Par Flandrine Lusson, diplômée du doctorat en études urbaines (INRS) et Emory Shaw, étudiant au doctorat en études urbaines (INRS)
Présentation de l’événement
Cet événement, bilingue, d’une journée et demie (28 et 29 mai 2025) avait pour objectif d’ouvrir des discussions collectives sur les problèmes, les possibles solutions ainsi que les termes de la culture de la participation publique en aménagement souhaité collectivement. En se focalisant sur les expérimentations réalisées dans les villes du Québec, des acteur·rice·s de la sphère publique et des spécialistes de l’urbain se sont rencontré·e·s autour de différents panels afin d’échanger sur leurs pratiques.
L’événement s’est organisé autour de quatre ateliers :
- La Région de la Capitale nationale du Canada
- La Région du Grand Montréal
- La Région du Grand Toronto
- Le District régional du Grand Vancouver
Près de 80 personnes, aux profils diversifiés, se sont inscrites à cette onzième édition des Rencontres VRM. L’événement a accueilli des représentant·e·s du milieu municipal local et régional, d’organisations non gouvernementales, de citoyen·e·s, d’entreprises de services-conseils et de la recherche et de l’enseignement.
Cet événement a été organisé par Mario Gauthier, professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, Guy Chiasson, professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, Anne Mévellec professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa en collaboration avec le réseau Villes Régions Monde.
Les Rencontres VRM constituent une occasion d’échanges entre chercheur·ses·s et autres parties prenantes qui s’intéressent aux questions touchant au développement des communautés et à l’aménagement des quartiers et des villes. Organisées depuis 2010, ces rencontres visent à encourager et à favoriser les échanges entre les communautés scientifique et professionnelle des milieux gouvernemental et associatif.
Pour consulter le programme complet de l’événement
Compte rendu de l’événement
Conférence d’ouverture : Gouvernance métropolitaine et planification spatiale collaborative en Europe : agir en régime d’ingouvernabilité? Entre bricolages organisationnels et reformatages institutionnels
Par Jean-Marc Offner,directeur scientifique du 6T bureau de recherche et président de l’École urbaine de Sciences Po Paris
Jean-Marc Offner a passé 30 ans dans le monde professionnel et une quinzaine d’années dans le milieu de la recherche. Sa conférence débute par un rapide retour historique sur deux grands penseurs de la gouvernementalité. Le premier est Aristote et son modèle de cité gouvernable autarcique ne dépassant pas une population de 30 000 personnes. Le second est le peintre Ambrogio Lorenzetti et ses fresques du 14e siècle exposées à Sienne en Italie, intitulées Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement. Un bon gouvernement est celui qui agit et qui a des effets positifs. Cependant, si le modèle métropolitain s’inscrit dans des modes de pensées similaires, il doit aussi gérer des territoires beaucoup plus étendus et populeux, et qui présentent déjà depuis plusieurs années leurs limites : fatigues réformistes, pannes de gouvernance, enjeux de penser la transition socioécologique à cette échelle.
Dans les dernières années, peu d’études ont porté sur la gouvernance métropolitaine : avons-nous tout dit sur la gouvernance des espaces métropolitains ou l’espace métropolitain s’est-il essoufflé de lui-même? Ces questions se sont posées en Europe. Cependant, le politique aime les périmètres, car en créant un périmètre, il a l’impression d’agir. Ce processus s’accompagne de cycles de réformes sans pour autant donner de réels pouvoirs aux régions métropolitaines. Aujourd’hui, les régions métropolitaines dépassent leurs limites initiales et ne sont plus représentatives de leurs réalités sociospatiales. Finalement, cela produit des mille-feuilles administratifs et le discours se tourne vers la simplification, la rationalisation et la lisibilité afin de créer moins d’intermédiaires. Cette boucle sans fin a deux ambitions contradictoires : l’une qui veut être en adéquation avec le territoire, où la population et les activités sont nombreuses, et l’autre lisible, appelant au compromis.
La première forme métropolitaine est née en Italie, la Città Metropolitane qui a mis 30 ans à se construire sans réellement avoir été terminée. En Angleterre sont ensuite nés les Combined Authorities qui possèdent un État fort et agissent en partenariat avec un ensemble d’acteurs, dont les acteurs privés. En Allemagne se trouvent les grandes régions urbaines, les Metropolregionen, créées en réseau avec un ensemble de moyennes et petites villes. Ce modèle est actuellement le plus abouti et s’accompagne de communautés de responsabilités claires. En France, les métropoles ont été fondées au sein de périmètres préalablement créés : les communautés de communes. Au départ, seulement une dizaine de régions métropolitaines devaient être instituées, mais, depuis, ce nombre a beaucoup augmenté et les gouvernements y ont ajouté de nouveaux critères. Cependant, faute de pouvoir, de reconnaissance, de mise en réseau avec les villes environnantes et de coordination de ces périmètres, ces régions métropolitaines manquent de visibilité. Le périurbain est parfois oublié. Pourtant, ces territoires ont une fonction essentielle dans un contexte d’essoufflement de l’intercommunalité. La France compte 35 000 communes, presque autant que le reste de l’Europe. Leur principale limite est leur manque de marge de manœuvre au-delà de projets de mobilité douce et de verdissement urbain.
