Par Nathan Mascaro, étudiant au doctorat en études urbaines (INRS), Flandrine Lusson, diplômée du doctorat en études urbaines (INRS) et Sophie Lavoie, diplômée de la maîtrise en études urbaines (INRS)

Mise en contexte
Cet événement de deux jours (10 et 11 avril 2025) avait pour objectif d’ouvrir des discussions collectives sur les problèmes, les possibles solutions ainsi que les termes de la culture de la participation publique en aménagement. En se focalisant sur les expérimentations réalisées dans les villes du Québec, des acteur·rice·s communautaires, des gestionnaires de la sphère publique et des spécialistes de l’urbain se sont rencontré·e·s autour de plusieurs tables de discussion afin d’échanger sur leurs pratiques et d’en apprendre de nouvelles.
Quatre grandes conversations ont rythmé les deux journées :
- La prospective de la transition socio-écologique
- Les problèmes à régler en matière de participation publique et d’aménagement du territoire
- Les pistes de solutions
- L’innovation pour une transition vers un futur soutenable
Une centaine de personnes, aux profils diversifiés, se sont inscrites à cette dixième édition des Rencontres. L’événement a accueilli des représentant·e·s du milieu municipal local et régional, d’organismes communautaires, d’organisations non gouvernementales, du secteur public, de groupes et mouvements citoyens, d’entreprises de services-conseils et de la recherche et de l’enseignement.
L’événement a été organisé sous la direction de Laurence Bherer (Université de Montréal), Geneviève Cloutier (Université Laval) en collaboration avec Vivre en Ville, l’Ordre des Urbanistes du Québec et le réseau Villes Régions Monde.
Les Rencontres VRM constituent une occasion d’échanges entre chercheur·se·s et autres parties prenantes qui s’intéressent aux questions touchant au développement des communautés et à l’aménagement des quartiers et des villes. Organisées depuis 2010, ces rencontres visent à encourager et à favoriser les échanges entre les communautés scientifique et professionnelle des milieux gouvernemental et associatif.
Pour consulter le programme complet de l’événement
Compte rendu de l’événement
Conférence d’ouverture : Assemblée citoyenne permanente pour le climat à Bruxelles (Belgique)
Conférencier invité : Merlijn De Rijcke, coordonnateur de projets, Bruxelles Environnement
En 2013, la première loi climat belge voit le jour, accompagnée pour la première fois du « principe de la contribution citoyenne ». Quatre ans plus tard, un projet permanent dans lequel la population est invitée à discuter avec le Parlement naît du côté de la communauté germanophone belge. En 2019, des marches de mobilisation pour le climat et pour la préparation aux événements climatiques (vagues de chaleur, inondations, sécheresses) font l’actualité en Belgique et ailleurs, et mènent à la production de la Déclaration de politique générale commune au gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et au Collège réuni de la Commission communautaire commune (2019-2024), stipulant les enjeux et actions à mettre en œuvre pour répondre aux défis climatiques. De cette politique émerge la volonté d’adopter une stratégie à long terme basée sur des objectifs contraignants et un cadre d’évaluation nommé Ordonnance bruxelloise pour le climat afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est dans ce contexte que naît le projet d’assemblée citoyenne permanente pour le climat de Bruxelles.
L’objectif de l’assemblée est d’écouter et d’essayer de prendre en compte la diversité d’enjeux que vivent les populations en fonction de leurs statuts socio-économiques et de créer un espace de discussion entre différents acteurs de la région dans lequel chaque citoyen·ne peut acquérir un rôle actif. En 2022, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale valide officiellement la création de l’assemblée. Elle est intégrée de manière permanente en 2024. Afin de la rendre représentative, 65 à 100 citoyen·ne·s sont tirés au sort chaque année. Le recrutement commence par l’envoi d’une invitation par la poste à 10 000 personnes, sélectionnées au hasard pour participer et soumettre leur candidature. Sur la base des réponses positives et de critères socio-économiques (langue, niveau d’étude, emploi, âge), une sélection se fait en fonction de la représentativité de la population (par exemple, comme 28 % de la population de la Région de Bruxelles-Capitale a un niveau d’étude préuniversitaire, ce même pourcentage doit se retrouver au sein de l’assemblée).
Chaque assemblée possède son thème. Le premier, l’habitat, a été défini par le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en 2023. Les deux autres assemblées ayant eu lieu depuis ont porté sur les thèmes de l’alimentation et de la consommation, définis lors de l’assemblée qui les a précédées. Chaque assemblée a le pouvoir de définir des panels thématiques. Pour la première, trois ont été choisis : Habiter autrement, Rénover dans un esprit de justice sociale, Végétaliser pour mieux vivre en ville. Ensuite, les participant·e·s reçoivent une formation intensive pendant environ cinq ou six fins de semaine auprès d’expert·e·s des milieux administratif, universitaire et communautaire travaillant en lien avec ces thématiques, afin de comprendre leurs visions, enjeux et contraintes. Les expert·e·s formulent des questions sur lesquelles les citoyen·ne·s expriment leur avis. C’est en dialogue avec ces expert·e·s que des visions et recommandations voient progressivement le jour et sont finalement votées par les membres de l’assemblée afin de rédiger la vision 2050 pour le climat, qui sera proposée au gouvernement. Chaque recommandation doit être votée à 80 % des voix et idéalement à l’unanimité. Le reste est placé dans une section « Thèmes discutés » du rapport. Pour le premier cycle, les participant·e·s ont soumis une soixantaine de recommandations et neuf ambitions.
Après la transmission du rapport, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale examine la faisabilité des propositions et les ministres compétents décident des suites à donner aux recommandations sous la forme d’une feuille de route détaillée qu’ils et elles communiquent à l’assemblée dans un délai de trois mois. On tire ensuite au sort un groupe de 10 membres de l’assemblée qui assurera pendant un an le suivi des recommandations. Ces membres peuvent, pendant cette période, entrer en contact avec le gouvernement et poser leurs questions. Un quart des participant·e·s est également désigné pour déterminer et formuler les questions de l’assemblée suivante en discussion avec des expert·e·s du milieu. La deuxième assemblée a donc porté autour du thème de l’alimentation et la question retenue était : « En tant que Bruxelloises et Bruxellois, de quoi auriez-vous besoin pour vous aider à changer d’alimentation demain? Qu’attendez-vous des différents acteurs? ».
La première année, les impacts de l’assemblée ont été très mitigés. Par la suite, elle a donné naissance au nouveau Plan nature de la Région de Bruxelles-Capitale et à la révision de la stratégie Good Food. Même s’ils se concrétisent à long terme, ces impacts sont tout aussi directs qu’indirects, puisqu’ils ont mené à la création de nouvelles collaborations, à l’implication du secteur privé, à des rapprochements entre secteurs public et associatif, ainsi qu’à des changements d’attitudes politiques, administratives et citoyennes. L’enjeu principal est le soutien politique durable, car c’est au gouvernement que revient la décision ultime. Ce type d’initiative existe pour compléter l’équilibre démocratique. Elles demandent en revanche du temps et des ressources importantes. Pour bien fonctionner, le projet doit représenter les citoyens et citoyennes dans leur diversité. Pour se réaliser, il doit également être mené en collaboration avec les acteurs de terrain qui vont participer à sensibiliser la population à son existence. Les jeunes de 15 à 18 ans sont les plus difficiles à toucher, ce qui demande d’aller dans les écoles pour échanger directement avec elles et eux, ainsi qu’avec les acteurs du privé, mais leur participation est désirée. Finalement, pour qu’une assemblée citoyenne permanente puisse être pérenne, il faut accepter qu’elle mette plusieurs années à se mettre en place et que chaque assemblée soit une occasion d’améliorer la suivante.
Café des savoirs 1 – Prospective : quels sont les sujets du futur en lien avec la transition socio-écologique?
La transition socio-écologique vise le développement des sociétés humaines à l’intérieur des limites planétaires. Elle décrit le passage vers un état des choses socialement plus juste et écologiquement viable. Elle implique la participation de tous et toutes, et plus particulièrement celle des citoyen·ne·s, pour aider à transformer notre modèle de développement, faire émerger des récits et des imaginaires alternatifs et réinventer notre rapport à la nature. Cela suppose toutefois des discussions et décisions difficiles.
Introduction des panélistes
Lucile Ruiz, responsable des collectivités zéro émission nette (ZéN), Front commun pour la transition énergétique
Lucile Ruiz est responsable de ZéN, un projet de transition socio-écologique ancré dans les territoires et porté par le Front commun pour la transition énergétique. Les collectivités ZéN prennent place dans huit régions du Québec. Le principal objectif des collectivités ZéN est de rassembler un large éventail d’acteurs autour de la transition socio-écologique à l’échelle des territoires. Pour ce faire, la démarche prospective est mobilisée.
La prospective au service de la transition socio-écologique comporte cinq étapes. Premièrement, l’étape du démarrage consiste à regrouper les acteurs et à aller à la rencontre des personnes et groupes du territoire. La seconde étape est l’état des lieux et l’élaboration de la vision. Cette étape sert à définir le point de départ et d’arrivée. Il s’agit donc de brosser un portrait de ce qu’est la communauté au sein de notre territoire et de définir ce que cette même communauté souhaite atteindre comme objectif de transition. La troisième étape est celle des chemins de transition, où la communauté définit par quel chemin elle passera pour atteindre ses objectifs. Vient ensuite le plan opérationnel, qui sert à définir le plan à court et moyen terme. Finalement, la mise en œuvre consiste en l’opérationnalisation du plan.
