La gouvernance d’enjeux environnementaux globaux par les villes canadiennes: quel rôle pour la participation des citoyens?

Par Julie Hagan, étudiante au doctorat en sociologie à l’Université Laval
Juin 2020

*Cette nouvelle rubrique a comme objectif de mettre en lumière les projets de mémoire et de thèse d’étudiantes et étudiants qui s’intéressent aux enjeux urbains. Illustrés, ces articles abordent les questions qui les préoccupent, la méthodologie utilisée et dévoilent, le cas échéant, leurs résultats de recherche.

Contexte et questions de recherche

Au cours des trente dernières années, les villes se sont graduellement imposées comme des joueurs importants dans la gouvernance de l’environnement. Dès 1990, le réseau ICLEI est créé afin de réunir des gouvernements locaux engagés en faveur du développement durable. En 2005, le Cities Climate Leadership Group (C40) est fondé par des villes soucieuses de lutter contre les changements climatiques. Plus récemment, l’importance des villes dans la gouvernance du climat et de la biodiversité a été reconnue par différentes instances internationales. En 2010, l’OCDE et la Banque Mondiale soulignent le rôle des villes face à l’urgence climatique. Puis, en 2012, le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique publie un rapport montrant les liens entre urbanisation et biodiversité. Parallèlement, des groupes d’experts internationaux, le GIEC et l’IPBES, produisent des analyses poussées sur les questions de climat et de biodiversité.

Durant la même période, la participation des citoyens à la prise de décision s’est popularisée dans plusieurs villes, au Canada et dans le monde. Dès le début de la décennie 1990, les villes de Vancouver et Toronto expérimentent des processus participatifs pour l’élaboration de leur plans de développement. Au tournant des années 2000, la participation devient quasi incontournable. La participation des citoyens à la prise de décision en matière d’environnement donnera lieu à diverses modalités participatives. Il peut s’agir de vastes exercices de consultation tel que celui mené par la ville de Calgary en 2005 afin de produire un plan de durabilité urbaine, mais il s’agit plus souvent de consultations sur des enjeux ponctuels.

Nous avons donc voulu mieux comprendre dans quelle mesure l’engagement des villes envers les enjeux environnementaux globaux – en l’occurrence le climat et la biodiversité – influence la place accordée à l’expérience des citoyens et à la participation démocratique dans le gouvernance de l’environnement.

 

Méthodologie

Pour répondre à cette question, nous avons entrepris une étude de cas de six villes canadiennes (Québec, Montréal, Ottawa, Toronto, Calgary et Vancouver) fondée sur l’analyse de politiques, de programmes et d’entretiens auprès de 42 décideurs municipaux. Les décideurs interrogés étaient majoritairement des professionnels des gouvernements locaux, mais nous avons aussi interrogé des représentants d’organisations environnementales pour chacune des villes étudiées.

 

Résultats préliminaires

L’analyse préliminaire des entrevues montre une tendance pour plusieurs villes à se détourner du modèle du développement durable, avec ses trois piliers (environnemental, économique et social) lorsqu’elles abordent les enjeux de climat et de biodiversité. Qui plus est, les changements climatiques et la biodiversité présentent des aspects techniques et scientifiques importants, lesquels font intervenir de nouvelles formes d’expertise, et ce, non seulement à l’échelle internationale (ex. IEC, IPBES), mais aussi à l’échelle municipale. Par ailleurs, de nombreuses villes adoptent des approches fondées sur des logiques techniques et managériales. C’est le cas des approches centrées sur les objectifs de réduction des émissions de GES ainsi – bien que dans une moindre mesure – des conceptions de la biodiversité en termes de services écosystémiques. Ces approches présentent plusieurs avantages. Elles permettent de mesurer l’atteinte d’objectifs et favorisent la comparaison avec la performance d’autres villes à l’échelle mondiale. Pour certaines villes, Vancouver notamment, cela contribue à leur positionnement international. Ces mesures, généralement acceptées comme des critères objectifs, favorisent en outre le suivi et la reddition de comptes.

Malgré ces avantages, ces approches présentent également des limites. Dans plusieurs cas, la définition des enjeux environnementaux en termes techniques a pour effet de rendre plus difficile la participation des citoyens. Cette tendance est particulièrement marquée en ce qui concerne la gouvernance du climat, où les enjeux peuvent être décrits comme étant trop complexes pour permettre une réelle participation. Les résultats préliminaires montrent également que le recours, par les gouvernements municipaux, à la participation citoyenne en matière d’environnement varie en fonction de divers facteurs, notamment les dispositions personnelles des élus. Par exemple, la ville de Toronto, pour laquelle la participation n’avait pas été priorisée sous Rob Ford (2010-2014), a lancé, en 2015, TransformTO, un exercice novateur combinant participation des citoyens et modélisation de scénarios pour élaborer un plan d’action sur le climat. Alors que plusieurs décideurs commencent à penser l’environnement en termes de résilience, il sera intéressant de voir dans quelle mesure les citoyens seront impliqués dans les processus décisionnels sur ces questions.

Cette recherche a été effectuée sous la direction de Louis Guay (Université Laval) et a bénéficié d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.