D’une région métropolitaine à l’autre, on observe des formes de dysfonctionnements décisionnels et l’échec de standardisations programmatiques créées il y a 20-30 ans, mais étant toujours utilisées comme cadres d’action. Par exemple, la lutte contre la périurbanisation, qui est aujourd’hui largement étendue, s’est installée en tant que type d’espace à part entière. Le problème est l’impasse méthodologique de la planification allant du national au local (top down) qui n’a plus de raison d’être dans un contexte où le local a pris une dimension centrale dans la réalisation de projets. Par ailleurs, les projets à dimension métropolitaine ne peuvent se réaliser sans la mise en réseau d’acteurs et de territoires, à l’exemple des trames vertes et bleues. L’Allemagne, à l’inverse, propose un modèle de planification à « contre-courant », partant du local pour passer au régional, puis au national.
La métropolisation est métropole parce qu’elle concentre un ensemble de territoires, les relie et y est elle-même reliée. L’enjeu reste donc la coordination entre ces différents territoires et la création de grands récits permettant de légitimer cette interterritorialité grâce à des coopérations territoriales et des coalitions d’acteurs capables de créer un peu de stabilité au sein de ces macrosystèmes techniques. Les opportunités sont variées et il importe, en France, de changer de paradigme en pensant l’échelle métropolitaine en termes de réseaux, de flux et de cycles. L’important est que ces échelles puissent agir et que les acteurs qui les gouvernent comprennent leurs interdépendances afin de créer des statuts métropolitains avec une valeur législative réelle permettant de leur accorder une valeur économique, sociale et symbolique. C’est ce que Jean-Marc Offner appelle « l’agir métropolitain relationnel ». Celui-ci peut passer par la mobilité, un intégrateur important de nos relations au territoire, et doit se focaliser sur l’échelle plutôt que sur la parcelle. Afin de donner plus de lisibilité aux espaces métropolitains, il est également intéressant de penser aux interfaces stratégiques, ces objets transitionnels pouvant connecter les territoires et les rendre visibles pour les résident·e·s des métropoles, à l’exemple des chemins de randonnée créés aux échelles métropolitaines, mais également des gares, des paysages et des lisières : c’est la création de la conscience métropolitaine. Cette mise en visibilité ne doit cependant pas faire oublier les territoires invisibles, tels que les villes-dortoirs où habitent les individus sans y travailler. C’est à partir des individus que la légitimité métropolitaine pourra exister et ces individus sont autant les habitants que les non-habitants, les passants et les usagers de l’espace.
Atelier 1 : La région de la Capitale nationale du Canada (Ottawa-Gatineau)
Avec Mario Gauthier (Université du Québec en Outaouais), Alain Miguelez (vice-président et planificateur en chef, Commission de la capitale nationale) et Jean-François Mahé (directeur du Bureau de projet TramGO)
Alain Miguelez commence par relater l’historique de la création de la Commission de la capitale nationale (CCN). Datant de 1915, le premier plan de métropole s’accompagne d’un cadastre pour loger quelque 250 000 personnes. C’est en 1950 que le gouvernement fédéral confirme le statut de la capitale nationale, une période où les lignes ferroviaires, dont celles des tramways, sont retirées et remplacées par des autoroutes, que les rues principales sont dissoutes pour construire de grands espaces commerciaux, et que la création d’espaces verts prend de plus en plus de place dans les discours. C’est le début de l’étalement urbain sous couvert de modernisme, le tout coordonné par l’agence métropolitaine d’urbanisme soutenue par le gouvernement fédéral. Son statut est particulier, puisqu’elle ne découle pas, comme les autres régions métropolitaines canadiennes, du gouvernement provincial. Elle est également unique en raison de sa dimension frontalière interprovinciale, comprenant deux communautés linguistiques. Par la suite, en 1959, la CCN, une société d’État, est établie et mandatée pour planifier et entretenir les terrains de la Couronne dans la région de la capitale nationale (RCN). Des fonctions typiquement municipales, telles que l’aménagement, l’embellissement et l’assainissement de ces villes historiquement industrielles et polluées, sont octroyées à la communauté métropolitaine. Cependant, ces projets sont abandonnés dans les années 1970 face à une volonté politique fédérale d’écraser le poids métropolitain. En 1991, on crée la région urbaine de l’Outaouais, ce qui suscite des tensions entre les deux villes frontalières (Ottawa et Gatineau). En 2001 ont lieu les fusions municipales de part et d’autre de la rivière des Outaouais. Deux grandes municipalités sont donc créées, Ottawa et Gatineau, pour favoriser le dialogue entre elles. Cependant, les rôles de la CCN sont circonscrits et continuent de se concentrer sur la gestion des terrains et des emplois fédéraux. Néanmoins, cela a donné lieu à différents succès communs, tels qu’un centre-ville métropolitain, le Plan du cœur de la capitale nationale, le Bureau de modélisation et de planification de transports en commun, ou encore le projet de vélopartage. Un plan de transfert des mandats des ponts provinciaux à la CCN est également en discussion. Celle-ci prend donc de plus en plus de place, tout en essayant de s’arrimer aux cadres de planification des municipalités. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces projets à succès se sont accompagnés de nombreuses expropriations et d’effacements successifs des cadastres historiques.