À ce jour, les collectivités ZéN collaborent avec une centaine d’acteurs locaux et plus de 80 ateliers d’exploration du futur et de démarche prospective ont eu lieu, rejoignant ainsi plus de 900 personnes.
Lucile Ruiz conclut sa présentation en mentionnant que la démarche prospective, en tant qu’outil de participation publique et citoyenne, prend du temps. Il est normal à un moment ou à un autre de vouloir prendre du recul sur ces processus démocratiques, et ce, même si l’urgence climatique s’intensifie. La planification et la concertation demandent une stratégie cohérente et rassembleuse et ces processus prennent du temps avant d’avoir de l’impact. Lucile Ruiz rappelle que les crises écologiques soulèvent des tensions au sein des sociétés et qu’il est crucial de ne pas se précipiter afin que la transition socio-écologique intègre les préoccupations et enjeux de justice sociale, de même que l’ensemble des perspectives citoyennes.
David Pharand, maire de Duhamel
David Pharand prend ensuite la parole pour raconter le récit d’une forte mobilisation dans la municipalité de Duhamel, dont il est maire.
Duhamel est une petite ville de moins de 1000 personnes. Récemment, elle a vécu un boom minier sans précédent. Pour citer les propos de M. Pharand : « Le développement de la filière batterie et l’électrification des transports sont du développement durable pour le gouvernement, alors que pour nos villes et populations, cela représente la destruction de notre territoire. » La municipalité de Duhamel a alors connu une forte mobilisation sociale en opposition aux projets industriels et miniers. Cinq municipalités de la région se sont regroupées pour créer une alliance, regroupant plus de 6000 citoyen·ne·s qui refusent le développement minier dans la région, dans l’objectif de protéger leur territoire et leur économie locale.
Pour favoriser la mobilisation et faire preuve de transparence, les municipalités ont créé un site internet d’information uniforme et accessible. Elles ont organisé une série de rencontres publiques et une tournée des paroisses, qui se sont avérées extrêmement populaires. M. Pharand a dû à un certain moment emprunter l’église au curé, puisque la mairie ne pouvait plus accueillir l’assistance qui se présentait aux rencontres publiques. La messe a ainsi eu lieu à la mairie et les rencontres publiques, à l’église! Ces rencontres publiques ont été l’occasion d’inviter les promoteurs des projets miniers dans l’objectif que l’ensemble des parties prenantes (élu·e·s, population locale et promoteurs) puissent s’exprimer librement et en toute transparence.
M. Pharand conclut que ces expériences de participation publique dans sa région sont un succès. Le maire mentionne toutefois qu’il a dû organiser des séances de participation citoyenne sur des projets sur lesquels il n’a jamais pu se prononcer en amont, puisque ceux-ci proviennent du gouvernement provincial et des industries extractivistes et qu’ils ont été imposés sans consultation préalable. Il soulève aussi que les petites municipalités comme la sienne permettent une proximité entre le personnel politique et les populations, ce qui n’est pas toujours le cas pour les municipalités régionales de comté (MRC), des instances peu connues de la population.
À l’automne prochain, la municipalité de Duhamel tiendra un référendum sur le développement de l’industrie minière dans la région.
Franck Scherrer, professeur titulaire d’urbanisme, Université de Montréal
Franck Scherrer est le directeur général de Chemins de transition, une alliance entre l’Université de Montréal et Espace pour la vie. L’initiative réunit une panoplie d’acteurs du Québec, mobilisés pour faire face aux défis de la transition socio-écologique, anticiper le futur et réussir la transition socio-écologique. Chemins de transition propose ainsi la création d’outils participatifs afin de mieux s’approprier la démarche prospective. Concrètement, la démarche prospective permet le dialogue, puisqu’elle offre la possibilité de se projeter dans l’avenir. Comme le mentionne M. Scherrer, aucune personne n’est experte du futur, ce qui favorise la diversité des points de vue et des perspectives sur un sujet donné. Ainsi, chacune des personnes participantes autour de la table est amenée à réfléchir sur ce qui est le plus souhaitable à l’horizon 2050.
Le fait que personne ne connaisse l’avenir limite grandement les rapports d’autorité et de pouvoir autour de la table, ce qui permet la pleine contribution de l’ensemble des personnes participantes. La hiérarchie des savoirs se retrouve diminuée et les perspectives militantes, citoyennes et expertes sont mieux reconnues.
Selon M. Scherrer, la démarche prospective ne laisse personne indifférent, étant donné que les points de vue sont confrontés. La prospective, en tant que démarche de participation publique et citoyenne, a un véritable impact sur les personnes. Elle favorise les discussions horizontales et la rencontre de plusieurs perspectives, tout en mobilisant l’ensemble des savoirs qui forment la société.
Sophie Van Neste, professeure-chercheuse en études urbaines, INRS
La professeure Sophie Van Neste conclut ce premier Café des savoirs en abordant la question des inégalités sociales. Selon Mme Van Neste, le sujet du futur, en contexte de participation citoyenne, est un sujet du présent. En ce sens, c’est maintenant qu’il faut aborder les questions des inégalités, puisque celles-ci sont déjà présentes et sont, par ailleurs, amplifiées par les changements climatiques. Pour illustrer ce point, elle donne l’exemple des politiques de rénovations écoénergétiques qui ne prennent pas en compte les besoins des locataires, mais uniquement ceux des propriétaires. Pourtant, les personnes les plus vulnérables de la société sont des locataires. Ainsi, les inégalités climatiques se reproduisent dans les politiques d’adaptation au climat.
Mme Van Neste propose ensuite quelques portes d’entrée pour discuter de la réduction des inégalités climatiques. Premièrement, la transition socio-écologique mériterait d’être décloisonnée afin que les questions sociales soient davantage prises en compte. La transition socio-écologique demeure dans la plupart des cas un domaine très technique régi par des indicateurs. Les milieux de la transition continuent à parler en termes d’indicateurs très quantitatifs, comme la réduction des gaz à effet de serre ou l’augmentation de la canopée, ce qui tend à réduire les enjeux de la transition. Les questions sociales sont alors peu intégrées dans les politiques.
Un autre sujet mentionné par Sophie Van Neste concerne le financement des organismes communautaires et des projets citoyens. En effet, ce qui permettrait une pleine participation citoyenne et le décloisonnement des milieux serait de mieux financer les expérimentations citoyennes et les milieux communautaires. Leur financement adéquat permettrait de mieux inclure les populations marginalisées dans les décisions qui concernent les milieux de vie et donc d’atténuer les inégalités climatiques. Enfin, il faudrait reconnaître que les infrastructures sociales participent à la réduction des inégalités climatiques. Lorsqu’on pense à l’adaptation aux changements climatiques, il est souvent question de donner plus d’espace à la mobilité active dans les rues, au verdissement, aux parcs éponges, etc. Pourtant, les infrastructures sociales sont des ressources essentielles pour que les communautés puissent prendre soin d’elles et de leur tissu social. On peut penser aux pôles de résilience, aux bibliothèques, aux services de soutien et aux initiatives citoyennes.
Synthèse des tables de discussion
- Quels sont les enjeux actuels ou à venir qui semblent particulièrement sensibles quant à l’aménagement du territoire?
- Quelles sont vos attentes et aspirations pour votre territoire, pour votre milieu de vie ou pour le Québec?
L’enjeu de la vulgarisation
La transition socio-écologique est souvent perçue comme un concept abstrait ou réservé aux spécialistes, ce qui ne facilite pas les processus consultatifs. L’un des défis majeurs nommés pendant ce premier Café des savoirs est de rendre la transition compréhensible, concrète et accessible, afin que chaque citoyen·ne puisse y contribuer.
Afin de rendre la transition socio-écologique accessible, il est important de souligner que celle-ci concerne directement nos milieux de vie, nos choix de société, l’organisation même de nos territoires et qu’elle peut concrètement avoir des retombées positives pour l’ensemble des collectivités. Les retombées positives des projets de transport collectif et de densification permettent par exemple d’améliorer l’accessibilité aux services, de dynamiser la vie sociale et de contribuer à l’économie locale. Trop souvent, ces bénéfices sont mal compris ou peu expliqués, ce qui alimente les résistances et les tensions sociales.
L’enjeu des modes de vie et de la culture qui créent des tensions sociales
Les tensions sociales constituent un autre enjeu. Par exemple, les tensions entre le désir de préserver des terres agricoles et la pression pour construire des logements afin de lutter contre l’itinérance; entre le désir des individus de posséder une grande maison avec cour privée et la nécessité de bâtir des milieux de vie denses; entre certains droits perçus comme acquis et les changements nécessaires en matière d’aménagement du territoire, pensons notamment à redistribuer l’espace pour la mobilité durable et le stationnement. Ces conflits de valeurs touchent à des questions profondes qui viennent complexifier les discussions : notre rapport à la propriété, à la mobilité et au mode de vie souhaité.
