Entretien effectué par Salomé Vallette, coordonnatrice de Villes Régions Monde
Transcription faite par Nathan Mascaro, étudiant au doctorat en études urbaines à l’INRS
Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et professionnel, quelles sont les étapes qui vous ont permis de travailler au sein du CÉRSÉ?
J’ai terminé mon baccalauréat en géographie et environnement à l’Université McGill en 2014. Pendant mes études de premier cycle, je me suis beaucoup impliquée au sein du journal étudiant hebdomadaire francophone Le Délit en tant que coordonnatrice aux actualités. J’ai toujours trouvé important de m’engager dans des projets concrets et des causes sociales en complément à mes études, afin de développer d’autres savoir-faire via des expériences terrain. À la fin de mon baccalauréat, j’ai pris une année de pause d’études afin de réaliser mon premier court métrage documentaire La Dame du fleuve, à propos de l’impact de la parole citoyenne concernant l’exploitation du pétrole de schiste sur l’île d’Anticosti. Je me suis lancée dans cette aventure en ayant en poche mes compétences acquises grâce au journalisme étudiant, mais sans aucune formation en cinéma. Ce fut un réel saut dans le vide qui s’est révélé très formateur et qui m’a permis de tomber en amour avec la création audiovisuelle. Cette même année, j’ai également suivi des cours de journalisme à l’Université de Montréal, car j’envisageais la possibilité de devenir une journaliste professionnelle.
À l’été 2015, j’ai effectué un stage de préétudes à l’INRS, puis j’y ai commencé ma maîtrise en études urbaines, sous la supervision du regretté Alexander Aylett, puis de Geneviève Cloutier (ULaval) et de Claire Poitras (INRS). Pour mon mémoire, j’ai concentré mes recherches sur le rôle et les impacts des initiatives citoyennes concrètes dans la transition socioécologique à Montréal, plus particulièrement dans le quartier de Rosemont–La Petite-Patrie. Ce mémoire représente bien mes intérêts de recherche qui sont aussi devenus mes expertises professionnelles : l’action climatique, la gouvernance, la mobilisation communautaire et l’innovation sociale.
En 2018, j’ai terminé la rédaction de mon mémoire de maîtrise à Lima, au Pérou, où je suis allée travailler pour Oxfam-Québec. J’y ai réalisé un mandat en tant que coopérante volontaire spécialisée en communications numériques et en mobilisation. Dans ce cadre, j’ai participé à des projets d’activisme jeunesse œuvrant sur la justice environnementale, sociale et de genre. Cette expérience auprès de l’équipe d’Oxfam à Lima a été particulièrement formatrice dans mon parcours, car elle m’a permis de m’ancrer dans des actions concrètes et de développer une solide éthique de travail.
Après un an à Lima, je suis revenue au Québec, où j’ai continué à être consultante auprès d’Oxfam-Québec, mais aussi pour diverses organisations à portée sociale et environnementale (Centre d’écologie urbaine de Montréal, Institut du Nouveau-Monde et Piétons Québec, entre autres). J’ai ainsi travaillé sur plusieurs projets, comme le programme Sous les pavés et la 50e Marche Monde, et j’ai participé à plusieurs animations de consultations publiques. Je suis particulièrement fière d’un mandat réalisé auprès d’Oxfam-Québec, où j’ai été coordonnatrice de la Délégation des générations futures dans le cadre de la COP20. Au cours de cette expérience, j’ai participé de près à la mobilisation et à la coordination d’une trentaine de jeunes au Québec. Nous avons ensuite rédigé ensemble un plaidoyer, qui a mené à l’adoption de la motion à l’Assemblée nationale du Québec pour la création du premier comité jeunesse pour le climat.
Pendant ces années comme consultante, j’ai aussi été coordonnatrice pour le partenariat de recherche TRYSPACES. Dans ce projet orchestré par Julie-Anne Boudreau, j’ai collaboré aux volets partenariat, mobilisation et outils/stratégies numériques. Objet d’une collaboration continue entre Montréal, Paris, Hanoi et Mexico, ce projet de recherche interdisciplinaire s’est révélé à la fois rempli de défis et très formateur. J’ai également été coordonnatrice auprès de la Chaire de recherche du Canada sur l’action climatique urbaine (INRS) dirigée par Sophie Van Neste, où j’ai participé de près à la coordination de la première édition du répertoire de recherches Villes, climat et inégalités.