Mario Gauthier poursuit l’atelier en revenant sur les enjeux d’ingouvernabilité et de gouvernabilité. La gouvernabilité signifie la capacité d’un système d’acteurs à créer de l’action collective. Selon lui, l’autonomie, la coordination et la négociation sont les trois clés de succès pour faire émerger des objectifs communs à l’échelle métropolitaine. Cependant, les sociétés modernes sont de plus en plus difficiles à coordonner. Les régions métropolitaines font face à des instances locales réticentes, à des relations conflictuelles entre villes-centres et périphériques et à un manque de soutien gouvernemental limitant sa « capacité institutionnelle ». Cela compromet leur capacité à créer des liens entre divers groupes d’acteurs, à susciter le maillage et la création de ce que M. Gauthier nomme des « épisodes collaboratifs ». Néanmoins, le statut formel de la région métropolitaine lui donne des opportunités de collaboration. Celles-ci s’approfondissent en 2017 lorsque le gouvernement fédéral mandate les deux principales villes de la région pour créer un plan intégré à long terme qui a pour ambition d’établir une vision commune, de définir les rôles et responsabilités de chacune, tout en définissant des objectifs pour respecter ces visions communes. Cette initiative a donné naissance à la Stratégie interprovinciale de transport collectif (SITC) guidée par un plan d’action de création de communautés orientées vers le transport en commun, la priorité à l’usager, l’exploitation, les infrastructures et la gouvernance, ainsi que la réduction de la limite frontalière existant entre ces deux villes. Cela a donné lieu à la création d’un organisme tripartite composé de la CCN, de la Société de transport de l’Outaouais (STO) et de la Ville d’Ottawa, à la mise sur pied d’un comité consultatif et de suivi de planification, et à la création de postes de maires observateurs. Réussite importante, le projet de tramway est lancé en 2018 dans l’ouest de Gatineau. En 2021, les maires de Gatineau et d’Ottawa sont remplacés, donnant lieu à de nouvelles alliances politiques, mais celles-ci ne remettent pas en question le projet métropolitain, au contraire. Le nouveau maire d’Ottawa et la nouvelle mairesse de Gatineau sollicitent ensemble l’aide du gouvernement fédéral pour parler, d’une voix commune, du tramway et de la revitalisation du centre-ville. Si la SITC peine à s’établir et qu’elle existe au travers d’un arrangement institutionnel semi-formel, elle exprime cependant une volonté grandissante de penser d’un point de vue métropolitain, qui passe de plus en plus par les grands projets urbains. La planification spatiale et les transports collectifs se prêtent bien à la prise en compte du fait métropolitain et à l’ouverture d’échanges à l’échelle métropolitaine. De plus, le cas de la CCN montre l’importance du leadership métropolitain, du rôle des maires, des acteurs locaux et des gouvernements provinciaux et fédéraux.