Ainsi, les participant·e·s mentionnent que les enjeux locaux sont inséparables des causes systémiques des crises écologiques et sociales que nous vivons. Or, nous n’avons que peu de leviers d’action pour intervenir sur ces enjeux, puisqu’ils sont à des échelles décisionnelles nationales. Nos modes de production et de consommation, structurés autour du consumérisme et d’un usage illimité des ressources planétaires, sont au cœur du problème de notre utilisation du territoire. La culture et les modes de vie américains sont aussi relevés comme étant des enjeux, soit nos façons de nous déplacer, de nous loger, de consommer et d’habiter le territoire. La transition socio-écologique suppose alors des renoncements, ce qui provoque des résistances et de la colère.
Encore une fois, l’enjeu de vulgarisation de la transition socio-écologique est ici crucial, puisqu’il faut déconstruire la perception d’une abondance inépuisable de ressources naturelles et mieux expliciter les retombées positives de ces changements individuels et collectifs.
L’enjeu de la confiance envers les institutions
La question de la confiance envers les institutions est centrale pendant ce premier Café des savoirs. Partout au Québec, on observe un manque de légitimité ou de transparence de la part des populations envers leurs institutions.
De nombreuses municipalités locales se retrouvent pourtant en première ligne pour consulter la population sur des projets majeurs – qu’il s’agisse d’aménagement, de projets énergétiques ou industriels – sans avoir véritablement été impliquées dans leur conception. Elles doivent porter et expliquer des décisions qui leur échappent en partie et ne connaissent pas l’ensemble des paramètres des projets, tout en faisant face à des communautés de plus en plus méfiantes. Cette situation fragilise non seulement le personnel politique local et les fonctionnaires municipaux, mais aussi le tissu démocratique, en plus d’alimenter la polarisation.
Pour reconstruire cette confiance, il est proposé, d’abord, de reconnaître les relations de pouvoir asymétriques et le manque de ressources et de financement dans les petites municipalités. Certaines municipalités qui comptent trois employé·e·s se retrouvent en effet avec d’énormes responsabilités de consultations publiques sur des projets dont elles ne saisissent que très peu les paramètres. Celles-ci ont besoin de ressources, d’expertise et de financement et elles doivent être mieux accompagnées. Il faut ensuite repenser les processus de consultation. Il ne suffit pas de consulter de manière ponctuelle ou de partager de l’information. Il faut aussi débattre et créer une vision collective, créer des espaces de dialogue, de coconstruction et de délibération avec l’ensemble des membres de la société. Cela implique d’écouter activement les différentes perspectives locales, de donner accès à une information claire et accessible et de reconnaître la légitimité des savoirs citoyens.
L’enjeu de créer un lien entre les territoires et les communautés
Face aux défis de la transition socio-écologique, un enjeu fondamental, soulevé à plusieurs reprises, est celui du lien : le lien entre les personnes, entre les communautés, entre les territoires. Sans infrastructures sociales solides, sans espaces de rencontre et de dialogue, il devient difficile de construire une vision collective de l’avenir et d’alimenter une culture de la participation forte.
Les milieux de vie manquent parfois d’espaces où les gens peuvent se croiser, échanger et cohabiter. Les espaces publics tendent à se restreindre, au profit d’offres commerciales et privées, comme les bars et les restaurants, qui demandent de consommer pour y entrer. Pour créer un lien entre les communautés, nous avons besoin de lieux accessibles, inclusifs et bienveillants, comme des bibliothèques, des centres communautaires, des parcs animés, des cuisines collectives ou des pôles de résilience : ce sont ces infrastructures sociales qui permettent aux communautés de se solidariser. Il est donc essentiel de multiplier les tiers-lieux, les espaces autogérés et des lieux d’accueil temporaires pour les situations d’urgence climatiques et sociales (inondations, pannes d’électricité, perte d’un logement).
Les liens entre les territoires sont aussi essentiels à développer via le transport collectif et la mobilité durable. Cette question est d’ailleurs revenue à plusieurs reprises dans l’ensemble des Cafés des savoirs.
Enfin, construire des milieux de vie complets et denses, ce n’est pas seulement une question d’infrastructures physiques. C’est aussi un projet culturel et écologique. Cela signifie des espaces qui intègrent la nature et qui permettent la mixité sociale, fonctionnelle et générationnelle, où il est possible de vivre, travailler et se déplacer à proximité. À l’heure actuelle, les milieux de vie complets sont trop souvent perçus comme des enjeux d’urbanisme et de zonage, ce qui ne permet pas de rendre accessibles ces projets et de créer des visions collectives. Les retombées sociales des projets de densification devraient être davantage explicitées et moins techniques, selon les participant·e·s. Cela ramène par ailleurs à un autre enjeu préalablement énoncé, celui de l’importance de mieux vulgariser les projets qui concernent la transition socio-écologique.
L’enjeu de la participation elle-même
La participation citoyenne est une nécessité. Pourtant, dans la pratique, elle peut être mal comprise. Dans plusieurs municipalités, ce qu’on appelle « consultation » se résume parfois à informer la population d’un projet déjà ficelé, sans possibilité réelle d’influence. Trop souvent, seuls les citoyen·ne·s farouchement opposés à un aspect du projet, ou les plus convaincus, participent. Pour que la participation citoyenne ait du sens, elle doit reposer sur des espaces bienveillants, ouverts à la discussion, où l’on reconnaît les différents savoirs, les tensions, les désaccords, et surtout où la possibilité de coconstruire une vision collective est possible.
Un autre problème majeur concerne les inégalités dans les capacités de participation. On consulte les populations locales sur des projets techniques, comme le zonage ou l’urbanisme, alors que des projets industriels ou miniers, aux impacts majeurs et souvent décidés à l’extérieur du territoire, échappent aux processus locaux. Cette dynamique ralentit la transition socio-écologique au lieu de la renforcer. Elle met aussi une pression énorme sur les petites municipalités, souvent peu outillées, avec très peu de personnel et des ressources financières dérisoires. Ces territoires se retrouvent pourtant en première ligne pour dresser un cadre ou répondre à des projets qui dépassent largement leur capacité d’action.
Certaines de ces municipalités, situées aux frontières de territoires protégés et encore peu abimés par l’être humain et l’extractivisme, deviennent alors des gardiennes de ces espaces. Mais elles sont sous-financées pour jouer ce rôle, manquent d’outils et de capacités. Renforcer les capacités de participation, c’est donc aussi renforcer les rôles, les pouvoirs et le financement des municipalités et des MRC. Cela suppose de reconnaître leurs droits et leurs responsabilités et de définir une vision de développement pour leur territoire, et pas seulement de réagir à des projets déposés par le gouvernement provincial ou des promoteurs privés. Cela suppose aussi une meilleure formation des fonctionnaires aux pratiques participatives : la participation, ce n’est ni une séance d’information ni une stratégie d’adhésion, c’est un processus politique lent et parfois inconfortable, mais essentiel.
Café des savoirs 2 – État de la situation et diagnostic : quels sont les problèmes que nous voulons régler en matière de participation publique et d’aménagement du territoire?
Face à la multiplication des démarches de participation se pose l’enjeu de s’outiller ensemble pour tenir des discussions parfois difficiles lorsqu’il s’agit d’accueillir une plus grande diversité de personnes lors de démarches de participation publique, en particulier celles concernant les défis climatiques et la crise de l’habitation. À cela s’ajoutent d’autres enjeux. Au début de ces deux journées de réflexion, un sondage a été soumis aux participant·e·s, notamment pour connaître leur lieu de résidence. Les résultats ont montré que 71 % viennent des pôles métropolitains, 19 % des grandes municipalités et une minorité de petites municipalités ou zones rurales. Les municipalités de petite et moyenne taille ainsi que les municipalités rurales possèdent moins de ressources, ce qui limite leurs capacités à consulter sur une diversité de sujets. Par ailleurs, les démarches participatives ont davantage lieu dans les grandes municipalités. L’avis des participant·e·s a également été sollicité sur les démarches de participation utilisées pour aborder les enjeux touchant les changements climatiques et la crise du logement. Les réponses indiquent que celles-ci sont limitées, ponctuelles, incomplètes, rigides et imprécises. À l’inverse, les démarches qui ont été nommées comme les plus porteuses sont celles qui permettent d’aller au plus près de la population citoyenne, qui favorisent la coconstruction, la planification participative, la délibération, la consultation en amont et qui se réalisent à long terme.
Introduction des panélistes
Sébastien Parent-Durand, directeur général, Alliance des corporations d’habitations abordables du territoire du Québec (ACHAT)
ACHAT est un regroupement d’OBNL en habitation qui vise à soutenir et opérer le changement d’échelle en habitation à but non lucratif, par la création de solutions innovantes, partant du logement social pour les classes les plus vulnérables jusqu’aux logements pour la classe moyenne. ACHAT défend la cible de 20 % de logements à but non lucratif. Avant de travailler chez ACHAT, Sébastien Parent-Durand a travaillé pour l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.
Pour aborder les défis actuels de la participation, il propose deux images : d’un côté, celle de manifestations citoyennes, pour le droit au logement, organisées par le FRAPRU, où les individus se sentent particulièrement impuissants face à la crise du logement et n’arrivent pas à participer à la définition d’une solution pour vivre dans des milieux de vie ouverts, abordables et inclusifs; et d’un autre côté, l’image d’une famille qui vit dans un milieu de vie complet, ou dans un projet d’habitation à but non lucratif ou privé où elle est tranquille, zen et unie.
