Compte rendu – International Conference on Urban Affairs (ICUA) 2025

Par Clara Alagy et Nathan Mascaro, étudiante et étudiant au doctorat en études urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

*Compte rendu des présentations des membres du réseau VRM à l’International Conference on Urban Affairs (ICUA)

Présentation générale de l’ICUA 2025

Le colloque annuel de l’International Conference on Urban Affairs a réuni des chercheur·es, des praticien·nes et des professionnel·le·s afin d’examiner les problématiques urbaines contemporaines. Le thème de cette édition portait sur les « contradictions de la concentration », explorant les tensions inhérentes aux métropoles, notamment celles qui opposent l’action pour le logement à l’action climatique, la gentrification à la préservation du patrimoine, l’innovation à la tradition, ainsi que le colonialisme à la réconciliation. Les participant·es ont été amené·es à analyser la manière dont ces paradoxes structurent les environnements urbains et l’existence de leurs habitant·es. Ce compte rendu synthétise les discussions qui ont eu lieu lors des panels présentés par les membres du réseau VRM et de leurs étudiant·es. La conférence s’est tenue au Sheraton Vancouver Wall Centre du 15 au 19 avril 2025.

Panel 1 : Transportation Equity in Practice: Governance, Policy, and Access Challenges

Le présent panel offre une analyse critique des défis liés à l’équité dans la planification et les politiques de transport. En s’appuyant sur des études de cas menées au Canada et aux États-Unis, les interventions examinent la manière dont les professionnel·les et les élu·es intègrent la notion d’équité dans leurs décisions d’investissement, leurs politiques de sécurité routière et l’accès aux services de base. Le panel met également en lumière les inégalités subies par certains groupes, comme les personnes ayant une déficience visuelle, et les impacts variés des investissements en transport dans un contexte de changements démographiques.

Vision Zero (VZ) Policy in Canada: A Matter of Governance

Cette présentation se penche sur la gouvernance de la politique Vision Zéro au Canada, en s’appuyant sur l’exemple de Montréal. Lancée en 2016, cette politique a pour objectif de réduire à zéro le nombre de morts et de blessés graves sur les routes. L’étude se divise en deux parties : une évaluation qualitative du système de gouvernance à Montréal et une comparaison avec d’autres villes canadiennes (Vancouver, Toronto, Edmonton, Calgary). Cette analyse révèle des modèles de gouvernance variés, bien qu’ils partagent une structure politique solide. À Montréal, la gouvernance de Vision Zéro présente des points forts, comme une forte implication municipale et une grande diversité d’expertises. Cependant, elle souffre également de lacunes : un manque de coordination entre les arrondissements, l’absence de budgets dédiés, un leadership peu clair, une mauvaise communication et un dialogue insuffisant avec les citoyen·nes. Des recommandations sont formulées pour renforcer la culture Vision Zéro, améliorer la gouvernance basée sur les données, la collaboration et la transparence, et mieux prendre en compte l’expérience des usager·ères. Les échanges avec les partenaires municipaux montrent une volonté de corriger ces faiblesses, notamment en ce qui concerne le financement et la diplomatie Vision Zéro. Le projet est donc invité à adopter une approche plus globale et transversale.

Panel 2 : Research from Community Housing Canada

Ce panel examine les changements nécessaires pour repenser le logement communautaire au-delà de son rôle actuel. Les communications abordent les conditions sociales qui favorisent la solidarité et la cohésion au sein de ces milieux. Elles mettent en lumière les tensions entre les idéaux de propriété et les réalités économiques, tout en questionnant les défis d’une transition énergétique équitable dans un parc immobilier souvent ancien. À travers diverses approches, ce panel propose une vision critique et prospective du logement, le considérant comme un bien commun.

