Par Victoria Jepson, diplômée du doctorat en études urbaines (INRS)
Cette recherche doctorale vise à mieux comprendre l’accessibilité, l’aménagement et l’achalandage des parcs dans le grand Montréal. Les approches classiques, centrées uniquement sur la proximité spatiale, ne permettent pas de saisir toute la complexité de l’accessibilité réelle. Intégrer des dimensions comme la congestion, la qualité perçue et la fréquence d’utilisation offre une lecture plus fine des iniquités observées.
Dans un contexte où les indicateurs d’accessibilité négligent souvent la congestion, où le design des parcs est rarement réfléchi en fonction des besoins locaux et où les perceptions des usagers et usagères ne sont pas systématiquement prises en compte, une approche multiméthodes permet non seulement d’offrir un portrait global, mais aussi de mieux comprendre les réalités vécues à l’échelle locale.
Une approche multiméthodes comme réponse aux limites

Crédits photo : Victoria Jepson, 2022
Pour aller au-delà de ces limites, une stratégie multiméthodes séquentielle a été adoptée et combine trois volets : 1) des analyses spatiales, 2) des observations de terrain et 3) des enquêtes auprès des personnes usagères. Cette approche permet de croiser des dimensions objectives (comme la proximité, la densité, les équipements) avec des dimensions subjectives (comme les perceptions, la satisfaction ou les comportements d’usage).
Premièrement, le volet spatial repose sur l’indice E2SFCA (Enhanced Two-Step Floating Catchment Area), qui tient compte à la fois de la proximité et de la capacité des parcs en fonction de leurs équipements et de leur superficie. Des tests statistiques (tests t, modèles multinomiaux) ont permis d’examiner les liens entre l’accessibilité et les profils sociodémographiques.
Le deuxième volet, basé sur l’observation de terrain, a permis de documenter les usages réels des parcs dans l’espace et le temps. Ces observations ont révélé non seulement les types d’activités pratiquées (activités passives, aires de jeux, sports), mais aussi les concentrations d’usagers et d’usagères selon l’heure, le jour de la semaine et le type de parc. Cette approche est essentielle pour comprendre les dynamiques de fréquentation et pour repérer les moments ou lieux où l’achalandage est le plus élevé. Ce volet s’est déroulé dans six parcs (trois en milieu urbain : parc Chamberland, parc Hochelaga, parc Wilson; et trois en banlieue de Montréal, soit à Longueuil, Laval et Rosemère : parc Bariteau, parc de Bucarest, parc Bourbonnière), totalisant 108 heures d’observation et 1 588 enregistrements. Il a permis de documenter les usages dans l’espace et le temps, en montrant de fortes différences entre parcs urbains et parcs de banlieue.
Enfin, le troisième volet repose sur des enquêtes auprès des personnes qui fréquentent les parcs. Il permet d’aller au-delà des simples mesures de fréquentation pour saisir la perception de l’achalandage, qui peut varier fortement d’un individu à l’autre. Ce ressenti subjectif est particulièrement important, car l’achalandage peut être perçu soit comme un signe de vitalité, soit comme une source d’inconfort ou d’exclusion. En ce sens, il s’agit d’un phénomène personnel et contextuel.
Chaque méthode a joué un rôle complémentaire dans l’étude de l’accessibilité, de l’aménagement et de l’achalandage des parcs du grand Montréal. Par exemple, l’analyse spatiale a révélé de légères iniquités structurelles, l’observation a mis en lumière les usages concrets et les enquêtes ont permis de comprendre les logiques de fréquentation et la perception des expériences dans les parcs.
Accessibilité et congestion
Les analyses montrent que les personnes à faible revenu et les minorités visibles vivent souvent plus près des parcs, mais dans des secteurs fortement congestionnés. À l’inverse, les enfants ont une accessibilité significativement plus faible, tandis que les personnes âgées ne présentent pas de différence notable à l’échelle du grand Montréal.
Le volet spatial confirme que la congestion est un facteur clé : les populations à faible revenu et les minorités visibles vivent plus près des parcs, mais ces parcs sont plus congestionnés. Ceci met en lumière la complexité de l’accessibilité spatiale aux parcs, combinant proximité immédiate et congestion potentielle.
Usages et perceptions
Le volet d’observation révèle une prédominance des activités passives (42 %), suivies de l’utilisation des aires de jeux (20 %) et des jeux libres (10 %). Les usages varient fortement selon le type de parc : les parcs urbains présentent une forte densité, concentrée autour de certains équipements, tandis que ceux de banlieue sont plus étalés et moins fréquentés.
L’analyse spatiotemporelle montre aussi que les équipements sportifs en banlieue sont surtout utilisés les fins de semaine, alors que les parcs centraux sont fréquentés plus régulièrement. Le volet des enquêtes révèle que 64 % des sujets répondants visitent les parcs fréquemment, surtout pour les aires de jeux. La durée des visites est plus longue le matin, mais plus variée en fin de journée.
La perception de l’achalandage est également marquée : 88 % des usagers et usagères des parcs de banlieue estiment qu’ils ne sont jamais achalandés, contre 61 % dans les parcs urbains. Une régression ordinale montre que la raison de la visite (particulièrement l’utilisation des aires de jeux) est le principal facteur associé à la fréquence des visites et à la perception de l’achalandage.
Apport de la triangulation méthodologique
L’approche multiméthodes a joué un rôle clé dans l’identification de disparités invisibles. Elle a permis non seulement d’identifier les groupes exposés à des iniquités, mais elle a aussi révélé les pratiques réelles d’usage, parfois en contradiction avec les prévisions spatiales, et a permis d’inclure les perceptions des personnes usagères qui sont essentielles pour comprendre les tensions entre qualité perçue et fréquentation réelle.
L’intégration des deux derniers volets est donc cruciale, car ils permettent de relier les données observées sur le terrain à l’expérience vécue des usagers et usagères, en tenant compte de leur fréquence de visite, de leurs motifs et de leur tolérance à la densité. Cette combinaison d’observations et de perceptions enrichit considérablement l’analyse de l’achalandage et de la qualité de l’expérience dans les parcs.
Cette étude montre que la proximité ne suffit pas à garantir un accès équitable. En croisant les niveaux d’analyse (métropolitain et local) et les types de données, cette étude propose une lecture nuancée des dynamiques d’équité environnementale dans les parcs du grand Montréal. Enfin, cette démarche offre des outils concrets pour l’aménagement : elle aide à cibler les parcs sous pression, à repenser la distribution des équipements et à mieux adapter les espaces aux usages réels.
Cette recherche contribue à repenser l’accessibilité aux parcs à travers une approche intégrée. En combinant mesures objectives et perceptions, elle souligne l’importance de tenir compte à la fois de la qualité, de l’usage et de la congestion dans la planification des espaces verts. L’approche multiméthodes proposée s’avère particulièrement pertinente pour éclairer les enjeux d’équité environnementale à l’échelle du grand Montréal.