Lorsqu’ils ne se sentent pas impuissants, les villes et les citoyen·ne·s se sentent mal outillés et manquent de temps pour prendre part à des démarches participatives ou les organiser. Pour contrer ces enjeux, il faut réfléchir aux zones de participation et aux attentes de partage de responsabilité en matière de participation. En ce sens, Sébastien Parent-Durand défend l’importance de la collaboration entre des organisations parapubliques ou d’économie sociale et les municipalités ou arrondissements. Il prend l’exemple d’un projet de verdissement d’un stationnement, impliquant des citoyen·ne·s, et organisé par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal en collaboration avec Sentier urbain et l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM). Reçue avec succès, cette démarche a été rendue efficace, selon Sébastien Parent-Durand, parce que l’OMHM a été positionné en tant qu’intermédiaire des citoyen·ne·s.
D’autres solutions existent et Sébastien Parent-Durand termine sa présentation en abordant l’exemple du règlement adopté par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, il y a quelques années, qui obligeait les promoteurs de projets d’habitation à consulter le voisinage avant de développer un projet. Si ce nouveau cadre réglementaire pouvait créer des frictions entre acteurs, il a eu l’avantage de stimuler le dialogue autour des enjeux de logement.
Andréanne Paris, directrice générale, Conseil régional de l’environnement de la Montérégie
Les conseils régionaux de l’environnement (CRE) sont présents dans chaque région du Québec et possèdent un mandat de concertation en environnement et d’accompagnement de projets innovants, comme les tables de l’environnement et du développement durable. Andréanne Paris commence sa présentation en appelant à accentuer la concertation sur les enjeux environnementaux et climatiques, tout en portant un regard critique sur la multiplication des occasions de participer. Au niveau des MRC existent les plans climat, les plans d’adaptation aux changements climatiques et de réduction des GES. Dans les régions, il y a eu les plans régionaux de protection des milieux humides. Les schémas d’aménagement arrivent bientôt. Face à la multiplication des occasions de participer, Andréanne Paris pose la question suivante : est-ce que chaque milieu, qu’il soit économique, touristique ou citoyen, se sent interpellé par tous ces événements? Est-ce que le grand public n’est pas également épuisé d’aller à toutes ces consultations? Ce sont souvent les mêmes personnes qui sont mobilisées et motivées à participer. De plus, entre ces différents plans et schémas, on retrouve régulièrement des manques de cohérence et de vision, qui ont tendance à démobiliser et désengager les individus. Par exemple, le plan d’aménagement et de développement de la communauté métropolitaine de Montréal a désigné certains secteurs apparentés pour répondre à des objectifs environnementaux ambitieux et à des aménagements axés sur le transport en commun (communément appelés projets TOD). Le défi est d’atteindre une vision commune et cohérente, une action rassembleuse et cohésive.
Un autre enjeu soulevé par Andréanne Paris est celui du langage. A-t-on besoin de tenir une consultation pour chaque document de planification? Ne serait-il pas plus indiqué de regrouper plusieurs thématiques, comme celle de la résilience, et de mobiliser différents publics cibles pour aborder ce thème dans le cadre de plusieurs rencontres? Les villes sont aux prises avec 75 % des défis en matière de climat et ceux-ci ne peuvent pas être résolus par l’administration municipale seule. Les partenariats sont importants pour mobiliser les organisations du milieu dès le départ et il est essentiel de trouver le langage pour les rejoindre. Les organismes comme les CRE multiplient la tenue d’événements ciblés, auxquels peu d’individus participent. Il est important de créer des espaces de dialogue et d’aller à la rencontre des gens plutôt que d’inventer de nouvelles formes de participation. Trouver des organismes partenaires capables de rejoindre les individus qui vivent les effets des enjeux climatiques et environnementaux, mais qui n’ont pas le temps de participer aux consultations est un enjeu d’inclusion, dont la résolution permettrait également de répondre à l’enjeu de l’épuisement.
Adam Mongrain, directeur – Habitation, Vivre en Ville
Adam Mongrain oriente sa présentation sur les problèmes les plus compliqués qu’il a pu observer dans son travail. Il commence par prendre l’exemple d’une de ses connaissances qui habite à Toronto et qui est un abonné des consultations publiques. Il va, peu importe le quartier ou le secteur d’habitation de la grande région de Toronto, avec son organisation, The Future Resident Association, présenter ce qu’il aimerait voir s’y développer. La participation de cet individu est-elle légitime même s’il ne réside pas dans le quartier consulté pour le projet? La réponse est oui. Cela amène Adam Mongrain à aborder les enjeux que pose l’une des principales formes de participation à l’échelle municipale, celle des élections.
Lors des élections, ce sont les résident·e·s du territoire qui ont le droit à la parole. Il y a cependant deux problèmes avec les élections qui rendent le système de participation particulièrement difficile. Le premier est que les élections sont à somme nulle : il y a toujours une personne gagnante et une qui est défaite. Ce type d’espace ne favorise pas le sens commun, le dialogue ou la concertation. Le second problème est que la personne qui se présente n’est pas représentative de l’ensemble de la population. À l’échelle municipale, ce sont les propriétaires qui forment le bassin électoral. Ce qui est le plus déterminant dans le tournant municipal est le stock immobilier, quand il prend beaucoup de valeur en comparaison aux villes limitrophes, les conseiller·ère·s municipaux sont presque systématiquement réélus, peu importe leur orientation partisane. Sur le sujet de l’habitation, protéger et faire augmenter la valeur du stock immobilier est ainsi une préoccupation centrale des élu·e·s et candidat·e·s aux élections, et les personnes qui s’expriment dans ce modèle de participation sont majoritairement celles qui partagent ce point de vue. Face à ces constats, Adam Mongrain pose les questions suivantes : est-ce que l’échelle municipale est cohérente pour organiser une transition à l’échelle des enjeux vécus? Quels mécanismes donneraient plus de voix et de poids à d’autres personnes et d’autres endroits?
Synthèse des tables de discussion
- Comment s’articulent les dispositifs de participation publique avec ces différents enjeux?
- Quels sont les changements à apporter aux dispositifs de participation pour envisager la transition socio-écologique?
L’enjeu des ressources
Les municipalités manquent de ressources financières et humaines et de compétences pour solliciter la participation publique, en particulier les petites et moyennes municipalités. Les municipalités de petite taille comptent peu de journalistes sur place pour publier l’information. Pour s’assurer d’avoir des participant·e·s, elles doivent faire l’effort de diffuser au maximum les invitations. Les consultations y sont plus ponctuelles. Elles font également face à l’enjeu d’une proximité qui limite l’anonymat individuel, favorisent les conflits et l’autocensure (phénomène de fidélité familiale). Pour ce type de milieu, les comités citoyens sont des opportunités pour créer des engagements à plus long terme. La question des ressources se pose également sur le plan du savoir-faire. Les municipalités manquent de financement pour former l’argumentaire des organisations et citoyen·ne·s présents aux consultations de façon régulière et systématique. Elles manquent aussi de marge de manœuvre concernant certains sujets comme celui du logement, menant les municipalités à s’en tenir au minimum recommandé par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Le droit de la propriété se confronte au droit collectif. Il est important de faire comprendre aux villes que les processus consultatifs sont aussi importants, voire plus, que les résultats : ils sont en eux-mêmes des ressources. Ils sont aussi parfois déjà présents au sein d’organismes communautaires en attente de reconnaissance et d’intégration à des démarches plus formelles.
L’enjeu de l’institutionnalisation
Il est important d’insuffler, auprès de la population, des fonctionnaires et des élu·e·s, une culture de la participation qui dépasse la question du référendum d’initiative citoyenne. Actuellement, il y a un décalage entre les échelles municipales dans leur capacité à institutionnaliser la participation publique. L’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) et l’Office de participation publique de Longueuil (OPPL) sont des institutions qui favorisent une participation indépendante, mais qui n’existent qu’au sein des grandes municipalités. Des guides de participation pourraient exister. La participation fait aussi partie de la vie intérieure d’une institution. Cependant, les comités institutionnels n’ont pas forcément l’obligation de consulter d’autres comités. Par exemple, les conseils des maires n’ont pas l’obligation de consulter les conseils municipaux et cela produit des désorganisations et des pertes de confiance envers l’institution et au sein de celle-ci. Les liens entre MRC et municipalités ne sont ainsi pas toujours réalisés (« entre-soi mayoral » vs « instance fantôme ») et cela limite l’incitation à la participation à ces différentes échelles. À l’échelle provinciale, les modes de participation publique sont pratiquement inexistants. L’enjeu de l’institutionnalisation soulève aussi celui de la codification parfois trop rigide et faiblement adaptable à une diversité de contextes. Il est important d’encadrer sans trop codifier. Actuellement, il n’existe pas assez d’obligations à la participation; sans obligations, les personnes chargées de la participation se confrontent au manque de volonté et d’expertise des élu·e·s et des acteurs locaux. Il est crucial de former ces acteurs à la participation publique, mais cela doit aussi s’accompagner de changements réglementaires locaux et provinciaux.