The Determinants of a Pro-Neighbouring Community Housing Situation

Cette recherche examine l’impact de la densification urbaine sur les liens de voisinage et le bien-être communautaire à Vancouver et Victoria, des villes en forte croissance. L’étude part du constat d’une solitude accrue en milieu urbain dense, en particulier chez les nouveaux arrivant·es et les personnes âgées. Pour comprendre comment recréer un sentiment d’appartenance, le projet Hey Neighbour Collective a évalué la propension à développer des relations de voisinage dans 43 immeubles. Un indice a été créé pour mesurer les liens d’amitié, les échanges avec les voisin·es et la participation communautaire. Les résultats montrent que la solitude, l’utilisation limitée d’internet pour socialiser et une mauvaise santé physique réduisent l’engagement communautaire. À l’inverse, les immigrant·es sont plus enclin·es à interagir avec leurs voisin·es que les personnes nées au Canada. L’étude révèle que peu d’obstacles structurels entravent les relations de voisinage ; l’engagement dépend surtout de la volonté individuelle. Les chercheuses recommandent donc de favoriser les espaces de rencontre informels et de soutenir l’implication citoyenne pour lutter contre l’isolement social.

The Big Contradiction Between the Dream and the Reality of Homeownership: Access to Homeownership in Canada, 1986 to 2016

La professeure Yushu Zhu a présenté une recherche sur l’idéologie de l’accession à la propriété au Canada, dans un contexte de crise du logement. Alors que la propriété a longtemps été considérée comme un idéal, elle est de plus en plus inaccessible pour les jeunes adultes en raison de la hausse des prix, de la précarité de l’emploi et de l’endettement croissant. L’étude s’est basée sur des données de recensement de 1986 à 2016, couvrant près de 484 000 foyers dans cinq grandes villes. Elle montre que, malgré l’élargissement du crédit hypothécaire qui a temporairement fait augmenter le taux de propriétaires, cette tendance s’est inversée depuis 2011. L’idée que les maisons anciennes deviennent plus abordables avec le temps ne fonctionne pas comme prévu, et même la promesse de sécurité financière à la retraite est remise en question, notamment pour les personnes âgées qui ont encore des dettes. Les résultats soulignent que ce modèle de propriété s’affaiblit, avec des inégalités qui augmentent, des jeunes qui en sont exclus, et une fragilité financière accrue. La recherche questionne donc la pertinence actuelle de cette idéologie : la propriété est-elle encore un objectif politique atteignable, ou est-elle devenue un simple idéal vide de sens ?

Panel 3: Housing Affordability: Policy and Market Impacts

Ce panel se concentre sur l’accessibilité au logement du point de vue des politiques publiques et des marchés. Les recherches présentées s’inscrivent dans un contexte de crise généralisée, marqué par la hausse des loyers et la difficulté croissante d’accéder à la propriété. Les intervenant·es ont tour à tour offert une réflexion critique sur les diverses dimensions de l’accès au logement en s’appuyant sur des études menées dans plusieurs régions du monde. Ces interventions ont révélé les enjeux de racisme qui influencent l’accès au logement, notamment dans les processus de sélection des locataires, montrant des inégalités importantes entre les ménages blancs et les ménages racisé·es. Le rôle des institutions financières dans la construction a également été analysé, ce qui aide à comprendre l’uniformisation progressive du paysage urbain. Enfin, une comparaison entre la Chine et la Corée du Sud a mis en lumière les limites des modèles de ces deux pays pour gérer la crise du logement. Ensemble, ces présentations révèlent les tensions systémiques qui pèsent sur les politiques et les marchés du logement.