Jean-François Mahé, directeur du Bureau de projet TramGO, revient sur le projet structurant de tramway. Financé par le ministère des Transports de l’Ontario et le gouvernement fédéral, ce projet a pour objectif de proposer une offre de transport dans l’ouest du territoire où se concentrent plusieurs pôles d’activités et de le relier au Rapibus et aux grands axes de transport d’Ottawa. Ce projet de mobilité urbaine et durable s’accompagne de projets de réaménagement de l’espace public pour offrir une cohabitation efficace avec tous les modes de transport (voiture, vélo, marche…) et favoriser des déplacements sécuritaires et accessibles pour toute la population, tout en visant le désengorgement du système routier. L’enjeu de ce projet est d’assurer un socle de gouvernance structuré, c’est-à-dire composé d’un comité exécutif et d’un comité directeur responsables de la structure décisionnelle, doublés de comités de nature plus opérationnelle (comité administratif, comité technique, comité de communication). Construit grâce à des contrats interprovinciaux, ce projet de mobilité implique l’arrimage métropolitain d’exigences en matière de transport et d’environnement différentes entre les deux rives. L’enjeu est donc de trouver un consensus et de répondre aux exigences législatives des deux municipalités qui sont géographiquement exclusives. Pour ce faire, chaque évaluation environnementale doit s’aligner sur les études techniques et les justificatifs requis pour chaque territoire. Ces études techniques ont débuté en 2025 et dureront jusqu’en 2027. En 2028, ce sera au tour du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) d’évaluer le projet. En revanche, les consultations publiques se déroulent en continu. Si ce projet est un succès, c’est parce que le tracé du tramway a été approuvé par les partenaires des deux rives, assurant une cohérence de l’aménagement interville et interprovince qui permet de promouvoir une vision commune et de conserver les liens créés. Ce projet a également permis de répondre aux intérêts et objectifs de chaque ville, puisque pour Gatineau, l’objectif est l’accès aux pôles d’emploi et pour Ottawa, c’est le désengorgement, en particulier concernant le transport de marchandises. Bien que différents, ces intérêts se sont retrouvés autour d’un projet commun : la ligne du désir.
Atelier 2 : Le Grand Montréal
Gérard Beaudet, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage (Université de Montréal), Marie-Michèle Cauchy, directrice, Milieux de vie durables et prospères de la Communauté métropolitaine de Montréal, et Lucie Careau, directrice du Service de l’urbanisme et de la mobilité de la Ville de Montréal
Gérard Beaudet ouvre l’atelier en revenant sur l’historique de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et ce qu’il nomme « le gouvernement d’un patchwork ». Le contexte historique de création de la CMM a en effet donné naissance à un patchwork à la fois institutionnel et morphologique. Les banlieues de Montréal sont plurielles. Cette région est, plus que les autres, née dans la diversité, la concurrence et la tension. Cela a commencé avec le refus de municipalités de l’île de Montréal de prendre part au projet de fusion autour du slogan Une île, une ville. Parmi ces villes, nombreuses sont celles qui ont vécu des extensions importantes après la Seconde Guerre mondiale, alors que le gouvernement exerçait peu de contrôle sur l’étalement urbain, créant une sorte d’anarchie qui va consolider par la suite le patchwork montréalais.
C’est en 1950 que la Ville de Montréal obtient le droit de créer son premier plan d’urbanisme. Le mandat est accordé à Jacques Grébert (comme pour Ottawa). Son objectif est de limiter l’étalement urbain, mais celui-ci est déjà bien installé, montrant déjà un retard de la planification urbaine par rapport à la réalité. En 1963, Montréal répète l’exercice et prévoit des scénarios variés, en particulier en matière de transports publics lourds, mais ne possède toujours pas les moyens pour répondre à ses ambitions. C’est dans ce contexte que le gouvernement provincial décide de fusionner l’île Jésus afin de créer la ville de Laval, puis de répéter la même chose pour Longueuil. Cependant, en voyant ce qu’il s’est passé à Laval, les municipalités de la rive sud résistent et s’autofusionnent pour éviter de créer une seule grande municipalité. La Communauté urbaine de Montréal (CUM) est créée en 1970, suivie en 1978 de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ), chargée de limiter l’étalement urbain sur les terres agricoles et de retirer celles-ci de la gestion municipale. Dans ce contexte, la CUM se retrouve orpheline de l’une de ses fonctions principales, limitant son pouvoir déjà restreint.
En 1979, le gouvernement provincial décide de créer les municipalités régionales de comté (MRC) à l’échelle de la province du Québec et de leur transférer la compétence de l’aménagement du territoire. Celles-ci deviennent un nouveau palier de concurrence à la CUM. L’année 2001 est une année importante, puisque de nombreuses fusions municipales ont lieu, que certaines municipalités résistent et défusionnent – en particulier sur l’île de Montréal – et que la CUM est remplacée par la CMM. Dans ce contexte, l’enjeu pour la CMM est de créer une « couture habile » basée sur un macrozonage censé ne pas trop créer de tensions avec les municipalités. Cependant, sa planification est toujours en décalage avec la réalité puisque l’étalement s’est poursuivi et dépasse aujourd’hui le périmètre de la CMM. En effet, la CMM compte à ce jour 12 MRC, 2 agglomérations, 82 municipalités et 22 arrondissements. Seules les mairies des arrondissements et des municipalités sont élues par la population. Gérard Beaudet explique que cela pose des enjeux de légitimité et de gouvernance, puisque les élu·e·s sont redevables à leurs électeurs et électrices, et non pas à la CMM. À ce patchwork s’ajoute le palier provincial qui, puisant ses votes des banlieues, ne perçoit pas positivement le poids de la CMM et de ses instances. Dans ce contexte, la CMM représente une forme de « gouvernance fantôme » ayant un impact certain, mais un pouvoir limité, orienté par des décisions historiques qui freinent ses capacités d’action.