L’enjeu de la collaboration
La responsabilité de la participation publique repose beaucoup sur les municipalités et peu sur d’autres échelles de gouvernement. Les échelles provinciales et fédérales devraient être intégrées aux discussions, tout comme les acteurs du milieu économique. De plus, il est important de mobiliser les groupes et organismes du milieu préexistants et de se diriger vers les bons acteurs du milieu, ceux avec un réseau diversifié, ancré, connu, et ceux portant les voix de populations sous-représentées. Ces groupes permettraient d’aider à mobiliser les différents acteurs. Jumeler les enjeux permettrait aussi de mobiliser davantage de parties prenantes tout en évitant leur sursollicitation. Il faut donc favoriser l’interdisciplinarité, l’interconnexion entre sujets et mettre fin au cloisonnement. De plus, le citoyen doit être vu comme un collaborateur plutôt qu’un client; c’est pourquoi il importe de demander au citoyen comment il veut être consulté en diversifiant les outils de communication, de sensibilisation et de participation. Collaborer exige d’avoir accès à des informations réelles et de qualité qui permettent à chaque partie prenante une compréhension réciproque de l’autre, de ses enjeux et contraintes. Des méthodes existent pour partager cette information, à l’exemple de simulateurs budgétaires. Finalement, la collaboration peut être facilitée par une réduction de la rigidité des outils et méthodes utilisés et par une augmentation de la créativité et de la flexibilité. Souvent réduite face au risque de conflits ou d’incompréhension entre acteurs, la participation peut également être favorisée en creusant et décortiquant collectivement les raisons qui sous-tendent les oppositions et conflits.
L’enjeu de la représentativité et de l’intégration des générations futures
Les démarches de participation accueillent souvent les mêmes personnes et les comités organisateurs se butent au manque de représentativité et à la difficulté de mobiliser d’autres citoyen·ne·s. Il est important aujourd’hui d’accorder un poids collectif plus grand aux générations futures et à la jeunesse dans les processus consultatifs. Il faut davantage de comités consultatifs d’urbanisme composés d’élu·e·s et de citoyen·ne·s dans lesquels la jeunesse est représentée par au minimum un·e représentant·e ou un·e commissaire aux générations futures. Pour rejoindre les populations plus jeunes, il importe d’utiliser leurs outils et moyens de communication.
L’enjeu des temporalités
La participation publique doit concilier différents rythmes : celui de l’action quotidienne et des enjeux récurrents sur le terrain avec celui de la planification. Le travail collectif se fait sur une temporalité plus longue que celle des temporalités électorales. Il faut donc réfléchir à des mécanismes permanents et à long terme, à l’exemple des assemblées citoyennes. Créer des espaces de dialogue échelonnés dans le temps favorise leur appropriation citoyenne, mais pose l’enjeu de leur appropriation partisane. Par conséquent, créer des barrières permettrait d’éviter ce risque. L’enjeu des temporalités ouvre aussi ceux de la capacité à se projeter dans le futur et du développement de méthodes prospectives permettant d’anticiper l’avenir sur une échelle de plusieurs décennies et de projeter les démarches de participation au sein de ces temporalités : comment imaginer nos territoires et milieux de vie à partir du vécu quotidien? La confiance ne se construit pas en un jour et il est important de prendre le temps nécessaire.
L’enjeu de la déconcentration des pouvoirs et du suivi
Le grand public se retrouve souvent frustré devant le peu d’impact de sa participation, alors qu’il a été sursollicité pour participer. Comment les mécanismes de participation peuvent-ils permettre un plus grand partage de pouvoir avec les citoyen·ne·s? Actuellement, on n’accorde qu’une mince latitude à la participation dans le cadre des projets. Il est important de ramener la participation publique et les projets à la dimension de la population citoyenne. Pour cela, il serait pertinent de la consulter sur la vision plutôt que sur l’application, donc de consulter bien plus en amont que ce qui est le cas aujourd’hui. Déconcentrer les pouvoirs implique de former des comités de suivi ou des conseils citoyens chargés de suivre l’élaboration de plans climat, de schémas d’aménagement et de projets, ce qui favoriserait la confiance des participant·e·s et désamorcerait les irritants causés par le faible impact de leur participation. Les gouvernements sont redevables envers les personnes qui participent. Créer des comités citoyens, des assemblées citoyennes représentatives avec des processus de tirage au sort et des offices de consultation aux échelles des municipalités ou des MRC sont des mesures proposées par un grand nombre de tables pour répondre à la fois aux enjeux de partage de pouvoir, de suivi et de représentativité.
Café des savoirs 3 – Les pistes de solutions : comment peut-on réformer adéquatement le cadre légal et institutionnel?
La participation publique, en contexte municipal, apparaît à la croisée de plusieurs tensions : entre l’ambition démocratique et les contraintes administratives, entre les principes énoncés dans les cadres légaux et leur mise en œuvre réelle, entre la volonté de transformation des pratiques et la stabilité des dispositifs existants. Les interventions réunies dans cette discussion éclairent les multiples dimensions de ces tensions, en mettant en évidence la nécessité de repenser les mécanismes participatifs à partir de l’expérience des territoires.
Au-delà des outils, c’est la place même de la participation dans l’action publique qui est interrogée. La question n’est plus seulement de consulter, mais de reconnaître un droit à participer, qui suppose des conditions politiques, institutionnelles et culturelles. Cela implique à la fois un ancrage plus fort des dispositifs dans les milieux locaux, une capacité à agir en amont des décisions et une reconnaissance du savoir-faire démocratique comme compétence à développer.
Trois axes structurent les réflexions qui suivent : d’abord, la possibilité d’institutionnaliser une participation indépendante, crédible et porteuse de transformation; ensuite, les limites d’un encadrement légal qui oscille entre incitation et dissuasion; enfin, l’idée que la participation n’est pas qu’un outil, mais une culture à construire, où la parole citoyenne devient levier de désirabilité territoriale. À travers ces perspectives, c’est une vision renouvelée de la démocratie locale qui se dessine — plus ouverte, plus réflexive, mais aussi plus attentive aux réalités différenciées des territoires.
Introduction des panélistes
Julie Caron-Malenfant, présidente, Office de participation publique de Longueuil (OPPL)
Julie Caron-Malenfant présente le modèle de l’OPPL comme une solution prometteuse, mais encore peu répandue dans l’écosystème municipal québécois. Pour généraliser sa mise en place, du courage et un certain « lâcher-prise » de la part des élu·e·s seront nécessaires. Créée par la Ville et relevant directement de sa charte, l’OPPL est une instance indépendante (et non une organisation distincte avec personnalité juridique) qui succède au Bureau de l’environnement et du développement durable. Cette indépendance est cruciale pour garantir un dialogue réel et non biaisé avec les citoyen·ne·s. On retrouve même ce modèle au palier provincial; certains organismes de conseil y recourent en effet, bien que celui-ci tende à disparaître.
L’OPPL reçoit ses mandats du conseil municipal, mais garde l’autonomie complète quant à la manière de consulter et à la restitution des propos recueillis, sans filtre politique. Par exemple, une fois que le mandat est donné, la Ville n’a plus aucun droit de regard. Ainsi, les rapports produits sont publics et reflètent fidèlement les propos, positifs comme négatifs, des citoyen·ne·s et parties prenantes du territoire. Outre cette organisation favorisant l’indépendance, un type de retranscription neutre est utilisé. Madame Caron-Malenfant plaide pour une reproduction de ce modèle dans d’autres villes, tout en reconnaissant que les petites municipalités n’en auront peut-être pas les moyens. Il s’agit d’un outil puissant, qui n’est pas nécessairement plus coûteux que les services externes. Il permet de développer une expertise interne en participation. Enfin, elle insiste sur les gains en efficacité démocratique et en connaissance fine du territoire obtenus en seulement trois ans d’existence de l’Office. Selon elle, le dispositif a permis de consolider le lien de confiance avec la population. La démocratie mérite qu’on la renforce, plutôt que de la laisser s’effriter.
Ghislain Brisson, conseiller aux politiques, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH)
Ghislain Brisson aborde les défis d’un encadrement juridique de la participation citoyenne dans le cadre municipal, à partir de son expérience de réforme législative au MAMH. Son travail consiste à modifier les lois municipales afin de répondre aux enjeux et à établir les orientations du gouvernement. Son apport provient de sa connaissance de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU). L’une des dimensions importantes de cette loi relève de l’exercice de la traduction en obligation légale en matière de participation. Si la participation est un art en soi, en étant ancrée dans le relationnel, à l’inverse, la loi est formelle et liminale.
Monsieur Brisson souligne la complexité de traduire des pratiques participatives sensibles et relationnelles en normes juridiques rigides. Il illustre cette tension par le cas du régime d’exception de 2017, qui permettait aux municipalités de remplacer l’approbation référendaire par une politique de participation citoyenne. La décision revenait à chaque administration municipale. Les grands principes qui allaient guider ces règles ont été codifiés en amont par un groupe de travail multipartite, partant d’un rapport contenant 15 critères pour ensuite édicter le règlement. Seulement, les résultats ont été mitigés. Seules six municipalités ont adopté ce régime du port de la charge de la participation en sept ans. Monsieur Brisson rend compte de deux constats. Le premier constat relève de la lourdeur du cadre réglementaire qui a découragé plusieurs municipalités, qui ont préféré conserver les référendums. Le second constat montre que certaines municipalités ont volontairement adopté les critères dans leurs politiques internes sans chercher à obtenir d’exemption, démontrant ainsi une volonté d’amélioration autonome plutôt que réglementaire. Ce cas met en lumière la tension entre l’ambition démocratique et la réalité administrative et politique. L’intervenant termine en lançant un défi collectif : comment rendre les exigences légales de participation publique réellement significatives et applicables sur le terrain?