Tout au long de ces années, j’ai également continué à développer mon expertise en réalisation documentaire. En effet, j’ai réalisé une dizaine de courts métrages, autant de création artistique indépendante que pour le compte de diverses organisations sociales, environnementales et gouvernementales. Je travaille d’ailleurs actuellement à un nouveau projet documentaire indépendant qui serait mon premier long métrage, et qui porterait sur la relève féminine dans l’industrie minière au Québec. Je suis également cinéaste-mentore et formatrice auprès du Wapikoni mobile, qui propose des studios mobiles de création audiovisuelle dans les communautés des Premières Nations. Pour moi, le documentaire est un moyen en or pour communiquer de manière créative et accessible à propos de sujets qui me tiennent à cœur.
Comme vous pouvez le constater, mon parcours a été ponctué de plusieurs expériences diversifiées, qui à mon sens, s’inscrivent dans une même trajectoire. Toutes ces années comme consultante m’ont donné la confiance et la motivation nécessaires pour soumettre ma candidature pour le poste de chercheuse auprès du Centre d’étude en responsabilité sociale et écocitoyenneté (CÉRSÉ), et c’est avec joie que j’y travaille à temps plein depuis janvier 2024.
Quels sont les aspects que vous aimez le plus de votre travail? Est-ce que vous rencontrez certaines limites?
Ce que j’apprécie particulièrement au CÉRSÉ est que les projets de recherche sont collaboratifs, menés en partenariat et ancrés dans les besoins des milieux. J’aime beaucoup ce côté concret, qui permet à la fois d’être en réceptivité face aux réalités des communautés et des partenaires, de contribuer à quelque chose qui peut s’appliquer sur le terrain et qui fait sens dans un langage intelligible pour une variété d’individus.
On travaille de près avec des organisations diverses pour la réalisation des projets. Par exemple, nous travaillons avec des arrondissements, des OBNL ou encore des groupes communautaires. On travaille aussi avec nos collègues du CÉRSÉ sur leurs projets respectifs, ce qui nous amène à jouer différents rôles selon les mandats. J’apprécie ainsi la collaboration et la coordination qu’impliquent les projets, ainsi que le dialogue nécessaire entre les divers types de savoirs pour arrimer le tout.
J’aime aussi le côté créatif qui vient avec mon emploi. L’équipe du CÉRSÉ laisse beaucoup de flexibilité, d’autonomie et d’ouverture aux idées des chercheurs et chercheuses. Je me sens ainsi encouragée à apporter ma couleur et mon expertise pour proposer des projets qui ont du sens pour moi et qui résonnent aussi sur le terrain. C’est stimulant de pouvoir proposer des projets innovants avec des méthodologies plus audacieuses, participatives ou inclusives. J’apprécie également la gestion de projets liée à mon poste. Je suis amenée à coordonner une petite équipe, à gérer un budget et un échéancier, ainsi qu’à diffuser de manière innovante les résultats auprès de divers publics.
La visibilité et la reconnaissance du CÉRSÉ permettent également de faire preuve d’ambition dans les projets menés. L’organisation fait partie du réseau des centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT). Il s’agit d’un large réseau ancré dans divers cégeps à travers le Québec et qui possède de nombreux pôles d’expertise. Notre CCTT est axé sur la recherche dans des domaines « sociaux » (notamment les pratiques sociales novatrices), alors que d’autres sont plutôt tournés vers les sciences naturelles ou les technologies. Il nous arrive de collaborer avec ces pôles de recherche, par exemple dans le domaine de l’ingénierie. En tant que chercheuse en sciences sociales, je trouve que ce dialogue et cette collaboration entre les savoirs sont très intéressants et permettent d’amener les projets vers de nouveaux horizons. Par ailleurs, étant intégrés ou associés aux cégeps, les CCTT sont encouragés à travailler avec des étudiant·e·s dans certaines étapes des projets. Intégrer la communauté étudiante du Cégep de Rosemont à mes projets est quelque chose qui me tient à cœur et que je valorise.