Marie-Michèle Cauchy rappelle qu’au sein des 82 municipalités et des 12 MRC, la CMM abrite un vaste territoire agricole, tout en accueillant près de la moitié de la population et du PIB du Québec. Le conseil de la CMM comprend 28 élu·e·s et un comité exécutif, présidé par la mairesse de Montréal, et huit autres élu·e·s, dont le maire de Laval et la mairesse de Longueuil. La CMM a également cinq commissions permanentes. Ces commissions reçoivent des mandats pour s’occuper de thèmes comme l’aménagement du territoire et l’agriculture, où sont conviés des spécialistes et des experts du domaine.
L’outil principal de la CMM est son Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) auquel toutes les municipalités, MRC et agglomérations doivent se conformer. Ce plan a été mis en application pour la première fois en 2012 même si, avant lui, des visions pour le territoire avaient déjà été énoncées – la première en 2003 et la seconde, en 2005 – sous le nom de Schéma d’aménagement métropolitain, lequel n’est finalement jamais entré en vigueur et a été mis de côté devant les résistances du maire de Laval. Le PMAD avait pour objectifs d’orienter 43 % des ménages et des nouveaux logements dans les aires d’aménagements axés sur le transport en commun (TOD) afin de protéger les terres agricoles, de faire en sorte que 32 % de la part modale du transport soit combiné et que 22 % du territoire se dote de mesures de protection ou de conservation. Ces objectifs se sont accompagnés de l’imposition de seuils minimaux de densité résidentielle, dont la majorité a été atteinte ou dépassée depuis 2012.
Depuis cette même année, la construction de maisons unifamiliales a fortement chuté dans la CMM et 38 % du Plan métropolitain pour le réseau cyclable a été aménagé. Pour poursuivre sa mise en œuvre, des programmes d’aide financière ont été accordés aux municipalités pour renforcer la trame verte et bleue, planifier les aires TOD et soutenir la protection du territoire agricole. Depuis 2013, sept agoras métropolitaines ont été organisées tous les deux ans pour mobiliser les acteurs, favoriser les échanges, susciter l’émergence d’idées novatrices et suivre l’évolution du PMAD. Depuis 2022, le PMAD était en révision par une commission spéciale. Des consultations ont eu lieu avec des partenaires de la région et du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. La première version révisée a été adoptée en octobre 2023 et a été présentée lors de plusieurs consultations et assemblées publiques. Pas moins de 200 commentaires et mémoires ont été récoltés au cours de cette période. La version définitive a été adoptée en juin 2025 par le conseil de la CMM et sera ensuite envoyée au gouvernement provincial pour validation.
Dans ce nouveau PMAD, des secteurs de planification intégrée Aménagement-Transport (PIAT) ont été ajoutés aux périmètres TOD, de même que des indices d’accessibilité piétonne, des logements hors marché, la création d’un réseau express métropolitain à vélo, des objectifs de 35 % de canopée sur le territoire, 30 % du territoire bénéficiant de mesures de conservation, et d’autres mesures permettant d’approfondir le travail de la CMM.
Lucie Careau, directrice du Service de l’urbanisme et de la mobilité de la Ville de Montréal, complète les deux précédentes présentations à partir du point de vue de Montréal, ville-centre comprenant la plus grande population de la CMM. Mme Careau explique que la complexité de la gouvernance métropolitaine limite sa représentativité et sa légitimité auprès des citoyens et citoyennes. Cet enjeu s’ajoute à celui des défusions, ayant créé des trous dans le territoire montréalais. Elle-même un mille-feuille administratif, Montréal comprend 19 arrondissements, chacun possédant un maire ou une mairesse, ce qui donne lieu à des rapports de force réguliers sur les décisions et partages de compétences en aménagement et en mobilité avec chaque arrondissement.
Le premier plan d’urbanisme de la municipalité a été produit en 2004 et son plan de transport en 2008, avec un objectif d’intégration des enjeux d’urbanisme et de transport. Son premier schéma d’aménagement date de 2015. Une autre spécificité de la Ville de Montréal est qu’elle possède un organisme indépendant affecté à la consultation publique, l’OCPM, ainsi que des comités consultatifs en aménagement et en patrimoine.