Malorie Flon, directrice générale, Institut du Nouveau Monde (INM)
L’INM est un organisme indépendant voué à la participation citoyenne et participant au chantier de réforme de la LAU, lancé par le MAMH. Cette réforme touche notamment la participation publique en urbanisme et l’approbation référendaire. Pour Malorie Flon, il y a une nécessité de renforcer la participation citoyenne, notamment en amont des projets (au stade de la planification). Elle fait également le constat de la reconnaissance d’un consensus social sur la nécessité de réforme du processus référendaire. Enfin, selon elle, les principes de bonne participation, notamment aux étapes de la planification (transparence, influence réelle, information complète), existent déjà dans la loi, mais leur mise en œuvre demeure un défi.
Elle pose quatre grands questionnements. D’abord, concernant le cadre légal minimal pour la consultation, on peut se demander si les formes actuelles (p. ex., les assemblées publiques) sont adéquates. De plus, comment concilier exigences légales minimales et flexibilité des pratiques participatives (cocréation, design participatif)? Deuxièmement, doit-on maintenir, adapter ou abolir la réforme du processus référendaire? Et faut-il exclure certains projets d’intérêt collectif (p. ex., le transport collectif) pour favoriser la transition socio-écologique? Le troisième questionnement concerne l’uniformité ou l’adaptation des exigences. Est-il réaliste d’appliquer les mêmes règles partout? Et faut-il établir une distinction selon la taille des municipalités et la nature des projets? Pour finir, au sujet de la concrétisation des principes participatifs, la loi contient déjà des principes clés; comment aller plus loin? Et ne faut-il pas plutôt miser sur le développement du savoir-faire, la formation et le soutien aux milieux pour renforcer la qualité du dialogue et de la participation?
Michel Rochefort, urbaniste et professeur au Département d’études urbaines et touristiques, UQAM
Michel Rochefort interroge la participation publique non comme simple procédure, mais comme levier de transformation des modes de vie et de désirabilité territoriale. L’intervenant établit plusieurs constats. Le premier est relatif à la mutation du rôle de l’aménagement. Il met de l’avant le passage d’un urbanisme fonctionnel (répartition des usages) à un urbanisme des modes de vie (mobilité, habitat, consommation, etc.). L’aménagement oriente aujourd’hui les comportements et styles de vie : « Habitez dans des condos », « Utilisez le vélo », etc. La désirabilité devient centrale : comment rendre désirable un mode de vie planifié? Le second constat concerne les limites du modèle de participation actuel (LAU). Trop de projets sont figés en amont, laissant peu de place à la parole citoyenne. La population n’intervient souvent que sur des détails (couleur des balcons, végétation). Le processus référendaire, bien que démocratique, peut être instrumentalisé ou bloquer des projets d’intérêt public. Le troisième constat porte sur le cas de la densité urbaine. La densité est passée de moyen à objectif. Or, la densité n’est ni socialement ni écologiquement vertueuse en soi. Il y a une nécessité de travailler sur son acceptabilité sociale et sa désirabilité collective.
Michel Rochefort formule trois questions à la suite de ces constats :
- Le modèle actuel de la LAU permet-il une véritable participation transformatrice?
- L’acceptabilité sociale peut-elle faire émerger une citoyenneté active ou reste-t-elle un habillage?
- Comment penser une culture de la planification en amont pour sortir de la logique de gestion de conflits?
Michel Rochefort propose des éléments de réponse. Selon lui, il faut mobiliser les leviers déjà existants de la LAU tels que l’activation de l’article 80.8 pour une planification préliminaire optionnelle ou encore la mise de l’avant des plans directeurs et des schémas d’aménagement proactifs. Il faut également redéfinir et clarifier les notions clés, comme la notion de milieu de vie, aujourd’hui floue, et construire une vision partagée du territoire avec les citoyen·ne·s. On peut aussi ouvrir les instances de décision en rendant publics les travaux des comités consultatifs d’urbanisme (CCU) et permettre un accès citoyen aux délibérations. L’intervenant termine en soulignant qu’il ne faut pas craindre le référendum. Il peut signaler un besoin de dialogue plutôt qu’un échec. De plus, travailler la qualité des consultations pourrait permettre de mieux outiller le débat public.
Synthèse des tables de discussion
- Quels sont les ajustements nécessaires à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ou aux outils légaux de participation pour faire face aux défis actuels?
- De quelles manières la LAU devrait-elle être revue pour faire face aux défis actuels?
L’enjeu du renforcement démocratique
Un premier enjeu touche au renforcement de la démocratie locale, notamment à travers une meilleure structuration des démarches de consultation publique à l’échelle des municipalités régionales de comté (MRC). Cela passe par une clarification normative dans la LAU, afin de préciser les obligations de consultation en fonction des types de projets, comme les programmes particuliers d’urbanismes (PPU) ou les schémas d’aménagement. Cette clarification devrait également réduire la place actuellement accordée aux normes dérogatoires en instaurant des normes de plein droit applicables à l’ensemble du territoire, renforçant ainsi l’universalité et la prévisibilité des processus participatifs.
Le renforcement de la démocratie locale passe également par une clarification du rôle des MRC, qui pourraient assumer des responsabilités accrues en matière de consultation publique, plutôt que d’être cantonnées à un rôle d’animation ou de soutien. Les MRC pourraient ainsi devenir de véritables actrices de la gouvernance territoriale.
La proposition d’une charte de civilité numérique, destinée à encadrer les échanges entre citoyen·ne·s et élu·e·s sur les médias sociaux, vient appuyer cette volonté de structurer un dialogue respectueux. Cette charte gagnerait à s’ancrer dans une étiquette de civilité virtuelle commune à l’ensemble du Québec, établissant des règles claires pour les échanges avec les élu·e·s, notamment dans l’espace numérique. De plus, les démarches dites « volontaires » gagneraient à être bonifiées, en renforçant les mécanismes de dialogue avec la population.
L’enjeu des exigences de participation
Un second enjeu réside dans la nécessité de moduler les exigences de participation selon la nature des projets. Actuellement, la LAU prévoit une assemblée publique unique, peu adaptée à la diversité et à la complexité des initiatives. Il est donc proposé d’adapter les formes de participation – qu’il s’agisse de schémas d’aménagement, de plans climat ou de projets particuliers d’urbanisme – en fonction de leur portée et de leurs effets. Toutefois, cette modulation suppose un soutien financier adéquat, sans lequel l’adaptation des processus resterait théorique.
La participation doit également être pensée comme un droit à part entière. Le droit de participer est envisagé ici comme un droit social, ouvrant la porte à des dispositifs innovants, tels qu’un congé de participation citoyenne, à l’image des congés pour thérapie ou participation à un jury. Cette reconnaissance permettrait de mieux articuler les fonctions de la participation, qui peut servir d’outil de vision collective, et le référendum, d’outil d’arbitrage. Dans cette perspective, il est aussi suggéré d’ajouter des mécanismes de médiation en amont des référendums afin de prévenir les conflits et de favoriser les solutions concertées. À ce droit s’ajoute celui de l’initiative citoyenne, qui pourrait être consolidé par l’élargissement de modèles inspirants, comme celui de Montréal, où une pétition réunissant suffisamment de signatures déclenche automatiquement une consultation. Cet outil permettrait de stimuler un usage plus proactif du droit de consultation, en redonnant aux citoyen·ne·s une capacité d’action directe sur les projets publics. Parallèlement, certains territoires expérimentent d’autres formes, comme le retrait volontaire du processus référendaire au Plateau-Mont-Royal, pour privilégier une négociation directe avec la population. Ce type d’initiative appelle toutefois un encadrement formel, afin de garantir la légitimité démocratique tout en permettant l’innovation institutionnelle.
Le développement d’une véritable culture de la participation constitue un autre enjeu majeur. Cela exige des ressources humaines et financières soutenues, particulièrement dans les milieux ruraux ou moins bien dotés. Il s’agit également de favoriser une éducation à la participation dès le plus jeune âge, en intégrant ces apprentissages au parcours scolaire. La création de communautés de pratique réunissant élu·e·s, professionnel·le·s et citoyen·ne·s contribuerait aussi à renforcer les compétences et la confiance mutuelle entre les acteurs. Plusieurs démarches gouvernementales, telles que les consultations estivales sur invitation restreinte, illustrent les limites d’un modèle trop formel ou tardif. Une véritable culture de la participation exige de renforcer les étapes en amont, là où les marges de discussion sont encore ouvertes.
Dans les zones de transition énergétique, la participation publique prend une dimension stratégique. Face à la multiplication de projets miniers, forestiers ou éoliens, il devient urgent de moderniser les schémas d’aménagement pour intégrer les usages du territoire et les voix citoyennes de manière efficace. Cela permettrait de prévenir les tensions et d’assurer une planification plus juste et durable. Les grandes villes, de leur côté, disposent parfois de pouvoirs particuliers, comme la possibilité d’exclure certains projets (p. ex., les logements sociaux) du processus référendaire. Une généralisation de ces pouvoirs est envisagée pour l’ensemble des municipalités, à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la consultation publique, qui doit rester obligatoire en amont.
L’enjeu de la reconnaissance des acquis démocratiques
Enfin, l’ensemble de ces propositions s’inscrit dans un enjeu plus large de reconnaissance des acquis juridiques et démocratiques. Il s’agit de bâtir sur l’héritage légal existant, comme le règlement BN16 ou les pratiques des CCU, tout en réaffirmant que la participation publique constitue un droit humain fondamental, reconnu par de nombreux cadres internationaux. C’est à cette condition que pourra s’enraciner une démocratie locale plus inclusive, légitime et adaptée aux défis contemporains.