Ceci étant dit, un emploi dans le milieu de la recherche comporte également des limites et des défis. En effet, le rythme de la recherche s’avère souvent plutôt lent, les demandes de financement pour les projets demandent beaucoup de temps et d’énergie, et l’attente pour savoir si un projet peut aller de l’avant est également longue – et sans garantie de succès. On dépend ainsi constamment de financements externes et d’enveloppes budgétaires dont les grandes orientations sont élaborées par les gouvernements provincial et fédéral.
Je pense aussi que la posture de chercheuse au collégial a des limites. En effet, nous n’aspirons pas à mener des recherches scientifiques fondamentales ou théoriques ni à publier des articles dans des revues révisées par les pairs. Les processus derrière les recherches que nous menons sont certes encadrés par un comité éthique, mais l’objectif de faire de la recherche appliquée et collaborative avec divers partenaires du milieu prime sur une certaine rigueur intellectuelle associée aux milieux universitaires. Il y a donc une limite théorique à ce qu’on fait comme recherches au CÉRSÉ.
Comment faites-vous pour demeurer au fait des actualités dans votre domaine et comment imaginez-vous votre secteur dans les prochaines années?
Avec le temps, j’ai développé un bon réseau de contacts (personnes et organisations) qui œuvrent dans mes secteurs d’emploi. Les actualités, publications et événements divers dans mon domaine me sont ainsi souvent communiqués par des personnes travaillant sur ces enjeux. Les réseaux sociaux sont aussi très utiles pour se tenir à l’affût des nouvelles des organisations qui nous intéressent. De plus, je m’abonne régulièrement à des pages et à diverses infolettres. Je participe également à des colloques, des conférences et des ateliers, qui sont des occasions de consolider mon réseau, de rencontrer de nouvelles personnes et de me tenir informée sur les enjeux actuels.
Pour ce qui est du milieu de la recherche au collégial, j’ai de la difficulté à me prononcer sur ce que l’avenir nous réserve. Ce qui est certain, c’est que je souhaite que davantage de projets de recherche appliquée voient le jour et que ce milieu continue à être reconnu, à être financé et à être valorisé.
Concernant la transition socioécologique, je pense qu’on ne peut plus se permettre d’être passif ou apathique, considérant le fait que nous sommes dans une époque marquée par de multiples crises, dont la crise climatique. Si je regarde la volonté ou les efforts qui sont déployés pour faire face aux défis contemporains, il se passe beaucoup de choses dans plusieurs organisations à travers le Québec, mais il reste encore beaucoup à faire. Je crois que plusieurs personnes ont vraiment à cœur ces enjeux et militent à leur façon et dans diverses sphères pour faire bouger les choses. Il y a aussi beaucoup de financements qui émergent pour accélérer la transition socioécologique. Je vois vraiment un changement dans la production de savoirs et dans les projets qui se mettent en place dans les OBNL, les organisations communautaires et sur le terrain. Cela étant dit, je pense que nous sommes tout de même victimes de structures politiques et économiques qui nous dépassent, qui semblent titanesques et donc difficiles à changer. Nous sommes aussi aux prises avec la montée de forces opposées au bien commun, au Québec comme à l’international, et il est parfois difficile de garder espoir quand on voit des horizons sombres se dessiner un peu partout sur la planète, en commençant par nos voisins du Sud.
Pour terminer sur une note positive, voici une phrase que j’aime bien : « Tout est nécessaire, mais rien n’est suffisant ». Cette idée exprime le besoin de diversité de tactiques, que ce soit par la recherche, la mobilisation communautaire, le lobbying politique, la réalisation documentaire, etc. Même si nous avons peu d’emprise sur le résultat de nos actions collectives, je continue de cultiver l’espoir et j’estime qu’il est important – à notre échelle et à la hauteur de nos moyens – de faire notre part pour un monde plus juste, résilient et en équilibre avec la nature.