Face à cette complexité qui ne s’accorde pas toujours aux plans de la CMM, Lucie Careau explique le vécu et les difficultés des fonctionnaires qui reçoivent une série d’enjeux à traiter, notamment des enjeux d’agglomération qui dépassent le territoire même de la Ville. Le plan d’urbanisme de la Ville de Montréal établit dix orientations autour de quatre thématiques : la transition écologique et la biodiversité, l’équité territoriale, la mobilité et la santé urbaine. Concernant les seuils de logements minimaux, ce sont les arrondissements qui doivent les traduire en fonction de leurs spécificités et projets. L’un des enjeux est de freiner la spéculation immobilière, qui se manifestait déjà dès le plan d’urbanisme de 2004. Cependant, Lucie Careau précise que lors des consultations publiques, les acteurs qui s’expriment le plus et qui présentent les orientations les plus spécifiques et pointues sont les promoteurs immobiliers et les firmes d’architecture et d’urbanisme. Malgré le souhait de contrer la spéculation immobilière, on ne peut exclure ces acteurs de la planification urbaine.
Atelier 3 : La région du Grand Toronto (RGT)
Avec Pierre Filion, professeur émérite à l’École d’urbanisme (Université de Waterloo), et Laura Taylor, professeure associée à la Faculté d’environnement et de changement urbain (Université de York)
Pierre Filion débute par un retour historique. L’agence métropolitaine Metro Toronto a été créée en 1953. Quatre grandes périodes historiques permettent de décrypter son histoire. La première s’étale de 1953 à 1970; c’est la période d’amorce de l’aménagement à l’échelle métropolitaine. Metro Toronto est d’abord créée en tant que palier régional de gouvernement, le seul à l’échelle canadienne, avant de former une nouvelle ville après les fusions de 1997. Jusqu’aux années 1970, le territoire coïncide avec l’étendue du périmètre urbain de la région métropolitaine. Pendant cette période, quatre grandes réalisations ont lieu. La première est la création d’une politique de transport mettant l’accent sur la construction d’autoroutes et l’expansion du métro. La deuxième est l’imposition de hauts standards pour les nouveaux lotissements de banlieue, donnant lieu à un modèle d’aménagement propre à Toronto, composé de secteurs de maisons unifamiliales et, aux intersections des boulevards, de tours d’habitation avec des concentrations de commerces et services. La troisième est la mise en œuvre d’une politique de distribution des HLM à l’échelle de l’agglomération et dans tous les secteurs de Toronto, qu’ils soient isolés, sans services ou centraux. Cette réalisation coïncide avec la mise en place d’une stratégie de construction de centres secondaires. Toutes ces politiques et stratégies ont été influencées par trois grands acteurs : Fred Gardiner, premier président de Metro Toronto et homme politique conservateur, Hans Blumenfeld, directeur adjoint du service d’urbanisme de Metro Toronto, et Eli Comay, commissaire à l’urbanisme de Metro Toronto. Ces deux derniers ont instauré, au sein du régime capitaliste de Toronto, un modèle urbanistique inspiré de régimes socialistes et communistes.
La seconde période correspond à la tranche 1970-2000 et au retrait progressif du pouvoir métropolitain. Pendant cette période, quatre nouveaux gouvernements urbains sont créés, entraînant une fragmentation administrative et une perte de pouvoir de coordination de Metro Toronto, alors que la croissance démographique augmente fortement. C’est la période de création du Greater Toronto (région du grand Toronto).
La troisième période correspond aux années 2000-2020. En 2000, le gouvernement provincial commence à faire pression sur l’administration métropolitaine pour résoudre les problèmes de croissance. C’est ainsi qu’en 2006 naît le Plan de croissance de la région élargie du Golden Horseshoe, qui a eu pour conséquence la définition d’un périmètre de conservation d’espaces naturels prenant la forme d’une ceinture de verdure entourant la ville de Toronto. Ce plan a profité d’un fort appui du politique, du public et des urbanistes et a été adopté par le gouvernement provincial.
Pendant un temps, il a eu des effets positifs sur la lutte contre l’étalement urbain, mais a progressivement perdu son influence. Les circonstances ont changé : le coût de l’immobilier a fortement augmenté et un nouveau gouvernement provincial conservateur, dirigé par Doug Ford, est arrivé au pouvoir en 2018. Celui-ci mettait davantage de l’avant des objectifs politiques de développement économique.
Depuis 2020, la Ceinture de verdure est progressivement atteinte par les besoins en habitation, de nouvelles autoroutes y sont construites, à l’encontre de la logique du Plan initial, et on observe un recours de plus en plus fréquent aux arrêtés de zonage ministériels (Minister’s Zoning Orders). Ces derniers permettent au ministre des Affaires municipales et du Logement de l’Ontario de modifier les zonages et de définir de nouveaux usages sans demander l’autorisation des paliers municipaux.