Café des savoirs 4 : Innover et sortir des sentiers battus : quels dispositifs participatifs pour la transition vers un avenir durable?
Face aux défis de la transition écologique et sociale, les dispositifs de participation citoyenne connaissent une effervescence renouvelée, marquée à la fois par des expérimentations locales audacieuses et par des limites structurelles persistantes. Loin de constituer un simple outil de consultation, la participation devient ici un terrain de transformation politique, où s’articulent les enjeux de gouvernance, de justice sociale et d’imaginaires collectifs.
À travers des contextes variés — de la ruralité aux grandes villes, des institutions formelles aux initiatives citoyennes — se dessine une volonté partagée de redonner sens à l’action démocratique. La participation y est envisagée non seulement comme une modalité de gestion, mais comme une pratique vivante, enracinée dans les territoires, capable de renforcer le pouvoir d’agir collectif. Elle repose sur la création d’espaces accessibles, ancrés dans la réalité des milieux, où l’apprentissage, le débat et le conflit ne sont pas des obstacles, mais des conditions d’une démocratie en mouvement.
Trois grandes tensions traversent les réflexions qui suivent : d’une part, celle entre les formes instituées de la participation et l’exigence de renouvellement démocratique porté par la société civile; d’autre part, celle entre inclusion réelle et reproduction d’inégalités dans l’accès au débat; enfin, celle entre les contraintes du court terme et la nécessité de penser collectivement des trajectoires de long terme à l’échelle des territoires.
En somme, il s’agit ici de comprendre comment la participation citoyenne, loin d’être une simple procédure, peut devenir une force transformatrice à la hauteur des défis contemporains — à condition de repenser ses finalités, ses formes et les alliances qui la rendent possible.
Introduction des panélistes
Philôme La France, maire, Petit-Saguenay
Philôme La France fait état du contexte local de sa municipalité qu’il qualifie de « petite municipalité » avec sa population de 630 personnes. Il fait part d’une perspective rurale où la participation est à la fois plus directe et informelle. Petit-Saguenay s’inscrit dans un long historique où la participation publique se réalise avec ferveur depuis les années 1980. Outre cette volonté et cet engouement citoyens, la participation reste plus facile à mobiliser dans un petit milieu. Il est aisé de regrouper les citoyen·ne·s et lorsque 100 personnes se présentent dans la salle, la notion de représentativité prend tout son sens.
Ensuite, Monsieur La France présente l’approche de la participation citoyenne à Petit-Saguenay. Une politique de participation citoyenne a été instaurée en 2023, afin de formaliser des pratiques anciennes et d’en introduire de nouvelles. La municipalité insiste sur l’information et la transparence comme piliers de la démocratie participative en comparaison avec celle de la municipalité voisine de L’Anse-Saint-Jean, où un manque de transparence génère de la méfiance. Par exemple, à Petit-Saguenay, des consultations sont réalisées pour toute décision importante, en étant souvent intégrées à des événements ludiques ou communautaires existants. Monsieur La France explique également les dispositifs participatifs spécifiques, qui sont des consultations prébudgétaires, par la diffusion d’un document explicatif du budget accompagné de questions ouvertes. Il existe également des commissions municipales qui intègrent des élu·e·s, des employé·e·s municipaux et des citoyen·ne·s pour cogérer différents domaines de la vie municipale. Enfin, la mairie prévoit un budget participatif, qui représente 50 % du budget de développement, parfois confié à des acteurs comme l’école primaire pour éduquer à la démocratie.
Philôme La France termine sa présentation par une réflexion critique et politique. La participation n’est pas automatiquement démocratique parce qu’elle évoque les risques d’élitisme ou de domination de certains groupes. Il souligne l’importance du leadership politique : la volonté d’élu·e·s engagés est cruciale pour faire avancer les pratiques de participation.
Bertrand Fouss, co-coordonnateur général, Transition en commun
La démarche de Transition en commun s’inscrit dans une volonté de transformation socio-écologique fondée sur la coconstruction de solutions entre citoyen·ne·s, organismes, scientifiques et fonctionnaires. Elle repose sur l’idée qu’aucune évolution véritable ne peut se faire sans alliance entre différents acteurs et sans la construction d’une vision commune. Cette collaboration intersectorielle est pensée non seulement comme une méthode de travail, mais comme une véritable compétence politique, un levier essentiel pour amorcer des changements structurels durables.
Au fil de deux années d’expérimentations, plusieurs mécanismes ont été mis en place pour renforcer cette dynamique. La coconstruction, d’abord perçue comme une culture à développer, a progressivement donné naissance à une capacité collective à travailler ensemble. L’un des dispositifs phares de cette approche est l’intégration du tirage au sort dans des instances participatives, comme l’Assemblée du futur, qui donne un véritable pouvoir de recommandation à des citoyen·ne·s sélectionné·e·s aléatoirement. Ce mode de gouvernance partagée a permis de mobiliser des groupes jusque-là peu impliqués et d’enrichir le dialogue démocratique.
En parallèle, le chantier pour une démocratie montréalaise a été lancé afin de renouveler les pratiques démocratiques locales et d’affirmer un leadership politique dans l’innovation démocratique. Cette réflexion s’est nourrie d’échanges avec d’autres territoires québécois, notamment à travers le mouvement Multitudes, qui promeut le partage du leadership territorial. Ainsi, les démarches lancées à Montréal ne sont pas isolées, mais s’inscrivent dans un réseau d’alliances structurantes à l’échelle du Québec.
Au cœur de cette vision se trouve la conviction que la transition ne pourra s’opérer sans renforcer la capacité collective à dialoguer, à imaginer l’avenir ensemble et à agir dans une logique de solidarité territoriale. La démocratie, pour être à la hauteur des défis écologiques, doit donc se réinventer à travers des pratiques inclusives, équitablement distribuées et résolument tournées vers l’avenir.
Véronique Fournier, directrice générale, Centre d’écologie urbaine
La transition écologique appelle une démocratie transformatrice, capable de dépasser les limites des dispositifs participatifs traditionnels. Trop souvent, ces démarches se heurtent à des logiques d’instrumentalisation ou à des procédures formelles sans impact réel sur les décisions majeures. Dans cette perspective, il ne s’agit plus simplement de multiplier les espaces de participation, mais de repenser en profondeur les conditions qui rendent ces dispositifs véritablement porteurs de changement.
Un des premiers enjeux est de ne pas confondre participation et pouvoir d’agir. La démocratie ne peut se réduire à un idéal de « bonne participation » technique ou consensuelle : elle doit être pensée comme un processus d’apprentissage, où le conflit, l’erreur et l’inachèvement font partie intégrante du cheminement collectif. Cette vision implique également de sortir d’une approche strictement municipale pour reconnaître la vitalité démocratique des réseaux, des communautés territorialisées et des initiatives citoyennes.
La transition écologique, en tant que transformation profonde de nos sociétés, exige une hybridation des savoirs : les connaissances citoyennes, scientifiques et institutionnelles doivent s’entrelacer pour faire émerger une compréhension partagée des enjeux. Or, cet apprentissage démocratique reste entravé par une faible littératie climatique dans la population. En dehors du milieu universitaire, peu d’espaces existent pour se former aux enjeux de la transition, et ce déficit de connaissance accentue les vulnérabilités sociales et les inégalités face à l’action climatique.
C’est dans ce contexte que se développent des démarches comme les ateliers climatiques, pensés non comme des cours magistraux, mais comme des expériences de dialogue ancrées dans la vie concrète. Ces dispositifs visent à faire émerger un langage commun, à renforcer l’engagement collectif, à enrichir les échanges par la mixité des groupes et à combler l’écart persistant entre les intentions déclarées et les actions tangibles. Ils rappellent que la transition juste ne va pas sans tensions, et qu’il est indispensable de créer des espaces de débat paisibles, accessibles et structurants.
En somme, penser une démocratie au service de la transition, c’est reconnaître que le défi climatique est aussi un défi démocratique. Cela suppose d’ouvrir des controverses, de sortir des postures défensives et de concevoir la participation comme un levier de transformation collective plutôt que comme un outil de gestion.
Laurence Bherer, professeure titulaire au Département de science politique, Université de Montréal
Depuis 2015, plus de 200 assemblées citoyennes ont été organisées sur les questions climatiques. L’analyse de ces dispositifs révèle plusieurs défis majeurs liés à la participation citoyenne sur un sujet aussi complexe que la transition socio-écologique, souvent perçue comme excluante.
Parmi les principaux enjeux identifiés, on retrouve en premier lieu la difficulté à aborder la complexité systémique des crises climatiques et de la biodiversité, les discussions se limitant fréquemment à des politiques sectorielles, sans prise en compte des causes structurelles. Cela explique en partie l’absence de propositions véritablement radicales de la part des citoyen·ne·s. Un second enjeu exprime la difficulté à penser à long terme, en étant souvent liée à un biais de court-termisme et à une concentration sur les impacts négatifs immédiats, au détriment des bénéfices futurs. Les citoyen·ne·s peinent à intégrer différentes temporalités dans leur réflexion collective. Un troisième enjeu concerne le poids des cadrages dominants – productivisme, consumérisme, foi dans le progrès scientifique et technologique – qui orientent fortement les représentations et limitent la capacité à envisager d’autres modèles de société. Enfin, on peut noter la complexité des politiques de décarbonation, qui rendent difficile pour les participant·e·s de saisir les liens entre les mesures proposées et leurs effets réels sur la réduction des émissions.
