Dakar et permettre un développement local des autres régions, l’État du Sénégal a mis en place une politique de décentralisation en créant des métropoles d’équilibre dans les autres régions du Sénégal. Dans l’enseignement supérieur, cette décentralisation s’est concrétisée, depuis le début des années 2000, par la naissance d’universités situées en dehors de Dakar. Ainsi, les universités de Bambey et Ziguinchor illustrent cette décentralisation de l’enseignement supérieur. Elles ne sont pas seulement des lieux de production et de diffusion du savoir, mais aussi des agents de transformations économiques et sociales dans des régions où les principales activités étaient l’agriculture et l’élevage.
Cette recherche analyse l’impact des universités dans le développement urbain des villes sénégalaises à travers les cas de l’Université de Bambey et l’Université de Ziguinchor. Elle s’intéresse aux différentes politiques nationales et locales qui ont accompagné l’implantation des universités au Sénégal ainsi qu’aux transformations urbaines entrainées par les universités.
Dans la littérature scientifique internationale, de nombreuses études mettent en évidence les impacts économiques et sociaux des universités dans les villes. Les concepts de studentification (concentration étudiante dans des quartiers) et de gentrification universitaire (transformation urbaine entrainée par ces universités) y sont largement explorés. Ces concepts, surtout analysés dans les pays du Nord, restent globalement peu explorés en Afrique, bien que quelques recherches aient émergé en Afrique du Sud, au Nigéria et au Zimbabwe. Au Sénégal, ces lacunes sont plus marquées dans la littérature scientifique. Les principales études se concentrent sur les impacts économiques visibles (essor du commerce, de l’immobilier, de la restauration privée, le développement du transport local ou du marché locatif) au détriment des dimensions sociales et urbaines importantes. Ces réalités nous invitent à des réflexions scientifiques approfondies des dynamiques au Sénégal.
Cadre et méthodologie de la recherche
Cette recherche adopte une méthode qualitative basée sur une comparaison entre les villes de Bambey et Ziguinchor. En effet, Bambey est une petite ville située dans la région de Diourbel. L’arrivée de l’Université Alioune Diop et des étudiant·e·s principalement issus des autres régions du Sénégal a entrainé des changements socioéconomiques visibles dans un paysage urbain à forte dominance rurale. À l’inverse, Ziguinchor, capitale régionale de la Casamance, située au sud du Sénégal, abrite l’Université Assane Seck. Cette ville historiquement marquée par la marginalisation et la reconstruction post-conflit en raison d’un conflit d’indépendance connait aujourd’hui une transformation urbaine rapide, avec une pression accrue sur les infrastructures dans les quartiers proches de l’université. Ces deux cas permettent de saisir les particularités des villes universitaires sénégalaises et de les comparer avec celles étudiées dans la littérature internationale existante, particulièrement celle du Nord. Cette comparaison permet de remettre en question la pertinence des cadres théoriques, souvent élaborés dans des contextes du Nord, pour mieux comprendre les réalités africaines.
La collecte de données repose sur des entretiens semi-dirigés menés avec des spécialistes du développement urbain, des porte-parole des villes, ainsi que des étudiants et des étudiantes. Elle est complétée par l’analyse de 20 documents officiels (rapports d’État, décrets) et l’analyse de 10 articles de médiaux locaux pour mieux comprendre les transformations urbaines entrainées par ces universités.
Résultats
La centralité de l’État du Sénégal en matière d’enseignement supérieur
L’analyse montre que la politique d’implantation universitaire au Sénégal est entièrement portée par l’État central à travers des plans nationaux et des schémas régionaux d’aménagement et de développement territorial. Les collectivités locales ont peu de compétence dans ce domaine, mais peuvent toutefois exprimer des besoins ou proposer des projets de collaboration.
Les retombées urbaines des universités sénégalaises : entre impacts économiques et transformations sociales
L’implantation des universités dans les deux villes a entrainé des transformations économiques et sociales importantes. Dans la petite ville de Bambey, l’arrivée de l’université a provoqué l’émergence de petits commerces, du transport local, de la restauration privée, et exercé une forte pression sur le marché locatif, amplifiée par la faible capacité d’accueil des logements offerts par le Centre régional des œuvres universitaires (CROUS). Dans la grande ville de Ziguinchor, l’arrivée de l’université a diversifié l’offre commerciale et les services et entrainé une urbanisation rapide dans les quartiers proches de l’université et, conséquemment, une hausse du prix du foncier. Ces phénomènes confirment les observations faites dans la littérature internationale sur le rôle des universités.
Au-delà des impacts économiques, l’analyse révèle la présence du processus de la forte concentration d’étudiant·e·s dans les deux villes étudiées, un phénomène bien documenté dans la littérature scientifique dans les pays du Nord. Mais le contexte sénégalais présente des particularités rarement explorées dans la littérature internationale : l’auto-organisation des étudiant·e·s via des amicales de localité, regroupement d’étudiant·e·s venant de la même ville ou région, et l’implication des municipalités d’origine face aux défis de logement et aux pressions financières des étudiant·e·s dans les villes d’accueil.
Conclusion
En définitive, l’Université de Bambey et l’Université de Ziguinchor ont permis un essor économique, un développement urbain rapide et une recomposition spatiale importante, surtout dans les quartiers proches des universités. Si elles confirment en partie les recherches dans la littérature internationale, elles révèlent aussi des particularités propres au Sénégal, à savoir l’auto-organisation des étudiant·e·s via les amicales de localité et le rôle des municipalités d’origine face aux défis de logement et aux pressions financières des étudiant·e·s dans les villes d’accueil.
Ces réalités locales méritent d’être intégrées dans les débats internationaux sur la studentification et la gouvernance urbaine et à élargir la compréhension des relations entre université et ville en y intégrant ces logiques sociales (villes et université-localité d’origine) propres au Sénégal.