Laura Taylor poursuit l’atelier avec une présentation intitulée « De la vision à la désillusion : qu’est-il advenu du Plan de croissance du grand Golden Horseshoe? ». Cette région en forme de fer à cheval se compose du grand Toronto, de la ville d’Hamilton et de l’arrière-pays autour du lac Ontario. Mme Taylor rappelle que la région de Toronto a majoritairement été façonnée par l’aménagement régional. Toronto compte aujourd’hui 14,9 millions de personnes et 7 millions d’emplois. Ensemble, ces territoires qui dépassent l’échelle administrative métropolitaine ont produit un plan régional nommé le Plan de croissance de la région élargie du Golden Horseshoe à l’horizon 2051 afin de mieux répondre aux défis de la croissance urbaine (étalement, urbanisation rapide, décentralisation, etc.).
Cependant, il est difficile de s’assurer, sur une longue période, que les limites de construction ne soient pas dépassées. Un premier plan à cette échelle, le Plan « compagnon », avait été créé en 2006, puis modifié en 2017 et finalement abandonné en 2024. Le premier plan de transport a vu le jour en 2008. Au total, ce sont 17 plans qui ont été mis en œuvre au fil des années. Aujourd’hui, les plans s’articulent autour des questions de transport, une planification qui se veut également environnementale. Si c’était l’enjeu de départ du plan de création de la Ceinture de verdure, il a du moins été conservé, même si la dimension environnementale reste souvent secondaire.
Aujourd’hui, il est important de penser en termes de justice environnementale, laquelle comporte quatre conditions : l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être; la réponse aux besoins des générations actuelles et futures; la justice et l’équité; la vie à l’intérieur des limites de nos écosystèmes. Pour ce faire, il faut tenir davantage de discussions et de négociations sur la gestion des enjeux de croissance, mais les acteurs évoluent dans des directions différentes et parfois opposées. Il nous faut davantage d’acteurs engagés (aussi bien des urbanistes que des politiciens et politiciennes, des propriétaires, des promoteurs immobiliers et des bailleurs de fonds) et davantage d’occasions de participation de la population.
Malgré ces enjeux, nous pouvons observer des effets bénéfiques du passé et en particulier de la Ceinture de verdure, qui a permis de sécuriser le système agricole, de protéger des espaces naturels, et tout cela grâce à un soutien public durable. Le Plan de croissance a permis de gérer l’urbanisation et de déterminer les zones à développer et celles à préserver, sans compter qu’aujourd’hui la Ceinture de verdure est reconnue par les résident·e·s comme une zone à protéger à tout prix, comme un lieu de loisir, de détente et de plein air qui leur est cher. Les mobilisations sociales vont dans ce sens, mais le politique ne suit pas toujours et impose parfois des projets non désirés, comme le retrait des pistes cyclables par le gouvernement provincial et l’administration de Doug Ford. Ces décisions devraient prendre forme à l’échelle humaine qui l’opère.
Atelier 4 : Le District régional du grand Vancouver
Avec Neil Hrushowy, directeur du service Community, Planning, Urban Design and Sustainability de la Ville de Vancouver, et Jonathan Côté, directeur général adjoint du service Regional Planning and Housing Development du Metro Vancouver
Neil Hrushowy a amorcé l’atelier avec une présentation intitulée : « Planifier Vancouver au travers du contexte régional : vision locale et harmonisation régionale ». Après une reconnaissance territoriale, il indique que ce qui fonctionne en termes de gouvernance métropolitaine comporte trois composantes : des relations démocratiques saines, une mise en œuvre réussie et une croyance inébranlable dans le régionalisme. Selon lui, il y a quatre thématiques qui sont mieux appréhendées à l’échelle métropolitaine qu’à l’échelle municipale : les services publics, le logement, l’économie et les transports.
Dans le cas de la région métropolitaine de Vancouver, la question de l’approvisionnement en eau est également centrale, puisqu’il existe des réservoirs importants, mais situés dans certaines parties du territoire, imposant la création de systèmes de distribution de l’eau à l’échelle métropolitaine. La question du traitement des ressources en eau est un défi qui exige de naviguer entre les différences de visions des municipalités et les coûts.
La stratégie de Metro Vancouver vise à protéger les terrains industriels pour s’assurer qu’ils restent disponibles pour les industries essentielles à l’avenir de l’économie. Cependant, cette stratégie fait face à la pression constante des promoteurs immobiliers qui souhaitent les développer. Dans son schéma d’aménagement, Metro Vancouver a planifié un ensemble d’objectifs que les municipalités doivent appliquer : que 40 % des nouveaux logements et 50 % des nouveaux emplois soient créés dans les centres urbains, que 28 % des nouveaux logements et 27 % des nouveaux emplois soient offerts dans les corridors de transport en commun fréquents, ou encore que 15 % des nouveaux logements soient abordables.