Pour surmonter ces obstacles, plusieurs pistes d’action sont suggérées. L’intervenante introduit l’idée de permettre aux citoyen·ne·s de coconstruire l’agenda des discussions afin de favoriser leur engagement et leur sentiment de légitimité. Au-delà d’une plus grande intégration de la participation citoyenne, l’introduction de cadrages alternatifs a le potentiel d’ouvrir l’imaginaire et de sortir des logiques dominantes. En instituant des assemblées permanentes sur les enjeux climatiques, on peut inscrire le débat dans la durée et assurer une mise à l’agenda régulière. Enfin, des mécanismes de suivi peuvent être mis en place afin de prendre en considération des recommandations citoyennes, engageant les gouvernements à long terme et renforçant la complexité du traitement des enjeux.
Enfin, pour améliorer l’efficacité et la pertinence de ces dispositifs, il est essentiel de renforcer leur dimension réflexive, par l’intégration de stratégies d’autoréflexion, permettant aux participant·e·s de rapprocher leurs convictions et leurs actions concrètes. Également, le développement d’imaginaires du futur à travers des approches telles que le récit (storytelling), la prospective participative ou la représentation des générations futures et du vivant non humain.
Synthèse des tables de discussion
- Quels sont les dispositifs innovants existants (au Québec comme ailleurs) et comment devrait-on s’en inspirer?
- Comment les dispositifs innovants permettent-ils de traiter de sujets délicats (p. ex., la représentation des générations futures et du vivant non humain)?
L’enjeu de l’accompagnement des mobilisations citoyennes
La mobilisation citoyenne, lorsqu’elle s’oppose à un projet municipal, est souvent perçue comme un obstacle. Pourtant, un enjeu central aujourd’hui réside dans l’accompagnement de cette mobilisation. Plutôt que de chercher à la neutraliser, certaines villes font le pari de soutenir les groupes concernés en leur offrant un appui neutre. Ce soutien vise à leur permettre de dialoguer entre eux, de clarifier leurs intentions et de structurer leurs revendications de manière plus cohérente. Cette approche permet non seulement de reconnaître leur légitimité, mais aussi de transformer des conflits potentiels en dialogues constructifs. Au lieu de juger ces mobilisations, l’objectif est de leur offrir des moyens d’expression structurés, dans le respect de leur autonomie.
Cette reconnaissance du conflit comme levier démocratique rejoint un autre enjeu essentiel : celui d’apprendre à débattre et à valoriser les désaccords. Dans une société de plus en plus polarisée, certaines initiatives, comme les « cours de résolution de conflits », cherchent à faire émerger une culture du débat bienveillant. Il ne s’agit plus d’éviter les tensions, mais de leur offrir un cadre qui permette l’apprentissage mutuel. Le conflit, lorsqu’il est bien encadré, cesse d’être vu comme un échec pour devenir une occasion de croissance collective.
Ces dynamiques s’inscrivent dans une réflexion plus large sur l’avenir de la démocratie participative. Plusieurs propositions ont été avancées pour la renforcer, notamment la création de lieux indépendants, de véritables « tiers-lieux » voués à la participation, en particulier à l’échelle régionale. Ces espaces permettraient de faciliter les échanges sur les projets d’aménagement tout en dépassant les tensions locales. Mais pour que ces lieux soient efficaces, encore faut-il que les municipalités soient elles-mêmes mieux accompagnées. Cela passe par le renforcement de leurs ressources, de leurs expertises, et par le développement d’une culture du dialogue, notamment dans les contextes régionaux marqués par des clivages sociaux croissants.
L’enjeu de la valorisation des savoirs expérientiels
Un autre aspect essentiel de cette transformation démocratique concerne la valorisation des savoirs expérientiels. Trop souvent, les récits de vie et les expériences sensibles des citoyen·ne·s sont écartés des discussions techniques. Or, ces témoignages permettent de mieux comprendre les impacts concrets des transformations en cours — qu’il s’agisse des effets des changements climatiques ou des politiques publiques — et d’alimenter l’empathie collective. La participation citoyenne gagne en profondeur lorsqu’elle intègre ces formes de connaissance vécue, en particulier celles issues de populations peu visibles.
Cependant, pour que cette participation soit véritablement authentique, il est indispensable de veiller à ne pas déresponsabiliser les institutions. Il arrive que les citoyen·ne·s soient appelés à agir — par exemple, en matière de verdissement urbain — sans qu’on leur donne les moyens concrets d’agir (accès à l’eau, encadrement, etc.). Cela crée un sentiment d’essoufflement ou de désillusion. La participation ne peut être durable que si elle s’appuie sur un équilibre entre engagement citoyen et soutien institutionnel réel, évitant ainsi de transférer injustement des responsabilités qui devraient relever du politique.
Dans ce contexte, l’enjeu de l’information et de la littératie numérique prend toute son importance. Une meilleure éducation médiatique est nécessaire pour lutter contre la désinformation et favoriser des débats publics éclairés. Il devient également crucial de promouvoir les médias alternatifs ou participatifs, qui jouent un rôle précieux dans l’accompagnement des transitions socio-écologiques en rendant visibles des récits souvent marginalisés.
Pour soutenir cette culture de la participation, il faut aussi repenser les indicateurs qui servent à en évaluer les résultats. Les outils actuels sont souvent trop technocratiques ou quantitatifs, centrés sur des mesures comme les émissions de gaz à effet de serre, sans considérer les dimensions sociales, culturelles ou émotionnelles des changements. Concevoir des indicateurs plus humains, capables de prendre en compte la qualité du lien social ou le sentiment d’appartenance, apparaît comme une voie nécessaire.
Dans le même esprit, il devient urgent d’apprendre de nos échecs. Trop souvent, seuls les projets couronnés de succès sont mis de l’avant, alors que les erreurs et les difficultés rencontrées pourraient nourrir une mémoire collective précieuse. Documenter les échecs permet non seulement de ne pas les reproduire, mais aussi de bâtir un climat de confiance autour des processus participatifs.
Enfin, une voix importante s’est élevée pour rappeler la richesse des savoirs issus des pratiques autochtones, notamment dans leur manière d’intégrer les générations futures dans les décisions présentes. Prendre en compte les intérêts de celles et ceux qui vivront dans sept générations, comme le proposent certaines traditions autochtones, invite à ralentir le temps politique et à penser l’aménagement du territoire dans une perspective profondément intergénérationnelle et territoriale. Cela représente une source d’inspiration puissante pour réenchanter notre conception de la démocratie.
Compte rendu – Réflexions sur la participation publique et les enjeux orphelins
Conférencier invité : Merlijn De Rijcke, coordonnateur de projets, Bruxelles Environnement
Merlijn De Rijcke conclut l’événement en partageant avec les participant·e·s quelques réflexions personnelles sur les deux dernières journées. D’emblée, il a souligné comment il avait été impressionné par les valeurs et postures québécoises qui sont véhiculées et valorisées dans la culture de la participation citoyenne et entre les personnes expertes : la bienveillance, une attitude critique de soi-même, la capacité à se remettre en question et à aborder les désaccords avec respect.
Par la suite, une discussion ouverte a permis de soulever plusieurs pistes de réflexion autour des défis contemporains de la participation publique, en lien avec les transformations démocratiques, l’engagement citoyen et l’évolution des institutions.
Premièrement, les crises démocratiques ont été mentionnées comme étant un enjeu majeur à la participation. Il apparaît inévitable dans ce contexte de réfléchir à la place qu’occupe la participation citoyenne dans le contexte actuel des démocraties contemporaines. Les participant·e·s ont rappelé que nos institutions ne sont pas figées. Elles peuvent évoluer, comme le démontre l’Assemblée citoyenne de la Belgique. Ainsi, les institutions peuvent être repensées et adaptées aux enjeux actuels et permettre de renforcer et de muscler la démocratie. La transition socio-écologique de même que les crises sociales, économiques et environnementales nous poussent à les repenser. Selon certaines personnes, la participation publique et citoyenne peut être un levier d’action pour des transformations démocratiques inclusives.
Ces nouveaux modèles devraient impérativement être plus inclusifs et permettre la pleine participation de tous les groupes de la société, y compris les personnes qui ne se sentent pas concernées. Pour réussir, nous devons réfléchir à des projets de participation citoyenne qui soient permanents afin d’accroître la légitimité des institutions. Il a également été soulevé que l’offre d’une forme de rémunération favoriserait la reconnaissance des savoirs citoyens et la participation de l’ensemble des groupes socio-économiques. Ensuite, on a rappelé que les tensions territoriales (pression foncière, perte des territoires agricoles, extractivisme) et la complexité croissante des enjeux provoquent des conflits. S’ils sont bien canalisés, ces conflits peuvent devenir des déclencheurs de transformation et permettre des mobilisations sociales, comme cela a été le cas à Duhamel. Ainsi, bâtir la résilience des communautés passe par la création d’espaces de dialogue et d’infrastructures sociales, capables de soutenir la gestion des crises et de renforcer les liens sociaux. Ceci va également de pair avec d’autres conditions essentielles à la démocratie, soit une accessibilité et une vulgarisation de l’information, mais aussi un engagement continu, et non ponctuel, envers la participation citoyenne.