Rent, Housing Crisis and the Limits of Supply-Side Economics

Cette présentation propose une critique de la centralité des théories économiques centrées sur l’offre (« supply-side ») dans l’analyse de la crise du logement. Ces modèles intègrent peu, voire pas du tout, la question des rentes, ce qui en limite la capacité explicative. Contrairement à l’idée largement répandue d’un manque de logements au Québec, les données montrent qu’un plus grand nombre de logements sont entrés sur le marché qu’il n’en a été vendu ces dernières années. Pourtant, les loyers, notamment dans les quartiers à faibles revenus, n’ont pas baissé. Ce décalage remet en cause les prédictions des modèles classiques basés sur les principes de l’offre et de la demande. Louis Gaudreau s’appuie sur une analyse inspirée des théories économiques marxistes et propose que l’intégration des rentes dans les modèles permettrait une meilleure compréhension des comportements du marché locatif. Trois principes clés sont avancés pour comprendre le modèle proposé : le principe de spéculation, le principe d’imitation, et le principe d’auto-référentialité. On ajoutera que la neutralisation de la rente dans les modèles économiques ne relève pas d’un simple oubli : elle constitue une stratégie délibérée des entreprises de développement pour faciliter l’accumulation de capital. Ce cadre critique permet d’éclairer les limites des analyses traditionnelles et de proposer des pistes pour une modélisation plus ancrée dans la réalité des dynamiques foncières et locatives.

Panel 4: Count Me In: Inclusive Strategies in Urban Studies

Cette présentation propose une analyse critique des théories économiques qui se concentrent sur l’offre pour expliquer la crise du logement. Ces modèles ne tiennent pas compte de la question des rentes, ce qui limite leur pouvoir d’explication. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle le Québec manque de logements, les données montrent que le nombre de logements arrivés sur le marché est supérieur au nombre de logements vendus ces dernières années. Pourtant, les loyers n’ont pas baissé, surtout dans les quartiers à faible revenu. Ce décalage remet en question les prévisions des modèles classiques basés sur l’offre et la demande. Louis Gaudreau, en s’appuyant sur les théories économiques marxistes, suggère que l’intégration des rentes permettrait de mieux comprendre le marché locatif. Son modèle repose sur trois principes clés : la spéculation, l’imitation et l’autoréférentialité. Il ajoute que le fait de négliger la rente dans les modèles économiques n’est pas un simple oubli, mais une stratégie délibérée des entreprises de développement pour accumuler du capital. Cette approche critique aide à mieux comprendre les limites des analyses traditionnelles et ouvre la voie à des modèles plus réalistes pour analyser les dynamiques foncières et locatives.

For Inclusive Urban Planning: Between the Perceptions of Citizens and Key Stakeholders in Hochelaga-Maisonneuve (Montreal)

L’intervention de Sylvie Paré présente une étude de cas sur le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Historiquement ouvrier et francophone, ce quartier a connu, au cours des 25 dernières années, un processus de gentrification ainsi qu’une diversification croissante de sa population, notamment avec l’arrivée de familles issues de l’immigration. L’étude se concentre sur la place Simon-Valois, un espace public emblématique de cette transformation. Ancien site ferroviaire, il est aujourd’hui un lieu de vie animé par des cafés, des commerces et des aménagements culturels. Le lieu est fréquenté par divers·es usager·ères, y compris des personnes âgées qui s’y retrouvent par beau temps, notamment grâce au piano public et aux zones d’ombre. Ces changements dans le quartier sont en partie dus à l’arrivée de nouveaux et nouvelles résident·es, attiré·es par les prix de l’immobilier encore relativement abordables et la proximité des transports. De leur côté, les résidents de longue date constatent clairement les transformations, en particulier l’augmentation de la diversité ethnoculturelle. Bien qu’environ la moitié d’entre eux déclarent avoir été témoins d’actes racistes, la cohabitation interethnique semble globalement harmonieuse. Cette recherche interroge ainsi la capacité des espaces publics à accueillir et à refléter une pluralité de vécus dans un contexte de mutation urbaine.

Panel 5: Critical Perspectives on Collective forms of Housing

Ce panel se penche sur les formes d’habitat collectif et leurs défis actuels. Les présentations explorent plusieurs sujets, notamment les obstacles institutionnels qui limitent l’accès aux logements coopératifs au Québec, les liens complexes entre l’immigration et la crise du logement à Montréal, et le potentiel théorique des communautés intentionnelles pour transformer notre rapport à l’habitat. Une étude de cas sur un projet d’inclusion à Lachine, à Montréal, met également en lumière les tensions entre les acteurs publics, privés et communautaires dans la création de logements abordables. Dans l’ensemble, ces travaux questionnent les limites, les contradictions et les opportunités des modes de vie collectifs dans le contexte actuel de crise du logement.