Vancouver compte le plus grand nombre de locataires par logement locatif du Canada et ce nombre augmente également dans les municipalités environnantes. Comme pour les autres régions métropolitaines, elle possède une Vision Metro 2050 et une Stratégie régionale de transport qui s’ajoutent aux actuelles infrastructures de transport en commun reliant Vancouver aux régions environnantes. Elle possède aussi un Plan régional des parcs. Cependant, à mesure que la région métropolitaine croît, l’ensemble de ces plans doivent être mis à jour et ouvrir l’accès à d’autres terrains.
Pour la Ville de Vancouver, le plan d’urbanisme repose sur trois principes : la réconciliation, l’équité et la durabilité. La région métropolitaine de Vancouver possède une longue tradition de planification collaborative, ayant débuté en 1966, et a déjà beaucoup accompli depuis. En revanche, elle a récemment essuyé une résistance inédite, face aux objectifs de densité et de planification collective et collaborative dans un contexte où d’autres municipalités prennent de plus en plus d’ampleur.
Jonathan Côté rappelle que la région métropolitaine de Vancouver compte 2,75 millions de personnes, soit environ 53 % de la population de la Colombie-Britannique. Son contexte est particulier en raison de sa proximité avec les États-Unis et de l’existence d’autres frontières maritimes et géologiques, faisant d’elle une région enclavée géographiquement.
Metro Vancouver est une institution composée de multiples corporations et de comités séparés et spécialisés sur des thématiques, telles que l’assainissement et le drainage, l’eau, la dimension régionale ou encore le logement. Ces comités sont composés de membres non élus au suffrage universel direct, mais qui sont élus au sein des municipalités de la région. Trois principales villes sont représentées dans ces comités, soit Vancouver, Surrey et Burnaby, qui accueillent la plus grande population de la région. Le Plan Metro 2050 s’appuie sur les concepts fructueux du Plan stratégique pour une région viable et sur le Plan Metro 2040, tout en mettant l’accent sur les mesures urgentes : orienter la croissance au bon endroit, protéger les terres importantes, soutenir la création de communautés saines et résilientes, soutenir la construction de logements diversifiés et abordables, améliorer la mobilité, assurer une économie prospère et favoriser les infrastructures urbaines efficaces. Ce plan s’accompagne des objectifs ambitieux nommés par Neil Hrushowy, mais aussi l’objectif de couvrir d’arbres 40 % du territoire en zone urbaine, de réduire les émissions de CO2, et que 98 % de la croissance reste à l’intérieur de la limite d’urbanisation jusqu’en 2050.
Ces objectifs se sont joints à ceux du Plan communautaire de la région métropolitaine. Actuellement, les défis sont d’arrimer les différences entre territoires, entre instances plus grandes et plus petites ainsi qu’entre les espaces urbains et périurbains. Le modèle de gouvernance prôné est complexe et plus ou moins compris du grand public, en plus d’accuser des déficits importants en matière d’outils de financement. Selon Jonathan Côté, la clé d’une gouvernance réussie de ces enjeux est la conversation entre parties prenantes. En tant que service intergouvernemental, une région métropolitaine doit faciliter ces conversations avec les autres gouvernements, municipaux, provinciaux et fédéraux.
Conclusion
Ces journées d’étude se sont donc concentrées sur la thématique de la gouvernance métropolitaine. Elles ont rappelé les historiques des quatre principales régions métropolitaines canadiennes, qui ont été créées entre les années 1950 et 1970, et expliqué les caractéristiques particulières de chacune d’entre elles. Montréal est le cas le plus ancien, Ottawa-Gatineau a la caractéristique d’être transfrontalière, Toronto d’être une seule et grande ville, et Vancouver d’être enclavée. Malgré ces différences, ces régions métropolitaines vivent des enjeux de gouvernance semblables : un manque de visibilité et de légitimité, des résistances municipales (récentes à Vancouver), des manques de moyens et de soutiens politiques. Elles répondent à ces enjeux par la recherche d’une gouvernance collaborative qui peine toutefois à se concrétiser. Vancouver semble dans ce sens être l’exemple le plus abouti.
Ces régions métropolitaines font également face aux pressions d’autres paliers gouvernementaux qui parfois leur imposent des mesures non représentatives de leurs réalités, parfois veulent réduire leur poids. Malgré l’échec relatif de leurs impacts et de certains de leurs projets, comme les TOD, elles continuent de proposer des objectifs toujours plus ambitieux pour lutter contre l’étalement urbain, pour gérer leurs ressources territoriales et la croissance démographique, ainsi que pour protéger l’environnement face aux changements climatiques.