Deconstructing the Links Between Immigration and the Housing Crisis in Montréal

Cette présentation se penche sur l’impact de l’immigration française sur le marché locatif à Montréal, dans un contexte de crise du logement au Québec. La ville, attrayante pour de nombreux·euses jeunes professionnel·les et étudiant·es internationaux·ales, attire particulièrement les Français·es, alors même que la crise du logement s’y intensifie. Si la littérature établit un lien entre la gentrification et l’arrivée de jeunes étudiant·es, cette présentation conteste le lien direct entre la crise du marché locatif et l’immigration de la jeunesse française. À travers des entrevues semi-dirigées, les auteur·es retracent les parcours de ces personnes, dont le séjour temporaire semble les inciter à choisir des logements situés au centre-ville. Le choix de vivre en colocation, souvent avec des contrats informels de sous-location, semble fréquent. La préférence de cette population pour des locations à court terme permettrait aux propriétaires de louer des logements vieillissants dans des quartiers gentrifiés en profitant d’un roulement fréquent des locataires.

Redefining Intentional Communities: Towards a Conceptual Renewal in the Face of Contemporary Socio-economic Challenges

Cette présentation propose une analyse critique des communautés intentionnelles (CI) dans le contexte néolibéral canadien, marqué par la crise du logement et l’insécurité de l’emploi. Dans les écrits, les CI sont considérées comme des laboratoires d’expérimentation sociale et politique, offrant de nouvelles formes d’engagement citoyen en dehors des cadres habituels. L’étude retrace l’évolution des CI à travers trois phases : les communautés utopiques du 19e siècle, le mouvement contre-culturel des années 1950 à 1970 et les écovillages, apparus dans les années 1980. La recherche repose sur une méthodologie en deux étapes. La première a permis de créer une typologie à partir de 37 textes, révélant plusieurs lacunes. La deuxième étape a intégré ces dimensions pour les compléter avec 16 textes supplémentaires. Les premiers résultats montrent une grande diversité terminologique et idéologique selon les contextes, ainsi que des caractéristiques internes communes : une gouvernance partagée, une économie collective, une charte, des liens affectifs non conventionnels, et des membres souvent jeunes et engagé·es. L’auteur conclut en proposant d’élargir le cadre d’analyse à cinq dimensions : le contexte (crise de l’État-providence, marchandisation), la dimension individuelle (motivations, trajectoires, pratiques quotidiennes), la dimension structurelle (formes de propriété et gouvernance), la dimension collective/relationnelle (liens avec institutions et mouvements sociaux), et la dimension territoriale (rôle de l’ancrage local et des contextes urbains ou ruraux).

Reshaping the Relationship to Neighbourhoods and the Habitat : The Role of Grassroots Transition Initiatives in the City

Cette présentation explore le lien théorique entre les initiatives citoyennes de transition socio-écologique et les formes d’habitat collectif. En comparant ces deux sujets, l’auteure montre comment ils influencent notre manière d’habiter collectivement. La recherche se base sur une revue de littérature qui a permis d’analyser quarante-huit articles. Après avoir défini les initiatives de transition socio-écologique comme des actions collectives, locales et environnementales, la présentation a exploré les différentes dimensions de l’habitat en commun. Quatre dimensions ont été identifiées et ont servi de base à la comparaison : la socialisation, l’action environnementale, le rapport à l’espace et la politisation. La présentation a permis d’explorer l’influence respective des deux modèles sur ces quatre dimensions, montrant comment ils transforment le sentiment d’habiter en une expérience plus collective. Il est ainsi possible de penser que les initiatives citoyennes créent un sentiment d’habiter collectif comparable à celui des habitats collectifs, en intégrant des modes alternatifs de socialisation, d’engagement environnemental, d’appropriation de l’espace et de politisation dans le quotidien. Les initiatives citoyennes de transition permettraient donc d’accéder à l’habitat collectif sans avoir à faire face aux difficultés et aux obstacles souvent associés aux habitats collectifs eux-mêmes.